(abandonné) Total eclipse of the heart | Nolan

total eclipse of the heart · sorrentha ((15 août 2022, appartement de nolan sorrento, début de soirée))

“Come up to meet you, tell you I'm sorry. You don't know how lovely you are. I had to find you, tell you I need you. Tell you I set you apart. Tell me your secrets and ask me your questions. Oh, let's go back to the start. Running in circles, coming up tails. Heads on a science apart. Nobody said it was easy. It's such a shame for us to part. No one ever said it would be this hard. Oh, take me back to the start. I was just guessing at numbers and figures. Pulling the puzzles apart. Questions of science, science and progress. Do not speak as loud as my heart.” (the scientist ▴ coldplay) ✧  @Samantha Twombly



Un verre à whisky vide traîne depuis la veille sur la table de chevet. Un autre sur le meuble de son mini-bar, situé dans un coin de son salon. Depuis plus d’un mois, Nolan Sorrento n’est plus que l’ombre de lui-même. Une ombre qui erre dans les couloirs bondés d’une université insipide, qui ne l’intéresse plus le moins du monde. Ses passages à l’université sont de plus en plus succincts, juste le temps de ses cours magistraux. Lui, qui a longtemps considéré les murs de l’université comme ses propres murs, l’université en elle-même comme sa seconde maison, préfère aujourd’hui la fuir plus que de raison. Il ne sort plus, ses apparitions médiatiques ou sur les réseaux sociaux sont même réduites à peau de chagrin. On ignore où il est, ce qu’il fait et avec qui. Nolan n’actualise plus aucun de ses réseaux. Son Twitter, son Instagram, son Facebook sont en mode avion depuis des semaines. Même sa boite e-mail est saturée de messages non lus, laissés à l’abandon. Nolan passe le plus clair de son temps enfermé dans son appartement, privilégiant le télétravail (eux aussi, ils ont eu le covid sur l’île et le confinement ? *je sors loin*) et les échanges d’e-mails. Nolan ne compte plus le nombre d’appels sur son smartphone en provenance de l’administration de l’université. Tous s’inquiètent de ses passages furtifs à l’université, de la pile de dossiers administratifs qui s’accumule sur son bureau, de sa nouvelle lubie de travailler quatre jours sur cinq chez lui, de déplacer bon nombre de cours et même de les déléguer à ses confrères et consœurs. Qi’ra est morte il y a un mois. Un mois jour pour jour. Le 15 juillet. Qi’ra est morte, et laisse un immense vide dans un appartement froid, mais pas seulement. Dans le cœur de Nolan Sorrento aussi. Le vide est étouffant, handicapant. Nolan est familier des enterrements, des éloges funèbres, de la perte d’êtres chers. Il a perdu sa sœur, il y a quelques décennies. Aujourd’hui, sa femme. Les femmes de sa vie disparaissent toutes un jour ou l’autre, souvent en traître. Nolan est en colère. Fou de rage contre le monde entier, mais surtout contre lui-même. Il s’en veut pour avoir commis l’erreur irréparable de s’être laissé imprégner par une femme. Il regrette plus que tout d’avoir une fois encore donné les clés de son âme à un autre être vivant. Tout se termine toujours dans un bain de sang. Le bonheur est une notion abstraite, inaccessible pour un homme au karma tel que le sien. Un homme cruel, sans pitié, condescendant et avare. Les puissants ont de l’argent, beaucoup d’argent et des hordes d’employés, de subalternes, d’esclaves modernes. Ils ne sont pour autant que peu entourés. Nolan en avait bien conscience depuis le départ. Il avait accepté d’être seul au monde dans sa quête pour le pouvoir et la fortune. Cela ne l’avait pas dérangé outre mesure avant de croiser la route de Qi’ra. Maintenant, que lui reste-t-il ? Une bouteille de whisky de vingt-cinq ans d’âge, qui semble être devenu son nouveau réflexe journalier. Son nouveau café.

Quelque chose s’est brisé en lui il y a un mois, une fragilité insoupçonnée dans le colosse en argile. Nolan préfère généralement éviter ses collègues, afin qu’ils ne puissent pas être témoins de ses sautes d’humeur intempestives, de ses traits tirés et cernés, de son teint blafard ou de sa nouvelle attitude très « je m’en foutiste ». Loin d’être l’apanage d’un homme que l’on a longtemps considéré comme « tiré à quatre épingles ». Nolan Sorrento ne peut aujourd’hui concevoir la vie sous le même prisme qu’autrefois. Un deuil est déjà compliqué à faire. Un deuxième deuil est dévastateur, et celui-ci est même le plus difficile de toute son existence. Nolan est incapable de situer un autre événement dans sa vie qui lui a causé une souffrance puissante, telle qu’il la pense insurmontable. La douleur est cuisante, piquante, et déchire son âme en lambeaux, Nolan Sorrento se meurt. Doucement, lentement. Dans le silence et la froideur des murs obscurs de son appartement. Il ignore tout le monde. Presque. Pansy Parkinson et Peter Parker font partie des rares personnes qui reçoivent assez souvent de ses nouvelles. Souvent est un terme inapproprié. Une fois par semaine, au moins. Albus, l’un de ses confrères à l’université en reçoit aussi, mais depuis peu. Albus Dumbledore n’a pourtant jamais fait partie de son cercle d’amis proches, mais depuis l’enterrement et les quelques discussions que les deux hommes ont eu dans le bureau de l’un ou de l’autre à l’université, Nolan s’est trouvé en Albus une nouvelle et surprenante écoute. Son état général dégradant, proche de la lassitude, lui a permis d’appréhender d’une manière moins condescendante l’aide susceptible d’être apportée par certains, par ces mêmes collègues qu’il a longtemps dédaigné et moqué.

L’écran de son téléphone s’allume brusquement, pour laisser apparaître un message d’une femme. Une entrepreneuse, qui affirme lui vouloir sincèrement du bien. Nolan se montre dans un premier temps soulagé par le fait que ce ne soit pas l’une de ces vautours en talons aiguilles, en cherchant à profiter de sa faiblesse et surtout de son statut de nouveau riche célibataire. Ils échangent quelques minutes, à sa plus grande surprise. En règle générale, Nolan élude ces discussions. Il préfère se focaliser sur ses lectures, ou un nouveau whisky avec lequel broyer longuement du noir. Quelque chose l’interpelle toutefois et lui donne envie d’échanger encore un peu. Quelques minutes seulement. Ces quelques minutes se transforment en une vingtaine de minutes, et enfin, en la promesse de la part de Sorrento d’une aide et de conseils juridiques de nature professionnelle. Il s’étonne lui-même de la facilité avec laquelle il semble avoir « repris goût » aux échanges professionnels. Peut-être parce que celle-là est différente. Samantha Twombly. Elle l’a abordé différemment, et le statut « d’inconnue » lui apporte un réconfort que son égo refuse d’admettre. Samantha arrive dans une heure. C’est ce qu’elle lui a envoyé sur son smartphone dernier cri. Un Apple, forcément. L’universitaire qu’est Nolan Sorrento est appareillé avec toutes les créations de la célèbre marque américaine à la pomme. Il se trouve dans sa chambre, allongé sur son grand lit king size, en train de tapoter sur les touches rétroéclairées de son Macbook Pro à la faible lueur d’une bougie qui trône sur sa table de chevet. Nolan aime travailler le soir. Il se sent toujours plus productif, tranquille et débarrassé des nuisibles quotidiens de l’université. Quant à la présence de cette bougie, Nolan aime beaucoup l’ambiance tamisée que celle-ci produit dans sa chambre, en créant un effet d’ombres chinoises au plafond ou sur les murs peints. Samantha sera là dans une heure. Nolan Sorrento prend le temps de relire son dernier message, avant de chercher la jeune femme sur son moteur de recherché préféré. Google. (le guide du parfait petit capitaliste, c’est par ici) Il ne s’en rend pas compte, mais les minutes défilent, si bien que les aiguilles de l’horloge murale pointent déjà sur vingt-et-une heures. Nolan ne le remarque pas immédiatement, lorsqu’il referme son ordinateur portable, pour le laisser reposer sur le côté de son lit. Il ignore encore la teneur de ses futures échanges professionnels avec la jeune entrepreneuse, mais il ne peut décemment pas accueillir cette dernière sans une bonne douche, un peu de parfum et un costume de luxe. Loin d’être dans une optique de séduction, Sorrento espère simplement faire bonne figure. Il veut briller, au moins une nouvelle fois, après ce silence médiatique qui a suivi l’enterrement de sa femme. Cela fait des semaines que Nolan ressasse son éloge funèbre, qu’il s’abîme les yeux sur les photographies imprimées de leur cérémonie de mariage et de leurs vacances, exposées dans un classeur en cuir… Avec Qi’ra. Qi’ra Sorrento. L’amour de sa vie. Sa première femme. Qi’ra Sorrento qui n’est aujourd’hui plus. Morte dans d’atroces circonstances, torturée par le Joker, filmée et mise en jeu sur un putain de réseau social. A la vue de tous et de toutes. Nolan s’est senti dévasté par des sentiments violents. De la peine, de la colère, de l’incompréhension, mais aussi de la honte. La ville entière a découvert la fin tragique et cruelle de Madame Sorrento. Le monde entier a connaissance de cette sordide vérité. Nolan ne peut inventer une histoire pour protéger son intimité, ainsi que celle de sa défunte épouse. Il ne peut inventer une fin aussi spectaculaire que celle d’un grand film. Une fin digne, loin de la fin sale, ensanglantée qui fut la sienne devant la caméra un véritable détraqué psychotique déguisé en un putain de clown ridicule. Il ne peut la lui offrir, malgré toute la volonté du monde. Qi’ra Sorrento est morte comme un animal, réduite à l’état de poussières. C’est la dernière chose que l’on sait d’elle. C’est la dernière vision que le monde a eu de la femme magnifique, digne et précieuse de Nolan Sorrento. La fin d’une grande dame, d’un amour compliqué, explosif et charnel, mais Ô combien véritable.

