Mary, mon amour,
Je ne sais par où commencer. Je suis perdu.
J’ignore ce qu’il s’est passé, ni même où je suis, et si c’est là que se trouve ce que tout bon Catholique pense être le paradis après la mort, je suis déçu. Ce n’était pas le paradis que je m’étais imaginé. Je me figurais un monde chaud et ensoleillé, lumineux comme ton sourire, doux comme ton regard. Un monde dans lequel je pourrais t’étreindre une nouvelle fois, pour toujours. Nos mains enlacées, inséparables comme elles l’ont été tant de fois. La poursuite de notre histoire qui s’est achevée tragiquement. J’ai l’impression qu’on me donne une nouvelle chance, bien que je ne sache si un jour je te reverrai. En attendant, je t’écris, comme si je gardais l’espoir qu’un jour tu lises ces lettres. Je me console en t’imaginant le faire. Je me raccroche à mes souvenirs, à nos fiançailles décidées pour nous alors que nous n’avions que six ans, à notre mariage qui ne fut pas toujours facile mais que nous avons toujours réussi à surpasser.

Je suis arrivé dans cette ville étrange il y a quelques mois. Je me suis réveillé de ce cauchemar dans lequel je m’endormais à jamais, bercé par la triste mélodie de tes pleurs si lointains. J’ai très vite dû apprendre à me faire une place dans cette société nouvelle, qui vit à cent à l’heure, loin de ce dont on est habitué toi et moi. La seule consolation que j’ai : je ne suis pas roi. Je ne suis que François, qui vend ses peintures pour payer ses factures, qui manie l’art du bois, qui enseigne l’escrime à de petits groupes et qui prend des cours du soir à l’université, espérant combler les lacunes que ces quelques siècles de silence ont laissé derrière eux. Cela me fait d’ailleurs sourire de voir que nos histoires sont figées dans le temps, entre les lignes des manuels d’Histoire. Je ressens d’ailleurs toujours une pointe de nostalgie en les lisant. Ils ne se rendent pas compte de la complexité des intrigues de la cour, de la responsabilité des centaines de milliers d’hommes que j’ai dû mener à la guerre. Mon père, Henri II, demeure tel qu’il était dans mes souvenirs jadis, ce grand roi impitoyable mais juste pour ce pays qu’il servait. Ils ont tu sa folie, oubliée des livres comme si elle n’avait jamais existé, ainsi que le fardeau que cela finirait par représenter pour son héritier. D’ailleurs, il n’est pas fait mention de Bash, perdu lui aussi parmi les méandres de l’Histoire. Je ne sais ce qu’il est advenu de mon fils, Jean-Philippe, ni même de notre amie, Lola. J’ai tant de questions, ma douce Mary, et je crains de ne jamais recevoir de réponse… Quant à ma mère, qu’est-elle devenue ? Cette grande dame qui maniait l’art des poisons à la perfection.

Je me retrouve donc seul, face à ces nouvelles technologies, face à cette nouvelle vie, et tu seras sans doute surprise d’apprendre que je me suis adapté, en partie. J’écris toujours à la plume, j’y tiens, bien que je dois avouer que les machines à écrire toujours plus performantes sont fascinantes.
J’ai toujours espoir de te retrouver un jour, et en attendant, je me contente de peindre ton portrait.

Je t’embrasse tendrement,
Ton dévoué François.