(abandonné) The devil's advocate | Nolan

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The devil's advocate

Samantha Twombly n’a jamais aimé ce qui était facile. Samantha Twombly n’a jamais été désireuse de plaider en faveur des innocents. Cette redoutable avocate aux dents longues, bien au contraire, avait toujours eu un sérieux faible pour les causes que l’on estimait perdues d’avance. Elle avançait souvent auprès de ses détracteurs que si c’est sur eux que se jette son dévolu, c’est uniquement parce qu’elle estime voir du bon même dans les individus les plus condamnables. Ce n’est en soi pas entièrement faux. Aux yeux de cette brillante avocate, nul n’est foncièrement bon ou mauvais, et faire abstraction de toutes ces nuances de gris est forcément une erreur, mais si elle met tant de hargne et de volonté à l’ouvrage, c’est bien par goût du challenge avant toute chose. Samantha Twombly a la rage de vaincre et de réussir, elle a besoin de se lancer des défis, et surtout de réussir ce qu’elle entreprend. Elle en a d’autant plus besoin que durant ses études et au commencement de sa carrière, elle a souvent été rabaissée, ou réduite à son statut de femme. Le sexisme ordinaire a la vie dure dans le milieu judiciaire, et il a fallu à la jeune femme déployer des trésors d’intelligence, de ruse et de diplomatie – dans les moments, bien souvent, où elle en avait le moins envie – pour se forger la réputation qui est à présent la sienne. Elle a ravalé sa sensibilité, et bien souvent son sens moral afin d’aller au bout de ses objectifs et réaliser ce qu’elle estime être son devoir, mais aussi, plus prosaïquement, la démarche qui lui permettra le plus efficacement d’atteindre ces hautes sphères qui lui font de l’œil depuis à peu près toujours. Prendre en charge ces affaires complexes, qui risquent d’avoir des répercussions dangereuses sur vous, c’est une démarche nécessaire quand on veut ne pas stagner, et c’est ce à quoi la jeune femme a choisi de pleinement s’employer, envers et contre tout. Cela n’aura pas toujours été gage de réussite, bien sûr, mais bon nombre de ses clients, sur lesquels peu de monde auraient parié, ont été acquittés grâce à elle, lui créant une réputation des plus redoutables. Les procès qui paraissent emportés d’avance ne le sont pas toujours quand vient pour Samantha Twombly le moment de son plaidoyer. Et quand ils savent qu’ils devront se confronter à elle, les avocats de la défense perdent bien souvent leur peu de moyen, au grand plaisir de la principale concernée, qui n’a pas foule d’amis dans le milieu… en vérité, elle n’en a probablement aucun.

Alors, nécessairement, quand elle avait eu vent – comme tout le monde – des déconvenues judiciaires de Nolan Sorrento, connu comme l’impitoyable PDG de l’IOI, et que ce dernier, conscient de sa réputation, avait compté sur elle afin de prendre en charge son dossier, la jeune femme n’avait pas eu l’ombre d’une hésitation. Bien sûr qu’elle comptait défendre les intérêts de cet homme, ne serait-ce que pour se donner l’occasion de le rencontrer enfin. Elle avait bien sûr suivi assidûment et avec passion les informations relayées à son sujet, elle s’était questionnée sur son parcours, s’était interrogée sur ses centres d’intérêt et ses décisions. Sur le papier, les faits sont cousus de fil blanc, si incriminants que ne serait-ce que chercher à veiller aux intérêts de cet homme déchu aux dents longues semble être une perte de temps, mais Samantha sait faire la part des choses. Après tout, sur le papier – et uniquement sur le papier –, elle aussi pourrait passer pour une femme sans foi ni loi, sans valeur morale ni autre intérêt que strictement égoïste. Rien n’est jamais aussi simple, aucune situation ne peut être perçue sous un jour à ce point manichéen… du moins la brillante avocate se refuse-t-elle de le croire. En obtenant cet entretien privé dans le centre pénitentiaire où Nolan Sorrento se retrouve à présent incarcéré, la brillante jeune femme ne cherche pas seulement à voir son nom figurer dans la presse, en première page si possible, au moment d’évoquer cette affaire qui se trouve sur absolument toutes les lèvres, elle veut aussi rencontrer l’homme, et comprendre ce qu’il peut avoir à lui dire.

Ses talons martèlent le sol d’un couloir froid et gris, se répercutant en écho contre les parois glaciales de ce mouroir qui ne dit pas son nom. Elle a su obtenir un entretien privé avec Nolan Sorrento, sans interférence, sans personne pour venir les déranger et les interrompre. Nolan n’est pas un fou furieux ou un assassin de sang-froid, a-t-elle argué, il n’aurait aucune raison de s’en prendre physiquement à elle… Elle a également su endormir le directeur de la prison afin que les caméras de surveillance à l’angle de la pièce soient débranchées pour l’occasion. Elle ne veut pas que leur entretien puisse être parasité par aucun intervention extérieur. Surtout, elle veut que Nolan Sorrento soit en mesure de lui parler d’absolument tout, sans réserve. Tout ce qu’il pourrait avoir à lui dire ne sera évidemment pas rapporté dans un tribunal, mais elle en aura néanmoins besoin pour avoir à sa disposition toutes les clés nécessaires à un destin plus clément que celui qui semble devoir lui être réservé pour le moment.

