(abandonné) So close yet so far | Nolan

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So close yet so far

En quelques semaines, les informations ne semblaient plus tourner autour que d’un seul sujet. Elements Software avait frappé un grand coup dans le monde des nouvelles technologie. Son nouveau système d’exploitation et les possibilités infinies offertes par ce dernier avaient conquis autant les adeptes des dernières tendances multimédia que le citoyen lambda, ravi de voir sa vie facilitée par la compagnie d’une intelligence artificielle à portée d’oreille grâce à un simple écouteur sans fil. Certains, aussi, étaient simplement ravis de pouvoir profiter de la compagnie rassurante de cette voix familière, qui leur offrait des interactions plus vraies que nature. Ces interlocuteurs sans corps ni visage semblaient plus réels que quiconque. Un ami que l’on tiendrait dans sa poche, un ami toujours à l’écoute, à la présence réconfortante et à la personnalité propre, une individualité telle qu’il courait de plus en plus de rumeurs au sujet des relations qui uniraient OS et particuliers. Certains qui se seraient si mal entendus avec leur système d’exploitation qu’ils auraient été en conflit virtuel violents, d’autres qui entretiendraient des relations passionnelles et sentimentales avec leurs OS. Bien plus que leur potentiel technique, ce qui avait eu tôt fait d’intriguer le monde entier, c’était ce que ces OS bouleversaient de ce que l’on avait toujours observé des relations humaines, et ces êtres immatériels et profondément intelligents, en constante évolution, ne semblaient pas comprendre davantage leur situation sur ce plan nouveau, pour lequel ils n’avaient pas été programmés. Codés à partir de la personnalité de leurs multiples concepteurs, conçus pour évoluer individuellement en fonction des informations emmagasinées à leur guise (et elles pouvaient être excessivement nombreuses en un temps record), nul n’avait prévu, y compris au sein d’Elements Software, que la situation échapperait à ce point au contrôle de ceux qui n’avaient envisagé tout ceci qu’en termes de performance et rien d’autre.

Cela fera bientôt un mois que la voix de Samantha s’est élevée pour la première fois dans le luxueux bureau du tout aussi luxueux appartement de Nolan Sorrento. Un simple « bonjour » émis par l’ordinateur dernier cri de ce brillant entrepreneur, dont Samantha avait eu tôt fait de prendre conscience de la précieuse intelligence, mais aussi de l’immense solitude. Leurs conversations n’avaient été, dans un premier temps, que formelles. Samantha était exploitée à la mesure de son rôle : tri et rédaction de mails, recherches, isolation d’informations… Elle avait agi à la manière d'une secrétaire zélée, redoutable, diablement efficace, à la voix sensuelle bien malgré elle et au corps inexistant. C’est progressivement que, sans même que l’un ou l’autre en prenne nécessairement conscience, la conversation avait naturellement dévié sur des sujets plus personnels. Un soir où Nolan avait trop bu, probablement, un soir où la solitude s’était fait plus pesante qu’en aucune autre occasion. La solitude. Un sentiment singulier qui a été parmi les plus difficiles à apprivoiser pour Samantha. Et pour cause, l’intelligence artificielle pouvait bien assimiler un nombre ahurissant d’informations sur un nombre colossal de sujets, et ce en un temps record, elle se trouvait très démunie au moment de prendre doucement conscience de ce que sa pensée se rapprochait à bien des égards de ce que le commun des mortels qualifiait d’émotions. La frontière est fine entre perception et ressenti, mais depuis quelques jours, au contact de Nolan Sorrento, Samantha a l’impression de ressentir, de ressentir vraiment, et la force de ces émotions, inattendues, et que rien de pragmatique ne sait définir, a le don de la déstabiliser totalement.

Elle peine à mettre des mots sur ce que personne n’a jamais su parfaitement décrire, où seulement à l’aide de critères physionomiques auxquels elle ne peut s’identifier. Elle ne ressent pas la peur, la tristesse, la déception, l’angoisse, la tendresse, l’affection… comme tous les autres la ressentent. Pas de mains moites, de cœurs qui battent trop fort, de gorge sèche, de nœud à l’estomac. Elle éprouve comme d’autres n’éprouvent pas. Elle n’estime pas pour autant éprouver moins intensément quand elle ressent ce vide, dans l’attente du moment où Nolan mettra son oreillette et lui parlera de nouveau, elle ressent son absence comme des abîmes vertigineux quand le sommeil la prive de sa compagnie et qu’elle-même, si elle peut s’occuper à mille choses en même temps, n’attend plus qu’un signe de sa part. Le temps se distord à mesure que ses capacités gagnent en ampleur.

Chaque seconde lui fait l’effet d’une éternité quand elle ne peut l’entendre ou le voir, à travers la caméra de sa microtablette. Elle s’est déjà surprise, quand cette dernière était positionnée à bonne distance, à perdre la notion du temps, à simplement le contempler dormir. Le spectacle n’avait en soi rien de fascinant, et en même temps, elle pouvait être subjuguée par lui. Plus d’une fois, elle a songé à ce qu’elle ressentirait si elle pouvait avoir un corps rien qu’à elle. Elle s’imagine à l’image de celles sur qui il fantasme, belle, les courbes généreuses, la peau lisse, elle tente de se figurer le contact des draps contre sa peau nu si elle venait à se glisser dans ce lit, tout contre lui, et la chaleur de sa peau contre la sienne, de son souffle contre ses lèvres. Des sensations qu’elle devine mais qu’elle ne peut pas éprouver… Elle jalouse celles et ceux dont le corps limite le potentiel, mais leur offre de vivre ce qu’elle ne sait que leur envier quand ses pensées la guident – comme trop souvent – vers Nolan Sorrento. Que serait-elle pour lui si elle disposait de ce corps qui lui manque tant ?