Nolan laisse parfois la porte de son appartement ouverte en prévision d’une visite ou d’un départ, trop confiant dans la sécurité de son immeuble résidentiel. Il l’a prévenue. Elle pourra rentrer facilement. Il se persuade d’avoir le temps de se préparer, ce qu’il n’a bien évidemment pas. Alors qu’il balance ses vêtements dans le panier à linge, il ignore que son invitée est sur le point d’arriver. Nolan s’engouffre ensuite dans la cabine de douche italienne en marbre, pour une douche rapide. Samantha Twombly se trouve actuellement en train de poser son sac de courses sur le meuble de la cuisine, alors qu’il termine de se laver les cheveux. L’eau brûlante coule le long de ses épaules, apaisant ses muscles meurtris. Elle se projette furieusement, rendant inaudible les bruits de pas qui proviennent des autres pièces de l’appartement. Nolan savoure longuement cette sensation, avant de couper finalement l’eau. C’est en embarquant la première serviette qu’il trouve, pour la nouer autour de sa taille, qu’il sort enfin de la salle de bain. Nolan déambule dans le couloir sereinement, se croyant encore seul durant quelques minutes, jusqu’à interrompre son chemin lorsqu’un bruit en provenance du salon vient siffler dans ses oreilles. Il fronce les sourcils, interpellé. Est-elle déjà arrivée ? Nolan admet volontiers n’avoir prêté aucune intention à l’heure. Il hésite un instant, mais n’a pas d’autre choix. C’est à ce moment précis qu’il regrette d’avoir abandonné son peignoir dans l’un de ses dressings, la veille au soir. Ses pas sont lourds sur le parquet de son appartement, presque hésitants. Plus il se rapproche du grand salon et plus il lui semble évident que son invitée est bien arrivée. Et là voilà, qui se tient au beau milieu du salon, en face d’une bibliothèque, surprise de capter son regard bleu glacé sur le moindre de ses gestes. Elle repose immédiatement un cadre photo à sa place. Nolan n’a pas besoin de le détailler plus de trente secondes pour savoir qu’il s’agit de celui de son couple. De son ancien couple. Il reste interdit durant quelques minutes, ne sachant pas exactement quoi dire pour justifier son absence de vêtements. Ne sachant pas non plus s’il est de bon ton de l’enguirlander, alors qu’ils viennent de se rencontrer « physiquement » pour la première fois. Elle lui laisse une première très bonne impression physique. Samantha Twombly est une très belle trentenaire. Bien plus jeune que lui, bien trop jeune pour lui. Plus jeune que Qi’ra, d’ailleurs. Ce qui frappe encore plus Nolan à cet instant, ce n’est pas de la surprendre en train de farfouiller dans ses affaires, mais surtout le fait qu’elle ne semble pas tant que cela gênée de le trouver dans cette tenue. Une pensée machiste effleure immédiatement son esprit. Est-elle homosexuelle ? Gardant cette idée dans un coin, le visage contracté de Nolan semble se détendre. Ses traits froncés se lissent, l’universitaire en droit est apparemment soulagé de savoir qu’aucune gêne ne s’insinuera entre eux si cette théorie s’avère bien fondée. (non mais le réac quoi)

Elle l’appelle. Il réagit spontanément, en tournant la tête dans sa direction. Elle l’intime de s’approcher, apparemment peu honteuse d’avoir farfouillé ici et là en son absence. Elle l’appelle par un doux et mélodieux « Nolan ». Entre ses lèvres, son prénom prend une étrange intonation. Il devine la saveur exquise que ces cinq lettres doivent susciter dans des contextes plus libérés, beaucoup moins conventionnels. Nolan savoure la manière dont sa « jeune amie » prononce son prénom – d’une voix claire, forte et pleine d’assurance. Elle ressemble à celle de Qi’ra. De loin, seulement pour la confiance. Parce qu’il y a quelque chose d’autre, dans sa voix ou dans son comportement qui opère une différence majeure entre les deux femmes. Qi’ra était… Nolan peine à terminer cette phrase en pensée. Il déteste parler de sa femme au passé. Il déteste dire « elle était », alors qu’elle était quelqu’un pour lui, une amante, une amie, avant d’être un cadavre dans une boîte. Il y a quelque chose dans sa manière de s’adresser à lui qui le désarçonne par une apparente familiarité. Nolan se montre assez sensible à l’écho sensuel de sa voix. Samantha Twombly est une trentenaire qui assume sa féminité, ses courbes voluptueuses et l’intonation de sa voix. Elle dégage une étonnante maîtrise, quelque peu froide à certains abords. Cette froideur ne le surprend pas. Elle ne l’effraie pas non plus – elle l’attire inévitablement vers le bord du précipice, et plus Samantha Twombly s’adresse à lui de cette voix si sûre, et plus il se rapproche d’elle, tel un automate en armure. Un automate à moitié nu, cela dit.  

En s’approchant, Nolan observe avec attention chaque détail de son apparence physique. Elle n’est pas suffisamment apprêtée pour espérer séduire un homme de sa trempe, et pourtant, elle y parvient inconsciemment. Elle porte un jean bleu brut et un tee-shirt relativement ample, dissimulant à son goût ses formes qu’il devine intéressantes, sans en avoir toutefois la moindre preuve. Il s’inspire à la fois de son expérience des femmes et des contours qui se dessinent un peu largement au niveau de sa poitrine ou de sa croupe. Nolan jauge, comme un prédateur – il n’est toutefois plus que l’ombre de cet illustre prédateur, ce séducteur de femmes. Aujourd’hui, Nolan Sorrento est un homme brisé par la vie, meurtri par l’amour pur, et endeuillé à deux reprises. Elle ne semble avoir fait aucun effort particulier pour lui plaire – ce qui le rassure sur un point. Elle n’est pas comme l’un de ces vautours en talon aiguille, rouge à lèvres pourpre et au brushing impeccable. Ce qu’il ne distingue pas encore, c’est la nature de sa jeune et séduisante invitée aux cheveux blonds. Samantha n’est pas humaine. Du moins, elle ne l’a pas toujours été. Oh, bien sûr, il y a des choses qui peuvent aiguiller Nolan Sorrento dans son analyse méticuleuse du corps et de l’esprit de son interlocutrice – compte tenu de leur différence d’âge physique, il se sent en position de supériorité face à elle. Naturellement. Alors qu’elle n’est pas exactement ce qu’elle semble être. Nolan se laisse porté par la voix, en ignorant ces détails qui ont de l’importance – comme sa manière mécanique de s’exprimer en général, son recul sur la vie qui est loin d’être celui d’une femme seulement âgée d’une trentaine d’années, ainsi que son génie intellectuel. Nolan est impressionné par cette vivacité d’esprit. Il met cela sur le compte d’un haut potentiel intellectuel, ou d’un syndrome d’Asperger. Nolan a connaissance de l’ensemble des travaux de la jeune femme. C’est une pointure dans son domaine, réputée dans le monde des affaires. Il l’a connue de nom, de réputation, avant de la connaître de corps et d’âme. Avant qu’il ne prenne sa douche, Nolan s’est amusé à faire dérouler son curriculum vitae durant de longues minutes, cherchant à emmagasiner le plus possible d’informations sur celle qui s’apprête à fouler le pas de sa porte.

