Dogs never bite me, only humans do [Irene]

Dogs never bite me, only humans do

feat. Irene

En plein après-midi et en pleine semaine, le parc le plus proche de la luxueuse demeure des Lecter-Graham ressemble à un parc privé destiné à sa seule contemplation silencieuse du paysage, et au dégourdissage de pattes de ses chers canidés, qu’il ne peut pas tous les jours se permettre d’emmener en forêt, même si l’envie est souvent grande. Le rythme de vie effréné de Will ne l’autorise pas nécessairement à prendre autant soin de ses chiens qu’il ne le voudrait, mais quoi qu’il en soit et en dépit des circonstances, il est hors de question que ses chers animaux pâtissent de son nouveau train de vie, c’est une chose à laquelle Will accorde une importance primordiale. Si tant de vies humaines paraissent l’indifférer, celle de ses chiens ne le fera jamais. Il faut dire que pour Will, s’attacher à ses chiens sera toujours une chose plus évidente que d’appréhender voire d’apprécier le comportement des autres humains. La transparence de leurs émotions ne peut tout naturellement que lui plaire… Les chiens ne trichent pas, et c’est tout à leur honneur.

Alors qu’il marche dans les allées du parc boisé et contourne une étendue d’eau couverte de nénuphars, Will apprécie la beauté du paysage environnant, mais surtout la sensation que ce paysage et cette activité lui procure. Il n’en profite pas nécessairement pour réfléchir à ses actions et à leur portée (quand bien même beaucoup de circonstances le justifieraient amplement), mais du moins pour trouver cet état de calme et de latence dont il n’est pas si simple de bénéficier en d’autres circonstances.

Cet épisode de calme n’était voué qu’à être de courte durée, néanmoins, et Will s’en rendra bientôt compte. Alors que Wilson, le plus intuitif de la meute, se retourne, et s’agite, signe qu’une autre présence s’apprête à perturber, ne serait-ce que temporairement, ce moment de quiétude qui n’est à l’évidence pas déterminé à rester. Will se retourne et découvre dans son dos une silhouette de femme, flanquée également d’un chien. Will rappelle ses chiens à son pied, qui obéissent docilement et trottinent jusqu’à ses jambes.

« Ne vous en faites pas, ils sont inoffensifs », lui apprend-t-il d’un ton neutre.

A moins de flairer une menace, s’abstient-il d’ajouter, bien décidé  à cantonner la discussion au strict minimum… De la même manière qu’il s’évertue toujours, en presque toute circonstance, à restreindre ses conversation à un minimum syndical. Ce qu’il ignore, c’est que la femme à qui il s’adresse est là pour une raison bien précise… et qu’elle ne lâchera pas l’affaire si facilement.

   

Suite à son entretien avec sa cliente, Irène était allée chercher un compagnon à quatre pattes au refuge local. Hadès. Le nom n’était pas vraiment ce qu’elle aurait choisi, mais elle s’y était habituée. Il fallait dire que ce doberman de deux ans faisait peur avec son allure de tueur. En réalité, il était un amour. Ses anciens propriétaires étaient des idiots. Ils lui avaient coupé les oreilles et la queue, le rendant plus impressionnant, mais le faisant souffrir inutilement. Irène avait passé beaucoup de temps à s’occuper de lui. Promenades, jeux, séances d’éducation : elle aimait ce chien. Il écoutait vraiment bien les ordres qu’elle pouvait lui donner. Elle se découvrait un côté protecteur qu’elle n’aurait pas imaginé posséder. Peut-être que le cœur froid et calculateur de la grande dominatrice n’était pas si froid que cela.

Irène s’était déjà promenée plusieurs fois avec Hadès dans le parc le plus accueillant près de la maison de sa cible sans succès. Elle devait avouer que cela ne la dérangeait pas outre mesure, car elle appréciait sincèrement de promener sa petite bête sans arrière-pensée. Pourtant, ce matin-là, elle croisa une meute de chiens et elle sut que sa mission aller débuter.  

- Je n’ai pas fait d’interaction avec autant de chiens pour le mien. Est-ce qu’il y a un moyen de le faire en toute sécurité ?

Irène aurait pu jouer un rôle en prononçant cette phrase, mais elle devait l’avouer, ce n’était pas du tout le cas. Elle était nerveuse à l’idée qu’autant de chiens puissent mal réagir avec Hadès. Elle savait que les interactions entre chiens étaient importantes, mais le passé d’Hadès n’était pas connu. Elle ne savait pas comment ceux qui l’avaient abandonné s’étaient occupés de ses liens sociaux.

- Hadès est un chien de refuge. J’ai déjà interagi avec des chiens de son gabarit ou plus petit, mais seulement à un contre un…

Elle demanda à Hadès de s’asseoir à ses pieds et elle hésita sur la marche à suivre. Devait-elle le remettre en laisse ou bien était-ce dangereux ? Comment faire en sorte que la rencontre de toute cette meute se passe bien ? Elle se posait tellement de questions… Elle n’oubliait pas la mission, mais sa priorité était autre part. Elle ne s’était pas assez préparée à une rencontre de ce type. Sa cliente lui avait bien parlé de plusieurs chiens pour Will, mais elle ne s’était pas attendue à une telle meute.

   

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« Vu le gabarit et la race de ce chien, je m’inquiéterais davantage pour eux que pour lui », affirme Will avec une légère esquisse de sourire, qui disparaît presque aussitôt qu’elle est apparue.

Il n’est certainement pas dans ses habitudes de sourire à tout va, encore moins en présence d’une totale inconnue. La présence des chiens a le mérite de l’amuser un tant soit peu.

« Mais si vous préférez ne prendre aucun risque, je le comprendrais parfaitement », affirme ensuite Will, qui dans tous les cas n’envisage pas de s’appesantir trop longtemps.

