Il est intéressant quoique anecdotique de noter que l'inspiration est venue très tôt, née d'une nécessité de se débarrasser de ce qui était gênant, bruyant et désagréable, en plus d'être d'une stupidité certaine. Il est impossible de sourire et de s'amuser lorsque l'on s'emploie à vous causer du tort, que cela soit par des railleries, de basses moqueries ou même des bousculades que nul ne semblait considérer comme digne d'intérêt. Ce qui fut tout aussi intéressant est l'incroyable facilité avec laquelle la chose se passa, comme prévu et sans que rien ni personne ne puisse l'empêcher alors que cela aurait été si simple. Il est à noter que peu importe à quel point un individu peut être ennuyant, dès lors qu'il s'agit d'un enfant, sa disparition est irrémédiablement considérée comme une perte, quand bien même celui-ci était peu apprécié. Quelle fascinante dualité que l'humanité, cela est digne d'intérêt, assurément.

Il n'y a rien de compliqué à singer les expressions d'empathie chaleureuse, loin de là. Il suffit de se parer de son sourire le plus grand en feintant une excitation positive pour que cela soit interprété comme un franc sourire. Il convient tout autant de feindre un air désolé, mélange singulier d'une moue pleureuse légère à celle d'un haussement de sourcils faussement craintif, pour que nul ne se doute que la mort qui vient de survenir ne vous affecte en aucune façon. Naïfs, naïfs et simples d'esprit, tous autant qu'ils sont. Après m'être débarrassé de cet individu bruyant qui partageait les mêmes bancs d'école que moi, il m'a fallu patienter plusieurs années avant que l'occasion ne se représente. L'intelligence est une arme qui, si elle est brimée par certains, se retournent contre eux afin de permettre leur mise à mort. Il m'a cependant fallu faire preuve de prudence pour ne pas attirer l'attention, là encore. Un banal accident de la route, l'adolescent qui traverse en courant sans se rendre compte qu'un véhicule arrivait à grande vitesse. Un artiste ne livre pas ses secrets, comment il a fait en sorte que ce véhicule précis, conduit par une certaine personne honnie, se retrouve à passer dans cette rue, à ce moment exact, et comment l'adolescent visé s'est retrouvé à pourchasser celui qui avait prévu de le mener à sa perte. Ah, comme il est étonnant de voir avec quelle facilité un corps est projeté dans les airs, comme il rebondit si bien sur une carrosserie et un pare-brise en une danse singulière et rapide avant de retomber lourdement sur le bitume, demeurant ensuite inerte et désarticulé comme une vulgaire poupée de chiffon ensanglantée. Les corps ne sont rien, cette expérience l'a prouvé une fois encore. Facile, facile, facile... tout cela est bien trop facile.

J'ai longtemps poursuivi une quête qui, loin de me paraître inaccessible, m'a rapidement présenté son but que j'ai atteint bien trop facilement à mon goût. Manipuler autrui, les pousser à faire ce que vous voulez, avec ou sans leur consentement, s'assurer les services de ceux qui vont se croire des alliés alors qu'ils ne sont que des pions sur l'échiquier de ce monde décidément bien trop étroit. L'argent, l'influence et le pouvoir sont aussi éphémères qu'aisés à obtenir, éliminer ceux qui échouent à une simple tâche, un simple ordre à exécuter, est rapidement devenu une nécessité. Couvrir ses traces, sans cesse, effacer les preuves, les transformer, manipuler l'information, en obtenir le contrôle, influencer la population et les forces de l'ordre eux-mêmes... Ils sont rares, ceux qui ont jamais présenté le plus petit intérêt, j'ose à dire que je peux les compter sur les doigts d'une seule main et, fait amusant, deux d'entre eux appartiennent à la même famille et partagent le même nom : Holmes. Je ne vous parle pas de cet imbécile de Mycroft, mais de son aînée et de son cadet, les seuls dignes d'intérêt. Le cadet, parlons-en : il a su s'entourer de victimes parfaites mais également d'un chien de garde qui aime aboyer, le genre fidèle et ennuyant, toujours à se mettre en travers du chemin. Le plus grand ennemi, cependant, n'est jamais matériel et, dans mon cas, ce fut certainement l'ennui qui me poussa à jouer davantage avec le feu, à laisser entendre ma voix, à me montrer moi qui demeurait toujours caché, jusqu'à finalement faire face à mon adversaire qui semblait capable de faire un bon partenaire de jeu... Nous avions rendez-vous en haut de cet immeuble, le plan était parfait, la toile savamment tissée autour de lui, les pions en place et tous prêts à jouer leur rôle. La musique dans les oreilles, je patientais en regardant ces êtres insignifiants qui fourmillaient en contrebas et puis soudain...

Obscurité.

Ténèbres.

Avais-je chuté et m'étais tué en arrivant au sol ? Le choc avait-il été si violent que j'en avais oublié jusqu'à l'évènement même ? Je n'ai su d'abord comment j'ai atterri dans cet endroit inconnu, entouré de bougies et de silhouettes, avec pour premier repère une voix qui s'éleva en me donnant un indice de taille :

"Alors c'est pas tout à fait celui que j'avais commandé... mais on va s'en contenter."

S'en contenter ?!

J'entends plusieurs rires autour de moi, je constate que je suis au milieu d'un symbole à portée mystique, un pentagramme au premier regard, et je me relève lentement en portant sur cette assemblée un regard noir qui fait reculer d'un pas plusieurs de ceux qui se sont permis de rire. La voix résonne de nouveau :

"Tu peux tuer, ou on peut organiser une orgie pour ton arrivée, c'est toi qui voit. Comment tu t'appelles ?"

Moi ? Donner mon nom ? Me prendrait-on pour un agneau de deux semaines ?

- ... Richard. Et les deux ?

"Tu devrais rester avec nous pour les prochaines 37 heures, le soleil ne se lèvera pas."

Comment cela, le soleil ne se lèvera pas ? Mon regard se porte sur la personne qui s'adresse à moi et qui semble gouverner cette pitoyable assemblée. Les questions qui se précipitent en ordre marqué vont pouvoir trouver réponse auprès de l'entité, quelle qu'elle soit.

Quel est ce endroit ? Telle est la question que j'ai posé, mais les réponses ne furent guère suffisantes pour apaiser ma curiosité, et c'est ainsi qu'un vent de renouveau a soufflé en moi, balayant ce qui avait cherché à disparaître pour m'offrir un nouveau terrain de jeu, un nouveau monde à conquérir, quand bien même celui-ci s'est vu retranché au sein d'une simple ville. Enfin, simple... intéressante serait plus exact. Toutes les lectures que j'ai trouvé n'ont pas suffit, mais les êtres demeurent et, notamment, des êtres d'une nature que l'on peut qualifier de surnaturelle. Quelles sont leurs limites ? Quelles sont leurs forces et leurs faiblesses ? Leurs failles ? Peuvent-ils être manipulés, dominés, tués ? Il va me falloir expérimenter et contrôler tout cela, je sens que je vais bien m'amuser dans cet endroit.