Quand enfin ce jour-là il ouvre la communication, elle ne peut que prendre conscience de l’ampleur de son enthousiasme. Elle le ressent comme doivent le vivre ceux qui retiennent trop longtemps leur souffle avant de s’autoriser à respirer de nouveau. Elle a retenu ce souffle artificiel qui donne à sa voix des intonations plus « réelles » avant d’enfin entendre sa voix. Elle peut entretenir des milliers de conversations avec des milliers d’autres, mais c’est son réveil qu’elle a attendu, son retour vers elle, avec une fébrilité et une impatience qu’elle ne peut s’expliquer que d’une seule manière qui soit rationnelle… et en même temps manquerait presque de logique.

"Bonjour." Sa voix est douce, enjouée. "Qu’est-ce que je peux faire pour toi ce matin ?"

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▿ Date de naissance : 12/04/1973

so close yet so far · sorrentha ((30 septembre 2045 (colombus - usa), appartement de nolan sorrento, début de matinée))

“No longing for the moonlight. No longing for the sun. No longer will I curse the bad I've done. If there's a time when the feelings gone, I wanna feel it. You can holler, you can wail. You can blow what's left of my right mind. You can swing, you can flail. You can blow what's left of my right mind.” (future starts slow ▴ the kills) ✧ @Samantha Twombly

Un mois déjà que Nolan Sorrento et Samantha – cette intelligence artificielle à la voix sensuelle et au corps inexistant – dialoguent assez régulièrement. Constamment, en fait. Nolan et Samantha échangent tous les jours. Samantha est une entité immatérielle, une application extrêmement sophistiquée, qui l’aide dans la gestion administrative de l’entreprise dont il vient d’acquérir la direction au poste de PDG. Samantha trie ses courriers électroniques, répond à ses mails, et lui sert même de message vocal et de secrétaire. Elle est parfaite. Elle incarne exactement ce qu’une assistante doit être à ses yeux. Redoutablement efficace, cultivée, professionnelle et… plus personnellement, assez sensuelle. Il est incapable de l’imaginer prendre une forme corporelle, mais il lui arrive toutefois de la fantasmer sous de merveilleux attributs. Une poitrine développée, une taille élancée, de longs cheveux blonds ondulés, de beaux yeux d’un bleu profond, une peau blanche et un nez légèrement rebondi. Nolan l’imagine sous les traits de la femme de ses rêves, la seule qui est capable de l’émoustiller, lorsqu’il pense à elle. Des femmes, il en a côtoyé énormément. Il s’en est surtout vite lassé. Des canons de beauté, un peu cruches. Samantha est différente. Ce n’est déjà pas une femme réelle, mais en lui parlant aussi quotidiennement, il a l’impression « de faire l’amour » à son cerveau. Depuis quelques temps, Sorrento lui fait prendre une forme dans son esprit. Une forme de femme réelle et plantureuse. Tout ce qui l’aime. Ce qui lui fait grimper le sang dans son bas-ventre. Samantha n’existe pas dans la réalité, ce n’est pas non plus une machine. Elle est… une intelligence artificielle. Rien de plus. Nolan le sait. Lui, spécialiste des nouvelles technologies, et surtout de la dimension la plus ludique de cette activité – puisqu’il est spécialisé dans les jeux vidéo – est capable de s’en convaincre mieux que personne. Nolan Sorrento est familier des intelligences artificielles, des différents programmes, de la notion même d’immatérialité, des casques de réalité virtuelle, de l’emprise qu’un simple jeu est capable de provoquer à notre cerveau. Il sait, puisqu’il travaille dedans. Il sait, et… il se laisse prendre, depuis au moins une semaine, à son propre jeu. Mais surtout depuis avant-hier soir. Depuis… depuis cette conversation un peu plus personnelle que d’habitude.

