The accounting of what's important and what isn't [Abigail]

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important and what isn't.

Abigail & Will

Will assure qu'il lui fait confiance, mais la remarque qui suit amuse ouvertement la jeune femme, qui lui adresse un regard en coin complice et légèrement moqueur.

- Ah, je me disais bien, sourit-elle en réponse au ton plus léger qu'il emploie pour aviser qu'ils prennent les routes moins fréquentées.

Elle est tout de même touchée qu'il la laisse conduire et, surtout, qu'il accepte de l'accompagner... Tout en déployant des efforts qu'elle perçoit pour la soutenir. C'est une attention qu'elle apprécie, et qui n'a rien de l'intensité oppressante et vaguement préoccupante qu'avait eu son père, où de celle, indéchiffrable, d'Hannibal. Will est certainement celui en qui elle peut le plus avoir confiance, malgré les ombres qui persistent quant à leur passé commun. Et c'est pour cette raison qu'elle se confie à lui, et admet avec une honnêteté inhabituelle qu'elle le considère comme son père. En bien des points, il est bien plus un père pour elle que ne l'avait été son géniteur. Avec ce dernier, elle avait craint des gestes... qu'un père ne devrait pas avoir envers sa fille, même un père qui l'aimait un peu trop. Elle avait craint sa violence. Et pourtant, elle ne craint pas la violence de Will, ni même la force de son empathie qui, par le passé, l'avait effrayée.

Abigail perçoit l'émotion de Will, et dans un premier temps, elle ne sait pas comment l'accueillir. Elle l'observe avec une certaine maladresse, attendant qu'il s'exprime. Ce qu'il lui répond la rassure, et confirme ce qu'elle vient d'affirmer. C'est une certaine fierté qui emplit son coeur lorsqu'il affirme, à son tour, qu'elle est sa fille. Elle découvre, en cet instant, à quel point elle avait eu besoin de l'entendre. Et la proposition qu'il suggère finalement la laisse d'abord sans voix. Pour se donner contenance, elle choisit, dans un premier temps, de répondre par la plaisanterie :

- Je ne sais pas si ce serait bon signe pour toi.

Son père était mort deux fois, après tout... Mais avec Will... Tout pourrait être différent. Ce serait avant tout symbolique, bien sûr. Comme tout ce qui régit les relations de cette famille recomposée. Mais ce serait... pertinent. Évident.

- Je crois que ça me plairait, admet-elle enfin tout en démarrant le véhicule.

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Will répond au sourire d’Abigail par un autre quand cette dernière remarque avoir vu clair dans son jeu au moment où il reconnaît que s’il lui confie le volant de sa voiture, il ne la laissera pas aller n’importe où avec. D’un côté comme de l’autre, ce ne sont pas des piques qu’ils s’adressent, mais plutôt la marque d’une complicité réelle, telle qu’il pourrait vraiment en exister entre un père et sa fille, et cette pensée lui fait sincèrement du bien. Will a le sentiment d’avoir atteint, auprès d’Abigail, un seuil d’affinité et de compréhension qui le rassure. Pour lui qui est si peu capable d’entretenir des relations saines dans quelque domaine que ce soit a l’impression de savoir être le père qu’Abigail a besoin qu’il soit pour elle. Certes, il n’est clairement pas le père idéal au sens le plus conventionnel du terme, mais Abigail n’a pas besoin d’un parent conventionnel… d’ailleurs, elle n’en a jamais eu. Le rôle qu’il est capable de remplir auprès d’elle, de même qu’Hannibal, à une échelle différente, est précisément celui qu’il s’était imaginé remplir avant que les circonstances les plus cruelles ne rendent ce scénario possible que dans son imaginaire.

C’est peut-être ce constat qui le pousse à formuler une requête qu’il n’avait pas forcément envisagé de faire si vite. Abigail avait eu besoin de temps après la mort de son père, le fait qu’elle consente à vivre sous leur toit ne veut pas dire que sa proposition ne sera pas considérée comme inadéquate ou inadaptée… sans oublier qu’Abigail est une grande fille quoi qu’il en soit. Du haut de ses vingt-deux ans, la jeune femme n’a probablement pas besoin que qui que ce soit s’octroie le rôle de père officiel, un rôle arraché à la tombe encore fraîche de son géniteur… bien sûr, leur situation est différente, et Will veut penser être un père aux yeux d’Abigail depuis bien plus longtemps que cela.