Certains profitent de leur chien pour créer du lien social… ce n’est certainement pas le cas du profiler, qui n’envisagerait pas un seul instant de se servir de quelque prétexte que ce soit pour devoir passer du temps en compagnie d’autres individus. Il laisse à ses canidés tout le soin d’être aussi efficaces qu’il ne saura l’être lui-même.

« Hadès, ce n’est pas commun, comme nom », remarque Will qui ne fait pas à son interlocutrice l’affront de lui faire un cours de mythologie, il est plutôt évident que cette dernière ne peut qu’être au courant dans tous les cas. « Cerbère aurait été un nom plus approprié », ajoute-t-il, quoi que son interlocutrice ne lui ait absolument rien demandé, bien au contraire.

Mais ce n’est pas comme s’il cherchait exactement à se rendre agréable pour elle. Son opinion ne le préoccupe pas le moins du monde. De même qu’il ne fait la conversation que d’une façon au fond très superficielle.

Certes, parler de leurs chiens respectifs est une meilleure manière d’occuper le temps de conversation que de devoir laisser dévier le sujet sur le moindre terrain personnel. C’est dans la superficialité des discussions qu’il est le plus confortable. Pas qu’il y prend le moindre plaisir, évidemment, bien au contraire, même… mais disons qu’au moins, il devait ne pas se concentrer sur quelque chose de plus contraignant.

   

Irène eut un sourire coupable sur les lèvres. Prise au piège à son propre jeu…

- Vous avez raison… Je suis un peu mère poule sur les bords, je crois.

Après une bonne inspiration, Irène décida de lâcher Hadès. Ce n’était peut-être pas le mouvement le plus rassurant qu’elle ait fait depuis qu’elle l’avait mais il fallait le laisser expérimenter la vie aussi. La rencontre se déroula sans encombre et elle put lâcher un peu son attention sur son chien pour se concentrer sur sa mission.

- Oui je suis bien d’accord avec vous. Visiblement, les gens du refuge n’étaient pas les plus au courant de la mythologie… C’est mon premier chien, mais je me suis renseignée, ça fait déjà un gros changement pour lui de passer du refuge a chez moi, je n’ai pas voulu lui rajouter une couche avec un autre nom. Vous qui connaissez bien les chiens, qu’est-ce que vous en pensez ?

Irène arrêta un instant de regarder Will pour reporter son attention sur les chiens qui jouaient ensemble. Hadès avait l’air un peu surmené, mais il semblait s’amuser comme un petit fou. Cela amena un sourire tendre sur les lèvres de sa propriétaire.

- Comment s’appellent les vôtres ? Il y en a pour tous les goûts et toutes les tailles !

Elle reporta son regard sur Will. Il fallait qu’elle continue d’entretenir la conversation sur les chiens tant que c’était possible. Elle devait bien avouer qu’elle ne le faisait pas uniquement pour sa cliente, mais pour elle-même aussi. La mission était devenue un poil trop personnelle, mais elle était une professionnelle : elle avait ce qu’il fallait en elle pour reprendre le contrôle de la situation. Du moins, elle l’espérait !

Elle sortit de la poche de son manteau un paquet de biscuits pour chiens. Elle s’en servait pour parfaire l’éducation d’Hadès. C’était un bon moteur d’obéissance.

- Est-ce que vous en voulez pour vos chiens ? Après tout, ils méritent bien un petit quelque chose après s’être aussi bien conduits avec Hadès.

Irène se rapprocha de Will et lui tendit le paquet de biscuits. Elle se cala à côté de lui et commença à marcher dans la direction qu’il avait empruntée en arrivant. Elle s’invitait carrément à sa balade, mais sans en faire la demande. C’était peut-être un mouvement osé, mais elle sentait qu’elle avait besoin de plus d’une conversation de 3 minutes pour parvenir à ses fins.
   

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Si l’on veut connaître un humain et se faire une idée de sa nature, il peut être de bon ton de s’intéresser à la manière dont ils traitent les animaux… Enfin… c’est vite dit. En constatant le soin que Will prend à s’occuper de ses chiens, on pourrait probablement le soupçonner d’avoir grand cœur… Mais en creusant sous la surface, l’affaire est bien différente, évidemment. Will ne s’arrêtera donc pas à ce que son interlocutrice lui apprend pour se décider sur sa nature et sa personnalité… Mais il choisit de le considérer comme un indice, néanmoins… Elle a au moins eu le mérite de chercher Hadès dans un refuge, et non en animalerie, ce qui est déjà un excellent choix.

« Je pense que son nom n’est pas l’essentiel pour lui. C’est nous qui sommes attachés à l’idée de pouvoir les appeler de quelque manière que ce soit », dit-il simplement. En réalité, et même s’il a beaucoup de chiens, il serait malavisé de se prétendre expert en canidés, lui qui n’a jamais voulu se référer à aucun spécialiste (hors vétérinaires pour les visites d’usage, bien sûr), pour élever ses animaux comme bon lui semblait.

Il s’applique à présenter un à un chacun de ses canidés, d’un ton détaché. Il n’accorde pas réellement de valeur trop particulière au nom qu’il leur donne. Il est attaché aux symboles, certes, mais il sélectionne avec soin ce qu’il estime devoir mériter une charge symbolique ou non. En l’occurrence, ces noms n’étaient que classiques, seul Winston revêtait une charge symbolique différente, puisque ce sosie parfait du chien qui lui avait été le plus attaché et le plus loyal avait fini par porter le même nom que lui… Mais ce n’est pas le genre d’histoire qu’il se plairait à raconter à la première venue. Il n’y trouverait guère d’intérêt.

« Hadès semble avoir déjà pris la mesure de son conditionnement », commente Will alors que son interlocutrice tire un baquet de biscuit pour chien de son manteau et qu’il voit le toutou faire le beau dans l’espoir d’obtenir une friandise. « Sentez-vous libre de leur en donnez », dit-il alors simplement, comprenant dans le même temps que cette conversation a des chances de durer plus longtemps que prévu. « Je m’appelle Will. »

A ce stade, ne pas se présenter n’aurait définitivement aucun sens.

