Il a beau avoir obligé son frère à ne surtout pas interrompre ses études, il a beau rester campé sur ses positions, il doit bien reconnaître que la présence d’Aberforth, dernièrement, l’arrange très clairement. Depuis que son frère est revenu de Poudlard, c’est à peine si Albus quitte sa chambre, toujours attablé à son bureau, toujours un livre sous la main. Son frère est là pour s’occuper d’Ariana, et dès lors qu’il est présent pour elle, Albus oublie, pour sa part, de l’être. Ne vous y méprenez pas, Albus aime sa sœur, mais cette affection, pourtant sincère, se laisse rapidement oublier au profit d’une émotion plus vive, plus directe et brutale, un ressentiment duquel il se révèle bien incapable de faire abstraction. Il lui en veut… à bien des titres… Pour ce qu’elle a fait de leur famille bien sûr, mais aussi pour tout ce qu’elle empêche, pour tous les projets qu’elle brise, pour toutes les ambitions qu’elle musèle, de ces ambitions auxquelles il ne peut pourtant pas renoncer. Parfois – et il le regrette tout aussitôt –, il voudrait ne pas avoir de sœur. A coup sûr, si Aberforth l’entendait penser (mais heureusement, c’est là une compétence qu’il ne semble pas vouloir développer – contrairement à Albus, s’entend), il le détesterait… ma foi, est-ce que ce serait si différent de d’habitude. Le ressentiment fait loi, au sein de la demeure des Dumbledore, et c’est aussi pour très sûrement y échapper qu’il reste enfermé dans cette pièce plutôt que d’assumer les responsabilités qu’il a pourtant bel et bien accepté d’endosser.

Assis face à son bureau, il rédige un courrier à l’attention d’Elphias… Leur projet de tour du monde a beau être plus que compromis, Albus ne se sent toujours pas capable de pleinement y renoncer. Leur correspondance et cette perspective de découverte, d’évasion, et surtout d’acquisition de nouveaux savoirs empiète très largement sur toute autre considération, encore plus si elles doivent être familiales et fraternelles. Ce n’est qu’après plusieurs longues minutes de rédaction que le jeune homme replonge sa plume dans son encrier et jette un regard à l’horloge murale, suspendue au mur voisin. 15 h 45. S’il ne veut pas être en retard, il a tout intérêt à se préparer maintenant. Certes, la vieille Bathilda n’habite qu’à quelques pas de la demeure des Dumbledore, mais Albus a toujours mis un point d’honneur à n’être en retard à aucun de ses rendez-vous, peu importe leur importance et leur nature.

Bathilda Bagshot, en plus d’avoir le mérite d’être une historienne de la magie respectée et émérite, qui avait donc le mérite d’avoir tout un savoir à lui dispenser, ce qui rendait leur conversation toujours intéressantes et jamais vaines, avait aussi été très présente pour la famille après leur installation à Godric’s Hollow. Elle s’y entendait pour, parfois, le décharger du fardeau que représentait, pour Albus le fait de devoir s’occuper de son frère et de sa sœur. Régulièrement, il lui rendait visite, et réciproquement. Cette-fois ci, cependant, promet de changer de ses habitudes. Bathilda veut lui présenter son petit-neveu, qui selon ses dires est un jeune homme absolument brillant, avec qui il ne pourra que s’entendre. Albus ignore si c’est réellement vrai, il n’en est pas moins curieux de faire la connaissance de ce fameux Gellert, venu de Durmstrang (Albus ignorait qu’il en avait été expulsé). A l’heure dite, donc, il quitte son domicile, non sans adresser quelques mots rapides à son frère pour lui dire, en somme, qu’il ne sait pas quand il rentrera. Quelques minutes plus tard, il est sur le palier de Mrs Bagshot.

Elle l’accueille avec un grand sourire et le fait entrer aussitôt. A peine a-t-il fait quelques pas à l’intérieur que son regard croise le sien. Sa main est légèrement moite au moment de se serrer dans la sienne. Une poignée de mains ou un regard ne suffisent pas, bien sûr, à lui laisser deviner l’importance que ce jeune homme aura pour lui, ils suffisent en revanche à le déstabiliser légèrement. C’est que Gellert Grindelwald est un jeune homme particulièrement charmant.