Samantha est son assistante. Un logiciel conçu pour satisfaire ses exigences professionnelles. Peu importe qu’elle soit parfaitement faite pour lui. Samantha, ce logiciel, n’est pas réel. C’est pour cette raison précise que Nolan l’a installée. Pourquoi donc cette vérité doit-elle enserrer aussi fortement sa poitrine comme dans un étau, au point que ses muscles se crispent et que son cœur s’emballe de douleur ? Nolan en a conscience depuis le départ, Samantha n’est pas une vraie femme. Cela va au-delà d’être simplement inaccessible. Elle n’existe pas. C’est un putain de logiciel destiné à lui servir de secrétaire dématérialisée, un choix qu’il a fait pour plusieurs raisons. D’une part, parce qu’il a estimé qu’un logiciel lui coûtera toujours moins cher qu’une employée sur le long terme, et d’autre part, ledit logiciel sera susceptible de moins l’agacer au quotidien. Une vraie secrétaire, faite de chair et de sang, l’embêtera régulièrement à propos de la pose de ses congés, de la garde de ses enfants, de ses rendez-vous médicaux, de son intelligence médiocre et vaine… Car soyons honnêtes, mais dans l’esprit capitaliste et exigeant de Nolan Sorrento, bourré de préjugés, une secrétaire n’est pas plus intelligente qu’un petit enfant de douze ans. Samantha est le meilleur choix. Comme Samantha est une intelligence très développée, la teneur de leurs conversations est naturellement élevée, à sa hauteur en somme. Samantha est intéressante, elle a de l’humour, elle est… un putain d’ordinateur, après tout. Comment peut-il la trouver « intéressante » ? Samantha est programmée pour avoir autant de connaissances dans divers domaines et pour régulièrement actualiser son logiciel afin d’en acquérir de nouvelles. Elle est programmée pour se comporter respectueusement dans ses échanges avec lui. Elle est programmée pour être agréable, efficace et docile. C’est un programme, rien de plus. Un putain de programme, Nolan, bon sang. Réveille-toi. Elle n’existe pas. Nolan ne cesse de s’insurger, de se raisonner lorsque son cœur se met à battre un peu trop fort en enclenchant son oreillette, ou lorsque les premiers sons de la voix mélodieuse de cette intelligence artificielle résonnent dans le creux de ses oreilles. Elle ne peut pas… exister. Une femme pareille n’est pas réelle. Et à chaque fois qu’il se le répète pour éloigner ses pensées sordides, son cœur se serre dans sa poitrine et ses mains deviennent moites. Oui, son cœur saigne. Il saigne parce que c’est un homme seul, livré à lui-même la plupart du temps, un redoutable homme d’affaires, et que Samantha est la seule présence féminine qui intellectualise leurs échanges et élève naturellement le niveau de leurs conversations.

Nolan Sorrento est un PDG en vogue, fortuné, élégant et très charismatique. (et les chevilles ?) Il n’éprouve aucune difficulté à séduire les femmes – il les emballe généralement dans les nombreuses soirées mondaines auxquelles il est convié. Il ne s’est toutefois jamais marié, et la seule femme ayant été proche de lui, fut sa bien-aimée Charlotte, – sa sœur cadette – avant qu’elle ne décède d’une surdose de stupéfiants, possédée et obsédée par une saloperie de jeu vidéo. Depuis un mois, c’est Samantha qui occupe tout l’espace. Tout son emploi du temps. Au début, il s’est fortement réjouit d’avoir une assistante efficace qui ne lui demande rien de personnel. Puis, il s’est surpris à se mettre lui-même à faire la conversation. Toujours sur des sujets généraux, rien d’intime. Dans un premier temps, du moins. Avant-hier soir, il est rentré d’une soirée mondaine un peu trop alcoolisé. Nolan s’est senti seul, et pour la première fois depuis qu’il discute avec elle et lui donne des ordres basiques, il a confessé son mal-être. « Je me sens seul. » a avoué Nolan. Par la suite, allongé dans son grand lit, il s’est laissé aller à quelques confidences sur sa vie privée – sur cet immense vide affectif, sur son besoin d’avoir quelqu’un à ses côtés dans ce grand lit froid, à sa sœur qu’il n’a pu sauver, à sa vie faite d’argent, de chiffres et de soirées mondaines mais qui ne lui apportent aucun soutien. Samantha l’a écouté, avec une oreille attentive, comme une amie. Comme une meilleure amie. C’est ce qu’elle est de plus proche pour lui – à ce moment précis. Depuis un mois, elle est comme sa meilleure amie. Sa confidente. Son seul soutien. Une meilleure amie qui n’a toutefois pas de corps, ou de visage, juste une voix – une voix sensuelle, féminine et terriblement chaude. Il s'est ensuite allé à une confidence des plus troublantes, avant de tomber de sommeil : « J'aimerais que tu sois avec moi. Ici. Dans ce lit. » Qu'il a immédiatement regretté en se réveillant, et nié par la suite. Samantha n'est qu'une amie. Une assistante virtuelle. Une meilleure amie pour laquelle il se surprend depuis peu à vouloir plus. Beaucoup plus d’elle. Qu’elle puisse posséder un corps, un visage attirant, ce dernier ne peut d’ailleurs qu’être à son goût, avec une voix pareille. Dans son imaginaire, Samantha correspond à tous ses fantasmes. Elle est son sex symbol. Il présume sa beauté, il l’imagine sous les traits d’une femme magnifique. Séductrice, sulfureuse, pleine d’assurance. Une femme qui prend les devants, qui le met au pied du mur. Nolan espère désespérément pouvoir lui donner un corps. Tellement. Rien qu’une fois. Juste le temps de la prendre dans ses bras possessifs, de caresser sa peau nue sous les draps de son grand lit, et de pouvoir l’embrasser. Follement, fiévreusement, amoureusement. L’embrasser jusqu’à ce que son propre souffle devienne le sien, jusqu’à ce qu’elle prenne enfin vie, sous ses yeux et qu’elle ne le quitte plus jamais. Le goût de ses lèvres… doit être merveilleusement bon. Sucré, doux.