Alors qu’ils se trouvent dans la même pièce, aussi surprenant cela peut-il être, il s’agit de leur première fois. Nolan Sorrento se fait un étrange constat, alors que leurs regards bleutés se croisent et se capturent dans l’immensité océanique de leurs pupilles irisées. Il y a vraiment quelque chose chez cette femme qui l’obsède, et qui éveille une curiosité presque maladive. Un peu malsaine. Elle est incroyablement belle, mais pas seulement. Quelque chose le frappe au-delà de son apparence physique, particulièrement négligée, cela dit. Pour un homme aussi superficiel et attaché aux artifices féminins, pour un homme qui a épousé une femme constamment perchée sur des talons aiguilles, abusant des décolletés plongeants et d’un maquillage prononcée, c’est une découverte sur lui-même qui le désarçonne. Lui qui n’a jamais vraiment porté d’attention aux femmes ne faisant pas d’efforts, dont celui de porter des talons d’au minimum dix centimètres, se trouve mystérieusement happé par l’aura magnétique qui émane d’elle. (la fashion police a déconné là) Il observe ses courbes comme un radar, en cherchant le moindre indice sur leur forme précise ou leur densité, sous son tee-shirt. L’expression de son visage s’éclaire spontanément, alors qu’il la dévisage sans un mot. Dans un silence religieux. Elle est… magnifiquement parfaite. Une perfection comme il n’en a que trop peu rencontrée. Belle naturellement, confiante et apparemment capable d’une autorité exquise. Elle semble douce, pourtant. Samantha Twombly est sûrement d’une incroyable tendresse, car après tout, chacun de ses gestes est imprégné de douceur et de pureté. Rien n’est vulgaire, ostentatoire ou « trop fait ». Nolan se surprend à vouloir entendre encore une fois le son de sa voix. Il y a quelque chose d’aérien, dans sa manière de bouger les mains, ou de lui sourire le plus sincèrement du monde. Ce sourire… parlons-en… Ce sourire est prodigieusement envoûtant. Il s’étonne à vouloir connaître la saveur de ses lèvres. Presque immédiatement, Sorrento se flagelle. Comment peut-il avoir des pensées déplacées pour une simple relation de travail, alors que la couche de sa femme est encore chaude ? Sans qu’il ne verbalise quoi que ce soit, l’expression de son visage se forme en une moue boudeuse, et bientôt, ses rides s’accentuent et ses yeux durcissent.

Lorsqu’il la trouve devant le meuble de sa cuisine ouverte, très à l’américaine, quelque chose se fissure en lui. Aucune femme ne s’est trouvée à cet endroit, en train de cuisiner avant sa propre femme. Son cœur se serre douloureusement, alors que des bribes de conversations, de rires, et d’images de baisers entre quelques gorgées de vin rouge assiègent son esprit. La dernière fois qu’une femme a cuisiné pour lui… Cette femme est morte quelques mois plus tard. Qi’ra. Cette scène, ces courses, cette manière si naturelle qu’à Samantha de prendre soin de lui est plus qu’insoutenable. Tous ses souvenirs se mêlent et s’entremêlent avec des pensées noires dans chaque recoin de sa tête. C’est finalement la voix mélodieuse de Samantha qui le ramène à la réalité. Elle s’excuse d’être arrivée si tôt dans son appartement, au vu de sa sortie de douche. Nolan hausse les épaules en faisant quelques pas vers son salon. Il se comporte comme si tout est parfaitement normal dans le meilleur des mondes. Il se dirige, à moitié nu jusqu’au meuble du buffet pour récupérer dans l’un des tiroirs, l’une de ses précieuses Rolex, qu’il enfile aussitôt sans un regard en arrière. Dos à Samantha Twombly, il ne peut distinguer que le bruit des produits que l’on sort d’un sac de courses, des lames d’un couteau, et des bruits sonores de ses plaques à induction. « Non. Ce n’est pas votre faute. » répond-il machinalement, en agitant sa main de droite à gauche, un peu trop rapidement. « C’est moi. J’ai traîné sur un projet, avant de me préparer. J’ai sous-estimé l’heure de votre arrivée. » Un demi-mensonge. Nolan a en effet pris son temps avant de prendre sa douche, mais ce n’est pas afin de terminer un quelconque projet ou article de colloque. Il n’ose lui dire qu’il a traîné avant de se préparer en voulant faire le plus de recherches sur son compte – histoire d’avoir une longueur d’avance ce soir.

« C’est une très belle photo. Vous devriez la faire agrandir. » Lorsqu’elle ose un commentaire sur sa photo, c’est avec un mélange d’agacement et de reconnaissance qu’il l’accueille. Deux sentiments contradictoires, mais avec la même violence. Une part de Nolan est contrarié, même hors de lui, qu’on vienne commenter ainsi les détails de son funeste mariage, d’autant plus de la part d’une inconnue. Il ne s’énerve pas, et camoufle cet excès de frustration par un léger claquement de langue contre son palet. L’autre part de Nolan est touché par le compliment. Il oscille entre deux états d’esprit, et c’est finalement un entre-deux qui l’emporte. L’épuisement de la journée, sans doute, a finalement eu raison d’un tempérament hargneux au quotidien. Sorrento ne rebondit toutefois pas à sa remarque. Son silence exprime à lui seul une certaine solennité. Samantha marche sur des brasiers ardents. Il lui fait comprendre par sa froideur que certains sujets sont à mettre sous clé – en tout cas pour l’instant.

Nolan Sorrento donne l’air d’être ailleurs, distrait par ses pensées, alors qu’il loge la boucle argentée de sa montre correctement. Il en donne l’air, seulement. Nolan reste parfaitement attentif aux propos de son invitée. Elle a mis les petits plats dans les grands. Elle semble vouloir… le satisfaire. « Bucatini alla gricia et Quintarelli de Veneto. J’espère que je le prononce bien. Et que vous avez faim, surtout ? Je vais nous préparer tout ça. » A cela, Nolan écarquille les yeux de surprise. Elle lui parle du genre du vin rouge, de la recette des pâtes italiennes qu’elle compte leur cuisiner ce soir. Elle a pris un réel soin à vouloir susciter son appétit. Ce qui l’étonne n’est pas tant son délicat accent qui l’enivre secrètement, mais le fait qu’elle vise ses préférences. Nolan a beau se montrer totalement hermétique, en arborant un visage froid et livide, il ne peut retenir l’apparition d’un léger rictus furtif au coin de ses lèvres. L’ombre d’un sourire. Un sourire qui n’est pas apparu depuis des semaines. Bien évidemment, Nolan n’a pas évoqué ses origines italiennes ou ses préférences culinaires de manière anodine. Il s’agissait d’un test, pour voir si elle souhaiterait le combler par le choix d’une gastronomie particulière. Une qui le toucherait véritablement. Samantha a fait le pari de répondre à ses sollicitations indirectes, et cette audace le frappe de plein fouet. « Vous le prononcez à merveille. » complimente-t-il, presque trop mollement. Sincèrement séduit, même s'il cherche à masquer cet élan d'empathie. Il se sent vulnérable devant une simple inconnue. Une inconnue qui n’en est pas tant une. Elle ne se comporte pas comme tel, elle prend au contraire ses aises, et ce qui est le plus choquant est que le doyen ne s’en offusque pas. Nolan s’efforce de rester de marbre face à cette situation des plus incongrues. Une femme dans sa cuisine, pas n’importe laquelle, une magnifique beauté blonde aux yeux bleus. Elle remplit à elle toute seule un cliché. Un fantasme masculin de tout bon hétérosexuel machiste comme Nolan Sorrento. Elle est là, en train de cuisiner. Elle s’est introduite dans son appartement, a fouillé dans certaines de ses affaires. Cela ne le choque pas. Cela ne l’étonne pas. Nolan Sorrento est calme, parfaitement serein. Lui, qui sort d’une douche brûlante, insuffisamment couvert pour ne pas rendre cette conversation particulièrement ubuesque. Nolan Sorrento ne montre toutefois aucun signe d’une quelconque gêne de ce rapport de corps totalement inégal. C’est comme si chaque chose se retrouvait enfin à sa place. Comme si Samantha avait toujours partagé son appartement, qu’il était déjà sorti de sa douche en serviette autour des hanches pour discuter de tout et de rien avec elle, en train de cuisiner dans « leur cuisine high-tech ». Comme si… les choses devaient exactement se passer de cette manière-là entre eux. « Je n’avais pas vraiment faim avant de vous voir m’apporter toutes ces choses, alors… Oui, ce que vous me proposez me fait très envie. Je vous laisse ma cuisine. Je ne doute pas du fait que vous la traiterez avec délicatesse, vous m’avez l’air particulièrement méticuleuse. » poursuit-il en déplaçant des cadres photos, ici et là.