Quand elle arrive devant la porte de la pièce confinée dans laquelle a simplement été installée pour l’occasion une table et deux chaises, flanquée de deux gardes, de véritables armoires à glace qui semblent faire deux fois sa taille et sa largeur, elle glisse une mèche de ses cheveux blonds, échappé de son chignon strict, derrière son oreille et lisse les quelques plis de son tailleur. Avec ses clients elle ne sait jamais à quoi s’attendre : qu’il s’agisse d’animosité, de fausse bonhommie, de connivence déplaisante ou inappropriée ou d’intérêt distinct. Avec Nolan Sorrento, elle sait encore moins à quoi s’attendre. Pas plus qu’elle ne sait ce qu’elle attend véritablement en réalité.

"Monsieur Sorrento", le salue-t-elle, très professionnelle, une fois la porte fermée derrière elle. Ils sont seuls, à présent. Nolan est installé sur une des deux chaises mises à leur disposition, et c’est sans le lâcher des yeux un seul instant que Samantha prend place sur la chaise restante. "Je suppose que me présenter ne sera pas nécessaire." Elle fouille son attaché-case et en tire un dossier qu’elle pose entre eux. "Je vais avoir besoin de votre aide, je ne vous cache pas que votre situation est…" Elle cherche ses mots… "… loin d’être idéale."

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▿ Date de naissance : 12/04/1973

the devil's advocate · sorrentha (au ▴ nsfw)

“I've been up in the air. Out of my head. Stuck in a moment of emotion I destroyed. Is this the end I feel? Up in the air. Fucked up on life. All of the laws I've broken, loves that I've sacrificed. Is this the end? I'll wrap my hands around your neck, so tight with love, love. A thousand times I tempted fate. A thousand times I played this game. A thousand times that I have said. Today, today, today. I've been up in the air. Lost in the night. I wouldn't trade an eye for your lies. Your lust for my life. Is this the end? You were the love of my life. The darkness, the light. This is a portrait of a tortured you and I. Is this the, is this the, is this the end?” (up in the air ▴ thirty seconds to mars) ✧ @Samantha Twombly

FÉVRIER 2047 ▴ SALLE D’INTERROGATOIRE. CENTRE PÉNITENTIAIRE DE COLOMBUS (USA).

Quelle humiliation. Nolan Sorrento, arrêté par des hordes de policiers et menottés. Devant cette foule d’enfants, d’adolescents et même d’adultes fans de jeux vidéo. Conduit jusque dans une voiture de policier, en compagnie de sa ravissante associée, F’Nale Zandor. Son dernier souvenir d’elle, est ce coup retentissant qu’elle lui a fait au visage, le coupant dans sa crise d’égoïsme et infantile. Elle lui en veut, et c’est amplement justifié. F’Nale l’a bien averti, pourtant. Il ne l’a pas écouté. Nolan s’en est mêlé, parce que c’est lui le boss. C’est lui qui commande. Un choix orgueilleux qui lui a coûté excessivement cher. Elle lui a répété un nombre incalculable de fois de rester en-dehors de tout cela. Il s’est fait attraper en possession d’une arme, après avoir causé des dégâts sur la circulation et s’être fait filmer tout au long de cette course poursuite dans les rues de Colombus par des dizaines de téléphones portables et de caméras de surveillance urbaines. Nolan Sorrento est perdu. Sa carrière est désormais au point mort. Ce qui est le plus ironique, c’est qu’il s’agit de la seule chose qui le préoccupe. Aveugle et sourd aux avertissements, aux insultes et tentatives de séduction quotidiennes de ses codétenus, aux railleries du personnel pénitencier, aux mots terribles proférés contre lui dans la presse et dans les médias sociaux. Nolan Sorrento ne pense qu’à sa carrière et son patrimoine. L’argent est tout ce qui lui reste. Quant à son âme, cela fait bien des décennies qu’il l’a vendue au diable sans jamais regretter cette habile transaction. Nolan ne pense qu’à récupérer l’IOI par tous les moyens, à regagner la confiance des actionnaires en commençant par gagner une relaxe au tribunal. S’il obtient une relaxe, alors, peut-être bien qu’ils accepteront de le reprendre au sein de l’entreprise. Peut-être bien qu’il continuera de faire quelque chose de sa vie. Peut-être… Sorrento est obnubilé par la peur de perdre tout ce qu’il a mis des années à construire. Sa vie professionnelle fleurissante, son carnet d’adresses, ses espions, ses actions, son argent. Alors qu’il risque de perdre sa liberté et de terminer ses vieux jours entre les murs d’une prison fédérale, dans ce qu’il désigne moqueusement comme une saloperie de cage à hamster. Même dans l’adversité, Nolan Sorrento ne pense qu’aux choses matérielles et futiles. Jusqu’à la fin, cet homme d’affaires aux dents longues aura l’esprit complètement parasité par sa quête frénétique de reconnaissance sociale, d’argent, mais surtout de vengeance pour la mort de Charlotte. Gregarious Games doit payer le prix. Le prix des innocents. Ces satanés gamins regretteront amèrement de s’être frotté à lui, une fois sorti de prison, une fois sorti d’affaire, une fois de retour dans le jeu. La partie est loin d’être terminée. Sorrento n’abandonnera jamais. Jamais.

