Quelle délicieuse surprise - sybil

Comme les journées pouvaient paraître plus belles lorsque l'on savait que quelque chose nous attendait ensuite. Depuis que Sybil avait retrouvé Mary, sa soeur aînée, elle n'était que bonheur. La joie ne la quittait plus. Après cinq années passées seule dans un monde inconnu, retrouver sa soeur avait été une véritable délivrance pour la jeune femme. La solitude n'était plus sa seule compagne. Elle était devenue un lointain souvenir. Un souvenir qu'elle aurait aimé pouvoir faire disparaître. Rester seule, cinq ans, dans une ville inconnue, sans aucune nouvelle de ses proches, de son mari, de sa fille, de sa famille, de ses proches... Elle avait eu beau sourire et faire comme si tout allait bien, elle avait eu beaucoup de mal à supporter tout ça. Et elle craignait désormais la solitude plus que n'importe quoi d'autre.

Sa journée touchait à sa fin. Il ne lui restait même plus une heure et, si tout se passait normalement, elle pourrait rentrer. Alors qu'elle terminait tout juste avec un patient, Sybil fut appelée pour autre chose. Souriante, comme à son habitude, la jeune femme s'était dirigée là où on l'attendait. Et à peine fut-elle entrée dans la pièce, qu'elle entendit son prénom. Pas prononcé de n'importe quelle façon. Ce lady, elle ne l'avait plus entendu depuis une éternité. Cette façon qu'on avait eue de s'adresser à elle à une autre époque, dans une autre vie et dans un autre monde... Ses yeux s'étaient aussitôt levés vers la source de cette voix féminine et douce qu'elle croyait reconnaître, sans pouvoir en être certaine, après tant d'années. « Anna... » Avait-elle fini par souffler, surprise et heureuse de revoir un nouveau visage de son ancienne vie dans cette ville. Et pas n'importe quel visage.

Sybil était heureuse. Anna était heureuse. Sybil pouvait le voir. Elle remarquait son émotion comme elle sentait la sienne augmenter à mesure où elle réalisait qu'elle avait vraiment Anna devant elle. « Je suis si heureuse de vous revoir. » Souffla-t-elle en s'approchant pour la serrer dans ses bras, sincèrement heureuse de la revoir. Anna avait toujours été d'une douceur et d'une gentillesse remarquable et elle avait toujours été présente pour sa famille, comment Sybil aurait pu faire autrement qu'être comblée de joie en la retrouvant ici, par hasard ?

Elle aimait ce contact qui lui rappelait sa vie d'autrefois. Elle aimait revoir ce visage qui lui rappelait cette vie avant sa mort. Sybil était heureuse. Terriblement heureuse. Depuis quelques semaines, cette ville semblait vouloir la combler de cadeaux. Des cadeaux pour lesquels elle ne pourrait jamais suffisamment remercier le ciel. Sa soeur aînée puis Anna... Elle avait l'impression que ce n'était pas fini, elle avait l'impression que d'autres cadeaux, tombés du ciel, lui seraient envoyés tôt ou tard. Elle voulait y croire. De tout son coeur.

En attendant les autres miracles, Sybil profitait de celui-ci. Elle profitait de sentir Anna dans ses bras. Elle profitait de la joie qui émanait de l'une et de l'autre pour envahir cette pièce et lui donner une tout autre atmosphère. Il n'y avait pas de plus beau sentiment que celui-ci. Il vous envahissait entièrement, vous comblait, vous donnait envie de sourire, de rire, d'exprimer à chacun ce que vous ressentiez et à quel point vous étiez heureux. C'était une sensation merveilleuse, comme celle de flotter sur un nuage duquel on ne pourrait jamais redescendre.

Anna avait mis fin à leur étreinte, tout en gardant un contact, pour l'observer. Elle imaginait le choc pour elle. Sybil, dans leur monde, était morte après avoir mis au monde son enfant... Il devait être particulièrement étrange de la voir réapparaître ici, comme ça, comme par magie, vivante et en pleine forme. Cependant, la surprise devait être atténuée par Mary, qu'elle avait revue et qui lui avait tout dit. Sybil comprenait désormais ce que sa soeur lui cachait. C'était une impression qu'elle avait eue depuis quelque temps, que sa soeur lui cachait quelque chose, sans pour autant en avoir la moindre certitude, mais aujourd'hui, elle comprenait mieux. Sans doute avait-elle voulu lui préparer une surprise, mais le destin l'avait devancée. « Je comprends mieux ce que ma soeur me cachait désormais. » Souriait Sybil, tout en observant Anna. « Je suis en vie et c'est une merveilleuse seconde chance... Un miracle, comme vous venez de le dire. » Commença Sybil lorsqu'Anna lui avait demandé comment elle allait. « J'ai une vie plutôt agréable et tranquille dans ce monde... Alors, je suppose que je vais bien. » C'était une question difficile. Vivre dans la solitude pendant des années avec le souvenir de sa mort, sans jamais avoir connu sa fille et sans nouvelle de ceux qu'elle aimait, avait été une épreuve terrible pour elle, mais elle allait bien, malgré tout parce qu'elle avait toujours essayé de tenir le coup, d'être forte. « Plus encore maintenant que j'ai retrouvé Mary et que je vous vois aujourd'hui. » Parce que ces retrouvailles étaient source d'une joie indescriptible et immense. « Et vous Anna, comment allez-vous ? » Elle espérait entendre de bonnes nouvelles - même si en se retrouvant ici, à l'hôpital, il y avait forcément, au moins, un petit quelque chose qui n'allait pas... un petit quelque chose qu'elle n'avait pas encore remarqué, trop prise par l'instant et l'émotion qui s'en dégageait - elle espérait l'entendre lui dire à quel point elle était heureuse et à quel point elle allait bien... Elle espérait entendre que la vie lui souriait et qu'elle ne manquait de rien. Elle espérait entendre de bonnes nouvelles et pouvoir s'en réjouir. Aux yeux de Sybil, rien n'avait jamais plus compté que le bonheur des gens qu'elle aimait et Anna en faisait très clairement partie.

