Will n'a jamais aimé les hôpitaux. Rien d'étonnant à cela, les seuls à aimer les hôpitaux selon lui sont les hypocondriaques et cette assemblée d'individus affublés du syndrome du sauveur que l'on nomme médecins et autres infirmiers. Il n'aime pas les hôpitaux, mais force lui est d'admettre que les hôpitaux, en revanche, l'aiment beaucoup, la faute à des choix de carrière dangereux. La faute à des accointances extraprofessionnelles plus dangereuses encore. La faute enfin à un esprit fragile qui s'est lentement désagrégé jusqu'au point de rupture. Même si voilà un mois qu'il n'y a pas mis les pieds, Will serait capable de traverser le dédale de ces couloirs les yeux fermer sans envisager de s'y perdre. Avant même de se familiariser avec l'île, avec cette ville enveloppé de mystère, avec une situation improbable qui encore aujourd'hui peine à faire sens, c'est cet endroit qu'on l'a exigé d'apprivoiser, jusqu'à ce qu'il se remette, jusqu'à ce que soit réparé ce qui avait été brisé. Sauf que personne alors ne comprenait : les morceaux brisés s'étaient déjà reformés d'eux-mêmes, la tasse brisée s'était reconstituée, elle avait simplement pris une autre forme.
Pour le faire comprendre aux médecins qui l'encadraient alors, il aurait fallu que Will le comprenne lui-même. Dans un premier temps, ça n'a pas été le cas, même, il a entretenu ses névroses. Revenu à ces périodes d'incertitudes et d'hallucinations constantes, il ne faisait plus la distinction entre le réel, le rêvé, le vécu et l'espéré, Hannibal devenait une projection de son imaginaire, le fruit de son esprit dérangé, pourtant, ce n'est pas lui qui l'accompagnait à travers les couloirs de l'aile psychiatrique de l'hôpital, mais Abigail, comme elle l'avait accompagné dans ses errances juste après sa mort. Il avait conscience qu'elle n'était pas réellement là, mais il maintenait l'illusion, sa compagnie l'aidait à accepter plus facilement une situation inacceptable...
Les mois passants, Will avait appris à tricher. Il avait fréquenté suffisamment d'experts du domaine de la psychiatrie, d'où il venait, entre Hannibal, Alana, Bedelia ou le docteur Chilton, pour s'estimer capable de duper un autre expert du même acabit. Il a mis ses pensées tourmentées sous cloche, jamais absentes mais rendues muettes. Il n'était toujours sûr de rien, toujours inquiet de ne pas trouver Hannibal, qu'il n'ait jamais été là pour commencer mais il ne parlait plus de lui, il se cantonnait aux discours sensés et aux conversation raisonnables, et finalement, on l'avait laissé affronter un monde qui n'était pas le sien. Il ne s'y sentait pas à sa place, il était en quête, en errance, mais il était libre...
Raison pour laquelle il n'apprécie que peu de devoir retourner là, pour un examen de routine. Il a gardé ce réflexe, cette pensée, celle de ne jamais vouloir pénétrer le moindre endroit où son esprit différent pourrait être passé au crible, de crainte qu'on ne le laisse pas ressortir. Will est dans les meilleures dispositions, aujourd'hui. Il n'est plus perdu, il s'est trouvé, en le trouvant. Mais il s'épargnerait tout de même ce moment s'il le pouvait. Son équilibre se complaît dans le déséquilibre. Il se tient sans trembler sur une corde tendue au-dessus du vide. Il n'envisage pas de sombrer, mais préférerait ne pas y être encouragé. Alors il patiente dans une salle d'attente de l'hôpital, attend qu'on le reçoive. Hôpital oblige, rendez-vous ou non, il sait qu'il lui faudra prendre son mal en patience.
ϟPlus aucun médecin ne voulait de ce dossier, voila ce que j'avais entendu dire, lorsque que l'on m'avait donné le dossier du patient, Will Graham. Avant de rencontrer cet homme, qui visiblement avait eu des longs séjours en psychiatrie, j'avais pris le temps de lire son dossier. Je savais ce qu'était le rejet, la perte d'espoir et surtout, l'abandon ... Dans mes débuts en médecine, j'étais du genre à aimer la gloire, j'aimais relever tout les défis, mais quand il n'y avait aucun espoir, je n'hésitais pas à rejeter le dossier. Quand j'avais eu cet accident, me retrouvant face à un handicap dès plus douloureux, que se soit physique ou psychologique, enfin, j'avais compris qu'il était temps pour moi d'ouvrir les yeux. Des années et des années d'apprentissage en médecine, puis était venu les arts mystiques alors que tout espoir était perdu et j'avais réussi ! Ici j'avais à nouveau tout perdu, sauf ma façon de penser, j'avais peut-être à nouveau perdu l'usage de mes mains, du moins, j'avais retrouvé la douleur, mon esprit resté le même, j'avais changé et j'allais prouver que même sur les arts mystiques, j'étais apte à soigner. J'avais longuement étudié le dossier de Will Graham, un jeune homme très intelligent, une intelligence si grande, qu'elle en faisait peur. De l'empathie, sociopathie, hallucination, je prenais tout en compte.