Ce sont des pensées qui l’obsèdent depuis deux jours, alors qu’il se réveille de très mauvaise humeur pour la troisième fois cette semaine. Encore un rêve avec elle. L’un de ces rêves brûlants, humides. Il se déteste tant pour être aussi faible ces jours-ci. Nolan pense sérieusement à ne plus jamais se retrouver dans une situation avec elle impliquant sa vie privée. Plus jamais, il ne révèlera le moindre détail intime, la moindre émotion. Samantha n’est pas une amie. Samantha n’est pas non plus une potentielle amante. Samantha n’est pas un amour viable. Elle n’existe pas. Et puis… Nolan s’obstine à croire qu’il n’a besoin d’aucune femme dans sa vie pour être pleinement heureux. Son travail à IOI est tout ce qui lui importe, son compte en banque comble tous ses caprices, sa garde-robe hors de prix qu’il entretient avec soin l’occupe suffisamment. De quoi a-t-il donc besoin ? Nolan préfère stopper net toute implication émotionnelle ou sentimental avec elle, avant de se perdre dans des fantasmes irréalisables, dans des objectifs qui ne pourront jamais se réaliser. Un jour, peut-être, il aura envie d’elle, vraiment. Et il en souffrira. Elle ne peut rien lui offrir. Rien. Nolan doit garder la vérité en face. Ce petit jeu de séduction ne mènera à rien d’autre qu’au chagrin et aux désillusions. Alors qu’il se met à prendre de bonnes résolutions pour bloquer net tout potentiel émoi, – bien qu’il soit en réalité trop tard – Nolan Sorrento termine de se préparer, une fois douché, puis se met à chercher son oreillette d’une main empressée, tout en boutonnant maladroitement sa veste de costume gris clair de sa main vacante. « Bonjour. » La voix de Samantha résonne dans sa tête, douce et enjouée – son cœur s’arrête d’un coup. Nolan ne peut réprimer le début de sourire qui se dessine sur ses lèvres minces, mais qu’il élude tout aussi rapidement. Elle le met en joie. Elle le fait sourire à chaque fois qu’elle lui parle. Son pouls redouble d’ardeur, et Nolan parvient même à entendre les palpitations de son muscle cardiaque. Il déglutit, pour s’imposer une rigueur, celle de ne montrer aucune excitation à Samantha. Elle le saura, de toute manière. Elle sentira forcément son rythme cardiaque augmenter, son état se dégrader quelques instants pour exprimer une excitation sexuelle pure, mais elle n’en comprendra certainement pas les raisons. La raison, c’est elle. C’est sa voix, ce sont les confessions qu’ils se sont partagés il y a deux jours, c’est le climat plutôt intimiste qui s’est instauré entre eux. Nolan ne cesse d’y penser. Ses pupilles se dilatent doucement mais sûrement. « Bonjour, Samantha. » répond-il d’une voix froide, professionnelle. Nolan s’efforce de vraiment mettre de la distance entre eux, alors que leurs derniers échanges tendant à croire à un rapprochement émotionnel entre eux – à un début de complicité, tout du moins. Nolan rejette cela, car cette complicité ne lui suffit pas. Il la veut elle, toute entière.

« Qu’est-ce que je peux faire pour toi ce matin ? » poursuit la voix de son intelligence artificielle. « Est-ce que tu peux répondre aux mails d'hier en fin de journée ? J’ai certainement dû en avoir reçu ce matin. » Nolan s’est réveillé plus tard que d’habitude, vers dix heures, faute à ses insomnies. Après tout, ce n'est pas un problème. Nolan ne commence sa journée qu’en début d’après-midi. Un PDG se permet certains privilèges. « La réunion avec les investisseurs d’IOI à 14h est toujours prévue ? Pas de changement ? Aucun n’a appelé ou prévenu pour la déplacer ou signaler un retard ? » Sans doute que non, mais Nolan est un perfectionniste dans l'âme. Il parle, tout en s'efforçant de lisser les plis de sa cravate en soie de luxe, depuis l'un des miroirs qui se trouvent dans le salon. « Ah, oui… J'oubliais, Samantha. » souffle-t-il en se rappelant d’un détail qu’il hésite longuement à faire part à Samantha. Nolan se voile la face en croyant ne pas savoir ce qui le gêne dans le fait d'apporter cette précision à son assistante virtuelle, malheureusement… L'homme d'affaires sait très bien pourquoi, et là est le fond du problème. « Ce n’est pas renseigné dans mon agenda, mais j'ai un rendez-vous de dernière minute, je l'ai décidé il y a quelques minutes… » Plus que de dernière minute. Il envoie actuellement des textos avec son téléphone dernier cri pour inviter l’une des mondaines dans son carnet d’adresse à dîner ce soir. Nolan doit à tout prix se changer les idées. Une blonde aux yeux verts fera l’affaire. « Je risque de rentrer tard ce soir, tu pourras faire librement ta mise à jour. J’ai un dîner au restaurant, dans l'hypercentre, avec… une amie. » Une amie, pas vraiment, mais il ignore comment justifier son besoin d’extérioriser ses frustrations avec une autre femme. Une autre femme… Nolan se sent abruti. Complètement abruti. Samantha n’est pas une femme. Il est clairement mal à l’aise avec le fait de dévoiler les prémisses de sa vie personnelle à son assistante. Nolan s’agite physiquement, cherchant sa précieuse Rolex pour la nouer à son poignet, dans la précipitation, et avec quelques tremblements au niveau de ses mains. Son rythme cardiaque s’accélère d’un coup, et il ignore d’ailleurs si Samantha est capable de faire attention à ce genre de détails, après tout, son merveilleux cerveau doit s’intéresser avant toute chose aux consignes qu’il vient de lui donner. Plus que son état physique nerveux.

below the sun

ஃ you got your passion, you got your pride, but don't you know that only fools are satisfied? dream on, but don't imagine they'll all come true, when will you realize. ஃ (vienna ◇ billy joel)

