Même si cela fait près de trois ans à présent qu'il vit ici et qu'il a appris à s'approprier les codes moldus qu'il observait autrefois avec distance et fascination, il est toujours de leurs objets du quotidien desquels il a tendance à naturellement se détourner, pas par mépris, loin de là, mais par manque d'habitude, disons plutôt, et ce d'autant plus que ses pouvoirs lui sont à présent revenus, rendant caduques les alternatives non magiques dont il avait appris à se satisfaire entre-temps. Ainsi, même s'il dispose d'un téléphone portable, indispensable ne serait-ce que dans le cadre de son travail, il l'utilise très peu et aurait tendance à l'éteindre en dehors de ses heures de travail, à moins d'en oublier complètement l'existence, comme c'était le cas en cet instant.

Installé à la table de son salon, une tasse de thé (au citron, cela va sans dire) entre la mains, il examine les coupures de presse qu'il a rassemblées et qui lui semblait les plus susceptibles d'être relatives à l'activité souterraine des deux ennemis que l'ordre du phénix reconstitué doit garder à l'oeil. Pour ce qui est de Gellert, il ne lui est guère difficile de jauger ses habitudes et ses méthodes, il le connaît depuis bien assez longtemps pour cela. Pour ce qui est de ce mage noir - qu'Albus présume n'avoir toujours pas retrouvé ses pouvoirs, s'il se fie à tous les éléments qu'il a rassemblés jusqu'ici - qui se fait appeler Lord Voldemort, c'est une autre affaire. Tous les sorciers qu'il a interrogées l'ont aidé à s'en faire une bonne idée, mais insuffisante, et en attendant, il tente d'appréhender ce que sera leur action future.

Il est affairée à la tâche quand son portable, donc, ce fameux portable qu'il oublie constamment, sonne, à sa grande surprise. Sans se presser, Albus décroche. Le numéro est inconnu, la voix à l'autre bout du fil lui est inconnu, mais.

"Albus Dumbledore ?
-C'est lui-même.
-Je vous appelle du poste de police de Raccoon Square où nous avons interpelé votre soeur, elle est...
-Je suis désolé, il doit y avoir une erreur."
Petit moment de silence à l'autre bout de la ligne, puis le policier reprend.
"Vous êtes bien Albus Dumbledore, le frère d'Ariana Dumbledore ?"

Quand Albus raccroche, il est interdit, il a perdu autant de sa superbe que de son flegme naturel, le tout remplacé par un sentiment qui le submerge et qu'il ne sait pas identifier... Il le sait, il ne doit pas trop y croire, il est tout à fait possible qu'il s'agisse d'un coup monté de toute pièce par Gellert. Mais une part de lui ne parvient pas à s'empêcher d'y croire tout de même. Ce n'est pas ce qui lui serait arrivé de plus improbable ici, après tout. Et si ça devait être le cas ?

Sans plus attendre, Albus transplane à proximité du poste de police pour se présenter à l'accueil, sous le regard médusé du policier qui l'avait appelé quelques instants plus tôt et ne s'attendait pas à le voir arriver si vite. Il s'arrange avec les agents en poste, paye la caution de la jeune femme, quelques instants plus tard, une jeune femme arrive dans sa direction. Albus la dévisage. Elle s'est teint les cheveux mais... Il la reconnaît. Sans aucune forme d'hésitation, il la reconnaît.

"Ariana..."

D'instinct, sans hésiter, Albus se rapproche d'elle et la prend dans ses bras, une étreinte démérité, une étreinte qui n'effacera pas ses si nombreux regret, mais une étreinte nécessaire. Il est si heureux de la voir !

Ariana se précipite dans ses bras, et Albus la garde contre lui autant qu’il le peut. Il n’en revient pas, il a toutes les peines du monde à croire qu’elle et bel et bien là, contre lui, il garde en lui le sentiment que c’est impossible, et elle est si différente, pourtant, il y a quelque chose, dans les inflexions de sa voix, dans son regard, qui ne lui font pas douter un seul instant du fait qu’il ne peut s’agir que d’elle. Il ignore pourquoi, ni comment, mais la vie lui offre l’opportunité de réparer ses erreurs les plus terribles, et il sait qu’il ne doit surtout pas manquer cette chance. Tout ce qu’il a fait, toutes les résolutions qu’il a prises au moment de rompre avec Gellert (par bien des aspects), il l’avait fait en grande partie pour se racheter auprès de sa sœur… et en cet instant, il sait qu’il doit tout faire pour la protéger, la préserver.