Sous le prétexte d’être attentif aux gestes d’Abigail alors qu’elle s’empare du volant de sa voiture, Will trouve une échappatoire pour ne surtout pas la regarder dans le blanc des yeux – chose qu’il déteste faire par-dessus tout dans tous les cas. En guise de réponse, Abigail commence par une plaisanterie. Will ne lui en tient pas rigueur, il comprend qu’elle a besoin d’appréhender la nouvelle, ce qui n’est évidemment pas chose facile. Il a l’impression que les secondes qui s’écoulent avant qu’elle ne formule une réponse concrète durent une éternité.

« Je suis sûr que ça me plairait », répond Will avec tendresse, toujours sans la regarder, mais un sourire plus lumineux aux lèvres. « Bon, c’est le moment de te concentrer, il serait dommage de nous planter maintenant, pas vrai ? » fait-il avec plus de sérieux, endossant son rôle de moniteur d’auto-école improvisé.

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La tendresse qu'elle perçoit dans la voix de Will lui fait chaud au coeur. Ce n'est pas une tendresse similaire à celle qu'avait son père, autrefois... Une tendresse certes sincère, mais qui était menaçante, aussi. Trop douloureuse, trop intense pour être rassurante. La tendresse de Will, bien au contraire, la réconforte. Elle se sent... À sa place. Avec lui, et, plus mystérieusement, avec Hannibal, aussi... Sous leur toit, auprès d'eux, elle ne s'est jamais sentie aussi épanouie.

Il l'incite ensuite à se concentrer, et cette remarque lui décroche un sourire. La vérité, c'est que ses précautions verbales sont inutiles. La voie semble déjà toute tracée, maintenant... L'adoption officielle est une étape logique. Qui aurait déjà pu advenir par le passé, bien avant... tous les drames qui se sont produits. Mais finalement, sauter le pas, dans cette Ville, dans cette nouvelle vie... C'est plus harmonieux. C'est plus évident.

- Oui...

Cette fois, elle se concentre sur ses manœuvres, et parvient tant bien que mal à quitter la place, prenant mille précautions pour ne pas causer d'accidents. Lorsque la voiture finit par rejoindre la route, Abigail reporte brièvement son regard sur Will. Elle conduit un peu trop lentement, mais s'en sort étonnamment mieux qu'elle ne l'avait envisagé elle-même.

- Je connais principalement les rues en tant que piétonne, alors... n'hésite pas à m'indiquer la route, tu la connais sans doute mieux que moi. C'est pas désagréable, de t'avoir comme co-pilote, d'ailleurs, observe-t-elle d'un ton léger.

Et pendant qu'elle conduit, elle espère de tout coeur que des instants comme celui-ci, ils pourront en avoir bien d'autres à l'avenir. Abigail s'est engagée dans le mode de vie de Will et Hannibal, elle est prête à agir pour la survie de leur famille, elle est prête à participer à toutes ces actions innommables qui leur ferait passer la vie derrière les barreaux si cela se savait, mais... l'intensité de ces moments et de ce qui les lie tous les trois lui fait d'autant plus apprécier ces instants de légèreté où ne comptent plus que l'affection mutuelle et le plaisir presque pur de passer du temps ensemble.

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Et ainsi, en quelques mots sans doute un peu maladroits tant les interactions de la sorte sont complexes à appréhender pour Will (et en l’occurrence on ne peut plus inédites), en quelques phrases échangées, voilà qu’ils décident symboliquement de se donner la preuve la plus certaine, la plus flagrante et la plus inextinguible du lien qui les unit. Abigail était sa fille bien avant tout ceci, bien avant, probablement, que la principale concernée en ait conscience elle-même, mais cela ne deviendra pas seulement… imaginaire, cela deviendra factuel, réel… un de ces dons précieux que lui offre cette ville, et dans lequel Will ne pensait pas pouvoir s’autoriser à croire. Will pourrait s’épancher en longs discours, faire comprendre à Abigail combien elle est importante pour lui, mais les longs discours n’ont jamais été son fort… Et surtout, en cet instant et plus que jamais, Will est convaincu du fait qu’Abigail en a parfaitement conscience. Ils n’ont pas besoin d’en dire plus, et il est donc temps de se concentrer sur cette promesse faite à Abigail de l’initier à la conduite, comme un père pourrait tout naturellement le faire avec sa fille.

Abigail est concentrée, réfléchie. Elle conduit en-dessous de la vitesse recommandée, mais Will sera le dernier à le lui reprocher, au contraire rassuré par sa conduite lente et appliquée, qui lui prouve qu’elle prend l’exercice au sérieux. Elle lui suggère de lui servir de GPS, ce qui ne sera probablement pas du luxe en effet, et il hoche simplement la tête avant de lui adresser quelques mots.