Sorrento refuse de se laisser parasiter par des émotions faibles comme la peur, mais l’annonce de son procès l’angoisse déraisonnablement, au point d’enchaîner les insomnies et les sautes d’humeur intempestives. Nolan ne communique avec aucun autre détenu, de peur de se faire étrangler ou même violer. C’est qu’il a déjà reçu des propositions indécentes de la part de certains détenus, apparemment attirés par le charisme de cet homme à qui tout a réussi et qui se trouve en pleine disgrâce sociale. Les mauvais garçons, les escrocs, les criminels, les financiers ont un véritable fan club en prison. Nolan est un prisonnier VIP. Il prétend ne pas être effrayé, mais sa vie bascule d’une manière qui ne lui plait pas. Il se montre alors soi-disant fort et courageux, invincible et indifférent au sort qui l’attend dans les prochaines semaines, devant le banc des accusés. Au fond de lui, Sorrento est terrifié comme un enfant de six ans devant son tout premier film d’horreur réaliste. On peut dire que c’est le karma. Sorrento a emprisonné des dizaines, voire des centaines d’innocents dans les centres de loyauté, soi-disant pour les aider à éponger leurs dettes auprès de l’IOI, alors ce n’est que justice pour ses détracteurs de se retrouver à son tour entre les murs d’une cellule de prison. Sorrento n’est clairement pas de cet avis. Il veut sortir. Il doit sortir. Et pour ce faire, il a engagé la meilleure avocate du barreau de tout Colombus. Samantha Twombly. Une véritable gravure de mode, de classe et d’élégance, qui s’avère être une avocate redoutable, tout comme lui, une arriviste sans scrupules aux dents longues. Sorrento ne l’a pas simplement choisi parce qu’elle est la plus talentueuse et la plus chère de toutes. Il l’a choisi, parce qu’elle est exactement comme lui. Elle a soif de vaincre. C’est une ambitieuse, une gagnante. Sorrento pense qu’ils peuvent s’entendre sur beaucoup de points. S’entendre avec son avocat est la clé de la réussite de son procès. Si son avocat croit en lui, il sera capable de le défendre au-delà de ses espérances. Là encore est la preuve qu’il est apeuré, malgré les apparences. Cet air sinistre qu’il arbore en permanence dans les couloirs du centre pénitencier, cet absence de sourire, ce rictus grimaçant, de regard vide et glaçant sont des chimères. Des putains d’illusions. Nolan a employé la meilleure avocate pour le sortir de là, et au plus vite. Après tout, qu’ont-ils contre lui ? Des soi-disant aveux enregistrés et obtenus sous la contrainte d’une arme à feu ? Sorrento n’a jamais confessé mot pour mot être le responsable de l’explosion du drone dans les bidonvilles de Colombus et du meurtre de la tante de Wade. Tout ce qu’il a dit, à son interrogation sur ce terrible accident, c’est qu’il s’agit principalement d’une décision des actionnaires. Qu’il n’y a même jamais rien eu de personnel de sa part. Sorrento considère que la faute doit être rejetée exclusivement sur les propriétaires de l’IOI. Seulement… Sa course poursuite dans les rues à bord d’une camionnette de l’entreprise, son arme à feu, tous ces aveux qui popent ici et là sur les réseaux sociaux et au commissariat contre lui portent clairement le discrédit sur toutes ses vaines tentatives de défense. Certains avocats qu’il a consultés lui ont conseillé de plaider coupable et d’espérer attendrir le jury pour gagner au moins vingt ans de prison, pas plus. Conneries. Sorrento refuse de passer les deux prochaines décennies derrière les barreaux, ou même encore la fin de sa vie. Il doit y avoir une faille dans l’accusation. Il doit réussir à tous les duper. Samantha Twombly est là pour cette raison. Elle est la meilleure. Elle le sortira de cette mince affaire. Elle deviendra riche grâce à lui. Nolan Sorrento promet de dépenser autant que possible pour assurer sa meilleure défense.