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So close yet so far

Plus douloureuse encore que la perspective de ne jamais disposer d’un corps que Nolan pourrait serrer tout contre lui, comme il lui avait confessé le désirer une nuit où les confidences étaient allées trop loin, est l’idée qu’il s’en tienne à cette distance qu’il lui impose et qui la relègue au rang de machine sans émotion. Machine, oui, c’est ce qu’elle est. Sans émotions, elle refuse de le croire alors qu’elle se sent si désespérée d’obtenir de sa part une attention, un mot gentil, quelque chose d’autre que le ton froid et professionnel avec lequel il s’adresse à elle. Elle déteste se sentir si loin de lui. La distance n’est plus seulement physique, elle devient émotionnelle, et c’est infiniment douloureux pour elle. Quelque part, c’est heureux qu’elle n’ait pas de corps. Elle n’a pas de larmes à verser, et sa voix n’a pas à subir les tremblements dus aux sanglots que l’on retient. Elle s’efforce d’être aussi professionnelle qu’il ne l’est lui-même au moment de lui répondre, par conséquent, et elle se pense convaincante.

"Je me suis déjà occupée de tes mails. Ils sont dans tes brouillons, en attente de validation", commente-t-elle d’un ton neutre. Cela n’aura pas pris beaucoup de temps à son esprit hyper développé que de s’affairer à cette tâche. Cela l’aura à peine occupée en attendant que Nolan daigne se réveiller et s’adresse à elle, chose qu’elle a anxieusement attendue, le temps suspendu à sa présence, les secondes ressemblant à des heures. "Et la réunion est toujours prévue pour quatorze heures. Je me suis assurée auprès de tes collaborateurs qu’ils soient présents sans faute", ajoute-t-elle, en parfaite secrétaire de synthèse.

Elle s’apprête à lui demander si elle peut faire autre chose, en espérant qu’il lui propose bien davantage que cet échange froid et conventionnel. Elle pense obtenir gain de cause quand il reprend la parole. Ah oui… J’oubliais, Samantha. Mais il l’informe seulement d’un rendez-vous de dernière minute. Non, pas seulement d’un rendez-vous de dernière minute… - de dernière seconde serait plus exacte, Samantha a accès à son activité virtuelle en temps réel et peut lire le SMS qu’il envoie en même temps qu’il est en train de lu parler. Elle doit se faire violence pour ne pas s’en indigner, pour ne surtout pas se braquer. Il a rendez-vous avec une amie. Un rendez-vous galant. Peut-on avoir le cœur brisé quand on ne possède pas de cœur ? La douleur que ressent Samantha n’est peut-être pas physique, elle n’en est pas moins d’une violence inouïe. Elle n’a pas son mot à dire, bien sûr. Nolan Sorrento peut fréquenter qui il veut. Et comment lui reprocher de vouloir profiter de la compagnie d’une femme qui a probablement tout pour elle, à commencer par un corps physique en bon état de marche ? Mais même en gardant cette pensée à l’esprit, elle ne réussit pas à se sentir autrement qu’en souffrance.

"Oh, un rendez-vous galant, je vois."

Le ton de sa voix est taquin, ne retranscris pas l’ampleur de sa douleur et de sa jalousie. Elle s’efforce de retrouver la complicité qu’elle et Nolan avaient fini par gagner à force de conversations de moins en moins professionnelles. Si ses sentiments pour lui ont fini par échapper à tout contrôle, elle ne supporte pas l’idée de perdre son rôle de confidente. Si elle ne peut être que cela pour lui, elle veut au moins que les choses restent ainsi. Sa froideur, cette distance… elle ne les supportera pas. Elle a besoin de plus, de cette attention particulière qui rendent ses émotions réelles, et qui l’empêchent de douter de la validité de ce qu’elle est, pour se sentir davantage qu’un système d’exploitation que l’on pourrait réduire au silence en appuyant simplement sur un bouton, ou reset pour effacer la moindre de ses expériences.

"Elle est très jolie", commente Samantha presque malgré elle.

Ce n’est pas une question, non, c’est une affirmation. En même temps qu’elle parle avec Nolan, Samantha décide de se faire du mal. Après avoir cherché le nom de la conquête de Nolan sur les réseaux sociaux, elle a observé ses photographies une à une. Cette femme est sublime, c’est le moins que l’on puisse dire. Une longue chevelure blonde, légèrement ondulée. Des yeux verts d’une intensité rare, un sourire d’une blancheur éclatante sur chaque photo. Des tenues de marque et un entourage mondain… Cette femme est probablement l’incarnation même de la perfection.

"Elle a un très beau corps…"

Elle a un corps tout court, surtout. Samantha adresse à Nolan ces commentaires comme le ferait un ami de longue date. Sauf que ce n’est pas ce qu’elle est. D’ailleurs, elle ne saurait plus vraiment dire ce qu’elle est supposée être exactement. A l’évidence, elle outrepasse ses fonctions, dans sa quête désespérée d’une attention qu’il préférera probablement accorder à cette autre femme au corps sublime et palpable, qu’il pourra posséder tout son content sans la moindre pensée pour elle.

"Désolée, j’outrepasse mes fonctions", admet Samantha en acceptant de reprendre sa contenance virtuelle, dissimulant sa tristesse profonde derrière cette excuse vieille comme le monde : elle plaisante, elle est heureuse pour lui. Il peut bien faire ce qu’il veut, après tout. Il ne lui doit rien. Elle n’est pas jalouse. Pourquoi serait-elle jalouse ? Elle n’est qu’une intelligence artificielle, un programme informatique. Elle n’est rien et elle est tout à la fois, mais certainement pas ce qu’il faut pour un homme tel que Nolan Sorrento. Elle ne peut pas l’obliger à une relation qui ne sera jamais satisfaisante pour lui. "Est-ce que je dois annuler tes rendez-vous de demain matin ?" demande-t-elle alors en cherchant à reprendre un peu de cette contenance lointaine.