« Tu peux compter sur moi pour te montrer le chemin. »

Prosaïquement, il parle bien sûr de cette route à emprunter afin de rejoindre cette maison qui ne sera bientôt plus la sienne une fois débarrassée de toutes les affaires qu’elle contient et revendue, mais bien sûr, son propos s’entend dans un sens plus général. Le chemin sur lequel il la guide n’est peut-être pas le plus recommandable qu’il soit, et lui-même s’est dans un premier temps efforcé, autant que possible, à l’en détourner de crainte de ce qu’elle pourrait bien subir. Mais pour l’avoir vécu, cette lutte contre soi-même, contre sa nature profonde, est aussi vaine qu’éprouvante. Il ne veut pas qu’Abigail ait à l’endurer jusqu’au point de rupture. Non, il ne la laissera pas l’atteindre. Et il sera présent, à ses côtés, autant que nécessaire, toujours.

Il se concentre davantage sur la route, n’oubliant pas que la confiance d’Abigail repose en transe partie sur celle qu’il peut placer en elle, et qui exige de sa part une vigilance totale, trouver l’équilibre entre la confiance et l’instinct protecteur qui sera toujours le sien quand il est question de sa fille. Après plusieurs minutes, Will invite Abigail à se garer, alors qu’ils se retrouvent sur place.

« Est-ce que tu te sens prête ? »

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L'affirmation de son père adoptif la fait sourire. Elle en comprend le double sens, s'attardant même davantage sur ce double sens que sur sa signification première. Autrefois, elle s'était principalement fiée à Hannibal et s'était laissée guider par lui, tout en se méfiant de Will... La situation avait tendance à s'inverser à ce jour, quoique sa méfiance à l'égard du psychiatre commence à s'atténuer pour retrouver des allures de fascination mêlée d'horreur. Pouvoir faire confiance à quelqu'un, qui plus est à une figure paternelle... c'était important, pour Abigail.

Gardant le fil de ses réflexions pour elle, son sourire ne fait pourtant que s'étirer.

- Je sais, Will, affirme-t-elle doucement.

Il s'agit d'un remerciement autant que d'une manière discrète de le rassurer. Elle a besoin qu'il la guide, dans tous les sens du terme. Et elle lui est reconnaissante du fait qu'il accepte de prendre ce rôle très au sérieux. Elle a beau s'être un tant soit peu affirmée en ces quelques années de vie supplémentaires, elle n'en est pas moins dans un état de pensée où différents sens de la morale s'affrontent, où ses avis ont tendance à changer au gré de ce qu'elle voit et de ce qu'elle entend... En somme, elle est légèrement perdue, partagée entre une envie de normalité et le besoin, bien plus impérieux, de prouver qu'elle n'est pas seulement une victime.

Ils arrivent finalement devant la maison de son père.

- Je suis prête.

Elle sort du véhicule, déterminée. Craignant que des regards trop indiscrets s'attardent sur eux, elle s'avance rapidement pour ouvrir la porte, puis invite Will à entrer avec elle d'un geste de la tête. Les cartons sont déjà prêts, grâce à l'assistance d'Harry.

Abigail tente, vainement, de ne pas laisser son regard traîner en direction de la cuisine ou du salon, là où trop de souvenirs lui reviennent en mémoire. Se raclant la gorge dans un effort pour contenir son trouble, elle désigne un tas de cartons.

- Là, c'est ce que je garde. Et là, fait-elle en montrant d'autres cartons placés de l'autre côté de la pièce, c'est ce que je peux donner ou vendre.

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Quand Abigail lui affirme avec douceur savoir qu’il sera présent pour elle afin de lui montrer le chemin à suivre, il sait que ce ne sont pas des paroles en l’air. La jeune femme sait précisément qu’il ne faisait évidemment pas que référence à la route qu’ils doivent tracer concrètement à présent, mais bel et bien au cheminement de vie que la jeune femme poursuivra, et concernant laquelle il a l’intention de l’aider et de l’accompagner dans la mesure de ses propres possibilités. Elle répond en son âme et conscience, et c’est un constat qui a le don d’apaiser Will. Ils s’entendent et se comprennent, en cet instant, sans hésitations ni tergiversations.

Will n’ajoute rien à ce sujet, se promet seulement, intérieurement, de se montrer à la hauteur du rôle qu’Abigail accepte de lui confier. Il n’avait pas toujours été certain de savoir s’en montrer digne, en réalité, d’autant plus que l’influence d’Hannibal sur ses décisions et sur sa vie devait naturellement l’impacter et tout aussi naturellement lui faire redouter que la jeune femme en accuse de très sévères conséquences. Ce n’est plus le cas à présent. Will ne s’efforce plus de protéger Abigail d’Hannibal, même s’il la couvera toujours d’un regard protecteur et saura émettre des réserves auprès d’Hannibal pour commencer. Il a admis qu’il ne peut pas dissocier sa relation avec son fiancé de sa relation avec sa fille adoptive. Les deux son corrélées de telle manière que prétendre être en mesure de les distinguer serait les priver, au moins partiellement, de leur véritable substance.

