Comme tous les jours depuis trois ans, Piper s’était rendue chez Pop’s pour travailler en cuisine. C’était là qu’elle avait retrouvé sa mère, dès son premier jour de travail. Et depuis, régulièrement, elle la croisait dans cette pièce et pouvait discuter de tout et de rien avec elle. Pour l’instant, elle n’avait retrouvé aucun autre membre de sa famille et ignorait qu’elle allait découvrir deux de ses enfants adultes dans ce monde-ci dont un dont elle ne savait même pas si elle était réellement née ou non puisque pour elle, Mélinda venait de ce qui était devenu une réalité alternative.

Enfin, bref, alors que le ballet des clients s’était ralenti, elle vit Patty la rejoindre pour discuter avec elle.

« Non, tu ne me l’avais pas dit, maman. Tu en es heureuse ? Une partie, donc quel pouvoir ? Je peux déjà partager avec toi mes souvenirs du moment où nous avons retrouvé nos pouvoirs avec Phoebe et Prue après la mort de grand-mère. C’est sûr que tu vas devoir retrouver comment le canaliser. Peut-être en faisant des exercices dans des endroits que tu juges sans danger. A défaut de pouvoir te montrer certaines choses tant que je n’ai pas retrouvé mes pouvoirs, il me reste mes connaissances théoriques. »

Oui, elle mesurait bien combien ne pas pratiquer la magie pendant longtemps pouvait rendre difficile le fait de gérer correctement la chose en reprenant possession de ses pouvoirs, étant elle-même passée par là.

« C’est sûr que ça ne t’aide pas. » acquiesça-t-elle.

Piper n’avait pas encore réalisé que son fils et sa fille étaient là, dans le restaurant où elle travaillait. D’autant moins qu’elle ne se souvenait de Chris qu’en tant que bébé, parmi ses souvenirs effacés figuraient la période où celui-ci avait fait un voyage depuis le futur pour sauver Wyatt. De même, la journée de l’affrontement final avec Billie et Christie, tous les voyages dans le temps, tout ce qui était lié à Léo ou au voyage de Chris et Wyatt pour récupérer les pouvoirs de ce dernier était flou voire disparu de son esprit. Elle n’avait donc aucun moyen d’identifier les visiteurs.

Piper écouta la réponse de sa mère quant au retour de ses pouvoirs.

« Phoebe a toujours été la plus douée de nous trois, nous quatre même pour écrire des formules… De toute façon, j’imagine que c’est plus le pouvoir d’immobilisation moléculaire que tu veux réapprendre à maîtriser ? L’une des choses dont je me souviens, c’est que nos pouvoirs sont directement reliés à nos émotions et à notre confiance en nous. J’imagine qu’il en est de même pour toi. Par exemple, au début, à la mort de grand-mère, après que Phoebe ait récité la formule qui nous a permis de récupérer nos pouvoirs, elle a vite constaté que c’étaient des émotions précises qui les déclenchaient. Chez Prue, c’était la colère, chez moi, la peur, le stress. Il faudrait que tu trouves ou te souvienne de l’émotion qui déclenche ton pouvoir d’immobilisation moléculaire. Au début, c’était en provoquant l’émotion, en répétant les gestes qu’on avait fait qu’on a pu sciemment utiliser nos pouvoirs. Après, avec la pratique, on n’a plus eu besoin de ça. Par contre, nos émotions ont continué à influencer nos pouvoirs » lui raconta-t-elle, pour l’aider à retrouver la maîtrise de sa capacité à arrêter le mouvement des molécules.

« Je t’aiderai avec plaisir, maman » ajouta-t-elle.

Puis, Piper vit sa mère quitter la cuisine pour accueillir les nouveaux clients. N’ayant pour l’instant rien d’autre à faire, mûe par une sorte d’instinct, la jeune femme passa la tête par les portes de la pièce. C’est alors qu’elle découvrit sa mère en grande conversation avec deux jeunes gens qu’elle ne reconnût pas. L’un parce qu’elle ne se souvenait que de lui bébé, l’autre parce qu’elle appartenait pour elle à une réalité alternative dans laquelle elle ne l’avait vue que quelques minutes vers l’âge de dix ans. Elle constata néanmoins que Patty semblait les connaître ou tout du moins, connaître la jeune femme.