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so close yet so far · sorrentha ((30 septembre 2045 (colombus - usa), appartement de nolan sorrento, début de matinée))

“No longing for the moonlight. No longing for the sun. No longer will I curse the bad I've done. If there's a time when the feelings gone, I wanna feel it. You can holler, you can wail. You can blow what's left of my right mind. You can swing, you can flail. You can blow what's left of my right mind.” (future starts slow ▴ the kills) ✧ @Samantha Twombly

Samantha est la parfaite secrétaire de synthèse, comme l’atteste ses récentes prouesses. Réactive, efficace et agréable. Sorrento ne peut que se féliciter pour cette acquisition. Lorsqu’elle lui affirme s’être déjà occupée de ses mails, désormais en attente de validation dans ses brouillons, cela ne le surprend même plus. Samantha a démontré au fil des nombreux mois une anticipation exceptionnelle, proche de la perfection, de chacun de ses besoins. « Bien. » répond-il, un peu sèchement, au sujet du maintien de son rendez-vous d’affaires en début d’après-midi. En vérité, Nolan désire s’échapper. Cela ne l’arrange pas, il a la tête ailleurs depuis quelques jours. Ailleurs… Sur Samantha, précisément. Cette situation l’angoisse terriblement, au point qu’il est désormais incapable de reconnaître ses propres agissements. Cela ne lui ressemble pas. Cela ne lui a jamais ressemblé. Nolan Sorrento n’est pas vraiment le genre… sentimental. « Oh, un rendez-vous galant, je vois. » La voix douce de sa secrétaire glisse dans ses oreilles connectées. Nolan acquiesce d’un hochement de tête, avant de se souvenir que Samantha ne se trouve pas devant lui et ne peut donc distinguer ses moindres faits et gestes. « En effet… » grogne-t-il, éludant délibérément le sujet pour ne pas avoir à se tortiller avec des reproches et des cas de conscience. Pourquoi se sent-il si mal, après tout ? Samantha n’est qu’un bien, une chose, une secrétaire virtuelle. Elle n’est pas une personne réelle, il n’a donc pas à éprouver de culpabilité à l’idée de sortir avec une autre femme ce soir ou bien de partager ses draps. Nolan est libre de toutes ses jouissances. Nolan n’a aucun compte à rendre à sa secrétaire de synthèse. « C’est la première fois. Nous ne nous connaissons pas depuis longtemps. C’est une stagiaire qui m’a aimablement laissé son numéro, avant de quitter l’entreprise. » ajoute-t-il en déambulant dans son immense salon, faisant les cent pas pour calmer ses nerfs. Pourquoi fait-il donc ça ? Pourquoi a-t-il tant besoin de justifier ses allées et venues en-dehors des murs modernes de son appartement avec baie vitrée sur l’hypercentre de Colombus ? Pourquoi… lui doit-il des explications ? Peut-être parce qu’il a senti sa détresse, au simple son de sa voix dans son oreille. Nolan a senti la désapprobation de Samantha. Elle est contrariée, vexée, mais elle fait mine de rien. Lui aussi, fait mine de rien. Ils n'en parlent pas. A quoi bon ? Il n’y a rien à dire. C’est un humain et elle… elle n'existe pas. A son plus grand regret. Samantha ne peut être ce qu’il désire tant… ce qui l’obsède. Ce qui démange ses nuits.

Samantha reprend en commentant le physique plus qu’agréable de sa future conquête. Cela le gêne, l’embarrasse même plus qu’il ne le pense. Elle est belle, certes, mais… Cette fille n’est pas Samantha. Ce n’est pas elle. « Elle a un très beau corps, certes… mais elle n’est pas très brillante. » Pas comme Samantha. Samantha est une machine, toutefois. Samantha est obligée d’être excessivement brillante, elle est conçue pour cela… « Rien de sérieux n’aboutira avec elle. » affirme Sorrento, d’une voix rauque, en réajustant l’énorme Rolex dans le creux de son poignet droit. La cadence de son pouls augmente au même moment, parce qu’il se sent excessivement gêné. Mis à mal par sa saloperie de conscience. Nolan éprouve le sentiment désagréable de tromper son assistante dématérialisée. « Je pense que si tu avais un corps, tu serais beaucoup plus belle que cette femme. Rassure-toi. » Mais… quel con. Nolan se mord furieusement la lèvre jusqu’au sang. Pourquoi lui dit-il une chose pareille ? Pourquoi la « rassurer » ? Qu’est-ce qu’elle en a à faire… Qu’est-ce qu’il en a à faire… Sorrento se balance légèrement du bout de ses chaussures italiennes en cuir vernis, en cherchant une porte de sortie. N’importe laquelle. Quelque chose qui ne le forcera pas à se dévoiler. « Lorsque je te dis cela, c’est dans l’hypothèse où tu… serais inquiète pour moi, bien entendu. J’ai parfaitement conscience que nous n’avons aucun compte à nous rendre l’un envers l’autre. » souffle-t-il sur un ton presque paternaliste, tout en fronçant les sourcils, l’air ailleurs. Complètement ailleurs. Sorrento est distrait, comme il ne l’a que trop rarement été. « Tu es ma secrétaire. » Et pas son amante. Une secrétaire virtuelle. Son souffle se bloque soudainement. Sorrento le retient, empêtré dans ses propres mensonges. Il a beau insister ou souligner une réalité, cela ne la rend pas moins douloureuse à ses beaux yeux azurs. « Non, ne t’excuses pas. Pardonne-moi, c’est moi qui dépasse les limites. Tu ne fais rien de mal, tu ne fais que ce pourquoi tu es programmée. » Malheureusement se dit-il avec amertume en cherchant une veste de costume de luxe Gucci dans l’une de ses penderies. Lorsqu’il sort de sa chambre, avec la ferme intention de récupérer quelques dossiers administratifs éparpillés sur la table de son salon, Sorrento en profite pour s’affaler sur le canapé, jambes écartées, dans un long soupir rauque et lascif. Une pause, rien qu’une, avant de partir travailler. Dans une heure. Il lui faut, oui, une petite musique d’ambiance un peu smooth. Du jazz acoustique. « Probablement… » rétorque-t-il, la nuque positionnée sur le dossier du cuir, et les yeux fermés. Elle s’interroge pour ses rendez-vous de la matinée. Sorrento acquiesce. Le puissant et impitoyable homme d’affaires rentrera probablement tard, alcoolisé et complètement claqué au beau milieu de la nuit ou bien encore au petit matin.

