Comme Whistledown l'avait dit, Colin était le troisième fils de la fratrie Bridgerton. La famille Bridgerton était à Londres, dans ce siècle où nous étions, et c'était une famille qui avait une certaine renommée dans le Londres du 19e. C'était une famille sur qui il fallait compter... Une famille dont on aimait compter sur la présence lors de bals organisés, une famille dont la conversation était recherchée.

Colin avait perdu son père quand il était bien jeune. Il avait douze ans à cette époque-là. Le jour de l'incident avait ébranlé toute sa famille comme un véritable tremblement de terre ; son père était un homme bon, honnête et un bon père, et il était très apprécié de tous. Cela n'avait pas été aussi dur qu'avec son frère aîné Anthony qui en avait encore plus de souvenirs que lui, mais bien sûr il manquait aussi beaucoup à Colin bien qu'il n'en parlait pas. Ils n'en parlaient plus d'ailleurs, pourtant chacun des membres de leur famille y pensait encore. La présence d'Edmund hantait encore les murs de leur demeure de campagne, Aubrey Hall. C'est pour cela d'ailleurs qu'après la mort d'Edmund, la famille avait délaissé Aubrey Hall pour venir vivre le plus clair de l'année à Bridgerton house, à Londres, et qu'ils y passaient la majorité de l'année. Aubrey Hall contenait pour tous beaucoup trop de souvenirs douloureux.

Colin venait tout juste de revenir de Grèce et après avoir lu le dernier article il le laissa retomber sur la table. De toutes façons, il savait que son retour à Londres allait forcément déclencher l'euphorie des mères qui voyaient en chaque fils Bridgerton un excellent partie. Il avait fui jusqu'en Grèce pour les éviter mais chaque fois qu'il revenait à Londres, il ne pouvait les éviter. Déjà, il y avait sa mère qui dès le lendemain de son retour au pays, lui avait communiqué une longue liste d'épouses potentielles. Il aimait sa mère énormément mais il n'avait pu s'empêcher de soupirer. Cependant, il avait promis à sa mère de jeter un coup d'oeil à cette liste mais la seule vue de celle-ci le fatiguait. Depuis cette histoire avec Marina, quelque chose s'était brisé en lui. Il n'arrivait plus à faire confiance, à se faire confiance. Il avait besoin de se retrouver lui-même avant de pouvoir faire confiance à quelqu'un d'autre... Enfin,  c'était plus complexe que cela. Il ne se voyait juste pas se marier pour le moment. Sa fierté avait été durement touchée aussi oui. Il s'était sentit trahi et avait voulu échapper à la douleur en s'enfuyant ainsi en voyage. Quelque chose qui lui avait donné envie de s'échapper, de voyager et voir du monde. C'était même cette chère Pénélope qui lui avait fait comprendre qu'il devrait voyager. C'était grâce à elle qu'il s'était rendu compte qu'il avait envie de voir autre chose, d'autres contrées, d'autres continents. Il l'avait remerciée lors du bal donné chez les Bassets avant son premier départ pour l'étranger.

Il ne savait pas exactement comment Lady W. savait qu'il avait été en Grèce mais cette femme était toujours étonnamment bien informée. Durant son périple pour la Grèce, il avait entretenu une correspondance avec Pénélope, et à son grand étonnement il avait énormément apprécié lire chacune de ses lettres qui était dotée d'énormément d'esprit et de talent. Il avait même fini par attendre la prochaine lettre avec une grande impatience, bien qu'il ne le lui ait jamais dit dans aucune de ses lettres. Pénélope était une très intéressante correspondante épistolaire. Il avait été énormément surprit par la qualité de son écriture. Toutes ses années où elle leur avait fréquemment rendus visite chez eux, il l'avait toujours considérée comme une sœur – au même titre qu'Eloïse de qui elle était très proche. Il ne l'avait jamais considérée autrement et c'était tout bonnement impossible pour lui d'accepter la voir autrement. A plusieurs occasion, il avait certes démontré un instinct plus ou moins protecteur envers elle mais comme il en aurait eu envers n'importe quelle de ses sœurs. Il appréciait discuter avec elle et elle avait un très joli sourire mais voyons, il n'avait jamais imaginer tomber amoureux  d'une sœur. Quant à se douter qu'elle n'ait pas eu des sentiments à son égard, Colin était très aveuglé à ce sujet. Il refusait de le voir.