Sybil n'avait aucun mal à imaginer le bonheur ressenti par Anna en retrouvant Mary. Elle en avait toujours été très proche et elle avait été la première à revoir... les émotions n'avaient dû en être que plus intenses. Plus belles. « Et j'imagine comme elle a dû être heureuse de vous revoir. Je sais à quel point elle tient à vous. » Tout comme Sybil était heureuse de la revoir, bien sûr. Il y avait quelque chose de si rassurant à retrouver ceux que l'on aimait après des années de solitude. Sybil était reconnaissante de la nouvelle chance qu'elle avait dans cette ville, mais la solitude, pesante et douloureuse, avait été difficile à supporter, elle devait l'avouer. Elle avait gardé la tête haute, mais elle craquait bien souvent lorsqu'elle se retrouvait seule, chez elle, le soir. Sybil passait ces détails, se contentant de raconter la joie qu'elle ressentait désormais qu'elle n'était plus seule et la chance qu'elle avait d'avoir une nouvelle vie. « Depuis plus de cinq ans. » Souffla-t-elle en repensant au temps qu'elle avait passé dans ce monde, seule, loin des gens qu'elle aimait. « Et vous, Anna ? » Certains étaient arrivés récemment, peut-être faisait-elle partie de ces gens-là ? De ces chanceux ? Elle l'espérait même quelque part, parce qu'elle ne souhaitait à personne cette solitude.

Après avoir répondu aux questions d'Anna, Sybil lui en retournait certaines. Elle s'intéressait notamment à comment elle allait. C'était bien la moindre des choses après tant d'années sans se voir. Aussitôt, ses yeux s'étaient baissés vers sa main et les yeux de Sybil avaient suivi le mouvement. La pauvre était blessée et, dans l'euphorie du moment, Sybil n'avait rien remarqué. « Je suis désolée, je... je n'ai même pas fait attention, mais c'était évident que vous étiez là pour une bonne raison. » Souffla-t-elle en souriant. Après tout, elles étaient dans un hôpital, Anna était forcément là pour quelque chose. « Je vais m'occuper de vous. » Tout en discutant, elle pouvait nettoyer la plaie. Et pendant qu'elle attrapait ce qu'il fallait, elle écoutait Anna poursuivre en expliquant ce qu'elle faisait actuellement et en parlant de ceux qu'elle avait retrouvé. « Vous avez retrouvé John ? » Souffla-t-elle, tellement heureuse d'apprendre cette nouvelle. « Je suis tellement heureuse pour vous, Anna. » Elle méritait d'être heureuse et que rien ne vienne gâcher ce bonheur. C'était tout ce que Sybil lui souhaitait.

Quant à sa dernière question, dans un premier temps, Sybil s'était contentée de secouer la tête de gauche à droite en tentant de conserver un sourire, réfléchissant aux mots qu'elle utiliserait pour répondre à cette question. « Aucune, non. » Cinq ans loin l'un de l'autre - et même davantage pour lui très certainement... Après tout, elle était morte et il avait continué sa vie... - est-ce que tous les sentiments pouvaient résister à ces épreuves ? Sybil l'aimait toujours et elle l'aimerait sans doute éternellement parce qu'il était son premier amour et le père de sa fille, mais dans ce nouveau monde, seraient-ils capables de vivre l'un avec l'autre ? Ces questions étaient peut-être ridicules, mais elle ne pouvait s'empêcher d'y penser. « J'ignore s'il est ici, mais j'espère juste que Sybbie est avec lui... » Cette enfant qu'elle n'avait jamais pu connaître, cette enfant dont Mary lui avait parlé. Cette enfant qui n'avait pas eu de nom pour elle pendant de longues années, jusqu'à retrouver Mary. Elle espérait de tout coeur qu'elle était avec Tom. Et ce, qu'importe où ils se trouvaient.  