« Enchanté, Gellert », trouve-t-il à répondre tout de même. « Bathilda m’a déjà beaucoup parlé de toi. »

L’intéressée, qui a assisté aux salutations, prononce quelques mots rapides pour leur apprendre que le thé est prêt, ainsi que quelques scones, et qu’elle va les laisser parler « entre jeunes » puisqu’elle-même se découvre subitement quelque chose à faire. Albus ne peut prétendre être dérangée par ce discours. Il est bien plus intéressé par la présence de Gellert, en cet instant, que par celle de sa voisine.

« Qu’est-ce qui t’amène en Angleterre ? »

Simple question de courtoisie, mais que dissimulent un intérêt et une curiosité déjà sincères.

La réponse de Gellert est étonnamment, plaisamment directe. A l’évidence, il n’est pas dans les habitudes du jeune homme de passer par quatre chemins (ce qu’Albus aurait parfois davantage l’habitude de faire, et non sans une certaine intention sous-jacente qui parfois tiendrait presque de la plus stricte manipulation), et Albus apprécie. Au moins, il sait d’office à quoi s’en tenir, et surtout, le discours de son interlocuteur ne manque pas de trouver un écho tout particulier, et pour cause, à l’heure où ses projets de voyage avec Elphias sont plus que jamais compromis (même s’il ne parvient toujours pas à accepter qu’ils ne soient pas seulement mis entre parenthèses mais voués à l’abandon le plus total).

En quelques mots, il a largement justifié les suppositions de Bathilda quand cette dernière suggèrerait que ces deux esprits brillants devraient être faits pour s’entendre. Ils ont en tout cas de leurs jeunes existence la même vision. Voir le monde et assimiler le plus de connaissances possibles… Tout ce qu’il souhaiterait faire lui-même. Tout ce qu’il ferait lui-même s’il n’avait pas l’obligation lourde et encombrante de veiller sur son frère et sa sœur. Le sérieux de Gellert se lit dans son regard, ce regard qui le fixe sans détour et qui le déstabiliserait presque, lui aussi. Le jeune homme, en quelques mots seulement, sait se rendre… particulièrement fascinant.

« Je t’envie, je voudrais pouvoir prétendre faire la même chose. J’avais l’intention de faire la même chose mais… j’ai été rattrapé par mes obligations familiales », répond-il en faisant au mieux pour ne pas sembler trop amer malgré tout.

Sa réponse est déjà trop personnelle, beaucoup trop personnelle pour une conversation avec un presque inconnu. Mais il est si compliqué de trouver qui que ce soit à qui s’adresser qui soit à même de réellement comprendre ce désir impétueux de découverte, de savoir, pas seulement pour la curiosité qu’il satisfait, mais pour la puissance qu’il est susceptible de procurer. Albus ne pense pas qu’Elphias, malgré leurs années d’études communes à Poudlard, ait jamais compris cela. Mais, et sans savoir complètement s’en justifier, il a l’impression que son interlocuteur, lui, peut bel et bien être à même de le comprendre, de le comprendre vraiment.

« Tu as déjà voyagé ailleurs ? Il y a un sujet en particulier qui attire ton attention, ici ? – En dehors de Bathilda, bien sûr. Ta tante est un puits impressionnant d’informations à elle seule. Mais ça je suppose que tu le sais déjà. »

Ses questions ne sont pas aussi anodines qu’elles y paraissent, Albus est sincèrement curieux des connaissances que le jeune homme a déjà pu accumuler, plus encore si ce dernier devait accepter de le partager avec lui. Cette soif perpétuelle de connaissance est un trait remarquable et indéniable de sa personnalité. Et il ne saurait évidemment faire autrement que d’en obtenir davantage, même si ce devait seulement être par procuration, chose à laquelle il ne se résigne qu’en partie, plus encore dans cette situation où il ne sait qu’envier la liberté immense dont Gellert bénéficie, et à laquelle il ne pense pas pouvoir prétendre lui-même.

Repousser ses obligations familiales… La vérité, c’est qu’il y a songé plus d’une fois. Repousser ses obligations, ce serait plus directement repousser Aberforth, et surtout Ariana et toutes les complications qu’elle ajoute à sa vie du simple fait de son existence. Bien sûr qu’il est plus que tentant pour lui de les abandonner à son sort, de décider qu’ils ne sont pas son problème… La responsabilité qu’il a vis-à-vis d’eux, il la ressent comme un poids, un véritable fardeau, mais néanmoins comme une chose à laquelle il ne peut pas renoncer. Il ne peut pas se délester de ce poids, qu’importe combien il en a l’envie. Et c’est un cercle vicieux, plus il les ressent comme des boulets attachés à ses pieds, moins il se montre patient avec eux, ou indulgent, et plus cette impatience augmente sa frustration.