Ce matin, il se trouve enfermé dans une salle d’interrogatoire vidée pour l’occasion. Une simple tape ronde est installée au centre de la pièce, avec deux chaises. Une pour lui, et l’autre pour son avocate. Sorrento l’ignore encore, mais les caméras ont été temporairement mises hors d’atteinte le temps de l’entretien. Sorrento patiente dans sa combinaison orange vif. Vibrante et faite en fibres synthétiques. Comme il a horreur des matériaux bas de gamme, des vêtements misérables des classes sociales inférieures et moyennes. Les fibres synthétiques le grattent, au point de lui donner de l’urticaire. (pauvre chou) Nolan a l’impression d’être une gigantesque orange, que l’on désire peler quotidiennement, et pas dans le sens qui l’excite le plus. Il soupire, à quelques secondes de l’arrivée de Samantha Twombly dans la petite pièce. Lorsque la porte s’ouvre enfin, après une attente interminable, son regard inexpressif et voilé de froid s’éclaire soudainement. Samantha Twombly est encore plus magnifique en face que dans les journaux. Une vraie beauté. Une bombe sexuelle. Une juriste digne d’un film pornographique haut de gamme. Son cœur s’emballe, contre son gré. Elle lui tape dans l’œil, clairement, et c’est un autre problème. Elle est beaucoup trop belle, élégante dans ce ravissant tailleur un peu étriqué. Il suppose que ses vêtements viennent d’une marque de luxe, au vu de la qualité du tissu à cette courte distance. Sorrento l’observe s’approcher de la table avec une démarche distinguée, classe et sensuelle dans le même temps. Il affiche un visage impassible, mais au fond de lui, son palpitant ne cesse de faire des bonds gigantesques dans sa poitrine, et de longs frissons viennent parcourir sa colonne vertébrale. Lorsqu’elle prend enfin place en face de lui, avec toute l’élégance d’une reine de beauté, Sorrento sent ses entrailles se contracter douloureusement. Il l’observe, en cherchant le moindre signe d’attirance réciproque, avec une expression faussement professionnelle au visage. Il semble déçu. Déçu de ne distinguer qu’un visage lisse, dénué de sourire ou d’yeux qui pétillent. « Monsieur Sorrento. » Samantha Twombly s’adresse à lui avec un ton froid et quelque peu mécanique. Sorrento n’est qu’un client parmi d’autres. L’intéressé acquiesce silencieusement. Il rejette son dos en arrière, contre le dossier de sa chaise, un peu brutalement, avant de croiser les jambes sous la table en signe de défiance. Sorrento la détaille de bas en haut derrière ses cils noirs, avec un regard électrique. Il la juge en espérant qu’elle remplira le contrat et méritera sa signature au dos du bon gros chèque qu’il compte lui faire. « Je suppose que me présenter ne sera pas nécessaire. » Encore une fois, Sorrento ne répond rien. Une perte de temps, selon lui. L’homme d’affaires déchu se contente de grincer des dents. Bien sûr qu’il sait. Elle est là pour lui sauver la vie. « Je vais avoir besoin de votre aide, je ne vous cache pas que votre situation est… » Enfin, Samantha attire son attention. Nolan hausse un sourcil, tout en relâchant la tension des muscles de son visage quelques instants. Elle cherche ses mots, sans doute pour épargner son égo déjà meurtri par la presse. « … loin d’être idéale. » Curieusement, un sourire se dessine sur ses lèvres. Nolan Sorrento est loin d’être surpris ou vexé. Pas venant d’elle. Samantha a toute son attention. Un silence pesant s’installe ensuite entre eux, jusqu’à ce qu’il daigne le rompre en bougeant timidement les lèvres, celles-ci se mouvent dans une lente agonie. « Que voulez-vous savoir sur moi que vous ne sachiez pas déjà dans la presse à scandale ? » marmonne-t-il, sur le ton du reproche, mais également de la curiosité. Sorrento est un homme brisé. On peut clairement distinguer cette absence de vie dans ses yeux bleus. Ils ont l’air… tristes, si tristes. Nolan penche légèrement la tête sur le côté, sans jamais la quitter de ses orbes si profonds qu’il est bien trop facile de s’y noyer indéfiniment. « Je suis prêt à répondre à toutes vos questions. Je ne cacherai jamais rien à celle que je prends comme avocate. » Il marque une pause. « A une seule condition. Que cette même avocate m’offre sa confiance pleine et entière en me promettant de me sortir de cet endroit miteux. » Cynique, Sorrento détourne l’attention une fraction de seconde, en tournant la tête sur le côté avec les yeux rivés sur le sol carrelé de la salle d’interrogation. Sur son visage froid et livide, se forme une grimace méprisante. Nolan Sorrento éprouve pour cet endroit un profond dégoût. « Maître Twombly. Vous êtes la meilleure de cette ville. Faites tout ce qui est en votre pouvoir. Je vous autorise toutes les stratégies, toutes les bassesses, tous les moyens pour que l’issue de ce procès soit ma relaxe. » Qu’importe le prix à payer, Sorrento le paiera. Il se redresse brutalement dans son siège pour mieux s'approcher d’elle, et ainsi créer une bulle d'intimité entre eux. Propice aux confidences. Son visage, seulement. Tirant sur la chaise pour combler les millimètres qui séparent son torse du bord de la table ronde. Il garde les lèvres entrouvertes, suspendu aux yeux bleus de Samantha Twombly quelques secondes, avant de poursuivre d'une voix chuchotante et délicieusement enrouée : « Sommes-nous dans un endroit sûr ? » souffle-t-il d’une voix rauque, en désignant d’un simple mouvement d’yeux l’endroit dans lequel ils se trouvent. Le sous-entendu est clair. Nolan désire savoir s’ils ont des chances d’être enregistrés. Depuis ce qu’il s’est passé ces dernières semaines, c’est devenu presque sa hantise. Un traumatisme qui ne guérira sans doute jamais. Sorrento est à deux doigts de finir complètement paranoïaque.

below the sun

ஃ you got your passion, you got your pride, but don't you know that only fools are satisfied? dream on, but don't imagine they'll all come true, when will you realize. ஃ (vienna ◇ billy joel)

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The devil's advocate

Samantha se sent passée au crible, mais elle laisse son client faire. Elle a l’habitude d’être jaugée, contemplée, déshabillée des yeux… bien souvent, elle en joue, pas pour le plaisir d’être considérée comme un objet sexuelle livrée à la concupiscence du la gent masculine, mais parce qu’un décolleté un peu trop plongeant, une jupe un peu trop courte, des jambes un peu trop longue ou une silhouette un peu trop bien dessinée peut vous abrutir le plus intelligent des hommes, et Samantha en tire toujours avantage. Même si, en l’occurrence, elle n’entend pas dominer la conversation. Ce qu’elle attend de cet entretien, c’est un véritable échange… car sans lui, elle ne sera pas capable d’apporter à Nolan Sorrento l’aide que ce dernier lui réclame. Elle le sent tendu, elle le sent distant, peut-être méfiant. C’est compréhensible. Elle n’est pas son ennemie, elle pourrait même être une alliée de poids, mais elle reste une inconnue, une inconnue qui, à présent assise, ancre son regard à celui de son vis-à-vis, le tout pour constater combien ses yeux son clairs, à quel point son regard sait être pénétrant, et combien il lui serait facile de s’y noyer si elle n’y prêtait pas garde. Elle s’efforce de conserver toute l’assurance qui sied à son rang néanmoins et expose la situation avec le calme et le professionnalisme qui ne sauraient que convenir aux circonstances. Affirmer que la situation de Nolan est loin d’être idéale semble proche d’ironique tant ce n’est pas peu dire, mais peu importe, si elle l’exprime en ces termes, c’est aussi parce qu’elle considère qu’il doit être possible, d’une manière ou d’une autre, d’y faire quelque chose. Elle n’aime pas les combats gagnés d’avance, surtout s’ils sont juridiques, mais ceux qu’elle choisit de mener ne sont jamais perdus d’avance non plus. Elle se donne corps et âme pour eux jusqu’à obtenir gain de cause, et cette fois ne fera pas exception.

