Il y a plusieurs décennies de cela, Tom se trouvait en compagnie du professeur Slughorn dans son bureau après l’un de ses fameux diners très sélects. Le jeune Voldemort faisait partie de ces élèves triés sur le volet que Horace affectionnait tout particulièrement — il les collectionnait, selon les dires de Dumbledore au cours d’une conversation avec Harry. Si le Maître des Potions était surpris de voir que son précieux trésor était encore dans les parages alors que les autres élèves du club avaient quitté les lieux depuis un moment, il était encore plus étonné par ce que son préféré lui raconta : « I was in the library the other day, in the Restricted Section. » Tom marquait une pause. Bien qu’il fût parfaitement conscient de ce qu’il était en train de faire, Jedusor tint son rôle d’élève curieux et innocent devant son professeur en adoptant un ton faussement léger et intrigué. « And… I read something rather odd about a bit of rare magic. It's called, as I understand it...a Horcrux. » Tom posait sur Horace un regard froid, attentif à la moindre de ses réactions. Son ainé déglutissait, se demandant même s’il avait bien compris la question de son élève : « I beg your pardon? » Tom reprit, non sans une certaine jubilation derrière son masque de candeur et d’innocence désintéressée : « A Horcrux. I came across the term while reading and I didn't fully understand it. » Slughorn blêmit. Il était clairement horrifié. Qu’avec donc son élève le plus brillant derrière la tête ? Comment avait-il eu connaissance de cet artefact maléfique ? Il faisait part de son trouble à son trésor en remettant en doute ses lectures, mais Tom sut le rassurer en lui expliquant que c’était en raison de l’étrangeté de cette magie qu’il était venu le voir. Plus la conversation avançait, et plus le Maître des Potions se sentait flancher, incapable de supporter l’horreur qui se préparait en sous-bassement. Pourquoi diable Tom voulait-il savoir tous ces détails ? Pourquoi diable se montrait-il aussi détaché et chirurgical dans ses questions dérangées ? Le froid et le stoïcisme du concerné effaraient le vieil homme et comme s’il cherchait à se rassurer, il demandait d’une petite voix : « This is all hypothetical, isn't it, Tom? All academic? » Jedusor se tourna alors vers lui. Son sourire était autant doux que malsain, rassurant que dangereux. Ne parlons pas de son regard qui, en plus de tout le vice qu’il contenait, se révélait faussement angélique et lénitif. « Of course, sir. It'll be our little secret. »

Si ce souvenir était capital pour le professeur Slughorn, parce qu’il était la pierre angulaire de sa honte profonde, il était tout aussi important pour Tom Jedusor. Il était le point de départ de sa course contre sa nature mortelle, mais aussi la confirmation que son intuition avait été jusqu’ici juste : il pouvait effectivement diviser son âme plus d’une fois. Une porte ouverte à toutes les dérives. S’il avait estimé à l’époque que sept horcruxes étaient suffisants, en raison de la puissance magique que garantissait ce chiffre, ce n’était plus le cas aujourd’hui. Voldemort était aux abois. Depuis qu’il savait que son médaillon était entre les mains de Regulus Black sur cette ile, n’importe qui pouvait tomber dessus et les conserver à leur guise, voire pire, s’ils apprenaient la nature des objets qu’ils avaient entre les mains. Il se sentait d’autant plus en danger depuis qu’il avait croisé la route d’Albus Dumbledore. Le fait qu’il ne parvienne pas non plus à réunir des fidèles autour de lui rendait sa situation d’avantage précaire. Dans son malheur, il avait fort heureusement Nagini à ses côtés. Mais ce n’était malheureusement pas suffisant à ses yeux. Il lui en fallait toujours plus pour se mettre à l’abri alors, tant que son corps le lui permettra, il continuera de créer des horcruxes. La machine se mit en branle avec le Retourneur de Temps qu’il avait volé à Albus Potter après l’avoir tué dans sa boutique. Tom ignorait que le façonnage de ce nouvel horcruxe n’avait pas fonctionné pour de multiples raisons. Sa situation restait toujours aussi fragile.