Dans cet hôpital, mon bureau était simple, pas de mur blanc éclatant, non, j'avais fait en sorte que se soit couleur bois, comme lorsque j'avais rencontré le grand maître. Je ne voulais plus respirer l'air du désinfectant, non, j'avais besoin d'air pur, pas de chaise en plastique dur, mais des fauteuils confortables, on l'on pouvait ainsi rester plusieurs heures, sans souffrir. Mon but n'était pas de faire souffrir les patients, mais d'apporter du bien être, de la sérénité. J'avais aussi fait installé un canapé et j'étais fier, de voir qu'on mon bureau avait trouvé un style tibétain, le genre ou l'on peut s'évader, sans avoir peur que l'on surgisse avec une seringue, comme c'était le cas, dans des nombreux bureaux hospitaliers, j'avais aussi un bon plus, j'étais au rez de chaussée, ça faisait que j'avais une grande baie vitrée qui donnée sur un coin de verdure.
L'heure de mon rendez vous était arrivé, ayant bien enfilé mes gants en cuir, pour cacher les cicatrices de mes mains, je ne portais pas de blouse, j'avais toujours des vêtements simples, un pantalon noir et une chemise blanche. Sortant de mon bureau, j'appelais Mr Graham, avant de laisser celui-ci s'installer ou il le souhaité. "Bonjour Mr Graham, comme vous le savez, c'est moi qui reprends votre dossier, vous pouvez vous installer sur le canapé ou sur le fauteuil en face de mon bureau" de mon côté je rejoignis mon bureau, me préparant aussi psychologiquement à cette séance.
Finalement, Will n'aura pas eu à attendre si longtemps que cela avant qu'on ne l'appelle et vienne assurer son suivi. Tant mieux. Au plus vite il aura dépassé cette étape, au plus vite il pourra rentrer chez lui. Quand il est entre les murs de cet hôpital, le profiler ne peut s'empêcher de songer au fait qu'il n'en est peut-être jamais sorti. Cette frontière ténue entre ce qui est vrai et ce qui n'est que le fruit de son imagination devient immédiatement plus floue. Cet endroit a cet effet sur lui, et il déteste ça. Il n'a pas le sentiment d'avoir les pleins pouvoirs en ces lieux. Ces lieux sont hantés d'une partie de lui-même dont il s'est efforcé de se déposséder, et il est hors de question pour lui d'y revenir.
Il apprécie tout de même d'avoir affaire au docteur Strange qui en dépit de ce que son nom pourrait laisser suggérer, est un homme sérieux et compétent. C'est la première fois qu'il prend directement en charge son dossier, par conséquent Will ignore à quoi s'attendre. Ce qu'il sait en revanche, c'est qu'il a affaire à quelqu'un d'intelligent et de qualifié, ce qui n'est pas forcément chose rassurante pour lui, en réalité. Will a appris à berner son monde, et la manipulation fait partie intégrante de sa nature, mais il ne voudrait pas prendre le risque d'être percé à jour. Il a retrouvé un emploi, une vie civile. Aussi et surtout, il a retrouvé Hannibal.
Une fois dans le bureau du docteur Strange, il ne peut s'empêcher de jeter un oeil curieux à sa décoration qui ne ressemble en rien à celle à laquelle on s'attendrait dans un bureau d'hôpital. Plus à son goût, c'est certain, et ce n'est peut-être pas plus mal, encore que Will n'est pas entièrement sûr que ce soit une bonne chose. Entre des murs blancs, Will reste sur ses gardes, là, il veut se préserver d'un présumé sentiment de confort et de familiarité qui le pousserait à se confier plus que nécessaire, à baisser le masque. Will fait le choix de prendre place sur le fauteuil face au bureau de son interlocuteur tandis que ce dernier s'installe, et prend la parole une fois assis.
"Si je peux vous épargner les questions d'usage, je vais bien, très bien même. Je n'ai eu aucune absence, aucun cauchemar, aucune hallucination depuis ma sortie de l'hôpital, et je suis mon traitement scrupuleusement."
Il veut éjecter cet entretien au plus vite et sortir d'ici le plus rapidement possible, malheureusement, il n'est absolument pas dit que son interlocuteur le laissera s'"échapper" si facilement, l'inverse est même bien plus probable. Et dans le fond, c'est une chose que Will a d'ores et déjà comprise.