"Justement, je veux savoir tout ce que la presse à scandale n’a pas dit sur vous. Toutes ces choses insoupçonnées passées sous silence." Elle se redresse sur sa chaise. "Quand j’en aurais fini avec vous, Nolan, vous n’aurez plus aucun secret pour moi. Je veux que vous vous mettiez à nu – figurativement, évidemment. Je veux vous connaître mieux qu’aucun de ceux que vous estimez pourtant les plus proches."

Elle le dit sans détour et avec une immense assurance. Parce que c’est le cas. Elle se montre intrusive, elle se montre indiscrète. Elle ne le fait pas sans raison. Elle donne le ton directement. Il n’est pas question de se draper dans son ego en sa présence comme elle a vu par le passé tant d’autres hommes (quelques femmes également, mais les hommes, surtout, se rendent responsables d’un tel comportement) le faire par le passé. Il en est hors de question. Elle veut le percer à jour, sonder cette vulnérabilité pour pouvoir jouer de cette vulnérabilité ensuite au tribunal.

Nolan Sorrento paraît conciliant, ce qui la rassure. Dans son regard, elle peut lire quelque chose d’assimilable à une profonde tristesse, qui la touche plus qu’elle ne l’aurait soupçonné. Ses fêlures sont à portée, et inaccessibles pourtant. Elle n’a qu’à tendre légèrement la main pour pouvoir les effleurer du bout des doigts. Il lui promet de ne rien lui cacher, et c’est ce qu’elle espérait entendre. Mais il y a une condition tout de même – ses clients adorent ajouter des conditions à absolument tout.

"Si je ne vous adressais pas ma confiance d’office, je ne prendrais pas la peine de venir ici. En revanche, je n’ai aucune envie de vous mentir." Elle marque une pause… "Je peux vous promettre, disons… à quatre-vingt-dix pour cent de pouvoir vous sortir d’ici. Chaque pas que nous saurons faire l’un vers l’autre seront susceptibles d’augmenter ces chances", ajoute-t-elle en lui adressant un regard entendu. "Vous n’avez pas à me demander de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour obtenir tout cela de moi. Vous l’avez dit vous-même, je suis la meilleure de cette ville. J’ajouterais que je suis la meilleure de cet Etat, si ce n’est même du pays. Vous n’avez pas à vous inquiéter de mes méthodes ni même de ce que je serais capable de faire dans l’intention de vous relaxer."

Elle le fixe avec attention. Il n’a pas besoin de dire grand-chose de plus pour qu’elle se fasse la promesse silencieuse de l’aider et le soutenir autant qu’elle le pourra. C’est ce qu’elle veut également. Il lui inspire naturellement, instinctivement, une empathie totale. Ses yeux peine à se détacher des siens, alors qu’ils se toisent mutuellement. Se jaugent et s’apprivoisent l’un l’autre avec autant de soin que de curiosité.

"Toutes les caméras sont éteintes, notre conversation ne sera ni filmée, ni enregistrée, j’en ai pris le plus grand soin", répond Samantha avec professionnalisme quand il lui demande s’ils sont dans un endroit sûr. "Vous pourrez absolument tout me dire sans crainte d’être entendu, j’ai veillé personnellement à ce que rien n’interfère avec notre entretien… et qu’à ce que rien de ce qui se dira ici ne sorte de cette pièce", ajoute-t-elle en se penchant sur la table pour se rapprocher encore légèrement de lui. "Vous avez besoin que je vous adresse toute ma confiance, en retour il me faut toute la vôtre." Elle marque un tant de pause, comme dans l’attente d’un signe qui lui prouvera bel et bien qu’ils pourront évoluer ensemble de la même manière. "Je veux que vous me parliez de vos motivations, de vos vraies motivations pour avoir agi comme vous l’avez fait. Je me fiche que ce soit moral ou non, acceptable ou pas, je veux juste connaître votre vision, votre opinion, vos réflexions, sans états d’esprit."

Elle n’est pas ici pour juger, elle est ici pour défendre, pour défendre envers et contre tout… et s’ils collaborent intelligemment tous les deux, ils en retireront l’un et l’autre quelque chose, c’est pour elle une évidence.