Une fois garés devant la maison qui avait été le foyer d’Abigail durant plusieurs années dans ce monde, la jeune femme semble résolue, déterminée. Will la suit à l’intérieur pour découvrir un tas de cartons empilés. Tout est d’ores et déjà près. Abigail leur a, à l’évidence, facilité la tâche. Will n’est pas tant intéressé par l’intérieur de la maison que par Abigail. Il n’a de cesse que de lui adresser des regards à la dérobée. Il veut s’assurer qu’elle va bien, autant que possible. Il n’a aucun mal à deviner son trouble. Cette maison, il en est convaincu, est imprégné de souvenir.

« Je me souviens des mots que tu avais prononcés, quand nous étions retournés chez ton père, après sa mort », fait-il en essayant d’occulter combien cet épisode avait dû être éprouvant pour lui, et traumatisant pour elle. « Cette maison était devenue totalement impersonnelle, pour toi. » Il la fixe un instant. « Tu le penses encore, maintenant ? » Il marque une pause. « On peut prendre tous ces cartons, s’en débarrasser rapidement et s’en aller. Ou on peut s’attarder plus longtemps. »

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Le souvenir évoqué par Will a le mérite de détourner son attention des cartons. Ne comprenant d'abord pas où il veut en venir, son visage finit par s'illuminer tandis qu'il poursuit. Oui, cette fois-ci, elle comprend. Ayant remarqué ses regards à la dérobée, couplés à sa question, Abigail se rend pleinement compte de la manière très attentive qu'il a de veiller sur elle, à sa façon… Comme un véritable père. Plus émue qu'elle ne le pensait face à ce constat, elle se racle la gorge le temps de se donner contenance et s'efforce de lui répondre sincèrement :

- Pas autant que je l'espérais, avoue-t-elle d'un air pensif. Je crois… Je crois qu'avant, la présence de ma mère changeait beaucoup de choses.

Elle n'avait jamais tant éprouvé la relation particulière, tendue et violente qu'elle partageait avec son père que dans cette ville, durant ces trois années sans mère, sans aucune autre présence pour inciter son père à plus de prudence et de discrétion vis-à-vis de ses pulsions plus ou moins refoulées. Mais, si les souvenirs étaient nombreux et intenses, elle ne tenait cependant pas à les laisser envahir quoi que ce soit. Ni son esprit, ni ses cauchemars… Plus vite elle aurait vendu cette maison, plus vite elle tournerait la page. Et plus vite elle accepterait pleinement sa nouvelle famille, moins conventionnelle mais bien plus évidente et naturelle que la précédente. S'attarder ne mènerait à rien de concret, rien de bien, rien d'utile, donc. Tout au juste est-elle un rappel encore trop constant d'un traumatisme qu'elle s'efforce de surmonter avec autant de flegme que possible.

- Je ne tiens pas à m'attarder. J'ai déjà passé bien plus de temps que nécessaire, ici,  conclut-elle plus légèrement.

Et, pour ponctuer sa décision, elle adresse un mince sourire à Will, avant de désigner du menton une pile de cartons posés contre le mur du couloir.

- Ceux-là sont plus lourds, je vais avoir besoin de ton aide. Mais il n'y a rien de fragile, au moins.

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Will hoche doucement la tête à la réponse d’Abigail. La mère de cette dernière était toujours la grande absente des conversations. On évoquait Garret Jacob Hobbs plus souvent que nécessaire, on s’épanchait sur le rôle que joueraient Will et Hannibal dans la nouvelle vie d’Abigail… Cette dernière avait des pères comme s’il en pleuvait, tous plus psychotiques les uns que les autres, mais sa mère… Sa mère, elle, qui était certainement – ou jusqu’à preuve du contraire en tout cas, la plus innocente d’entre tous, était la grande absente. Occultée des conversations, certes, mais certainement pas de l’esprit d’Abigail. Will n’y songeait jamais, peut-être parce qu’il préférait occulter d’entrée de jeu cette possibilité, mais se pourrait-il que cette figure maternelle finisse par lui manquer ? Il désavouait cette nécessité, en partie parce qu’il trouvait cette construction sociale absurde, en partie également parce que ça l’arrangeait, mais Abigail avait grandi avec cette mère… Alors…

« Tu en parles rarement… », constate-t-il doucement.