Piper venait de passer la tête par l’entrebaillement de la cuisine, lorsqu’elle entendit deux voix, l’une après l’autre, s’exclamer « maman ! ». A qui pouvaient bien s’adresser ces jeunes gens ? Jusqu’à preuve du contraire – après tout, pendant bien des années, elle avait ignoré l’existence de Paige -, sa mère n’avait eu que des filles. Le jeune homme ne pouvait donc pas parler de Patty. Elle n’avait pas de frère n’est-ce pas ? L’éventualité que ce pût être Chris ne lui traversa pas vraiment l’esprit. Certes, la lune rouge avait pu ramener des morts à la vie, mais cela ne voulait pas dire qu’elle avait fait passer des bébés à l’âge adulte ? Ni qu’elle avait pu amener des personnes pas encore nées à l’époque qu’elle avait quitté ? Car oui, quand elle avait quitté San Francisco, Wyatt et Chris étaient nés, mais des enfants en très bas âge. Le regard des deux jeunes gens semblaient pourtant tournés vers elle…
Tout cela perturbait grandement la trentenaire. Elle qui avait toujours été sensible, accusait le choc. Elle ne parvint qu’à dire :

« Mais, comment… »

C’était tout juste si, à la distance où elle se trouvait d’eux, sa voix devait être perceptible.

Chancelante sous l’effet de l’émotion, elle s’approcha néanmoins d’eux, des larmes aux yeux.

« Chris ? Mais… mais… Quand j’ai quitté San Francisco, tu n’étais qu’un petit garçon. Wyatt et toi étiez nés, mais je n’avais pas d’autre enfant. »

Puis, s’adressant aux deux à la fois, elle demanda :

« Mel ? Mélinda ? »

Oui, elle se souvenait vaguement de ce voyage dans ce qui était son futur, un futur que Prue, Phoebe et elle avaient heureusement réussi à éviter, avoir rencontré une fillette d’environ dix ans, de brefs instants, et qui était sa fille. Mais, ce souvenir, comme tous ceux liés d’une manière ou d’une autre à Léo était vague, très vague…

« Vous voulez dire… Tu es la fillette de dix ans que j’ai vue lorsque j’ai visité un futur que nous avons pu éviter ? » reprit-elle, peinant à trouver ses mots.

Si c’était ça… Oh que ça semblait compliqué ! Piper commençait déjà à se faire des nœuds au cerveau tant toute cette situation lui semblait à la fois étrange, absurde, impensable. Elle ne parvenait pas à raccrocher les pièces du puzzle, comme si de trop nombreux morceaux manquaient ou étaient partiellement effacés. Et quelque part, c’était le cas… Puisqu’elle ne se souvenait que très vaguement de l’existence de Léo, sans connaître son prénom. Puisque Chris et Mélinda venaient de ce qui était pour elle le futur… Quel embrouillamini cette lune rouge semblait-elle avoir créé !

Finissant par exprimer la pensée qui lui avait traversé l’esprit, en bredouillant, elle finit enfin la phrase qu’elle avait commencé un peu plus tôt :

« Mais co… comment est-ce possible ? »

Si c’était ça, s’ils avaient été transporté de son futur dans cette ville, ça voulait dire que la lune rouge avait aussi sévi dans son futur. En plus de dans le passé de la famille Halliwell. Mais, cela voulait aussi dire qu’elle avait laissé des bébés à San Francisco – qui savait ce qu’ils avaient pu devenir ? – et qu’à cause de cette satané lune rouge, elle n’avait pas vu ses enfants grandir, qu’elle ne les verrait peut-être jamais grandir ! Non seulement elle avait été privé d’une vie normale en devant sauver des innocents, et maintenant, elle était privé de la joie de voir évoluer ses enfants, à tous les âges ! Qu’avait-elle bien pu faire dans ses vies antérieures pour mériter cela, pour avoir un karma pareil ? Car elle savait bien qu’elle avait eu des vies antérieures… Elle avait eu l’occasion de le découvrir durant toutes ces années où elle avait pratiqué la sorcellerie pour protéger son prochain…