Toutefois, un nouvel événement survenu tout récemment lui donna une nouvelle idée pour s’assurer de la sécurité de ses nouveaux horcruxes. La ville lui offrait l’opportunité de voyager à travers l’espace et le temps. Il en avait eu la preuve en ayant la très désagréable surprise de rencontrer sa mère au cimetière de Little Hangleton après qu’elle eut été attaquée par deux moldus. Il pensait en avoir le contrôle de ces voyages depuis qu’il était en possession du Retourneur de Temps, mais en réalité, c’était la ville qui décidait pour lui. Tant qu’il croyait le contraire… Elle pouvait faire ce qu’elle voulait de lui. Ainsi, avec ce voyage spatio-temporel, Tom pensait qu’il serait judicieux de cacher et/ou créer ses horcruxes dans d’autres espaces-temps, histoire de rendre leur recherche plus difficile, voire impossible, pour quiconque souhaitera les détruire. Autant vous dire qu’il jubilait totalement d’avoir eu l’intelligence de penser à cette ingéniosité et surtout de mettre des bâtons dans les roues à Dumbledore ou toute personne étant sur sa trace. Pour mettre en branle son plan le plus rapidement possible, il se prémunissait du Retourneur de Temps, le réglait pour voguer au temps où il était membre du club de Slughorn. Il avait l’idée folle d’altérer définitivement ses souvenirs pour changer le cours de l’histoire en plus de cacher son horcruxe et provoquer un bazar monstre. Toutefois, à la plus grande surprise de Tom, le Retourneur ne réagissait pas. Frustré, il recommença les réglages, mais toujours rien. Depuis quand sa magie li résistait-elle ? En colère, il balançait le Retourneur à l’autre bout de la pièce. Puis l’impensable survint. Tom était comme happé par une faille qui venait de se créer dans le sol. Pas le temps de réagir, une vive lumière l’aveuglait, le tirait. Noir total pendant un temps qu’il ne saurait quantifié, il s’évanouit.

Lorsqu’il se réveillait, il était allongé sur un sol carrelé et froid au beau milieu d’un couloir. Tom avait la tête engourdie, lui faisant presque mal. Il avait du mal à se redresser d’ailleurs, comme si la chute avait été douloureuse — il était sonné. Le restant du couloir n’était pas plus chaleureux que le sol et Tom ne se demanda pas bien longtemps où il se trouvait puisqu’il reconnaissait, non sans colère, l’endroit — il était dans un des couloirs de l’orphelinat qui l’avait accueilli jusqu’à sa majorité, hors des périodes scolaires. Il savait qu’il était en 1937 comme l’endroit était la copie conforme de celui à l’époque de ses onze ans. Il en aurait la confirmation dans quelques secondes — il entendait des pas précipités et des rires moqueurs dans le couloir adjacent. « Reviens là, sale taré ! » Un petit garçon âgé probablement de onze ans apparaissait à l’angle du couloir, courant et haletant. « Rends-moi ma montre, Tom ! » Il était pourchassé par deux autres garçons de son âge. Tom était perturbé de se revoir à cet âge, encore plus quand le trio passait devant lui sans visiblement le remarquer — il ne le voyait pas, un peu de la même manière que Harry dans le souvenir enfermé dans l’Horcruxe du Carnet. Le pire, c’était que Tom se souvenait parfaitement de ce moment, ce qui lui arrachait un frisson effroyable. Quand le trio disparaissait à l’angle au bout du couloir, Tom leur emboitait le pas, sachant ce qu’il se passerait ensuite. Il était au sol, en train de se faire cogner par les deux autres, tentant tant bien que mal de rendre les coups. « Lâchez-moi ! » Ils ne voulaient rien entendre : « T’es qu’un voleur ! Rends-la-moi ! » Il serrait fermement la montre contre lui pendant qu’il se faisait battre et insulter. « LACHE. MOI ! » Aussi petit Tom soit-il, sa voix était complètement désincarnée et terrifiante quand il hurlait contre son assaillant. Dans le même temps d’ailleurs, ce dernier finissait brutalement collé au mur, comme par magie. Son ami, aussi courageux que lui, prit immédiatement la fuite. Tom était donc seul avec celui qui avait fait saigner son nez. Il était si en colère que les lumières au plafond crépitaient et clignotaient. L’autre s’agitait, ses jambes se débattant avec dieu seul savait quoi dans le vide, suspendu contre le mur. « Excuse. Toi. » martelait Tom, le visage voilé et ses yeux prenant une teinte plus noire. L’autre était incapable de répondre. C’était comme si une force invisible était en train de serrer son cou, rendant sa respiration particulière pénible. Tom s’avançait d’un pas. « Excuse. Toi. J’ai. Dit. Dépêche-toi ! » Une ampoule explosait sous le haussement de ton de Tom. Sa victime suffoquait clairement à cause de cette force mystérieuse. Il était paralysé par la peur devant Tom, et parvenait, péniblement, à bredouiller quelques excuses étouffées. Aussi soudainement qu’il avait été plaqué contre le mur, en hauteur, le garçon retombait lourdement sur le sol. Tom enfant regardait sa victime fuir avec un détachement à glacer le sang, sous les yeux de Tom adulte toujours posté en retrait de la scène. I can make bad things happen to people who are mean to me. I can make them hurt… if I want. Cet interlude n’était que les prémices, les signes avant-coureurs du monstre qu’il deviendra et qui gagnerait en puissance. En entendant d’ailleurs les pas précipités de Mrs Cole, Tom enfant se dépêcha de retourner dans sa chambre en passant, comme si de rien n’était, devant Tom adulte qui le suivait. Par la suite, il s’observait en train de ranger précieusement l’objet volé dans sa boite cachée dans son armoire. Assez rare pour être noté, Tom enfant souriait d’un bonheur infini en observant tous les objets qu’il avait amassés dans une si petite boite. Tout ça… Ça n’était qu’à lui. Rien qu’à lui. Il était même fier de lui d’avoir collecté autant de trouvailles, se moquant de son nez qui n’avait pas cessé de couler depuis. Le jeu en valait la chandelle, estimait autant l’enfant que l’adulte. Néanmoins, Tom enfant ne s’attardait pas trop, s’empressant de remettre sa petite boite à trésor dans sa cachette au cas où Mrs Cole rappliquerait. Il refermait son armoire, essuyait grossièrement son nez avec la manche de son pull puis reparti aussitôt de sa chambre.