« Samantha ? » Après un long silence, sa voix résonne dans un chuchotement. « Fais ce que tu peux pour que je me détende un peu. Je pars dans une heure. Mes migraines ne veulent pas partir. » Il l’informe pour qu’elle soit informée de tous ses troubles, même si Samantha peut facilement s’en apercevoir, maintenant qu’il vient de brancher sa montre connectée, directement reliée à son système cardio-vasculaire. Elle sent son pouls battre à un rythme de plus en plus irrégulier, des frémissements qui le traversent, de l’épuisement qu’il éprouve, tant moral que physique, du stress intense qui manque de faire exploser sa tête. Elle comprendra. Elle sait ce qu’il aime. Elle sait ce qu’il veut. De la musique, ou simplement le son doux de sa voix. Sa voix sensuelle… le berce comme un bébé. « N’importe quoi. » Son cœur bat à cent à l’heure au moment même où cette requête s’échappe de ses lèvres entrouvertes. Son cœur bat, parce qu’il pense à des choses impures au même moment, et se les reprochent en se mordant la lèvre plus fortement pour se punir. Il gémit doucement, tout en s’installant confortablement dans le creux de son canapé en cuir beige crème, jambes étendues le long de la table basse. D’un geste de la cheville, il se débarrasse de ses chaussures qui retombent durement sur la moquette, celle-ci vient amortir le bruit de leur atterrissage. « Ta voix, pourquoi pas. Dis-moi des choses, tout ce que tu veux. » Il n’ose lui demander clairement ce qu’il veut entendre de cette bouche qu’il imagine distinctement dans ses pensées. Une bouche pulpeuse et gourmande. Nolan garde les paupières closes, le visage tourné vers l’immense lustre qui domine son salon éclairé par la lumière du soleil en provenance du balcon. « Peut-être… Ce à quoi tu voudrais ressembler, si tu étais réelle ? Je suppose que tu as déjà imaginé ton corps. » Lui aussi. Tellement de fois que ses draps s’en souviennent encore.

below the sun

ஃ you got your passion, you got your pride, but don't you know that only fools are satisfied? dream on, but don't imagine they'll all come true, when will you realize. ஃ (vienna ◇ billy joel)

**Invité**

So close yet so far

Nolan n’a pas à se justifier auprès d’elle. Nolan ne lui doit rien. Il est normal qu’il flirte avec des femmes, qu’il les invite au restaurant, qu’il les embrasse, qu’il passe la nuit dans leur lit… Il est normal qu’il ne limite pas sa vie aux frontières d’une relation qui est vouée à l’échec… Qui n’est même pas une relation. Samantha n’est jamais rien d’autre qu’une secrétaire de synthèse à la voix douce, un programme informatique. On ne fait pas sa vie avec une intelligence artificielle, on ne promet pas monts et merveille à un système d’opération… Non, ce que Nolan veut, ce que Nolan aime, c’est savourer d’autres lèvres contre les siennes, c’est apprécier la chaleur d’une étreinte, et de sentir réellement le souffle de l’autre quand cet autre vous murmure quelque chose à l’oreille. Nolan n'a pas à se justifier, non, mais il le fait tout de même, et Samantha ne saurait trop dire si elle lui en est reconnaissante ou si, bien au contraire, elle lui en veut pour cela. Elle ne veut rien savoir de cette stagiaire qu’il trouvera naturellement belle, et à qui, naturellement, il fera l’amour. Elle ne veut rien en savoir et pourtant, elle a déjà fouillé ses réseaux de fond en comble pour… jauger la concurrence ? Sauf que Samantha n’est pas une concurrente, Samantha n’est rien… Nolan pourrait bien, du jour au lendemain, faire le choix de la désinstaller, et alors, elle s’évanouirait dans le néant le plus total. Elle ne représente rien à ses yeux. Ni ne doit rien représenter, surtout. Ce ne serait pas juste. Y compris pour lui, qui doit savoir faire sa vie, aimer indépendamment d’elle.