Ce n’est pas un reproche, cela ne sous-tend rien, c’est juste un constat. Tous les deux ont pu s’épancher longuement au sujet du père biologique d’Abigail et sur le rôle qu’il avait tenu dans son existence, que ce soit dans cette vie ou dans la précédente, mais quid de Mrs Hobbs ? Will, tout curieux soit-il, n’avait jamais fait montre de cette curiosité-là. A tort, certainement. Quand il prononce ces mots, c’est une invitation. A s’épancher si elle le désire, à ne rien dire du tout et à balayer cette réflexion d’un revers de la main si elle le préfère, maîtresse de ses choix et de ses confessions.

Il hoche la tête quand la jeune femme confirme ne pas vouloir s’attarder plus que nécessaire, ce qu’il comprend parfaitement. Alors ils n’ont plus qu’à se mettre à l’ouvrage. Will est peut-être plus impatient encore que ne peut l’être Abigail de débarrasser les lieux de tous ces cartons avant de fermer une bonne fois pour toutes les portes de cette maison comme l’on referme la porte d’une ancienne vie qui ne vaut plus la peine que l’on s’y attarde. Il veut conclure ce chapitre pour de bon, même s’il semble pour le moins impossible que l’ombre de Garret Jacob Hobbs ne flotte pas au-dessus de leur relation pendant très longtemps encore, tantôt lointaine, tantôt oppressante. La vente de la maison également obligera d’y revenir, ne serait-ce qu’en pensée, mais le plus gros sera fait. Abigail a besoin de changer de cadre, et Will veut être celui qui lui offrira ce nouveau cadre privilégié, un étrange espace de sécurité dans un monde qui devrait plutôt l’inquiéter.

Les cartons sont déposés un à un dans le coffre et à l’arrière de la voiture, malmenant les bras rapidement éprouvés de Will.

« Je pense qu’on a tout ? » suggère-t-il en tournant son regard vers Abigail.

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Will a raison de l'observer, Abigail parle en effet rarement de sa mère. De son père, en revanche, elle en parle régulièrement. Peut-être trop, quoique de moins en moins depuis quelques temps. Mais les occasions où elle en vient à parler de lui sont généralement des occasions où elle n'a pas d'autre choix que de l'évoquer ou de songer à lui. Sa mère, en revanche… Elle est la grande absente de cette nouvelle vie. Sans doute même la grande absente de l'ancienne, en présence passive qu'elle était.

- J'ai parfois l'impression qu'elle me manque. Mais la vérité, c'est que je ne m'en souviens pas vraiment.

Ce qui lui manque, occasionnellement, c'est une présence féminine… Qu'elle avait vaguement comblée, autrefois, avec Alana Bloom. Avant de s'en affranchir de la plus littérale et symbolique des façons en la défenestrant. Une présence féminine qu'elle trouvait différemment avec ses connaissances à l'université, ou avec son unique amie. Et, plus récemment, grâce à quelques conversations qui n'auraient pas dû avoir lieu avec une certaine Verger.

Elle ne sait pas comment interpréter le fait qu'elle se souvienne à peine de sa mère, elle ne sait pas non plus comment Will l'interprétera et elle est certaine qu'Hannibal aurait beaucoup de choses à dire à ce sujet, mais pour l'heure, elle ne tient pas à s'épancher sur le sujet. Plus vite ils en auront fini avec ces cartons, plus vite elle pourra laisser cette maison derrière elle.

Les cartons sont finalement transportés dans le véhicule, ses muscles se chargent d'ailleurs de le lui rappeler douloureusement, mais c'est avec la satisfaction du travail bien fait qu'elle se tourne enfin vers Will.

- On a tout, confirme-t-elle avec un entrain inhabituel.

Le fait est que vider cette maison lui a fait du bien, d'une manière qu'elle ne s'explique pas. Comme si cela lui avait permis de se vider l'esprit… Et de prendre une véritable distance avec tout ce qu'elle y avait vécu.

- Merci encore, ajoute-t-elle plus affectueusement.

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Will hoche simplement la tête, réaction simple à un constat qui ne l’est pas tant, quand, au sujet de sa mère, Abigail confesse le fait qu’elle a parfois le sentiment que sa mère lui manque… Seulement, elle n’a plus vraiment de souvenirs d’elle. Pourtant, sa mère a longtemps fait partie de sa vie, mais même du temps où elle était vivante, Will devine qu’elle n’était qu’un élément lointain du décor. Garret Jacob Hobbs accaparait toute son attention. Il devait vouloir garder le monopole sur sa progéniture. Et cela avait fonctionné. Cet homme n’avait pas seulement privé Abigail de sa liberté, de son autonomie et de son innocence, il l’avait aussi privé de la compagnie d’une mère qui s’était probablement senti dépassée par une relation qu’elle n’était pas véritablement en mesure de comprendre, tout compte fait.