« Tu m’as manqué aussi, Ariana… »

Il la garde contre lui plus longtemps que nécessaire. Lui non plus, bien sûr, ne s’imaginait pas un seul instant qu’elle puisse être bel et bien là. Il n’a même pas envisagé de la chercher, d’ailleurs… il n’aurait jamais pensé qu’un jour, ils auraient l’occasion de se retrouver en présence l’un de l’autre. Il n’y a de sa part que de la douceur, de l’affection, Albus n’est pas sûr de mériter tout cela. Albus aurait parfaitement compris qu’elle lui en veuille, qu’elle soit en colère… La dernière fois que ses yeux se sont posés sur elle, elle en est morte. Si nul ne sait qui de lui, Gellert ou Abelforth lui a donné le coup fatal, il sait que rien de tout ceci n’aurait eu lieu s’il n’avait pas laissé Gellert entrer dans sa vie. Il a envie de lui dire combien il est désolé, et à quel point il espère qu’il sera capable de la protéger, mais il ne veut pas remuer le couteau dans la plaie. Il ne peut pas revenir sur le mal qu’il lui a fait. Ce qu’il peut faire en revanche, c’est lui promettre, solennellement, que plus rien ne lui arrivera.

« Suis-moi, on va aller chez moi, d’accord ? » suggère-t-il doucement. « Et en chemin, tu me raconteras ce qui t’est arrivé, et tu me parleras de ta vie ici, tu veux bien ? »

Se dire qu’elle était là, depuis près de trois ans, et qu’il ne la retrouve que maintenant, ça lui arrache le cœur. Il s’en veut à un point inexprimable. Les choses n’auraient pas dû se passer ainsi. A présent, il fera tout ce qui est nécessaire pour se rattraper, pour rattraper le temps perdu, pour faire en sorte que tout ceci n’ait pas été en vain.

Lui aussi aura bien des choses à lui dire, tant de choses se sont passées depuis qu’il l’a perdue… Mais chaque chose en son temps. Pour le moment, c’est sur Ariana qu’Albus veut se concentrer, avant tout et surtout.

Albus veut bien croire que les événements qui ont succédé à son arrivée ici ont été particulièrement nombreux, et que l’histoire doit être bien longue, cela n’ôte rien au souhait d’Albus d’en apprendre autant que plus au sujet de tout ce qu’elle a pu vivre. Il a l’impression que c’est plusieurs vies qu’ils ont à rattraper, tous deux, et il espère maintenant de tout cœur que tout se passera mieux, que les maux dont Ariana a tant souffert seront apaisés. Une chose est certaine, il sera à présent, là pour elle quoi qu’il advienne. Quand il avait eu tendance à la négliger, à considérer sa présence comme un fardeau, il a bien l’intention de se rattraper. Il fera tout pour elle. Cette occasion en or qu’il a de se racheter auprès d’elle, il n’a pas la moindre intention de passer à côté. Et cela passe par une écoute appuyée et attentive de tout ce qu’elle pourra lui dire et lui apprendre.

Elle est arrivée ici, perdue et apeurée, c’est bien normal… De même qu’il peut comprendre son inquiétude de n’être plus dorénavant qu’une moldue, quand on sait tout le tort que ces mêmes moldus lui avaient causé par le passé, mais au fond, quand il y songe, Albus est ravi d’entendre qu’Ariana a perdu ses pouvoirs. Il lui souhaiterait même de ne pas les récupérer. Pas par malveillance, mais parce qu’il sait que ses pouvoirs la rongeaient de l’intérieur. Elle sera forcément plus apaisée sans eux. Et il ne veut rien davantage que son apaisement, à présent. Il fera tout ce qu’il pourra pour y contribuer. Tout ce qu’il pourra être en mesure de lui donner, il lui donnera, sans condition. Il comprend sa peur, mais il s’assurera qu’elle n’ait plus jamais peur… et c’est déjà un processus, il le sent, qui a commencé sans elle. Elle fait des études, et des études.