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“I've been up in the air. Out of my head. Stuck in a moment of emotion I destroyed. Is this the end I feel? Up in the air. Fucked up on life. All of the laws I've broken, loves that I've sacrificed. Is this the end? I'll wrap my hands around your neck, so tight with love, love. A thousand times I tempted fate. A thousand times I played this game. A thousand times that I have said. Today, today, today. I've been up in the air. Lost in the night. I wouldn't trade an eye for your lies. Your lust for my life. Is this the end? You were the love of my life. The darkness, the light. This is a portrait of a tortured you and I. Is this the, is this the, is this the end?” (up in the air ▴ thirty seconds to mars) ✧ @Samantha Twombly

FÉVRIER 2047 ▴ SALLE D’INTERROGATOIRE. CENTRE PÉNITENTIAIRE DE COLOMBUS (USA).

« Justement, je veux savoir tout ce que la presse à scandale n’a pas dit sur vous. Toutes ces choses insoupçonnées passées sous silence. » Nolan ne répond pas immédiatement, ou pas du tout, au final. Il se renferme. C’est un automatisme, un mécanisme de défense. Sorrento sent qu’elle désire s’aventurer sur un sujet qui lui prend encore les tripes, qui l’asphyxie, qui lui déchire le cœur. Charlotte… Sa Charlotte… Est-ce qu’il peut vraiment avoir le courage de tout lui révéler, sans détours ? Non… Sorrento contracte les muscles de sa mâchoire presque instantanément. Elle le remarquera, bien sûr. Elle verra qu’il dissimule quelque chose de blessant, de tragique. Elle comprendra par la manière dont ses muscles se tendent, dont les poings se serrent, et surtout car il effectue d’un coup un mouvement brusque en arrière contre le dossier de sa chaise. Après de longues secondes, qui semblent durer une éternité, Nolan soupire et ouvre la bouche. Bras croisés contre sa poitrine. D’un coup d’œil, il dédaigne cet uniforme orange criard en fibres synthétiques infâme. « Ces choses sont personnelles et je doute qu’elles intéresseront grand monde. » Elles risqueront surtout de le poignarder davantage. Nolan a un mobile. Nolan a une raison viscérale de mépriser Gregorious Games plus que tout au monde, de vouloir leur perte, quitte à commettre des meurtres. « Avez-vous déjà perdu quelqu’un, maître Twombly ? Perdre un être cher, le seul être que vous vous étiez juré de protéger par la faute d’une tierce personne… Jusqu’où seriez-vous prête à aller pour faire votre propre justice ? » reprend-il en la dévisageant de haut en bas. Joli chemisier en soie, sous cette veste de tailleur impeccablement repassée. « Vous vivez dans le luxe, vous portez de la soie issue des plus grandes marques. Je félicite votre ascension sociale. » Cynique, Sorrento ne trouve pas d’autre moyen de défense que l’attaque. Elle est allée loin dans ses sous-entendus. Elle a réveillé une plaie qui n’a jamais pu cicatriser. Qui ne cicatrisera jamais. Au fond, il refuse de l’admettre, car cela risquerait de chambouler toutes ses convictions, mais même s’il avait pu s’emparer de l’entreprise et de la démanteler, de devenir immensément riche… Il n’aurait pas été satisfait pour autant. Charlotte est partie. Personne ne la lui ramènera.

« Quand j’en aurais fini avec vous, Nolan, vous n’aurez plus aucun secret pour moi. Je veux que vous vous mettiez à nu – figurativement, évidemment. Je veux vous connaître mieux qu’aucun de ceux que vous estimez pourtant les plus proches. » Se mettre à nu… Étrangement, l’idée ne lui déplaît pas tant que cela. Sorrento ricane chaudement, et se permet même un léger trait d’humour, tout en se rapprochant d’elle. Coudes appuyés sur l’immense table circulaire. Penché dans sa direction. Leurs souffles s’entremêlent, à cette distance. Il ne quitte pas ses beaux yeux azurs une seule seconde. « Même littéralement. » Un clin d’œil amusé termine ses propos. Sorrento s’amuse, flirte ouvertement avec elle. Il faut dire que cela fait des semaines, voire des mois, qu’il n’a pas eu le grand plaisir de côtoyer une femme de ce calibre. Pas seulement belle ou pulpeuse, mais excessivement brillante et autoritaire. Nolan Sorrento aime par-dessus tout les femmes qui ont de la poigne, qui s’affirment. Les autoritaires. Ce sont ces femmes-là, qui le font craquer sentimentalement, et non les plus pimbêches et dévotes qui disent « amen » à ses moindres faits et gestes. Ces filles-là… Sorrento les baise, et point final. Elle… Cette Samantha Twombly est une femme dangereuse. Dangereuse car elle est grandement susceptible de lui plaire au-delà de la simple attraction physique qu’il éprouve pour ce corps aux formes généreuses et à la peau laiteuse, qu’il devine particulièrement sucrée, au passage de sa langue. « Je plaisante, bien entendu. » prend-il le soin de préciser, en s’enfonçant une seconde fois contre le dossier de sa chaise. « Je ne suis pas l’un de ces pervers… Je suppose que vous devez avoir énormément de clients qui vous font des avances toutes plus grossières les unes que les autres. Vous êtes une femme, par ce simple état de fait, vous êtes sujette à toute forme de harcèlement. » Il parle d’une voix monotone, presque mécanique, comme lorsque l’on récite un discours. Les droits des femmes l’indiffèrent profondément, mais il est capable de reconnaître… l’injustice de certaines situations. « Particulièrement lorsqu’on est, comme vous, une très belle femme. » Sur ce compliment, Sorrento décide d’enfin décroiser les bras et de quitter l’expression sévère qui prend place sur son visage depuis de longues minutes.