   

Irène était professionnelle. Elle savait faire la nuance entre sa vie privée et le travail. Pourtant, la décision d’ajouter Hadès à sa vie ne correspondait pas à son modèle habituel. Elle s’était impliquée émotionnellement à son chien et elle rendait plus floue la nuance entre son travail et ses objectifs. Pourtant, elle savait qu’elle devait revenir à sa mission première : obtenir des informations sur Will et arriver à se lier à lui. Il fallait qu’à la fin de la balade, elle reste dans son esprit.

Elle distribua une friandise à Hadès et le fit avec les autres chiens avec plaisir. Les gratifiants même d’une petite caresse à chacun. Elle n’aimait en réalité que son chien, mais elle voulait rentrer dans les bonnes grâces de sa cible. Elle était prête à avoir une main un peu pleine de bave (ce ne serait pas la première fois) pour atteindre son objectif.

- Enchantée, je suis Irène. Je ne vous sers pas la main, elle est un peu sale.

Elle s’excusa avec un sourire qu'elle voulait charmant, dans un style doux et simple. Elle se doutait qu’il aimait davantage la compagnie des chiens que celle des humains, mais elle devait essayer de poursuivre la rencontre maintenant qu’elle marchait à côté de lui.

- J’imagine que soit vous avez un problème d’achat compulsif de chien, soit vous les avez recueillis. Quelle est votre histoire ?

Elle n’osait pas attaquer un autre domaine que les chiens frontalement, mais avec sa question elle demandait à en savoir plus. C’était la meilleure façon qu’elle avait de s’approcher de lui avec prudence. Étape par étape elle avait l’intention de lui rentrer dans la peau même si elle savait que la tâche serait difficile. Irène ne craignait pas l’échec, car l’échec ne faisait pas partie de son vocabulaire.

- Est-ce que vous travaillez avec des animaux au quotidien ?

   

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Irène est donc son nom. Will garde cette information dans un coin de sa mémoire sans l’estimer pour autant précieuse. A ce stade de leur conversation, il doute fort que leurs chemins se recroisent un jour, il est même très probable que cela ne soit pas le cas… Il n’est pas de ceux qui entretient, superficiellement ou non, des relations avec toutes les personnes qu’il croise. Nouer contact avec autrui n’est pas un exercice simple pour lui, en aucune circonstance. Elle lui dit ne pas vouloir lui serrer la main, cette dernière étant sale. Cela l’arrange. Will n’est pas favorable aux contacts physiques, s’il peut se les épargner, autant que possible, il n’hésitera pas le moins du monde.

« Je les ai recueillis. »

Il a en horreur le concept même de faire de ces animaux des objets de marchandise. Will a une idée très arrêtée sur la question, qui, de l’extérieur, ferait peut-être qu’on lui prêterait un cœur plus grand qu’il ne l’est réellement. Il n’est pas quelqu’un de bon, ni même de fondamentalement généreux. Il ne saurait même pas s’expliquer ce besoin de recueillir tous les chiens errants qui croisent sa route ; C’est seulement, un fait.

« L’histoire s’arrête à peu près là, j’ai bien peur de vous décevoir », ajoute-t-il d’un ton qui se veut poli.

L’histoire qui concerne ses chiens, oui, son histoire à lui est autrement plus complexe et, bien évidemment, il sera hors de question pour lui de détailler son histoire à la première venue… Il est préférable, d’ailleurs, pour la principale concernée, qu’elle en sache le moins possible, un point c’est tout.

« Non, je ne travaille pas avec des animaux. » Pas ce genre d’animaux, en tout cas, pourrait-il ajouter avec esprit, ce qu’il s’épargne pourtant pour se montrer, à la place, ce qu’il y a de plus factuel. « Je suis profiler. »

Quoiqu’il n’était probablement pas nécessaire de faire une telle précision, mais à présent que c’est chose faite, et même s’il ne trouve pas vraiment d’intérêt à tant en dire, il y consent.

   

Irène prenait peu à peu conscience de la tâche qui l’attendait. Elle s’était montrée confiante avec Margot quand celle-ci lui a confié la mission. Sûre d’elle, Irène n’était pas le genre de femme à douter de son charme, mais elle devait reconnaître qu’elle sent que Will n’est pas disposé à s’ouvrir à elle. Une approche différente doit être trouvée. Plus subtile. Moins frontale.

- J’imagine qu’il y a beaucoup à dire quand on recueille autant de chiens pourtant. Peut-être qu’ils ont chacun des choses à nous apprendre sur au moins, la négligence humaine et au pire, la cruauté.

Elle ne le regardait pas en disant cela. Le regard dans le vague en pensant à tout ce qui a pu arriver à ses chiens avant d’être secouru par Will. Elle n’était pas là pour faire du sentimentalisme. Ce n’était d’ailleurs pas du tout son genre malgré son amour pour Hadès. Elle savait cependant qu’il faut qu’elle noue une attache, une sympathie, un lien de compréhension mutuelle avec Will.

- Profiler… Finalement, vous travaillez avec des animaux d’un autre genre.

Elle n’attendait pas forcément de réponse de sa part. Elle pouvait sentir qu’il avait répondu plus par politesse que par autre chose. Ou du moins, c’est l’impression qu’elle avait. Ils arrivèrent à une bifurcation dans le parc. Irène choisit de changer de stratégie dans son approche. Elle se dirigea vers l’autre chemin que celui que Will semblait arpenter.

- Je vous laisse profiter de votre promenade, Will. Passez une bonne journée.

Elle rappela Hadès qui semblait beaucoup s’amuser avec ses autres amis. Cela la peinait un peu de le séparer aussi rapidement, mais le travail passait avant tout. Elle devait tisser du lien avec Will et elle sentait que cela n’arriverait pas en un jour.