Il s’efforce de ne montrer aucun signe extérieur de nervosité pour rester maître de leurs échanges, mais ces allers-retours le trahissent bien malgré lui. « Vous voudrez peut-être vous habiller pendant que le vin décante ? » Son sourire s’allonge, mais Nolan lui tourne délibérément le dos. Nolan est gêné, d’où l’apparition de ce fin rictus. La seule chose qu’elle peut lire de lui, mis à part sa courte chevelure poivre et sel, c’est la vision de son dos blanc, presque sec, avec une légère trace d’humidité au niveau des épaules. Il y a quelques minutes encore, la sensation réconfortante et brûlante de l’eau apaisait ses muscles endoloris. « Vous avez raison. » soupire-t-il, en s’emparant d’une cravate qui se trouve sur le bord du canapé couleur bleu pétrole. « Je vais me changer. Servez-nous deux coupes d’ici une petite dizaine de minutes ? Le vin aura déjà un peu décanté. » ajoute-t-il d’une voix traînante. Sorrento donne des consignes, ou des ordres selon certains. Ce n’en est toutefois pas vraiment. Il n’est en ce moment pas en état de se montrer profondément antipathique, comme un vrai connard autoritaire. Les « ordres » qui s’échappent de ses lèvres, malgré le ton plein d’assurance qu’il adopte pour les prononcer, semblent bien mous et peuvent être facilement contrés. Nolan s’éloigne progressivement de la cuisine, vers le corridor opposé. Dans son esprit, la route est claire. S’habiller, et revenir discuter travail en dégustant un bon vin italien de Vénétie. Simple et efficace. Alors qu’il se trouve à deux doigts de s’évaporer et d’abandonner la jeune femme dans sa cuisine, quelque chose lui fait stopper net. « Au fait… » marmonne-t-il, une main dans l’encadrement d’une porte qui donne sur un autre couloir, le corps légèrement tourné en direction de la cuisine, le visage de profil et le regard scrutant avec attention le meuble de sa bibliothèque. « Merci. Pour vos courses, le choix d’une cuisine italienne… Vous saviez que c’était ma préférée. Vous ne pouviez que faire un cent fautes. » Comme Qi’ra. Elle a su, et c’est de cette manière-là qu’elle a pu le séduire. Quelque chose se répète, et cela l’effraie, même s’il n’en a pas encore bien conscience. Il n’y a finalement rien d’anodin dans cette rencontre ou dans cette situation. Il y a clairement un jeu de séduction entre eux, même s’il est caché. Nolan refuse d’envisager l’avenir autrement, dans les bras d’une autre femme, mais il est forcé de reconnaître être particulièrement sensible à ces gestes de sollicitude. Peut-être que Samantha est en passe de devenir une amie. Une amie sur laquelle compter en cas de coup dur. N’en-a-t-il pas cruellement besoin ? Nolan Sorrento, malgré son argent et ses contacts, reste un homme bien seul. Il n’a pas vraiment d’amis, et ses seuls amis se comptent sur les doigts d’une seule main. (Albus, Peter, Pansy… voilà ça fait trois) Il n’a pas tant que cela d’amies de sexe féminin, mis à part sa délicieuse secrétaire et femme de l’ombre, Pansy Parkinson. Pansy est sa seule amie. Même si l’emploi du vouvoiement s’opère encore entre eux, même s’il existe un lien hiérarchique entre eux – Pansy est ce qui s’apparente le plus à une meilleure amie. Sa seule amie. Nolan est un homme terriblement sexiste, si bien que très peu de femmes apprécient de graviter autour de lui. Samantha sera sa deuxième amie, probablement. (non non non, elle sera plus qu’une amie voyons…) « Je ne pense pas le mériter, mais sachez que j’y suis très sensible. » souffle-t-il d’une voix plus rauque que d’habitude, en disparaissant ensuite dans le couloir conduisant vers les chambres de l’appartement pour revêtir dans son dressing un costume gris anthracite, assorti d’une chemise blanche en coton bio, d’une cravate aux nuances marron et doré et d’une paire de chaussures italiennes en cuir marron foncé.

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“Come up to meet you, tell you I'm sorry. You don't know how lovely you are. I had to find you, tell you I need you. Tell you I set you apart. Tell me your secrets and ask me your questions. Oh, let's go back to the start. Running in circles, coming up tails. Heads on a science apart. Nobody said it was easy. It's such a shame for us to part. No one ever said it would be this hard. Oh, take me back to the start. I was just guessing at numbers and figures. Pulling the puzzles apart. Questions of science, science and progress. Do not speak as loud as my heart.” (the scientist ▴ coldplay) ✧  @Samantha Twombly



Il y a tant de choses chez Samantha Twombly qui éveillent en Nolan Sorrento une curiosité presque malsaine. Alors qu’il vient de disparaître de son salon, pour se changer dans l’imposant dressing situé dans la pièce à côté de sa chambre à coucher, il repense à certains de ses propos avec une drôle de lueur dans ses yeux perçants. Elle est différente des autres femmes qu’il a bien pu côtoyer de son vivant. Différente en tout. Il ignore toutefois ce qui la rend si particulière, mais elle l’est, et c’est ce cause cette soudaine anxiété. Nolan déteste ne pas savoir sur quel pied danser avec son interlocuteur, d’autant plus si c’est une femme. Il déteste encore plus ne pas disposer de toutes les informations existantes sur cette dernière. Car malgré ses recherches assidues sur son curriculum vitae, Sorrento est persuadé qu’une information cruciale échappe à son contrôle. Une information qui ne figure ni sur les réseaux sociaux, ni sur le curriculum vitae de la sulfureuse trentenaire. Elle est… un véritable mystère à ses yeux. Quelques mots lui viennent en mémoire, alors qu’il laisse glisser le tissu épais de sa serviette, au niveau de ses hanches. Celle-ci retombe mollement sur la moquette gris perle. Elle a affirmé avoir des connaissances qui dépassent l’entendement. « J’étais capable de maîtriser toutes les langues qui existent, autrefois, j’ai beaucoup perdu, ici, je suis rassurée de voir que je n’ai pas tout perdu malgré tout. » Il ignore pourquoi, mais ces mots lui restent en mémoire, et refusent d’être rapidement digérés, puis oubliés, comme tout le reste. Qu’est-ce qu’elle a bien pu être dans son ancienne vie ? Qu’est-ce qu’elle a bien pu perdre au change, en arrivant sur cette satanée île ? Il est à deux mille lieux de se dire que sous le corps superbe de cette femme se dissimule un ordinateur, une intelligence artificielle de haute voltige, un prodige de la nouvelle technologie, un simple logiciel high-tech, dépourvu de jambes interminables à la peau douce, de cheveux blonds comme les blés, de bouche pulpeuse à en damner un saint, ou de regard bleu profond. Samantha est une créature de rêve, mais c’est exactement ce qu’elle est – une créature. Elle n’a en réalité absolument rien d’humain – en temps normal, du moins. Nolan soupire devant l’un de ces grands miroirs à pied, alors qu’il termine de nouer une cravate élégante dans les tons bleus. Il sait exactement ce qu’il faut, pour mettre la couleur de ses yeux en valeur. Des yeux immenses dans lesquels on a envie de se perdre jusqu’à la mort. Des yeux qui vous sondent, à la recherche du moindre de vos secrets. Nolan Sorrento se surprend, en plantant ses yeux dans son propre reflet dans la glace, à vouloir tout connaître de cette femme. Tous ses secrets, toutes ses indiscrétions, toutes ses hontes, toutes ses réussites, tous ses échecs, toutes ses peurs, tous ses fantasmes.