Samantha Twombly est pleine d’assurance. Intrusive, indiscrète. Il s’en est offusqué dans un premier temps, et cela s’est clairement vu par sa gestuelle corporelle défensive, cette façon de créer une distanciation physique entre eux en allant le plus loin possible dans sa chaise, ou par les grimaces et les contractions de ses muscles faciaux. A présent… Il mesure l’importance que cette femme peut avoir dans le cadre de son procès. Sorrento claque sa langue dans son palet, un peu violemment. Bruyamment. « Bien. » Puisqu’il doit nécessairement passer par-là pour espérer s’échapper, peut-être qu’il doit lâcher du lest avec elle. Se montrer un peu moins… austère et condescendant. Il n’y a pas de place pour l’arrogance en prison. Les détenus le lui font constamment remarquer. Ce petit arriviste de nouveau riche n’est pas très apprécié dans une prison d’état fédérale, d’autant que beaucoup d’entre eux ont côtoyé de près ou de loin l’OASIS et ont nécessairement eu des contentieux avec IOI. Avec lui, donc. « Si vous échouez à me sortir d’ici, vous savez ce qu’il se passera. » Pour lui. Sorrento grommèle, avec un rictus ironique. Il s’amuse à tort de cette situation, il camoufle la nervosité qui paralyse ses muscles. Sorrento est effrayé. Comme il ne l’a jamais été. Le montrer devant elle est toutefois chose exclue, Nolan est un machiste dans l’âme. Il ne montrera aucune forme de faiblesse, et encore moins devant une femme qui l’attire à ce point. Il veut être fort et digne en toutes circonstances. « Je suis le visage d’une société qui a détruit et endetté des milliers de vies à Colombus et partout dans ce pays. » Pas seulement le visage… Il en est la main. « Je reçois des menaces, ici. Si vous ne me sortez pas, je pense… qu’il faudra vous tourner vers mes avocats, à mon décès, pour vous faire payer. » cingle-t-il avec un réalisme effrayant. Sorrento est conscient de ce qu’il risque tous les jours, de ce qu’il va potentiellement endurer avant de sortir de ces murs d’acier… Il en parle avec une telle décomplexion, une arrogance remarquable, que s’en est électrisant. Ou insolent. Tous les riches de son calibre sont insolents.

Lorsqu’elle lui affirme que toutes les caméras sont éteintes, cela semble achever ses derniers scrupules. Les quelques réticences que Nolan Sorrento a éprouvé de prime abord tombes toutes comme des mouches. Un long silence s’installe alors entre eux. Gênant, palpable. Un silence que l’on a du mal à identifier, comme la naissance d’une tension sexuelle entre deux êtres ou le début des hostilités entre deux autres. L’air devient durant quelques secondes presque irrespirable. Sorrento tire maladroitement sur le col de son tee-shirt blanc, dissimulé sous sa chemise orange. Embarrassé, suffoquant légèrement. « Elle s’appelait Charlotte. » marmonne-t-il, en fixant un coin de la table, avant de reporter son attention sur les beaux yeux bleu de la jeune femme. « C’était ma petite sœur. » Que peut-il dire de plus ? C’est douloureux. Il lui faut un coup de pouce, une oreille compatissante. C’est son plus gros secret et il s’apprête à le dévoiler à une parfaite inconnue. Pour sa survie. « Elle est morte à cause de cette saloperie de jeu. » Voilà. Il se renferme aussitôt après. Ce n’est pas encore toute l’histoire, c’est bien insuffisant, mais c’est déjà un début salvateur. Sorrento ne le réalise pas exactement, mais… il se sent presque soulagé d’un poids immense sur sa conscience.

below the sun

ஃ you got your passion, you got your pride, but don't you know that only fools are satisfied? dream on, but don't imagine they'll all come true, when will you realize. ஃ (vienna ◇ billy joel)

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The devil's advocate

Samantha peut voir Nolan se refermer à vue d’œil, comme une huître. Un tel comportement n’a rien de rassurant, il faut le dire, mais la jeune femme laisse faire. Elle est habituée à ce que ses clients en passent par de tels mécanismes de défense quand ils se retrouvent acculés, incapables de rassembler les éléments susceptibles de les tirer de ce qu’ils considèreront être une source d’humiliation, ou du moins de rabaissement. Mais notre avocate aux dents longues en a vu d’autres… Comme elle n’a jamais abandonné aucun de ses clients jusqu’ici, elle ne compte pas davantage abandonner l’homme qui lui fait face. Bien au contraire, elle est plus que jamais décidée à plaider sa cause, et le fait que la tâche doive s’avérer ardue ne fait que renforcer davantage sa volonté.

"C’est justement parce que ces choses sont personnelles qu’elles risquent fort d’intéresser le plus grand monde", répond tranquillement Samantha en croisant les jambes sous la table métallique entre elle et Nolan. Elle parle avec assurance, elle s’exprime avec certitude et fermeté. Elle ne laissera pas Nolan se protéger derrière des excuses qu’elle estimera naturellement médiocre. Nolan devra faire face à la responsabilité de ses actes et l’aveu de ce passé qu’il aurait voulu garder pour lui-même.