En revanche, le Tom adulte et du présent restait plantait là. Il ne se sentait pas particulièrement en colère ou frustré comme ce fut le cas durant son enfance en étant ici. Il était… étrangement décontenancé, voire… triste ? Vaseux ? Lui-même ignorait ce qui le traversait, parce qu’il n’avait été familier avec la moindre émotion, pas même les siennes. Il n’aimait pas être ici, dans sa chambre qui avait accueilli ses tourments d’enfant et d’adolescent, c’est certain et pourtant il y trouvait un certain réconfort, surtout lorsque sa version de lui enfant avait sorti cette boite de son placard. Il ne pouvait peut-être pas le voir, mais leurs émotions étaient visiblement connectées. C’est pour cela que Tom jugeait que la montre serait l’objet parfait pour son prochain horcruxe quand il ressortit la boite et qu’il prit l’objet entre ses mains, l’examinant sous toutes ses coutures ou le caressant encore du bout de ses doigts non sans une certaine obsession. Elle était simple, même très insignifiante et bon marché, mais le kleptomane et collectionneur avide qui l’était ressentait une grande satisfaction en ayant l’objet entre les mains. Il comprit que s’il voulait créer des horcruxes plus puissants que les sept premiers, il fallait qu’il soit confronté à des moments charnières de son passé. D’abord Merope, puis cette bagarre avec ces animaux. D’ailleurs, il avait décidé que son agresseur, quand il était enfant, servirait à la création de l’horcruxe. Il trouverait un moyen de traverser le voile qui le séparait des gens de cette temporalité et de l’assassiner de sang-froid. Tom fourra la montre dans la poche de sa veste, remit tout en place et quitta son ancienne chambre. Tuer cet enfant perturberait le cours de l’espace-temps puisqu’il se croyait dans son véritable passé et non dans une faille créée par l’ile. Mais cela ne le dérangeait pas outre mesure de changer le cours de l’histoire, surtout en se débarrassant de quelque chose d’aussi insignifiant que cet enfant moldu sans famille. Qui irait se plaindre ? Personne. Muni de sa baguette, Tom empruntait le couloir par lequel sa future victime s’était enfuie tout à l’heure. Toutefois, au bout du couloir, il reconnaissait une silhouette qu’il connaissait que trop bien et qui le tétanisait sur place en plus de le plonger dans une fureur sans nom. Il avait même l’impression que son cœur était à deux doigts de le lâcher tant il était déstabilisé par cette présence. Comment avait-il fait pour le retrouver ? La mâchoire de Tom se crispait, son regard devenait soudainement mauvais avant qu’il ne reprenne le contrôle de lui-même et qu’il redevienne de marbre. Ne rien laisser transparaitre… Ses lèvres s’habillaient même de cet éternel sourire qui avait dupé tant de gens, mais pas l’homme à l’autre bout du couloir. « Albus. » sifflait-il sous couvert d’une fausse douceur et bienveillance. Lentement, Tom réduisait la distance entre eux. « Quelle surprise. Un hasard ? » Sa voix était trainante, accentuée par endroit à cause les consonnes sifflantes qui glissaient entre ses dents. « Ou alors, » Il marquait une pause. « cela relève véritablement de l’obsession, de me suivre partout comme tu le fais. » En le tutoyant et en l’appelant par son prénom, Tom avait l’impression d’avoir le dessus sur son ennemi de toujours et de contrôler la situation alors qu’il n’en était absolument rien. Preuve en était qu’il refusait depuis quelques minutes de s’approcher davantage de Dumbledore alors qu’il y avait encore quelques mètres qui les séparaient. « Que me veux-tu cette fois-ci ? N’ai-je pas le droit de me balader en paix dans les dédales de mes souvenirs ? » Ce petit air détaché et innocent prenait peut-être avec le professeur Slughorn, mais pas ici. Était-ce lui d’ailleurs qui l’avait entrainé ici alors que Tom voulait se rendre, à la base, à un tout autre endroit de son passé, pensant encore que le Retourneur de Temps était la cause de tout ceci ? Tom n’entendait plus que son cœur froid et atrophié tambouriné contre sa poitrine, remontant même jusque dans sa gorge à cause de la peur qu’il ressentait présentement.