Lorsqu’il revient dans le salon, d’un pas décidé, et habillé d’un élégant costume deux pièces et d’une paire de chaussures en cuir vernis italienne de couleur noir, c’est pour être accueilli chaleureusement. « Quelle élégance, on dirait presque que vous vous apprêtez à vous rendre à un rendez-vous d’affaire. » Ce à quoi, Nolan Sorrento répond par un léger ricanement, accompagné d’un mouvement d’épaules. Cela le flatte, bien malgré lui. Nolan se surprend même à éprouver un plaisir manifeste à recevoir des compliments de la part d’une aussi belle femme. Malgré les circonstances tragiques de son existence, qui ne lui permettent pas de poser un cadre de séduction entre eux. Il ne répond pas, et garde les lèvres closes, avant d’entendre la voix cristalline de Samantha s’élever une fois encore dans les airs. « Je fais pâle figure en comparaison. » Nolan fronce presque immédiatement les sourcils. Cette fois, l’universitaire tique. Il en profite pour la couper brutalement, d’une voix froide, mais Ô combien… curieuse. « Ne dites pas des énormités pareilles, Samantha. » Samantha. C’est la première fois qu’il prononce son prénom, et Nolan le fait avec soin. En articulant délicatement, en faisant rouler les consonnes d’une voix grave. Il s’entend même le murmurer avec un goût de miel sur la langue. Samantha. Si féminin. Commun, en réalité, mais pas pour lui. Non, pas pour Nolan Sorrento. Cette femme n’a absolument rien de commun avec ses congénères. Quelque chose chez elle est différent, c’est cette différence qui embaume ses pensées d’un voile obscur. « Vous n’avez aucune idée… de ce qu’un homme peut penser à votre sujet. » Une phrase bien énigmatique. Habituellement, le doyen aime détailler de long en large ses propos, mais pas maintenant. Nolan donne l’air d’être offensé. Il a l’air de prendre la chose personnellement. Samantha manque cruellement de confiance en son potentiel de charme. Même affublée d’un sac poubelle, cette femme est et restera absolument magnifique. Sorrento n’apporte aucune précision sur la nature de son agacement, mais le ton de sa voix, couplé à la manière dont il la détaille ne laisse aucun doute subsister sur ses intentions. Nolan Sorrento considère que Samantha est une très belle femme. Aussi belle que… Qi’ra.

Il déambule dans les deux pièces principales, – le salon et la cuisine américaine ouverte – comme un vautour qui rôde autour de sa proie. Nolan Sorrento observe chacun de ses gestes avec intérêt. Il détaille la manière élégante qu’elle a de chercher des ustensiles dans ses nombreux tiroirs, dont elle remplit l’eau de la casserole, ou dont elle coupe les aliments. Ses yeux bleus perçants détaillent les doigts fins de la jeune trentenaire, en s’attardant sur ses poignets. Ils sont si précieux, si délicats. Nolan rompt finalement son observation, pour s’intéresser à autre chose. Samantha sert deux coupes de vin rouge, apparemment mal. Nolan s’offusque, mais ne dit rien. (sacrilège le vin) Il se contente d’hausser les sourcils en signe d’étonnement. Pourquoi pas, finalement. Plus il y aura d’alcool dans son verre, et plus il sera libre de passer à autre chose. Plus il pourra faire taire… ces voix dans sa tête, ces sanglots, ces hurlements, ces idées noires. « Je nous suggère de trinquer. » dit-elle enfin. Nolan haussa davantage les sourcils. Trinquer, quelle idée appréciable. Trinquer à quoi exactement ? Samantha semble s’être rendu compte du caractère présomptueux de sa demande, puisqu’elle se rattrape instantanément par une élégante pirouette qui le flatte dans son égo. Nolan donne l’air de réfléchir sérieusement à l’intérêt de faire tinter l’éclat de cristal de leurs coupes. Durant quelques secondes seulement, car une idée s’impose naturellement à lui. « Je sais. Trinquons à une nouvelle vie. » Il lève son verre, en lui offrant un léger sourire forcé. Une nouvelle vie, qu’entend-il par-là ? « Notre collaboration. » Professionnelle, bien entendu. Nolan ne le précise pas, selon lui, les choses sont parfaitement claires entre eux. Ce n’est pas un rendez-vous galant. Ce n’est pas non plus une nouvelle histoire d’amour. C’est une affaire financière, rien de plus. Samantha et Nolan ont des intérêts communs, de sérieuses raisons s’offrir une assistance mutuelle. Il n’existe aucune ambiguïté entre eux, du moins… c’est qu’il veut bien croire. Nolan se voile en réalité la face. Chaque détail de cette rencontre se trouve perverti par un élan émotionnel plus ou moins fort. Samantha, qui vient de nulle part pour lui témoigner une étrange sollicitude. Nolan, qui sort de sa douche en serviette, et ne semble pas être affecté par la présence d’une étrangère dans son appartement. Samantha, qui cuisine italien pour lui faire plaisir. Nolan, qui se surprend à trouver cette femme séduisante, malgré l’absence d’artifices strictement féminins. L’un comme l’autre prétend être là pour des intérêts strictement professionnels, alors que leurs véritables intentions sont dissimulées sous une couche d’hypocrisie et de prudence.

Sorrento fait raisonner le verre à vin de son invitée avec le sien, dans un léger tintement cristallin. Ses lèvres s’étirent ensuite en un sourire satisfait, avant de goûter une première gorgée du très bon cru rapporté par la jeune Samantha. Ils consomment leur alcool en silence durant quelques minutes, pendant lesquelles Nolan s’absente momentanément en pensées. Il se refait le film de leur rencontre, mais surtout, de leurs derniers échanges téléphoniques dans un coin de sa tête. Lorsque la voix de Samantha résonne dans la pièce climatisée, il sort brutalement de son état de transe. Elle le remercie pour le temps qu’il accepte de lui accorder à l’étude de ses idées. Nolan hausse une nouvelle fois les épaules, l’air de rien. « Ce n’est pas donné à tout le monde. » lui a-t-elle dit. Non, en effet. Samantha est loin de faire fausse route. Nolan n’accorde pas ce genre de privilège au premier venu. Il faut être spécial pour mériter ses conseils juridiques, son soutien financier ou bien encore ses heures précieuses. Nolan refuse pour l’instant de commenter cette réflexion. Il éprouve des difficultés à dévoiler les raisons exactes qui l’ont poussé à accepter de recevoir Samantha aujourd’hui, dans son appartement, qui plus est. « Allons plutôt dans le salon. » répond-il simplement, en voulant s’installer sur l’un de ses canapés de designer, au lieu de rester planté au beau milieu de sa cuisine. Sorrento invite la jeune femme à lui emboiter le pas, en toute élégance.