Il n’en parle pas, ou jamais dans les termes qui conviennent. Ce semble si logique à tous que l’on privilégie sa famille à ses ambitions. Et on a tant loué son abnégation et son courage face aux épreuves que les Dumbledore ont enduré… Il tient à cette image que l’on a de lui, question d’orgueil peut-être. Mais face à la sincérité presque désarmante de Gellert, il a eu envie d’être honnête en retour… et ça lui a été, finalement, d’un simplicité enfantine. Et la réaction du jeune homme semble donner raison à ce qu’il présumait. Il ne juge pas ses ambitions ou son envie. Au contraire, il s’interroge quant aux manières d’y remédier.

« J’ai la fâcheuse tendance à tenir mes engagements », se justifie-t-il avec une fine esquisse de sourire aux lèvres, qui ne trahit pas de joie réelle de sa part. Cette lueur pétillante, singulière, que l’on peut aisément trouver dans son regard, est absente en cet instant. « Mon frère et ma sœur n’ont plus que moi. Je n’ai pas le choix. »

Et on ne peut pas vraiment dire qu’il dissimule son amertume en prononçant ces mots. Il ne voit aucun intérêt à le faire en cet instant. Il sait, il sent, pour la première fois peut-être depuis bien longtemps, qu’il a face à lui une personne tout à fait à même de comprendre les émotions qu’il n’exprime autrement qu’à mi-mot. Pour comprendre combien privilégier cette soif absolu de savoir pouvait être vécu comme une absolue nécessité, il faut être capable de l’éprouver soi-même. Et trop peu en sont capables… ou jamais dans les proportions qui intéressent véritablement Albus.

Alors, c’est presque par procuration qu’il veut vivre les voyages de Gellert auxquels pour sa part il sait devoir renoncer. Gellert demeure très secret au sujet de ses voyages, ce qu’Albus ne lui reproche pas. Après tout, il n’a aucune véritable raison de faire le choix de se confier à lui… Ceci dit, il lâche, presque au débotté, une information qui n’a absolument rien d’anodine. Aider les sorciers à ne plus cacher.

« Pour aider les sorciers à ne plus se cacher, il faudrait ni plus ni moins que renverser des gouvernements », observe-t-il d’un ton curieux, mesuré, en rien affligé, en revanche intrigué. « Comment penses-tu pouvoir t’y prendre ? »

Sans doute Albus devrait-il estimer que Gellert était fou... Et sans doute estime-t-il qu'il l'est bel et bien. Il faut l'être, en partie, pour caresser, sans sourciller et avec un aplomb tout à fait remarquable, l'ambition de renverser des gouvernements, rien que ça. Oui, peut-être que Gellert Grindelwald est un jeune homme un peu fou... Mais Albus ne l'est pas forcément moins, et plutôt que de moquer absurdement des ambitions grandiloquentes ou, bien au contraire, s'en inquiéter, il préfère largement laisser à son interlocuteur le soin de développer son propos. C'est bien simple, il le fascine...

Sans doute, oui, que le trouble que sa seule apparence sait susciter en lui ne l'aide pas complètement non plus à garder l'esprit clair, mais même au-delà de ça... Il distingue chez ce jeune homme quelque chose de remarquable, quelque chose d'unique. Et en peu de mots, en peu de temps, il comprend les raisons qui auront pu pousser Bathilda à les présenter l'un à l'autre. Il y a tant de ferveur et d'ambition, de convictions chez ce jeune homme - au demeurant charismatique - qu'il semble impossible de ne pas vouloir au moins l'écouter.

L'ambition est folle, mais le discours de Gellert reste pragmatique, suffisamment pour qu'il sache se montrer irrésistiblement convaincant et que l'on veuille en entendre plus sur ce qu'il pourrait bien avoir à dire. Bien sûr, il ne suffit pas de se pointer à la porte de n'importe quel ministère magique en leur présentant de très hautes ambitions pour que cela fonctionne. D'autant que ce jeune homme, si son potentiel et son intelligence sot remarquables, n'est pour ainsi dire personne aux yeux de ceux qu'il faudrait parvenir à convaincre.

"Les bonnes paroles, je ne doute pas que tu sois capable de les avoir", répond Albus, non comme un reproche mais davantage comme un fait.