Sybil imaginait sans mal la joie qu'avait dû ressentir Mary en retrouvant Anna. Elle savait à quel point elles tenaient l'une à l'autre. Elle savait quel bonheur immense pouvait naître de ce genre de retrouvailles pour le ressentir elle-même en cet instant. Il était si agréable de voir un visage ami. Si bon de ressentir un peu de son ancienne vie dans un monde toujours inconnu, même après cinq longues années. « J'imagine, oui. Je suis heureuse pour vous. » Heureuse de savoir qu'elle avait pu retrouver des gens qu'elle aimait et qu'elle avait su apprendre à être heureuse dans ce nouveau monde, loin de leurs habitudes et de tout le reste.

Sybil était dans ce monde depuis cinq ans. Ça avait été particulièrement long puisqu'elle était restée seule une grande partie de ce temps. Elle était restée forte, bien sûr, mais son coeur avait forcément été affecté par cette solitude. Elle s'était éloignée de sa famille, peu de temps avant de mourir, mais cette absence-là était différente. Plus difficile. Alors, Sybil qui comprenait mieux que personne cette solitude et les années passées, était heureuse d'apprendre qu'Anna n'était là que depuis quelques mois. Retrouver des gens que l'on aimait après quelques mois étaient une chance immense et Sybil était heureuse pour Anna parce qu'elle le méritait particulièrement. Elle avait toujours été douce, gentille et dévouée, comment ne pas lui souhaiter le meilleur ?

Oui, Sybil était heureuse. De savoir tout cela à propos d'Anna et de la retrouver. Heureuse au point où elle n'avait pas réalisé que si Anna était à l'hôpital, c'était pour une bonne raison. Aussitôt, pour rattraper sa bêtise, elle s'était empressée de se saisir de tout ce qu'il lui fallait pour nettoyer la plaie qu'elle avait à la main et faire son travail. « Vous avez de la chance, quelques points devraient suffire. Enfin, de la chance... C'est une façon de parler bien sûr. » Souriait-elle, parce qu'en effet, pouvait-on parler de chance avec une blessure comme celle-ci, nécessitant de recevoir des points de suture - ce qui n'était jamais un moment agréable à passer. « On ne peut rien contre la maladresse, mais heureusement, aujourd'hui, on soigne bien plus facilement qu'autrefois. » On pouvait ainsi réparer les petites blessures - et les plus grosses - que pouvait causer la maladresse.  

Tout en s'occupant de la plaie d'Anna, Sybil s'interrogeait. Elle se demandait si cette dernière avait eu la chance de retrouver certains proches et elle était plus qu'enchantée d'apprendre qu'elle avait retrouvé Bates. Sybil était, une fois encore, tellement heureuse. Elle avait l'impression que le bonheur l'inondait après toutes ces bonnes nouvelles. « Je ne crois pas que le hasard existe dans cette ville, vous deviez vous retrouver, » souffla-t-elle, persuadée que jamais elle n'aurait pu passer à côté de l'homme qu'elle aimait sans s'en rendre compte. Si elle l'avait vu au bon moment, c'était parce que c'était écrit.

Évidemment, Anna lui retournait la question. Si elle avait eu la chance de retrouver John, peut-être que Sybil avait eu la même chance, non ? Ce n'était malheureusement pas le cas et Sybil, tout en restant concentrée sur son travail pour ne pas faire de bêtise, lui expliqua. Elle espérait simplement une chose si elle devait ne jamais les revoir : que Tom soit avec leur fille, qu'ils soient heureux et en bonne santé tous les deux. « Je vous remercie. » Répondit-elle sincèrement et pleine d'espoir. Rien ne pourrait la rendre plus heureuse que de retrouver Tom et rencontrer sa fille. Enfin. Cette enfant qu'elle avait mise au monde et qu'elle avait quitté presque aussitôt. « Oh, mais bien sûr Anna. J'espère vous revoir très souvent. Vous m'avez beaucoup manqué et je ne compte pas ne pas vous revoir. » Elle ne comptait pas l'abandonner, alors qu'elle était si heureuse de la revoir. Tout ne pourrait pas être comme à Downton et elles ne pourraient pas se revoir tous les jours, mais Sybil voulait - avait besoin - de se raccrocher à ce passé perdu, elle voulait revoir les personnes qui avaient compté pour elle aussi souvent que possible pour profiter du temps passé ensemble... Elle ne savait que trop bien que ce temps pouvait être court et qu'il fallait profiter de chaque seconde comme s'il s'agissait des dernières. « Nous pourrons prévoir quelque chose, oui. Ce serait même avec grand plaisir. Je serais très heureuse de revoir John. Nous nous retrouverons tous ensemble, comme autrefois, même s'il manque du monde et que les circonstances seront très différentes, mais vous comprenez ce que je veux dire. » Ils ne seraient pas du tout dans le même contexte qu'à Downton, les uns ne travailleraient pas pour les autres, mais ils seraient réunis comme autrefois, pour parler du bon vieux temps et de ce qu'ils étaient devenus dans ce monde.