Le canapé le plus proche, situé près d’une gigantesque baie vitrée, se trouve à quelques mètres seulement. L’universitaire boit deux ou trois gorgées de vin sur le chemin, avant de se positionner devant. Il présente le canapé à Samantha d’un geste léger du bras droit, pour l’encourager à prendre élégamment place. « Vous savez, ma chère, Samantha… » Son prénom, encore une fois. Nolan ne se lasse pas de l’entendre de sa propre bouche, il a une manière agréablement exquise de le glisser entre ses lèvres. « Mon temps est précieux, mais vos idées me semblent bien plus précieuses encore. » Sans s’en rendre compte, il en est déjà à la moitié de son verre de vin. Nolan boit, beaucoup trop ces dernières semaines – son veuvage étant l’une des pires épreuves de toute son existence. Il boit avec une facilité telle, ayant « l’alcool mondain » que son verre de vin se descend à une vitesse affolante. Ce n’est pas dramatique en soi, pour l’instant. Ce qui peut l’être, et ce qu’il ne se rend pas exactement compte, ce sont les effets que ce breuvage est susceptible d’avoir sur ses sautes d’humeur ou son self-control. « J’aimerais beaucoup les entendre. Développez-les-moi, et nous verrons bien ce que je peux vous apporter de plus. » Lui apporter. Sorrento évoque la possibilité de la seconder, et adopte un timbre de voix légèrement paternaliste. Il dise l’aider en la prenant sous son aile, elle, qui semble si déterminée et pleine d’ambitions. Les idées qu’elle développe sont par ailleurs d’une justesse parfaite, novatrices et compliquées pour toute personne extérieure à leur conception. « J’ai réduit mes cours magistraux à la faculté de droit, mais je suis pleinement disposé à vous appuyer, et vous apprendre des choses. » Comme un professeur. Prenez-moi pour votre enseignant. Sorrento a envie de préciser son propos, mais se retient. Ce genre de propos est tendancieux, incorrect pour un homme endeuillé tel que lui. Une nouvelle gorgée, cette fois, elle lui semble plus amère, presque écoeurante. Il est devenu si familier à l’alcool, que ses limites en sont amoindries. Installé dans le fond du canapé, avec les jambes croisés, Nolan observe attentivement – pour ne pas dire scruter – le bas du corps de son corps. Ses jambes sont parfaites, cachées sous son jean. Elle se tient tout près de lui, avec son propre verre. Motivé par d’obscures raisons, Sorrento s’avance vers elle sur le canapé, afin de réduire à peau de chagrin la distance entre leurs corps, lesquels se frôlent. Au moindre mouvement, même maladroit, leurs jambes ou leurs bras n’échappent pas au contact physique. « Vous m’êtes… étrangement familière… » constate-t-il, pour détendre l’atmosphère, avant de rire doucement. « Et sympathique. » Et ça, c’est peu donné à tout le monde.

total eclipse of the heart · sorrentha ((15 août 2022, appartement de nolan sorrento, début de soirée))

“Come up to meet you, tell you I'm sorry. You don't know how lovely you are. I had to find you, tell you I need you. Tell you I set you apart. Tell me your secrets and ask me your questions. Oh, let's go back to the start. Running in circles, coming up tails. Heads on a science apart. Nobody said it was easy. It's such a shame for us to part. No one ever said it would be this hard. Oh, take me back to the start. I was just guessing at numbers and figures. Pulling the puzzles apart. Questions of science, science and progress. Do not speak as loud as my heart.” (the scientist ▴ coldplay) ✧  @Samantha Twombly



Un sourire en coin se dessine spontanément au coin de sa bouche, alors qu’ils se trouvent désormais tous deux très proches l’un de l’autre. Physiquement parlant. Face à cette table basse moderne, de designer, Nolan et Samantha dégustent cet excellent cru en se tenant à quelques millimètres. Seulement quelques millimètres les séparent. Nolan y pense parfois. Souvent, même. Un peu trop souvent, à force de boire des gorgées de ce vin rouge italien. « Vous n’avez pas idée, Samantha. » répond-il, lorsqu’elle affirme devoir se montrer particulièrement convaincante pour mériter tous ses conseils. « J’attends que vous m’impressionniez. » renchérit l’universitaire en riant doucement, ses doigts épais se refermant délicatement sur le verre à pied, avant de porter une nouvelle gorgée amère de son vin à ses lèvres. Il l’est déjà, en réalité, conquis par sa personnalité, son charisme et sa beauté magnétique. Une beauté chaude, blonde, laiteuse. Nolan désire maintenant l’être par son projet. Lui aussi est frappé par la proximité de leurs corps, mais tient à rester sur la défensive, contrairement à ses vieilles habitudes de sauter sur la première femme qui s’approche de trop près de son canapé. Leurs cuisses s’effleurent par moments, ou leurs bras. Des coups furtifs, qui les intimident tous les deux, sans qu’ils ne soient pour autant capables d’admettre l’attirance indéniable qui s’exprime de leur gestuelle corporelle. Nolan Sorrento espère que son interlocutrice se montrera la plus convaincante possible, la plus synthétique surtout. Il aime les exposés clairs, concis, efficaces, loin d’être des thèses de plus de cinq-cents pages. Nolan confesse à lui-même être persuadé d’avoir déjà rencontré Samantha quelque part. Au fond de lui, il est convaincu qu’elle ne lui est pas complètement inconnue. Samantha affirme pourtant qu’il n’a jamais eu l’occasion de la connaître. Ce à quoi, il grommèle : « Vous avez sans doute raison… » Sorrento n’insistera pas, et préférera garder ses soupçons dans un coin de sa tête pour le moment.

Nolan plisse lentement les yeux, lorsqu’elle reprend ses précédents compliments pour les appuyer avec une assurance irrésistible. « Très drôle, hum… » répète-t-il, plus pour lui-même qu’à l’intention de sa chère et future collaboratrice. « C’est une qualité très appréciable en amitié. » Mais pas seulement, se retient-il d’avouer, un peu trop grisé par la chaleur qui émane de sa cheminée électronique et du vin rouge qui lui monte aux joues. « Vous savez, les collaborateurs deviennent parfois des amis. » Et parfois autre chose… « Peut-être que nous le deviendrons à force de discuter et de partager des blagues ensemble ? J’ai également beaucoup d’humour. Enfin, je connais quelques plaisanteries un peu douteuses, mais… elles font toujours leur petit effet. » souffle-t-il en gigotant nerveusement les épaules, désirant se vanter tout en regrettant de vouloir susciter son intérêt. Un intérêt autre que professionnel. Qu’elle puisse l’apprécier, devenir son amie ou bien plus n’est pas une considération qui doit occuper son esprit en période de deuil. Nolan jette alors un discret coup d’œil vers sa montre. Il est encore tôt, mais il espère secrètement qu’elle restera jusqu’à une heure particulièrement indue, afin de justifier qu’il doive la raccompagner dans son appartement ou sa maison, ou… pourquoi pas… Non. Nolan se crispe brusquement, en réalisant ce qu’il s’est apprêté à envisager. Non, elle ne doit pas rester ici. C’est pourtant ce qu’il a spontanément pensé et désiré avec force. Qu’elle reste toute la nuit, avec lui. Qu’elle lui fasse oublier tout son chagrin, que tous ses soucis se volatilisent comme par magie sous le coup de leurs corps qui se mouvent l’un contre l’autre, que leurs peaux brûlent contre la moquette rigide de son salon, que ses râles et soupirs de plaisir résonnent entre les murs glacés de son appartement luxueux et que l’odeur de leurs parfums réciproques, du sexe et de leur moiteur embaume la pièce entière. A cet instant, il se surprend à avoir une pensée fugace. Terriblement obscène. Il s’imagine la prendre contre sa moquette, directement au sol, les paumes plaquées contre le sol et le bassin réalisant de profondes et répétées ondulations contre ce corps qu’il devine exquis.

Est-ce qu’elle le trouve intéressant, agréable, beau ou sympathique ? A peine s’est-il posé la question, que Samantha le devance. « Vous aussi vous m’êtes sympathique, Nolan. » En réponse à cela, Sorrento cligne des yeux. Une étrange chaleur embaume son visage d’une légère couleur cramoisie. Elle le trouve sympathique. Elle n’est pas indifférente. C’est un début, et c’est très important en affaires – en affaires, bien sûr. Nolan se voile encore la face. « Bien… » murmure-t-il, flatté au point d’en avoir le souffle court. Il est pour l’instant incapable de rassembler ses pensées sans avoir l’air complètement perturbé. Elle l’achève par une nouvelle phrase, mais un détail l’interpelle : elle fuit son regard. Nolan l’observe, alors qu’elle s’adresse à son verre. « Sinon je ne serais pas ici » Nolan rit alors. Un léger rire joyeux, amical et même amusé. Sa soudaine réserve, alors qu’elle s’est montrée si pleine d’assurance un peu plus tôt, le désarçonne. « Et moi non plus. » renchérit-il d’une voix… étrangement rauque, alors qu’il vient capturer ses beaux yeux bleus.