Gellert s'exprime bien, il semble être un orateur né, il sait précisément quoi dire et comment le dire. Et même en ayant conscience de cela, il semble presque irrésistible de tomber dans ses filets malgré tout.

"Pour ce qui est de constituer de puissantes alliances, c'est un ouvrage de longue haleine, mais pas inenvisageable. C'est une affaire de relations, de bouche-à-oreille aussi, savoir transmettre la bonne information à la bonne personne au moment adéquat... mais sans perdre pour autant la paternité d'un tel projet, ni son ordonnance."

Albus parle comme il réfléchit, laisse son raisonnement affleurer à la surface de ses lèvres sans chercher à le modérer. En ces circonstances, il n'y voit définitivement aucune sorte d'intérêt. La curiosité que sait faire naître son interlocuteur en lui finit par transcender toute autre considération.

"Il faut un argument fort, au-delà des idées exposées, qui te place immédiatement en position de prestige et d'ascendance sur ceux qu'il te faut convaincre. Mais je suppose que tu as déjà réfléchi à cette question."

L’entreprise qui semble être celle de Gellert, il le confesse lui-même, exige un travail de longue haleine. Du temps, beaucoup de temps… Du temps qu’ils ne possèdent peut-être pas ? Allez savoir… Albus serait tenté de penser que oui. Gellert est jeune, peut-être trop jeune pour couver de tels projets, mais en même temps cette jeunesse lui confère l’assurance, l’audace… et justement, le temps dont il peut avoir besoin. Il a la vie devant lui, et il a précisément décidé, déjà, de ce qu’il voulait en faire. C’est une chose que, naturellement, Albus ne peut que lui envier… Lui-même sait à quoi il voudrait consacrer son temps, mais ses désirs et ses ambitions se heurtent aux barrières dressées par les siens, par cette famille qui le maintient captif quand ses rêves de pouvoir et de liberté ne demanderaient pourtant qu’à atteindre les plus hauts sommets. Ils se sent… acculé, il se sent diminué, et trouver, a contrario, quelqu’un comme Gellert, que rien ne retient, et que rien ni personne ne serait sans doute susceptible de retenir a quelque chose d’à la fois dangereux et rafraichissant.

Les paroles du jeune sorcier sont enjôleuses, il sait minutieusement choisir ses mots, tout comme il semble savoir exactement sur quels leviers émotionnels appuyer précisément pour obtenir très exactement ce qu’il peut désirer. Et sur Albus, cela marche à la perfection. N’a-t-il pas conscience des méthodes de manipulation rhétorique de son interlocuteur ? Ce serait faux que de le prétendre. Albus pense voir relativement clair dans son jeu. Le fait est, seulement, qu’il a envie de se laisser prendre à ce même jeu. Gellert n’avait pas besoin de dire grand-chose pour le convaincre. Albus n’a besoin que de cela, qu’une personne au moins le conforte dans des ambitions que tous les autres, et les circonstances, cherchent à museler. Bien sûr, que ces paroles si séduisantes soient prononcées par un jeune homme qu’il ne sait trouver que plus séduisant encore ne gâche absolument rien, rien du tout, même. Il a envie de boire ses paroles comme le plus délicieux des nectars, et il ne s’en cache pas véritablement.

« Peut-être que des sorciers sont persécutés par des Moldus et que tout le monde le sait », répond sobrement Albus, qui le temps de prononcer cette phrase, avait employé un ton plus amer qu’à son habitude.

Bien sûr, une telle suggestion le rappelle à bien de douloureux souvenirs, qu’il soit question de l’agression d’Ariana ou encore du sort qu’avait connu son père pour avoir voulu protéger Ariana des mêmes Moldus qui lui avaient fait du mal. L’injustice qu’évoque Gellert, Albus l’a vue de trop près pour y rester indifférent. Est-il au courant ? Bathilda aurait-il pu lui en parler ? La réponse à ces questions n’a pas grande importance, au fond…

« Parle-moi de cette piste intéressante. »

Gellert refusera peut-être. Il estimera qu’Albus n’est pas digne de telles confidences étant donné qu’il semble ne rien vouloir changer à sa vie, mais il est trop curieux, trop soucieux, au fond, de se laisser convaincre, de se saisir du moindre prétexte pour embrasser pleinement les idées qui lui sont à peine esquissées. Il ne peut prétendre le contraire.