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Irène se rendit au parc quelques jours plus tard dans le même créneau horaire que la dernière fois. Elle ne savait pas si elle rencontrerait Will ou pas. C’était un jeu de patience qui se jouait maintenant entre elle et sa proie. Elle était tenace. Elle avait avec elle son paquet de biscuits plein pour pouvoir en distribuer aux chiens de Will s’il se montrait.

Elle avait presque fini son heure de marche. Le parc était calme, elle n’avait pas été dérangée. La pluie n’allait pas tarder à tomber. Un orage d’été comme souvent à cette époque. L’air était lourd et chargé d’humidité. Visiblement, elle ne croiserait pas Will aujourd’hui…
   

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Will hoche la tête non sans une certaine gravité quand son interlocutrice observe que son acte d’apparente bienveillance dissimule probablement un message, conscient ou non, concernant la cruauté humaine, et la négligence de ces humains qui sont capables si facilement de s’exempter d’autres vies sous le prétexte de les trouver inférieures… Qu’ont-ils de différent en ce sens de ceux qui les effraient tant, de ces individus qu’ils choisissent sciemment de qualifier d’inhumains ? … Qu’ont-ils de différents de lui ? Will laisse cette question en suspens et s’épargne en réalité toute forme de réponse, peu bavard comme à son habitude, pour ne pas dire particulièrement réfractaire et désagréable.

« On peut dire ça comme ça », confirme Will qui, pour la peine, gratifie Irène d’un sourire bien plus sincère au moment pour cette femme bien singulière d’observer qu’en étant profiler, lui-même travaille pour ainsi dire avec des animaux d’une autre nature.

Il ne l’aurait certes pas dit différemment… d’autant qu’il estime bien souvent que ses chers camarades à quatre pattes sont bien plus capables de ce que le commun des mortels nomme humanité que leurs maîtres eux-mêmes… et il ne s’exclue pas dans ce constat.

Ravi de voir Irène ne pas empiéter au-delà du raisonnable sur leur temps de conversation, c’est à son tour de la saluer alors que cette dernière, Hadès toujours sur ses talons, part en chemin inverse. Will la suit du regard quelques secondes avant de reprendre le cours de sa promenade. Cette discussion n’a pas été déplaisante… Et surtout, Will n’a en rien été capable de constater combien elle était manipulatoire. En peu de temps, elle n’était certes pas parvenue à l’apprivoiser, loin s'en faut, mais du moins avait-elle réussi à encourager sa curiosité. Ce qui, quand on connaît notre énergumène, n’est déjà pas une mince affaire et mérite tout de même d’être souligné.

Quand il la recroise quelques jours plus tard, quasiment à la même heure, Will ne s’en étonne pas ni ne soupçonne quoi que ce soit. Après tout, il n’est pas rare pour lui de fuir les mêmes regards aux mêmes heures parce qu’untel aura l’habitude de faire son footing quotidien dans les environs. Cette coïncidence qui n’en est pas une lui laisse seulement suggérer qu’elle habite dans le voisinnage, constat que Will se permet de faire sans y apposer de réflexion plus profonde.

« Vous êtes bien aventureuse », commente-t-il en arrivant à son niveau, gratifiant au passage Hadès d’une légère gratouille sur le sommet du crâne. « La pluie ne va pas tarder à tomber. » Ce qui ne l’empêche pas, lui, d’être dehors, certes.

Et au moment de prononcer ces mots, il peut sentir quelques gouttes éparses s’écraser sur son anorak.

   

Irène vit d’abord plusieurs chiens arriver à son niveau avant de voir leur propriétaire quelques instants plus tard. Yes. Elle avait vu juste sur l’heure de balade. Elle offrit un sourire à Will, appréciant qu’il gratifie Hadès d’une caresse. Elle en profite pour s’occuper de ses chiens à lui, sortant des petits biscuits qu’elle distribue de bon cœur. Lorsqu’elle eut fini de faire la distribution et que son petit paquet est vide, elle se redresse et sourit à Will.  

- Je vous retourne le compliment. Mais j’imagine que vous aussi avez des devoirs envers nos amis à quatre pattes concernant les balades.  

Irène s’essuie les mains sur un petit mouchoir sorti de son manteau et elle commence à sentir les premières gouttes sur sa peau. Elle voulait jouer sur leur amour commun pour les bêtes pour créer de la sympathie chez Will. Après tout, elle avait pris Hadès uniquement dans ce but au début, même si elle s’était prise à son propre jeu finalement. Il y avait des hommes qu’on séduisait en ayant de l’esprit, de l’audace, du charme, mais il y avait des hommes plus complexes qui voulaient un mélange plus subtil de tout cela. Will était définitivement du genre à chercher quelqu’un de plus profond que la moyenne.

Irène se doutait qu’il eût un grand niveau d’empathie. Aussi bien en voyant ses protégés qu’en imaginant les compétences qu’il fallait pour exercer le métier qui était le sien. Elle voulait jouer sur cette corde sensible même si on l’avait prévenu qu’il était difficile à mettre à nu.

- J’imagine que nous n’en sortirons pas indemnes vu l’emplacement où nous sommes par rapport à la sortie… À moins que vous ne connaissiez un abri le temps que l’averse passe ? Je pense qu’il va pleuvoir fort pendant quelques minutes avant que ça ne se calme.

C’était souvent comme ça avec les averses d’été. Pendant un moment, il fallait être fou pour rester sous les gouttes, mais en peu de temps, ça se calmait et l’eau avait à peine refroidi l’atmosphère. Irène pariait sur ce genre de temps, mais elle n’était pas météorologue. C’était une bonne excuse pour se retrouver à côté de Will pendant quelques instants de plus. Elle ne le connaissait pas, mais elle avait bien vu qu’il était difficile pour lui de s’ouvrir. Ce serait une mission qui demanderait du temps et de la patience, mais Irène n’en était pas dépourvue.