Installé confortablement sur le grand canapé en cuir, son verre de vin en main, Nolan Sorrento repense aux derniers mots de Samantha. “A notre collaboration.” lui -a-t-elle dit, avant de trinquer le cristal de son verre contre celui de Sorrento, dans un léger tintement. Leur collaboration s’annonce plus que fructueuse, intéressante et pleine de surprises, à dire vrai. Plus Sorrento boit, et plus il se laisser aller. Vraiment aller. Il écoute ses explications avec plusieurs expressions – parfois avec un large sourire, apparemment impressionné par la culture pharaonique de son interlocutrice, d’autre fois avec un sourcils levé en signe de consternation, ou de vif intérêt. Une légère dilatation de ses pupilles témoigne d’un intérêt puissant, insidieux et dangereux. « Bien sûr, ce dont vous me parlez est une technique encore… hypothétique à notre époque. » Elle l’est moins à l’époque de Nolan, mais… pas encore suffisamment développée. Peut-être que dans le monde d’origine de Samantha, le téléchargement de la conscience est une technique accessible, libérée de différents tabous éthiques, juridiques ou technologiques, mais surtout… possible. « J’ai étudié ces travaux, en effet. » souffle-t-il, légèrement crispé. Nolan ne la quitte pas une seule seconde de son regard intense, légèrement dilaté. Son intelligence l’envoûte littéralement. « Le projet Blue Brain, tout comme le projet NeuroSpin, sont des rêves, Samantha. Pensez-vous être capable de les rendre possibles ? » l’interroge-t-il, non dans le but de mettre en doute ses compétences, mais d’obtenir plus d’informations d’elle. Qui est-elle, réellement ? « Pouvez-vous… réaliser des rêves ? » Nolan reprend après avoir marqué une pause. Son souffle n’est désormais plus qu’un râle brûlant, alors que leurs visages dépassent toute décence en s’approchant inconsciemment.

« Je dois dire que vous m’impressionnez par votre audace. Vous vous attaquez à un projet qui pose d’immenses difficultés, et les obstacles sur votre chemin seront très nombreux, sachez-le. » Pas seulement juridiques, a-t-il envie de préciser. Le concept même de la numérisation des cellules du cerveau humain relève pour l’instant de la science-fiction. Nolan Sorrento n’est pas étranger au concept de transhumanisme, très attirant sur le papier, mais délicat à mettre en œuvre, en poussant toujours plus loin les limites de l’intelligence et de l’éternité. Nolan a tant de questions à lui poser, en réalité. Pour que ce projet puisse fonctionner comme elle l’entend, il convient de posséder des moyens techniques et logiciels permettant la fabrication d’un cerveau synthétique susceptible de recevoir le modèle cognitif. Un réceptacle suffisamment puissant, mais surtout fiable, afin de recevoir la numérisation complète de ces cent milliards de cellules nerveuses qui composent le cerveau humain et en font toute sa complexité. « Vous nous offririez l’éternité, Samantha. » murmure-t-il à bout de souffle, en déglutissant, pendu à ses beaux yeux azurs et à ses lèvres pulpeuses. « Mais qui êtes-vous donc… » Il chuchote, en bougeant à peine ses lèvres légèrement humides de vin rouge, en rompant les quelques millimètres qui séparent leurs corps, pour que ces derniers se frôlent enfin. Leurs genoux rentrent en contact direct, tout comme leurs cuisses et leurs avant-bras. Quant à leurs lèvres, elles restent à bonne distance, mais la proximité de leurs visages rend toute tentative de fuite vaine et inutile.

Nolan n’a jamais eu l’intention de lui poser clairement la question. Les mots s’échappent malgré lui de sa bouche, alors qu’il intensifie son regard. Nolan dévore ces deux orbes bleus, se noyant dans leur immensité comme dans une étendue d’eau turquoise. « Ne vous excusez-pas. Jamais. » Il pose machinalement sa main sur la sienne, celle qui tient son verre de vin, afin de lui faire comprendre que ses doutes sont injustifiés. Paternaliste, passionné et tendre, Nolan Sorrento se découvre de nouvelles facettes en compagnie de Samantha. « Votre projet est suffisamment abouti pour m’intéresser. » Un sourire se dessine sur son visage impassible. « Je vous assure. » Il insiste pour la rassurer, mais… depuis quand se soucie-t-il vraiment du fait de rassurer ses collaborateurs sur leurs propres compétences ? Cela aurait été n’importe qui d’autre, il l’aurait fustigé. Il se serait énervé, prétextant perdre un temps précieux dans des chimères, dans des théories fumeuses qui ne peuvent, à ce jour, être matériellement réalisables, faute d’un système logique destiné à la reproduction du fonctionnement du cerveau humain, ou d’une technologie en mesure du numériser tous les aspects dudit cerveau. « Ayez confiance en vous, Samantha. » Le sourire de Nolan s’élargit malgré lui, et ses doigts s’enroulent doucement autour des siens, pour qu’elle ne lâche ni son verre, ni sa main. « Vous m’intéressez. » Parle-t-il seulement du projet ou d’elle ? « Je viens d’un monde où ce genre de choses est devenu réalisable, bien qu’elles ne fassent pas encore partie de notre quotidien. Cela reste considéré comme hors du commun pour certains. » reprend-il, sans la quitter des yeux. « Et dans le vôtre, parce que ne nous voilons pas la face plus longtemps, nous ne sommes pas originaires de cette île… Lorsque je vous écoute, j’ai le sentiment que dans votre monde, c’est… presque… » Il dévore chaque ride d’expression, chaque éclat dans le bleu azur de ses iris, chaque rictus au coin de sa bouche. Cette bouche… Pulpeuse, charnelle. Un appel au crime. Nolan a beaucoup trop bu. Ses yeux dévient parfois sur sa bouche, et cela le rend si perplexe, qu’il s’interrompt spontanément dans ses tirades. « … monnaie courante. Je… Ahem. » Nolan reprend ensuite contenance, en se raclant la gorge, pour repartir à la conquête des orbes océaniques de son interlocutrice avec insistance, afin de ne pas se laisser tenter une fois encore par la luxure. « Je pense que vous devez venir d’un monde où tout est possible, où tout est matériellement stable, où vous êtes probablement en contact quotidien avec des intelligences artificielles. » Et il n’a pas idée, vraiment pas idée, de qui est vraiment Samantha.

total eclipse of the heart · sorrentha ((15 août 2022, appartement de nolan sorrento, début de soirée))

“Come up to meet you, tell you I'm sorry. You don't know how lovely you are. I had to find you, tell you I need you. Tell you I set you apart. Tell me your secrets and ask me your questions. Oh, let's go back to the start. Running in circles, coming up tails. Heads on a science apart. Nobody said it was easy. It's such a shame for us to part. No one ever said it would be this hard. Oh, take me back to the start. I was just guessing at numbers and figures. Pulling the puzzles apart. Questions of science, science and progress. Do not speak as loud as my heart.” (the scientist ▴ coldplay) ✧  @Samantha Twombly