« Dis tout de suite que je suis une vieille chose », répond Albus avec un sourire. « J’ai ouï dire que je devrais vieillir encore bien davantage – et, je veux le croire, m’embellir encore avec l’âge », lui répond-il avec le plus malicieux des sourires. Il laisse passer un temps de silence. « Cet endroit m’a pris au dépourvu autant qu’à toi. J’ai décidé d’y faire ce que je sais faire de mieux : enseigner. L’histoire, en l’occurrence. Tu ne m’as pas connu professeur, mais j’ai enseigné à Poudlard peu de temps après… » Il ne finit pas sa phrase. Elle sait. « J’habite Hogwarts Place, je trouvais ce nom réconfortant, pas toi ? » ajoute-t-il avec un sourire. « Ne te reproche rien, tu ne pouvais pas savoir que j’étais ici. Et maintenant je suis là, c’est tout ce qui compte, n’est-ce pas ? Et je te promets que je ne t’abandonnerai pas. »

Il ne l’abandonnerait plus. Il avait commis cette erreur une fois, une fois qui avait été fatale : ça ne se reproduirait plus jamais : c’était absolument hors de question. S’il y a une chose qu’il doit bien faire, si sa présence ici doit avoir le moindre sens, c’est celui-ci : il prendra soin d’Ariana et veillera sur elle.

« Tes pouvoirs ne sont pas revenus, alors ? » demande-t-il, convaincu de la nécessité de mettre ce sujet sur le tapis d’entrée de jeu.

Ce n’est certainement pas Albus qui contredira sa sœur quant au fait que cette ville est bien étrange. Par certains aspects, c’est déroutant, dangereux, effrayant… par d’autres, c’en est presque miraculeux… Albus, qui se targue bien souvent d’en savoir plus pour la plupart, est souvent pris au dépourvu par les multiples surprises que cette ville a en réserve, et à l’évidence, il n’aurait pas pu un instant s’imaginer celle-ci… le retour d’Ariana dans son existence, la chance de se racheter. Peu importe les circonstances et la dimension, il n’aurait jamais cru cela possible, et encore maintenant, il observe Ariana presque comme un mirage, redoute de la voir s’évaporer tel un nuage de fumée. La retrouver pour la perdre à nouveau serait chose insupportable pour lui.

« Moi non plus », répond-il doucement, avec un fin sourire empreint d’une certaine tristesse, quand Ariana affirme qu’à présent qu’elle l’a retrouvé, elle ne veut pas qu’il s’agisse d’une illusion. Il en est évidemment de même pour lui. Lui non plus ne veut pas cela, surtout pas… et il veut croire que tout ceci est bien réel, mais faute d’explication probante à ce qu’ils vivent, il demeure difficile d’y croire complètement. Même pour des sorciers comme eux, habitués à la magie, tout ceci aurait tendance à transcender la logique elle-même.

L’affection que lui porte Ariana, ou celle qu’elle lui manifeste en tout cas, touche d’autant plus Albus qu’il n’a en aucun cas le sentiment de la mériter. Quoi qu’il en soit, il la savoure, il commence déjà à lui confier des morceaux du puzzle de sa vie afin de lui donner accès à une image plus complète, cette image qu’elle n’a pas eu le loisir de connaître. Par sa faute. Ou en grande partie par sa faute, en tout cas. Il sourit doucement quand Ariana lui dit être fière de lui. Il ne pense définitivement pas mériter tant de considération de sa part, mais sa sœur, celle dont il se souvient en tout cas – bien que la culpabilité et l’idéalisation aient sans doute altéré ses souvenirs – de sa douceur infinie, et il a le sentiment qu’elle se confirme en cet instant.

« Cette couleur te va bien », répond-il avec un sourire. « Et je t’aurais reconnue même avec les cheveux verts », dit-il alors avec un sourire mutin, préférant accorder de la légèreté à ce sujet, même s’il se dit que ce besoin de changement physique doit dissimuler autre chose, un besoin de changer, de se distinguer… qu’il ne peut que comprendre au demeurant, même si il aura du mal à effacer de son esprit la Ariana blonde, douce et timide qu’il a toujours connue avant cela.

Mais le sujet se fait un peu moins léger quand il est question de parler de sa magie. Il sent immédiatement qu’elle se braque, ce qu’il peut comprendre, mais ce n’est pas une question qu’il pose sans raison, bien sûr. S’il se permet d’évoquer le sujet, c’est qu’il l’estime essentiel.

« Mes pouvoirs ont mis longtemps à revenir, mais ils sont revenus, c’est le cas de nombreux autres sorciers, je voulais seulement savoir ce qu’il en était pour toi. »

Ceux d’Ariana reviendront sans doute, et ça l’inquiète. Mais il se dit qu’il aura peut-être le pouvoir, cette fois, de contrôler ce même pouvoir.