Les gouttes se mirent à tomber un peu plus fort, pressant les deux humains à faire des choix quant à la suite des choses. Irène essaya de protéger sa tête d'un bras mais le résultat manquait d'efficacité.

   

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« La pluie ne me dérange pas particulièrement », se contente de répondre le profiler d’un ton évasif, qui s’abstient d’ajouter que quand le ciel est à ce point gris et menaçant, il s’épargne généralement la compagnie d’importuns qui choisiraient de lui tenir la jambe pour une raison et pour une autre.

Il préfère largement apprécier le silence… Et l’ambiance presque chaotique qui précède la tempête, cette énergie sombre dans l’air, trouve chez lui quelque chose de fondamentalement apaisant… Bien sûr, il s’épargne de dire ces choses-là à son interlocutrice. La revoir ne le dérange pas outre mesure. Il ne garde pas un mauvais souvenir de leur première et unique conversation – ce qui, venant de lui, tient définitivement du compliment le plus certain. Il s’épargnera toute conversation sur le principe, bien sûr, mais il fera avec cette nouvelle conversation auxquelles paraît l’inviter seulement le hasard, incapable de constater et de reconnaître que ces retrouvailles ont été orchestrées de toute pièce, et qu’il n’a pas véritablement de prise sur les événements actuels.

Will hésite, quand Irène ajoute qu’ils risquent fort de finir sous la pluie battante s’ils ne se mettent pas à l’abri rapidement. Ce parc n’est pas l’endroit idéal pour se réfugier : pas de cabanons, pas de hauts arbres, rien pour s’abriter. Accuser une pluie drue ne le dérange pas le moins du monde. Mais il admet ne pas nécessairement exiger de son interlocutrice qu’elle sache se plier à la même tolérance qu’il peut avoir pour ces déconvenues météorologiques.

« J’habite à deux pas », finit-il par lui consentir, sans réaliser que c’est précisément ce qu’attend son interlocutrice, alors que presque au même moment, des gouttes épaisses et humides viennent à se déverser sur ses cheveux sombres. « Vous êtes le bienvenue, le te que la situation se tasse. »

Il l’invite à la suivre tandis qu’ils parcourent quelques mètres, avant de finalement rejoindre l’entrée de la très élégante demeure qu’il partage avec Hannibal. Très élégante car, bien sûr, c’est le goût d’Hannibal qui se retranscrit majoritairement dans la décoration très pointue et l’ameublement design de cette vaste demeure où l’on se noierait sans doute en y vivant seul. Ses chiens le talonnent et les devancent alors qu’ils avancent à l’intérieur. Depuis l’espace confiné des lieux, ils peuvent entendre les gouttes de pluie frapper violemment les carreaux.

« Vous prendrez un thé ? Un café ? » demande Will, n’oubliant tout de même pas le peu de bonnes manières qu’il possède.

   

Irène ne s’attendait pas vraiment à ce que Will lui propose de rentrer chez lui. Certes, c’était ce qu’elle voulait in fine, mais elle ne s’était pas attendue à un revirement aussi rapide. Elle aurait plutôt parié sur un kiosque dans le parc ou quelque chose du genre. Finalement, sa technique d’approche portait davantage ses fruits qu’elle ne l’aurait espéré. Il fallait qu’elle soit prudente cela dit. Elle ne traitait pas avec n’importe quel homme, on l’avait bien prévenue à ce sujet.

Elle suivit Will sous les gouttes, toujours un bras sur la tête pour ne pas ruiner sa mise en plis. Lorsqu’elle arriva devant la magnifique demeure, elle ne put s’empêcher d’être admirative, d’autant plus quand l’intérieur était aussi soigné que l’extérieur. Elle retira ses talons humides pour ne pas tâcher la maison. Cela aurait été impoli vu le soin accordé à la décoration.

- Je ne refuse jamais une tasse de thé, mais je ne veux pas m’imposer. Ce sera fini d’ici quelques minutes, du moins, je l’espère.

Ce n’était pas exactement ce qu’elle espérait, mais elle ne pouvait évidemment pas en faire part à Will. Elle laissa Hadès avec les autres chiens et regarda un peu plus autour d’elle. Sur la commode de l’entrée, il y avait une photo d’une jeune fille. Elle avait un beau sourire sur la photo même s’il semblait à Irène qu’il n’atteignait pas complétement ses yeux. On aurait dit qu’elle était heureuse, mais qu’elle avait vu trop de choses dans sa vie pour être tout à fait insouciante. C’était bien triste à son âge.

- Je ne savais pas que vous aviez une fille. Elle est ravissante.

Irène effleura du bout des points le cadre élégant dans lequel se trouvait la photo. Elle finit tout de même par détacher son regard de la jeune femme et reporta son attention sur Will, un petit sourire sur le visage.

- Est-ce qu’elle est une nouvelle addition à votre famille ou un trésor du passé retrouvé ?

Irène faisait référence aux personnes qui venaient d’une autre vie avec vous ou qui restaient en suspens pendant des années. Il n’était pas évident de parler de ce genre de sujet pour certains, mais elle se disait que la question pouvait amener Will a lui parler un peu plus. Avec un peu de chance, elle arriverait à nouer un peu plus de liens entre eux. Elle pouvait remercier la pluie.

   

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feat. Irene

Will ne dit rien, alors que son interlocutrice lui affirme ne pas vouloir s'imposer. Il ne devine pas qu'elle ment, il ne soupçonne pas que ce soit précisément son intention... Il songe seulement espérer qu'elle dise vrai, car il souhaite, en ce qui le concerne que cet échange soit restreint au strict minimum, et qu'Irene ne s'impose pas au-delà du nécessaire. Toujours est-il que la pluie tombe drue pour le moment, et qu'elle a probablement peu de chances de se calmer pour l'heure.