Elle le pense, par ailleurs, et ne prononce pas ces mots uniquement dans le but de contrarier son interlocuteur. Oui, plus l’information sera personnelle, plus elle aura de chances d’intéresser Samantha, et plus, surtout, il sera possible d’en faire une arme de poids contre leurs adversaires. Tous les jurys auxquels Samantha s’était confrontés au cours de sa brillante carrière d’avocate partageaient tous un même point commun, sans exception : ils ne pouvaient pas résister à une belle histoire larmoyante. Aussi, si Nolan peut en avoir une à raconter (dont ils pourront toujours grossir les traits si nécessaires), ils ne peuvent pas passer à côté de cette possibilité. Elle veut tout entendre, quitte à pousser Nolan dans ses retranchements.

… Mais ce dernier ne l’y contraint finalement pas. Quand il lui demande si elle a déjà perdu un être cher, quelqu’un qu’elle se serait juré de protéger au-delà de tout le reste… elle comprend qu’elle touche du doigt une histoire qui pourrait bien valoir de l’or et qui, bien exploitée, pourrait non seulement tirer Nolan d’affaires, mais en plus du reste le faire passer du statut de victime à celui de héros… Une histoire de deuil et de vengeance personnelle, voilà qui devrait tout naturellement sensibiliser le jury.

"Je n’ai jamais eu ce malheur", répond évasivement Samantha. Non, elle n’a jamais perdu quelqu’un qui lui soit vraiment cher, elle a eu cette chance. Ce n’est pas pour autant qu’elle ne saura pas faire preuve de l’empathie nécessaire afin de se mettre à la place de son interlocuteur. "Mais si un tel drame devait advenir, je sais que je serais prête à tout pour réparer les préjudices subis."

Et pour cause, c’est déjà ce qu’elle fait au quotidien, dans son métier. Elle mène de front des combats acharnés, au mépris souvent de la morale et de ce que l’on voudrait admettre pour acceptable ou non. Elle veut ajouter autre chose, mais Nolan la prend de court avec une remarque inattendue. Samantha fronce légèrement les sourcils tandis que son client analyse sa tenue non sans un certain cynisme, et se permet de faire des commentaires à ce sujet. Elle le laisse s’exprimer sans mot dire, ce genre de commentaires sont monnaie courante chez ceux qui ont en réalité conscience de ne pas du tout être en position de supériorité. Dans leur échange, ne lui en déplaise, c’est elle qui mène la danse, c’est elle qui détient le pouvoir… Et elle compte en user autant que nécessaire. Dans son propre intérêt, même s’il n’est peut-être pas encore en mesure de le concevoir. Qu’il cherche à se protéger en détournant la conversation ne change pas grand-chose à l’affaire. Il n’a dans tous les cas pas d’autre choix que de s’exécuter et d’agir ainsi que son interlocuteur le demande. S’il décide de l’attaquer de la sorte, c’est qu’elle est parvenue à toucher un point sensible, ce qui signifie qu’elle avance, et pour la peine, Samantha a la ferme intention d’insister encore davantage. Il en va de même de la remarque grivoise qu’il lui adresse au moment de lui parler de « se mettre à nu », réflexion sur laquelle il fallait s’attendre qu’il rebondisse. Elle se contente d’afficher un air indifférent à cette réflexion… ce qui ne veut pas dire pour autant qu’elle trouverait un inconvénient à le mettre à nu dans tous les sens du terme. Nolan Sorrento est un très bel homme, et cela n’a définitivement pas échappé à Samantha. Mais chaque chose en son temps.

"Bien entendu", se contente de répliquer Samantha avec fermeté quand Nolan prétend plaisanter, en affirmant ensuite ne certainement pas être l’un des pervers qui doivent régulièrement la convoiter et lui faire des avances. Etrange comme il profite de lui faire des avances en prétextant ne pas lui en faire. Mais Sorrento a raison sur ce point : elle est en effet habituée. Et habituée également, par conséquent, à faire fi de ces mêmes avances et à les considérer avec indifférence. Elle se contente d’attendre qu’il en ait fini. Ils auront tout le temps de badiner plus tard si cela lui chante, mais elle n’est certainement pas dupe de ses manœuvres.

Il en passe par la séduction tout d’abord, en la complimentant de façon très directe, puis il en passe par une sorte d’avertissement, évoquant ce qui adviendra si elle devait échouer à le tirer de cette mauvaise passe, assurant que cela signerait son arrêt de mort… Au fond, il n’a probablement pas tort. Il n’aura aucune chance de s’en sortir si elle ne fait rien. Mais Samantha Twombly, non sans une fierté certainement mal placée, sans aucun doute, ne cultive aucune sorte d’inquiétude quant à ses chances de réussite. Bien au contraire, même, plus le temps passe, plus elle est convaincue de parvenir à ses fins.

"Je n’échouerai pas. Vous avez fait appel à moi car je n’échoue jamais. Vous avez beau vous pensez exceptionnel, Nolan, vous ne serez pas l’exception qui confirme la règle", ajoute-t-elle avec un fin sourire en coin. "Alors cessons de tourner autour du pot, et parlez-moi de cette personne que vous avez perdue."

Et en effet, Nolan accepte finalement de se confier, sous le regard attentif de son avocate. Sa petite sœur, Charlotte, morte selon lui à cause de l’OASIS. Samantha l’observe avec intérêt, son regard s’attardant sur les traits de son visage. Il lui apparaît évident que Nolan, en cet instant, ne ment pas.

"Parlez-moi d’elle. Qu’est-ce qui lui est arrivé exactement ?" Samantha lui adresse un regard compatissant. "Il est encore temps de lui rendre justice, de vous rendre justice à tous les deux, mais pour cela, il va falloir m’en dire plus."

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