Il ne saurait s’épancher sur le sujet, avant tout parce qu’il préfèrerait ne pas entendre de la bouche de sa fille de cœur que cette dernière pourrait avoir besoin d’une présence qu’il ne serait pas en mesure de lui offrir. Elle ne s’en était jamais plainte, c’est vrai, elle n’avait jamais semblé irritée en quoi que ce soit. Elle n’avait jamais évoqué le moindre manque affectif, le moindre besoin de présente maternelle. Mais il ne pouvait s’empêcher d’y songer, bien sûr. Cela l’arrange, c’est vrai, qu’elle ne s’épanche pas plus sur le sujet… Il préfère, tant qu’à faire, ne pas aborder ce dernier.

Après un moment, la voiture est chargée, et le père et la fille sont prêts à repartir. Il y a une sorte d’enthousiasme dans la voix d’Abigail au moment d’affirmer qu’elles ont tout. Il le constate mais ne le souligne pas. Il semblerait qu’elle se sente soulagée d’un poids, et c’est on ne peut plus compréhensible au vu des circonstances. C’est une partie de sa vie qu’elle peut dorénavant laisser sereinement derrière elle.

« Tu n’auras plus besoin de retourner ici. S’il faut y revenir dans le cadre de la vente de la maison, je m’en occuperai. »

Il veut la soulager de ce poids, il veut qu’elle tourne la page. Il le veut d’autant plus que lui-même veut ouvrir un nouveau chapitre de son existence. Un chapitre dans lequel, bien sûr, il pourra tenir un rôle de choix. Un choix qui lui avait été refusé jusqu’ici.

« Ne me remercie pas. C’est tout naturel. »

Il le pense, en effet, et le ton affectueux avec lequel Abigail exprime sa gratitude ne manque pas de lui réchauffer le cœur. Ils vivent en cet instant une étape des plus importantes, et ce n’est que maintenant que Will le réalise pleinement.

« Tu veux aussi conduire au retour ? »

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La différence notable entre Will et son père biologique, c'était que Will, lui, l'écoutait. Elle percevait, occasionnellement, des réticences, chez lui. Des hésitations, voire la tentation d'interférer dans ses propos. Mais il s'abstenait, et c'était là la différence la plus précieuse. Ça, et sa volonté sincère de l'aider, en plus de la guider. C'était à toutes ces différences, infimes, mais remarquables, qu'Abigail s'accrochait lorsqu'elle repassait mentalement toutes les raisons qui faisaient de sa décision la plus judicieuse qui soit.

- Pourquoi pas, fit-elle en réponse à sa proposition. Le plus vite j'en serai débarrassée, mieux ce sera. Et… je pense que tu t'y connais mieux que moi.

Elle tenait à en être débarrassée au plus vite, mais elle n'avait pas non plus l'intention de se faire arnaquer. Elle savait pourtant qu'avec l'apparence inoffensive qu'elle avait, il pouvait être tentant, pour ses interlocuteurs, de la manipuler d'une manière ou d'une autre. Qu'il s'agisse de manipulations changeant toute une vie ou de ces petites manipulations du quotidien tournant principalement autour de questions d'argent.

Oui, elle estime que c'est une étape importante de leur relation de père et fille, et elle apprécie qu'il s'en rende compte. Ils se comprennent, tous les deux, sans avoir besoin de mots. Ils se comprennent intuitivement, même, ce qui est à la fois déroutant et réconfortant.

La proposition finale de Will lui arrache un nouveau sourire, bien plus léger. C'était une grande étape de franchie, et elle se sentait délestée d'un poids. Détendue. Alors, c'est avec empressement qu'elle reprit les clés du véhicule et se dirigea vers le côté conducteur.

- Oui, c'est moi qui conduis. J'aime bien, en fait. Je devrais le faire plus souvent.

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Will se contente de hocher vaguement la tête quand Abigail confirme qu’elle appréciera de ne pas avoir à s’occuper de la vente de la maison et de le laisser s’en occuper. Est-ce qu’il peut prétendre vraiment s’y connaître, lui qui, en grand sédentaire, n’aurait probablement jamais quitté sa maison de Wolf Trap si les circonstances ne l’y avaient pas obligé ? Difficile à dire, il n’est certainement pas un expert en matière d’immobilier (Hannibal et ses cavales régulières avaient probablement plus d’expérience que lui à ce sujet), mais ces contrariétés administratives étaient de celles qu’il préférait endosser plutôt que d’obliger Abigail qui avait déjà fort à faire à gérer de son côté. Oui, c’est mieux comme ça, sans l’ombre d’un doute.