Une fois chez lui, Will l'invite à prendre place pendant que lui-même s'affaire à préparer du thé. Il n'a pas la finesse d'exécution d'Hannibal, qui prendrait soin de faire bouillir l'eau à l'exacte bonne température, et ferait infuser son thé un temps précisément défini, accompagnant le tout d'un cérémoniel pour lequel le profiler aurait difficilement la patience. Cela dit, il a tout de même acquis quelques réflexes, depuis qu'il vit avec Hannibal, qui le rendent un rien plus exigeant quant à ses propres goûts.

Alors qu'il s'affaire, donc, à sa préparation, irene laisse courir son regard çà et là, et finit par tomber sur l'une des rares photos exposées ici... Les photographies ne sont pas courantes, en ces lieux... Les souvenirs sur papier ne sont guère privilégiés, ils sont autant de preuves qu'il faudrait potentiellement éliminer. Consulter des images de leur passé revient pour Will à s'égarer dans les pièces sinueuses de son palais mental, et il considère que c'est tout ce qui compte.

"Je n'y suis pas pour grand-chose", répond évasivement Irene quand son interlocutrice observe qu'Abigail serait ravissante.

Ce qui est vrai. Mais en effet, Will ne peut pas répondre par un "merci" d'usage. Abigail doit la moindre de ses qualités à elle seule. Tout ce qu'il peut, pour sa part, c'est encourager les talents sur lesquels il peut avoir la moindre influence, sans pour autant l'étouffer... ce qui n'est pas toujours quelque chose de bien simple.

"C'est l'un et l'autre", ajoute-t-il quand elle en demande plus à son sujet. "Elle est la famille que j'avais choisie autrefois et que j'ai retrouvée ici."

Mais quand autrefois, Abigail appartenait à la vie de Will davantage dans le champ de son imaginaire que concrètement, aujourd'hui, elle est bel et bien sa fille. Une fille pour laquelle il se battra envers et contre tout.

"Vous avez des enfants ?"

   

Irène se contente d’un petit sourire en entendant son hôte dire qu’il n’est pas responsable de la beauté de sa fille. Elle ne connaît pas tous les tenants et les aboutissants de leur relation, mais elle sait qu'Abigaïl est hors-jeu pour elle. Elle ne doit pas s’en prendre à la jeune femme, ce sont les directives de Margot Verger. Peut-être qu’Abigail se trouvera être une porte d’entrée dans la vie privée de Will en revanche ? Il faut qu’elle le tente et elle décidera si la tactique porte ses fruits ou non.

- C’est une belle chose que vous vous soyez retrouvée dans cette vie. Il y a des êtres sans lesquels vivre est…fade.

Son regard est toujours porté sur la photo d’Abigail, mais elle ne regarde plus la jeune femme. Irène se perd un instant dans ses propres souvenirs. Elle s’évade vers une autre vie, rythmée par d’autres rencontres. Rapidement, elle se ressaisit et se tourne vers Will.

- J’ai Hadès. Ce n’est pas vraiment un enfant même s’il se comporte comme un gros bébé quand nous sommes en privé.

Irène n’a pas la fibre maternelle. Et pas le style de vie approprié pour un enfant. Comment continuer sa vie de dominatrice en ayant un ventre énorme ou entre deux biberons ? Elle est bien trop centrée sur sa vie pour se dévouer à quelqu’un d’autre. Sans parler du fait d’avoir besoin d’un père. Elle est assez indépendante pour avoir un enfant seul, mais ce n’est pas du tout ce qu’elle cherche.

- Qu’est-ce qui vous a donné envie d’être père ? Vous avez rencontré la bonne personne et les choses se sont faites naturellement ?

Le temps dehors était encore catastrophique ce qui arrangeait bien Irène. Elle garda tout de même une attitude de celle qui était prête à repartir dans la minute : manteau pas retiré, toujours debout en attendant de partir, chaussures aux pieds. Elle n’avait réellement pas l’intention de s’éterniser. Il lui semblait que la bonne méthode à adopter avec Will était la patience pour parvenir à ses fins. Elle voulait jouer sur cette méthode. Elle accepta la tasse de thé et après quelques instants en prit une petite gorgée.

- Vous étiez anglais dans votre autre vie ? Le thé est délicieux ! Les arômes sont subtils mais bien présents. Cela faisait longtemps que je n’en avais pas goûté un si bon.


La conversation n’était probablement pas le point fort de Will, mais si Irène réussissait à avoir des informations çà et là, elle considérait que c’était un bon point pour elle. C’était une bataille qu’il fallait mener intelligemment et non pas frontalement.

   

Dogs never bite me, only humans do

feat. Irene

Will ne fait aucun commentaire quand son interlocutrice observe que la vie a bien fait les choses en lui offrant de retrouver sa fille de cœur. Oui, il y a bel et bien des êtres qui donnent à votre vie toute leur saveur. Des êtres qui sont en vérité indispensables à votre existence. Vivre sans Abigail, Will y avait été forcé par l’horreur… Il en avait été profondément affecté… Quant à Hannibal. Will est à présent convaincu qu’il n’aurait probablement pas survécu à cette vie s’il ne l’avait pas retrouvé. Les mois d’errances qui avaient précédé leurs retrouvailles paraissent en dire particulièrement long à ce sujet.

Irène lui apprend, pour sa part, ne pas avoir d’enfants. Pas d’enfants en dehors d’Hadès. Il est vrai que leurs amis à quatre pattes réclament tout autant de soin et d’attention que n’importe quel autre être vivant. Considérer humain et animaux sur un même plan d’égalité n’est pas forcément du goût de tous, mais pouvoir considérer un chien comme l’on traiterait un enfant, c’est aussi observer un humain comme l’on regarderait du bétail… Et les deux sont devenus tout à fait conciliables dans l’esprit malade de Will Graham.