Nolan se resserre tout en écoutant la jeune femme confesser son faible pour « les blagues graveleuses ». Un léger rire s’échappe de ses lèvres, – doux et sincère. Un rire qu’il exprime en de très rares occasions. Ce n’est donc pas donné à tout le monde, c’est même un sacré privilège. Nolan est en temps normal taciturne, autoritaire, condescendant et méprisant. Son arrogance et son égocentrisme l’empêchent d’être généralement apprécié des personnes qu’il rencontre. Nolan a assez tôt appris à se montrer le plus détaché en société et impitoyable en affaires. Qu’importe sa réputation, tant qu’il se creuse une petite place au soleil, au prix de la liberté ou du bien-être d’autrui. Là, maintenant, Nolan est comme désarmé. Personne à impressionner, l’alcool coule à flot, elle a connaissance de certaines parts d’ombre relatives à sa vie ou à sa personnalité. Pas toutes, fort heureusement. Samantha pénètre dans la sphère intime de Nolan Sorrento. Petit à petit, elle creuse son chemin dans son esprit, qui s’obnubile de plus en plus à son sujet. Sorrento se surprend à avoir des réflexes de flirt, ce qui ne lui est pas arrivé depuis… Qi’ra. C’est tôt, bien trop tôt pour espérer tourner la page d’une relation aussi forte et complexe qu’avec sa femme, et sûrement pas avec la première venue, mais quelque chose dans Samantha défie toutes les règles. Elle lui donne le sentiment d’exister, d’être vivant. Nolan est comme en gravité en sa compagnie. « Une preuve de plus que nous sommes faits pour nous entendre. » Le léger rouge colorant les joues de sa future partenaire en affaires l’intrigue fortement. Il n’y a rien dans sa phrase qui légitime un tel embarras, à moins que cette dernière doive être prise en son sens inverse. Non pas comme une déclaration d’amitié, mais comme quelque chose de plus insidieux, de plus profond encore. Nolan ne le confesse pas, et encore moins à lui-même, mais cette éventualité l’attire tout en le repoussant. Oui, ils sont probablement faits pour s’entendre et même pour être ensemble. Une symbiose évidente émane de leur gestuelle, de leurs mots, de leurs points communs. Ils ne se connaissent pas encore, et les voilà déjà en train de rire en échangeant quelques coupes d’un excellent vin rouge italien. Nolan ne peut demander mieux. Samantha est exactement tout ce dont il a besoin en ce moment, d’une amie et rien de plus. Rien de plus… ? Loin d’être émotionnellement stable, l’optique d’une nouvelle relation amoureuse l’effraie, tout en l’attirant irrésistiblement parce qu’il s’agit « d’elle » et non pas d’une autre. Elle l’attire, c’est indéniable. Physiquement, elle est parfaitement son type de femme. Son plus grand fantasme. Les blondes… Nolan a toujours craqué pour les blondes à la peau laiteuse. Caractériellement… Plus il apprend à la connaître, plus elle lui donne envie de creuser davantage jusqu’à déterrer ses plus honteux secrets. Le vin aide beaucoup à le dérider quelque peu, car le voilà de plus en plus proche. Leurs cuisses collées l’une contre l’autre, et ses mains de plus en plus baladeuses se promènent de son verre au genou de la jeune entrepreneuse. Jeune… Sûrement bien trop jeune pour lui. Trop belle aussi. Trop… Et lui, lui n’est qu’un homme endeuillé, qui cherche à tromper son chagrin et sa solitude dans du vin rouge et une charmante compagnie, tout en prétendant ne pas être capable de trouver une autre femme que sa défunte épouse attirante par pure culpabilité. Les émotions qui traversent Nolan Sorrento à cet instant sont fortement contrastées et difficilement acceptables à son humble avis.

Sorrento savoure de temps à autres quelques gorgées de ce précieux nectar fruité. Il raffole du vin rouge italien. Samantha a vraiment vu juste. Il ne précipite rien, pour que chaque dégustation dure le plus longtemps possible. Elle évoque son projet avec un enthousiasme qui le fascine. Les rêves sont des rêves tant qu’ils n’ont pas été réalisés. Persuadée que son projet est un rêve réalisable, elle cherche à le convaincre de la viabilité de ce dernier, tout comme de sa détermination profonde à lui faire dépasser le champ de l’immatériel. Samantha est jeune, bien jeune. Lui aussi, s’est montré passionné la première fois. Cela procure toujours cet effet-là. Toutes les premières fois ont de l’importance, quelles qu’elles soient. Sorrento est plus mesuré, moins empressé qu’elle, mais cela est dû à sa grande expérience. (non mais comment il se la raconte, elle est plus âgée que lui mais il sait pas en même temps) Silencieux dans un premier temps, il meuble un blanc en soufflant quelques mots, d’une voix traînante, mais chaude : « Que recherchez-vous dans ce cas ? » Elle prétend qu’il ne s’agit ni de l’immortalité ni de l’éternité. Sorrento peine à identifier une autre finalité que celle-ci. Loin de se montrer aussi arrogant que d’ordinaire en face de personnes qui lui affirment des notions abstraites ou des objectifs qu’il considère comme irréalistes, il affiche une expression très neutre et ouverte à la contradiction. (c’est vraiment pas donné à tout le monde) Elle change ensuite de sujet, Nolan l’en remercie mentalement. Il se retient de lui poser cette question brûlante depuis qu’elle est entrée dans son appartement. « Ah…. Oui, nous ne venons pas du même monde, vous et moi. » Sorrento en est persuadé. Elle n’est pas originaire de Colombus. Elle vient d’ailleurs. (X Files bonjour) « Parlez-moi un peu de votre monde… Qu’est-ce que vous regrettez le plus, Samantha ? » murmure Sorrento en prenant les devants. « Je vous ressers… » Plus elle boira, et plus elle se montrera toujours plus audacieuse et loquace. Plus Nolan apprendra des choses qu’il persiste à considérer comme utiles. Ces choses le sont, parce qu’elles viennent d’elle. 2042. Samantha Twombly est née en 2042. C’est la première information qu’elle lui confie, sans crainte. Il comprend alors toute sa réflexion précédente sur les intelligences artificielles, dans son époque, la technologie semble beaucoup plus évoluée que dans son Colombus des années 2045. Tout en humectant ses lèvres dans le vin, Sorrento réalise brusquement qu’il est prêt à tout entendre, sauf certaines frivolités… comme ce qu’elle lui annonce avec une désarmante sincérité. « Vous avez été programmée en 2042 ? » répète l’enseignant en droit, hébété. « C’est… » souffle-t-il, à deux doigts de la heurter. C’est… c’est impossible. « Vous me surprenez… » Que peut-il dire de plus sans la vexer ? Rien. Il fait alors mine de la croire, acquiesçant en silence, tout en digérant l’information. « J’en tombe des nues. » Littéralement, oui. Il a même failli recracher le contenu de son verre. Nolan Sorrento a bien envie de la mettre en doute. Cette théorie est tout bonnement… fumeuse à souhait. Nolan cligne des yeux, dévisageant le visage parfait de son interlocutrice et le verre de vin à moitié entamé de cette dernière, ainsi que le sien. Elle en est à son combien de verre de vin ? Et lui-même, combien de fois a-t-il dégusté de si délicieux cru italien ? Nolan s’imagine perdre la tête durant quelques secondes pour justifier de telles confessions absurdes. « J’étais l’intelligence artificielle. » Alors qu’il pense qu’elle ne peut s’enfoncer davantage, voilà qu’elle lui assène le coup de couteau final. Elle poursuit, certaine de ce qu’elle affirme avec panache. Nolan éprouve le besoin de se refaire la scène au moins dix fois dans un coin de son esprit. C’est tout bonnement surréaliste. C’est impossible. Une intelligence artificielle ne peut être capable de prendre une forme humaine. Ni maintenant ni jamais. Quel que soit le monde ou l’époque. Sorrento est dépassé, affligé et profondément… déçu. Samantha Twombly n’est pas tout à fait la femme qu’il espère rencontrer ce soir, la collègue de travail et partenaire en affaires parfaitement saine d’esprit, sans ténèbres. Elle possède apparemment ses propres démons, d’une nature plus psychologique qu’il ne l’a dans un premier temps cru. Nolan est familier de ce genre de troubles. Charlotte en a eu aussi, d’une autre sorte. La drogue, l’addiction, la dépendance affective… Il a dû gérer ces troubles de la personnalité et ces addictions autant que possible. Au prix de se perdre lui-même. Peut-il envisager un partenariat avec une femme aussi compliquée ? Est-ce qu’il est réellement prêt à veiller sur elle, à être la personne attentionnée et compréhensive qu’il n’a jamais vraiment été, – à l’exception de sa tendre sœur, Charlotte ? Pourquoi devrait-il prendre soin d’elle, après tout, que connaît-il vraiment d’elle ? Samantha n’est qu’une partenaire de travail hypothétique, rien de plus. Un contrat d’affaires, rien de personnel. Aucune implication émotionnelle. Nolan doit s’en ficher comme de sa première Rolex, mais… Quelque chose l’attire follement chez elle. Nolan se surprend à vouloir… prendre soin d’elle, comme d’un oiseau blessé. Inconsciemment, il dépose une main sur sa cuisse, probablement un peu trop en hauteur pour que cela soit totalement innocent. « Comment avez-vous pu… prendre forme humaine ? » Là est la plus brûlante des questions, celle qu’il lui susurre à l’oreille, après avoir rompu les derniers millimètres de décence entre eux. Cette information, couplée à l’abus d’alcool et la solitude, le rend plus audacieux. Il s’approche pour lui faire humer dans le même temps l’odeur de son eau de Cologne hors de prix