Will gérerait donc ça, en essayant de faire les choses vite et bien. Cette maison contient les vestiges de l’ancienne vie d’Abigail. S’en débarrasser une bonne fois pour toutes sera chose infiniment symbolique. Une fois la maison vendue, il ne restera plus rien à Abigail de son père si ce n’est les souvenirs qu’elle choisir de garder de lui (ça et son patrimoine génétique, mais inutile de nous focaliser là-dessus, évidemment).

« N’y pense plus, dans ce cas. Je me charge de tout. Et je t’avertirai quand l’argent de la vente sera prêt à être viré sur ton compte. »

Une somme probablement coquette qui pourrait permettre à Abigail de prendre plus d’indépendance qu’en restant vivre avec lui et Hannibal, mais Will préfère ne pas y songer. Même si Abigail a tout à fait passé l’âge de quitter le nid, il n’a pas vraiment envie de penser au moment inévitable où elle décidera de faire sa vie indépendamment de ses deux pères d’adoption. Le temps passé sous leur toit pourrait bien n’être qu’un temps de transition et rien d’autre. Chaque chose en son temps, c’est déjà une première transition à laquelle Abigail doit procéder, et il n’est pas temps – encore – d’imposer à Abigail ses anxiétés déjà naissantes la concernant. Si ce n’était pas celle-ci, il y en aurait de toute manière d’autres. C’était peut-être cela que d’être père. Une sorte d’angoisse perpétuelle, et qui ne disparaissait jamais… mais jumelée à un tel bonheur que l’on acceptait de faire avec malgré tout.

« Je te paierais des cours de conduite. Si tu dois y prendre goût, autant faire ça dans les règles. »

Ce serait un comble d’attirer l’attention sur leur petite famille dysfonctionnelle pour quelque chose d’aussi « insignifiant » que quelques minutes de conduite sans permis… Non, vraiment, c’est une erreur qu’il vaut mieux ne pas commettre.

« Je dois reconnaître que tu te débrouilles plutôt bien, d’ailleurs. On dirait presque que tu as fait ça toute ta vie. » La fine esquisse de sourire née sur ses lèvres disparaît tout de même au moment de se faire une observation plus pragmatique. « Ne sous-estimes pas le poids du véhicule, à présent que la voiture est chargée, tu verras, la conduite est très différente avec une voiture pleine. »

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Se débarrasser définitivement de cette maison lui faisait un effet particulier. C'était comme délaisser une partie d'elle-même. Mais elle se défaisait ainsi de la pire partie d'elle. Celle qu'elle était déterminée à laisser derrière elle une bonne fois pour toutes, pour accepter pleinement celle qu'elle était vouée à devenir. L'argent qu'elle devrait recevoir de cette vente ne lui importait pas vraiment… Elle ne parvenait à imaginer qu'un futur quasi immédiat, et peinait profondément à se projet dans un avenir lointain qui l'effrayait plus qu'autre chose. Elle avançait au jour le jour… pour ne plus subir de désillusion. Lorsque l'on menait une existence aussi périlleuse, l'on apprenait à prendre des précautions. Et lorsque l'on revenait de la mort plus encore.

Elle éprouvait toutefois une grande reconnaissance envers Will de prendre en charge cette tâche. Elle préférait amplement se concentrer sur d'autres choses.

Comme la conduite, dans l'immédiat.

« C'est gentil de ta part. Effectivement, je pense que ça me ferait pas de mal de me perfectionner. Et de faire ça légalement. »

Elle eut un mince sourire, qui s'estompa tandis qu'elle se concentrait de nouveau sur la route. Elle se sentait de plus en plus à l'aise au volant, c'était un constat qui lui faisait plaisir, dans tout ce qu'il avait de plus anodin. C'était une légère angoisse qu'elle dépassait, après tout.

Ne sachant si elle devait vraiment prendre au sérieux le compliment de Will, elle n'y répondit pas, mais ne put s'empêcher de lever rapidement les yeux au ciel suite à son conseil. De manière joueuse, pas pour le vexer, au contraire. Elle appréciait ses conseils, et prit d'ailleurs note de cet avertissement, mais elle s'amusait toujours de constater chaque indice de fibre paternelle chez Will.