« Ce n’est pas vraiment quelque chose que j’ai décidé. Ça s’est imposé à moi. » A l’instant où l’image de Garret Jacob Hobbs s’est un rien transposée à la sienne, pour le meilleur et pour le pire. « Abigail n’est pas ma fille de sang, j’ai pris soin d’elle à la mort de son père », dit-il très brièvement, s’épargnant d’évoquer le fait d’avoir tué ce même père et tout ce qui s’en est suivi.

De lui, Irene ne découvrira quoi qu’il en soit que des fragments, car Will se refusera catégoriquement de lui dire plus que nécessaire au sujet d’une vie qui quoi qu’il en soit exige de se satisfaire de ces flous gaussiens et de ces ombres imposantes. Même si c’est tolérer une intrusion bien trop grande dans son intimité que d’accepter, ne serait-ce que cela, qu’elle fasse un pas chez lui, il n’entend pas lui adresser une place plus importante que nécessaire. C’est un danger dont il a bien conscience.

« Américain », répond Will avec un sourire en coin quand Irène suggère qu’il aurait été anglais pas le passé pour préparer un si bon thé… Will estime pourtant ne pas avoir encore égalé le niveau d’Hannibal en la matière. « Mais j’ai été à bonne école. » C’est rien de le dire. « Vous avez vécu en Angleterre ? »

   

Irène se montra une invitée polie écoutant l’histoire familiale de Will avec respect. Elle ne le connaissait pas, mais ce rôle semblait bien correspondre au caractère dont il semblait pourvu. Elle espérait qu’il se montrait plus loquace avec sa fille qu’il ne l’était avec elle, mais c’était un autre sujet.

- Parfois c’est la famille qu’on choisit qui nous remplit de bonheur et non pas celle imposée par les liens du sang.

Elle philosophe un peu sur la vie en essayant de grappiller quelques miettes d’information. Ce jeu n’est pas celui auquel elle s’attendait à jouer. Elle joue à une course de fond et non pas à sprint comme elle en a l’habitude. Il faudra prendre du temps et de nombreuses rencontres pour que Will s’intéresse à elle un peu plus. Si jamais elle parvient à le faire s’intéresser à elle… Si elle ne doute pas de son pouvoir de séduction, elle reconnaît que Will semble ériger des barrières tout autour de lui et elle se visualise grimpant ses renforts pierre après pierre.

- Je suis anglaise alors le thé, vous comprenez… Ajoute-t-elle avec un petit sourire en coin.

Elle finit sa tasse assez rapidement après cela, car le temps, au-dehors, commence à se calmer. C’est le parfait timing pour elle. Elle va pouvoir prendre congé avant que l’entretien ne devienne inconfortable pour Will.  

Reposant la tasse sans un bruit sur la table du salon, elle referme doucement les boutons de son manteau avant de se diriger vers la sortie.

- Hadès, vient. Merci beaucoup pour l’abri Will. Et pour le thé. Je vous suis redevable. Je vous souhaite une bonne journée.

Après avoir remis la laisse à Hadès, elle s’élance dehors par le temps maussade. Le jeu est loin d’être fini, mais elle compte pour y parvenir tout de même.

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Plusieurs jours s’écoulent sans qu’Irène n’aille au parc où elle retrouve Will. C’est une décision qu’elle prend pour plusieurs raisons. Déjà pour lui se faire désirer, mais aussi, et surtout, pour laisser de l’espace à Will. Elle est suffisamment psychologue pour avoir compris qu’il ne s’ouvrira qu’avec de la patience et des efforts répétés. Or, si elle se présente à lui trop régulièrement, elle sent qu’elle sera incapable d’établir le moindre lien avec lui.

Au bout d’une petite semaine, elle recommence ses habitudes de promenades en essayant de trouver Will pendant celles-ci. Elle aurait dû demander un plus gros cachet à Margot Verger pour cette mission même si elle devait admettre qu’elle appréciait le défi aussi. Au détour d’un virage, elle repère la meute qui court vers Hadès. Un sourire timide se peint sur les lèvres d’Irène à ce moment-là.

- Bonjour Will. Comment allez-vous ? Et la meute ?

Aujourd’hui pas de pluie à l’horizon même si le ciel n’est pas bleu. Elle ne pourra pas se réfugier chez lui. Il faut qu’elle trouve d’autres excuses pour se rapprocher de lui sans paraître trop transparente.

- Je me demandais, vous avez suivi des études de psychologie pour devenir profileur ? Je ne connais pas bien ce métier, juste ce qu’on nous en dit dans les livres, mais qui s’éloigne peut-être beaucoup de la réalité.

   

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A la remarque d’Irene, Will se contente simplement de hocher laconiquement la tête. Ce genre de constat peut paraître presque un peu… simplistes ? Mais ils se sont toujours confirmés en ce qui concerne Will. De sa famille de sang, il n’aurait pas grand-chose à dire, seulement quelques informations cryptiques et dispensables… Au sujet d’Abigail et d’Hannibal, en revanche, il serait bien capable d’épiloguer, et ce même au-delà du raisonnable. Avant de connaître Hannibal, Will n’envisageait pas que la famille puisse revêtir une telle importance, ou plutôt avait-il balayé la possibilité d’en avoir une, ou d’en fonder une… La chose s’était faite…. Insidieusement. C’est le cas de le dire, puisque les manœuvres de l’homme qui partageaient sa vie l’étaient presque toujours… Insidieuses.

Pour le reste, Irene se présente comme une invitée raisonnablement agréable, au sens où, sans qu’il ait besoin de l’en informer, elle est capable de ne pas empiéter sur son temps et sur son espace vital et social. Quand elle a fini sa tasse de thé et que le temps s’est calmé, elle part sans demander son reste, et prend immédiatement congé. Il la regarde partir en lui souhaitant une bonne journée, sans comprendre la nature des manœuvres d’Irene, qui ont ceci d’efficace qu’il ne lui prête aucune intention sous-jacente. Lui, grand asocial devant l’éternel, avait besoin de ne pas être brusqué, d’être, pour ainsi dire, apprivoisé. En se faisant une place progressive dans sa vie, sans qu’il ne la trouve trop désagréable ou intrusive.