Cependant, depuis le jour où une certaine conversation s'était déroulée où d'autres gentlemens s'étaient moqués de lui après qu'il eut dansé avec Pénélope, Colin se sentait mal. Ce jour-là, il avait un peu bu il est vrai, comme à n'importe quel bal, mais il s'en voulait d'avoir prononcé ces mots. Il n'aurait jamais dû dire : « Je ne me marierai jamais avec Pénélope Featherington ! Je ne dansais pas avec elle parce que je la courtisais... ! »  Le fait qu'elle ait tout entendu lui avait fait l'effet d'une douche froide et il s'était sentit terriblement stupide. Il s'en était voulu aussitôt, mais trop tard, ce qui était dit était dit. Il avait toujours eu de l'affection envers elle et elle avait toujours su le faire sourire à quelques occasions, et il se sentit mal d'avoir fait du mal involontairement à une amie. Pénélope avait réagi selon lui avec toute la dignité qu'elle avait toujours (il avait toujours été admiratif de cette conduite car elle semblait toujours avoir su supporté tout, y compris sa mère désobligeante à son adresse). Pourtant, le malaise s'était emparé de lui car il avait bien vu que pendant quelques secondes cela l'avait perturbée. Sans qu'il puisse s'en empêcher il s'en voulait terriblement.

L'envie de s'éloigner de nouveau, de voyager reprit place au fond de lui. C'était le bon moment pour repartir, songea-il. Après l'histoire de Marina, son début de voyages, son retour en Angleterre, puis ce qui s'était passé dernièrement avec Pénélope, c'était le bon moment pour disparaître de nouveau. Il avait alors décidé de continuer son périple autour du monde. Il y avait encore tant de pays qu'il n'avait pas vu. Tant qui méritaient d'être admirés. Et puis, il désirait avant tout éviter sa mère et sa tendance à l'aborder avec une liste entière de fiancées potentielles. Il n'avait, pour l'heure, aucune intention de se marier. Ses voyages lui semblaient soudain beaucoup plus importants. Et puis, à chacun de ses voyages, il avait commencé à en faire les récits dans un petit cahier et il y prenaient vraiment goût. Il ne les avaient montrés à personne et de toutes façons il n'avait pas suffisamment de confidence en lui-même pour oser les faire lire à qui que ce soit... Mais il s'était rendu compte qu' il aimait noter tous ces petits souvenirs de voyage.

Depuis qu'il est arrivé dans la ville, il y avait de cela trois ans, Colin avait eu quelques petites difficultés pour s'adapter – comme toutes personnes venant d'une époque se situant bien après la sienne mais il apprit vite à utiliser toutes ces choses qu'il n'aurait jamais connus dans sa propre époque. Il appréciait énormément la télévision et puis récemment il avait décidé de passer son permis afin d'être plus libre. Sa passion pour les chevaux et les courses à cheval était toutefois toujours restée intacte et il prenait énormément goût à assister encore à des courses de chevaux ; il faisait même de petits paris ici et là juste pour son amusement personnel.  Il suivait un peu toutes les émissions sportives qu'il voyait à la télé, du moins quand il n'était pas occupé à travailler pour réussir son master en Littérature.  

Colin était arrivé seul ici. Il n'avait pas revu sa famille et il fallait bien dire qu'ayant toujours eu un lien très étroit avec eux, sa famille lui manquait terriblement. Il essayait de se dire qu'il les reverrait un jour, mais après trois ans passés ici, il commençait à penser qu'il y avait peu d'espoir qu'il les revoit un jour. Cette ville avait la vilaine tendance à se ficher de la tête de ses habitants. En plus, il leur était impossible de quitter la ville, du coup impossible de continuer ses voyages comme il aimait le faire. Il n'avait plus que ses quelques carnets avec lui pour se remémorer cette autre époque, une époque qui déjà lui paraissait très lointaine. Au moins, on lui avait laissé ses carnets.

Et puis, au moins ici, on ne force pas les jeunes gens à se marier dès qu'ils sont en âge ; non, on les laisse faire ce qu'ils veulent. Colin avoue apprécier cette liberté et les moeurs bien différentes de celles de son époque.