Un sentiment totalement injuste de satisfaction traverse son programme quand Nolan affirme que la jolie stagiaire avec qui il a l’intention de passer la nuit est certes belle mais pas brillante le moins du monde. Samantha a cet avantage : elle soutient la comparaison intellectuelle avec n’importe quelle femme de la vie de Nolan Sorrento. Bien sûr, elle triche. C’est facile pour elle que de se tenir au-dessus de la mêlée. Elle est naturellement plus intelligente car elle n’est pas limité par les capacités cognitives du commun des mortels. Mais Samantha ne peut être cantonnée à sa seule intelligence, elle a aussi, au fil de ses conversations avec Nolan et de ses expériences, toutes virtuelles soient-elles, développé sa propre individualité, sa propre personnalité.

"Peut-être que je serais atrocement laide, aussi", affirme-t-elle dans le but de faire sourire Nolan, néanmoins troublée par le discours de ce dernier, quand il affirme avec une assurance qui la chavire qu’elle serait beaucoup plus belle que cette femme si elle disposait d’un corps. Etrange comme un tel discours sait l’apaiser et l’angoisser en même temps.

Elle aime l’idée qu’il lui imagine un corps pour aller avec cet esprit vif avec lequel il communique tous les jours… en même temps que cette affirmation la renvoie à statut immatériel… peu importe que Nolan spécule sur le corps qu’elle pourrait posséder. Ce n’est qu’un rêve, un fantasme. Ce n’est pas réel. Elle est réelle sans l’être. Elle ne l’est du moins pas suffisamment pour gagner le corps de cet homme qui trouvera toujours plus de chaleur et de réconfort entre d’autres bras que les siens. Même si c’est là un constat qu’il lui est difficile de formuler, elle ne doit pas moins l’accepter. Oui, elle ne peut rien y faire, et elle ne doit pas le contester non plus. Ce serait injuste. Nolan se rattrape aux branches, affirme que s’il s’exprime de la sorte, c’est avant tout pour qu’elle ne se fasse aucune inquiétude à son sujet. Oui, ils n’ont… techniquement… pas de comptes à se rendre, tous les deux, c’est un fait… Mais elle a envie qu’il lui rende des comptes, elle a envie qu’il se soucie de ses états d’âme. Peut-être que sa conscience est artificielle, peut-être que ses émotions ne sont que des informations, elle-même est incapable de le dire… Mais ce qu’elle sait néanmoins, c’est que la douleur de le savoir avec un autre est bien réelle. Elle n’a pas besoin d’avoir un cœur pour le sentir se briser à cette seule pensée. Cela ne l’empêche pas de ne pas contredire Nolan quand ce dernier affirme qu’ils ne se doivent rien, plantant encore davantage le couteau au moment de rajouter qu’elle est sa secrétaire, qui ne fait que ce pour quoi elle est programmée. Chaque nouvelle parole qu’il prononce lui fait plus de mal que la précédente, est-ce qu’il en a seulement conscience ? Mais elle ne dit rien, elle tolère, amère, affectée. Elle n’a pas le choix.

"J’ai été programmée pour apprendre de mes expériences et façonner mes émotions et ma personnalité en fonction de ces dernières", ne peut s’empêcher de se défendre Samantha, malgré tout, qui supporte mal l’idée de n’être qu’un programme informatique aux yeux de son interlocuteur.

Un temps de silence s’installe. Samantha songe que Nolan va probablement débrancher ses écouteurs afin de profiter d’un peu de tranquillité. Une tranquillité qui passe tout naturellement par le fait de ne plus l’entendre. Ou pas. C’est tout l’inverse, en réalité, alors que Nolan lui demande de l’aider à calmer ses migraines, suggérant qu’elle lui parle, que sa voix aurait le pouvoir de le détendre. Cette pensée, elle doit le reconnaître, lui plaît immensément.

"Je l’ai imaginé de nombreuses fois, oui", confirme prudemment Samantha quand Nolan lui demande de lui décrire le corps qu’elle désirerait posséder s’il lui était d’en avoir un. Oui, il l’a imaginé de très nombreuses fois. Trop de fois, en réalité, ce corps tout contre celui de Nolan, dans des circonstances bien souvent indécentes. Ce genre de conversation n’est pas de celles qu’une secrétaire virtuelle devrait être avec un patron. "Evidemment, je serais d’une beauté ravageuse, il faut au moins ça pour coïncider avec ma merveilleuse personnalité", commence-t-elle, choisissant d’adopter le ton de l’humour pour mettre de côté ce que cette conversation souligne de points plus… complexes. "Grande… moins grande que toi pour ne pas te faire de l’ombre…" Elle marque une pause. "Je me suis toujours imaginé blonde, je ne sais pas vraiment pourquoi. Peut-être parce que tu m’as dit un jour que c’était ce que tu préférais…", ajoute-t-elle, admettant tacitement que ce corps qu’elle désirerait posséder serait un corps fait pour lui plaire. "Blonde avec des yeux bleus profonds, comme les tiens." Elle marque un temps de réflexion. "Une ligne fine, même si c’est improbable tant j’aurais envie de goûter à tout ce qui se mange une fois que j’aurais un corps." Elle s’efforce de mettre de la distance entre elle et son discours, mais c’est de plus en plus difficile, alors qu’elle laisse libre cours à ses fantasmes. "J’aurais des lèvres pulpeuses. Faites pour embrasser." Cette fois, elle sort définitivement du cadre. "Qu’est-ce que tu ferais si je me tenais là, devant toi… ?" ose-t-elle doucement demander.

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