Si bien qu’une fois de plus, il ne se méfie en rien quand il la recroise une nouvelle fois, alors qu’une nouvelle promenade leur offre une nouvelle occasion de faire plus ample connaissance.

« Décidément, nos chemins ne font que se croiser. »

Sans grande surprise en réalité… Et il ne s’en inquiète pas plus que cela… Ces coïncidences s’expliquent de manière rationnelle, et parce qu’ils ont l’occasion de parler, Will l’accepte sans trop rechigner.

« C’est le cas, en effet, et j’ai peaufiné mes connaissances à l’académie du FBI », dit-il en évoquant son parcours, qui n’est pas un secret. « Ce n’est pas aussi impressionnant que ça peut en avoir l’air. » Il marque une pause. « Je ne crois pas vous avoir demandé ce que vous faisiez dans la vie », constate-t-il, pour détourner la question, et éviter de focaliser la conversation sur lui et sur lui uniquement.

   

Irène n’hésite pas à rire un peu face à la remarque de Will. Oui, leurs chemins se croisent et elle espère qu’ils se croiseront encore bien davantage par la suite, mais évidemment, elle ne peut pas lui dire. Elle commence à douter de sa capacité à mener sa mission à bien. Du moins, si elle continue de procéder comme elle le fait, elle y arrivera peut-être, mais dans 10 ans. Devrait-elle dire à Margot qu'elle ne peut pas remplir son engagement ? Elle s’en sait capable même si la technique est bien plus longue qu’habituellement. Elle a compris que Will n’était pas un homme comme les autres. Il ne suffisait pas de minauder en découvrant une épaule pour qu’il s’intéresse à vous. Il était là pour promener ses chiens et il s’en tenait à cela. Bien sûr, elle avait fait des progrès depuis leur toute première rencontre, mais elle était loin de son objectif. Elle n’était pas encore prête à abandonner cela dit. Peut-être pouvait-elle encore essayer de tenir son engagement face à Margot avant de renoncer. Elle progressait, cela devrait suffire.

- Vous êtes modeste. Ce n’est pas un travail qui doit être évident. Se mettre dans la tête de quelqu’un d’autre… J’en serais bien incapable, cours de psychologie ou pas.

Elle marqua une petite pause quand il lui demanda à son tour ce qu’elle faisait comme métier. C’était un instant décisif pour elle. Sa réponse pouvait modifier tellement de choses entre eux. Elle préféra caresser les chiens plutôt que de le regarder pour parler.

- Je travaille comme dominatrice.

Elle n’avait pas honte de son métier, mais face à Will cela changeait pas mal de choses. Pourquoi lui avoir dit la vérité dans ce cas ? Parce qu’avec lui, il fallait jouer la carte de la vérité le plus possible. Il était quelqu’un qui pouvait très bien voir clair dans son jeu si jamais elle mentait, elle en était persuadée.

Elle osa un regard dans sa direction, toujours accroupie au milieu des chiens.

- Ce n’est pas un métier très…commun. Bien que profileur ne le soit pas non plus, mais dans un autre genre. Je comprends que ça puisse déranger.

Elle se releva, épousseta son pantalon et se prépara à la réponse que Will pourrait bien lui donner. Elle était curieuse de voir sa réaction, mais elle ne pouvait nier la redouter un peu aussi. Peut-être arriverait-il à faire le lien entre son métier et leurs rencontres à priori hasardeuses. Elle commençait à se dire qu’elle avait peut-être investi trop d’efforts à se construire une image auprès de lui pour tout gâcher maintenant.

- Nous sommes plus que simplement notre métier, mais il fait quand même partie de nous.

   

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Non, son travail n’est pas évident, en effet… et en vérité, Will n’est pas si modeste. Disons plutôt que tout cela dépend de ce que l’on considère comme évident. L’évidence était ce métier au sens où son don naturel pour l’exercer exigeait certes des efforts, mais certes très différents de ceux que l’on peut présumer. La non-évidence était le fait d’avoir choisi de le poursuivre alors même que ce métier rongeait chaque jour davantage de sa santé mentale… Mais les choses ont changé, les cartes redistribuées, les fragilités de Will étaient devenues ses atouts, et certaines de ses forces ses plus grandes faiblesses. Il se contente d’adresser un regard indulgent à son interlocutrice, sans piper mot, quand cette dernière évoque la difficulté qu’elle aurait à pratiquer un métier comme le sien.

Et pourtant, le travail qu’elle exerce elle-même est loin d’être anodin. Will fronce légèrement les surpris, étonné de la facilité avec laquelle elle se prononce sur une profession que beaucoup d’autres préféreraient sans doute passer sous silence. Elle a raison, pourtant. Tant qu’il y a de la demande, l’offre est, quelque part, légitime.

« Déranger n’est pas le mot. Intriguer, plutôt. »

Au vu de ses propres inclinations et de ses propres choix de vie, il serait certainement le moins bien placé au monde pour reprocher à son interlocutrice un tel choix de métier… Comme s’il pouvait se permettre, quoi qu’il en soit, de faire la moindre réflexion quoi qu’il en soit.

« Je ne serai pas qui je suis aujourd’hui sans ce choix de carrière, et ce n’est pas faute pourtant d’avoir voulu y renoncer. »

Mais c’était en y renonçant que Will avait pu constater à quel point cela faisait partie de lui… non tant pour le métier en lui-même qu’au nom de ce qu’il l’obligeait à contempler de lui-même chaque fois qu’il feignait explorer la psyché d’un autre. Chaque analyse lui renvoyait un reflet toujours plus dangereusement précis de lui-même, jusqu’au point de non-retour.

« Comment en vient-on à un tel choix de carrière ? »