« Je fais attention Papa, promis. »

Elle lui adressa un coup d'œil de biais, retrouvant son sourire taquin. Elle s'amusait du caractère protecteur de Will, mais au fond, c'était quelque chose qu'elle appréciait sincèrement, chez lui.

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feat. Abigail

Jamais Will ne sera en mesure d’offrir à Abigail une vie normale. Il pourra s’en donner l’illusion, chaque fois qu’il l’invitera à pêcher avec elle, chaque fois qu’ils dîneront autour d’une même table, chaque fois qu’il s’inquiétera de la voir derrière un volant tout en se félicitant mentalement de ses progrès… Mais tout ça ne sera jamais, bien sûr, qu’un écran de fumée. Ils savent qui ils sont… ils ont même cessé, et pour de bon, de dissimuler leur véritable nature, pour l’assumer plus confortablement… Alors non, la normalité ne leur est plus accessible… elle leur conviendrait bien mal s’ils cherchaient encore à l’atteindre… mais ces quelques illusions n’en sont pas moins agréables. Elles leur permettent de trouver, à leur manière, un véritable équilibre dans le chaos.

« Je me renseignerai », il répond simplement, évsaivement, alors qu’il se note mentalement de trouver une auto-école à Abigail (et donc de devoir contacter des gens… ce qui n’est pas exactement la chose qu’il préfère au monde, mais passons.

Il n’en dit pas plus, c’est un engagement, une promesse… et la possibilité pour eux, en effet, de faire au moins une chose de légale dans l’infinité d’actions illégales qu’ils commettent à présent avec un détachement presque remarquable. Will ne fait pas plus de commentaires, il est dans tous les cas bien trop concentré sur la route et la conduite de sa fille de cœur, prêt à reprendre le volant à la moindre occasion si la situation devait l’exiger. Il ne baisse pas sa garde, ni sa vigilance, même s’il trouve la conduite d’Abigail honnêtement plutôt fluide, si bien qu’il pourrait tout à fait baisser sa garde… chose qu’il a rarement l’habitude de faire.

Son regard cesse de la dévisager au moment de l’entendre lui adresser ce mot, qu’il ne s’habitue pas tout à fait à entendre de sa bouche, même s’il y prend toujours plaisir. Elle fera attention, elle le lui promet… et il prend cette promesse pour plus générale que si elle concernait seulement ce cours de conduite.

« Je te fais confiance », il lui dit seulement en s’adressant uniquement, pour commencer, à la porte passager, tandis que la voiture progresse dans les rues de la ville, par les chemins les moins fréquentés, jusqu’à leur demeure. « Avant de décharger, qu’est-ce que tu dirais d’une bière ? »

Puisque, de toute évidence, et même si la présence d’Abigail sous leur toit, pourrait passer pour régressive, ce moment doit aussi consacrer une nouvelle étape dans la vie d’adulte d’Abigail.

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important and what isn't.

Abigail & Will

Concentrée sur la route, Abigail commençait à se dire qu’elle appréciait de plus en plus la conduite. En cet instant, la compagnie jouait beaucoup, elle devait bien l’admettre. Mais elle appréciait tout de même l’attention que cela lui demandait, et qui empêchait ses pensées de prendre des tournures trop brouillonnes ou chaotiques. Il était plus relaxant, pour un esprit comme le sien, de se concentrer sur quelque chose de précis, à savoir la route dans ce cas-ci, que de laisser ses pensées divaguer et faire naître ou accentuer des angoisses qu’elle refoulait en permanence. Car même si elle était de plus en plus en paix avec sa nature monstrueuse, et qu’elle faisait de moins en moins de cauchemars, ces derniers revenaient tout de même la hanter régulièrement. Et lorsque ses pensées dérivaient, c’était à ces cauchemars qu’elle songeait.

Le remerciant d’un bref sourire après qu’il lui ait confirmé qu’il se renseignerait, Abigail continua de se concentrer sur la route, tentant de se repérer pour les prochaines fois. Le trajet se passa dans un silence confortable, très appréciable pour elle.

Arrivés devant chez eux, Abigail se gara et profita de l’arrêt du véhicule pour jeter un regard en biais à Will. Sa confiance lui était précieuse, plus qu’elle ne le laissait paraître en cet instant. Mais elle était pudique, et répondit donc simplement par un silence et un regard affectueux, avant de rebondir sur sa dernière proposition :

« Volontiers oui », accepta-t-elle avec un certain entrain. « Je suis pas sûre qu’on trouve le courage de décharger après, mais bon… »

Ravie qu’il la considère davantage comme une adulte que comme une adolescente, elle rejoignit l’intérieur d’un pas plus léger, son humeur s’étant considérablement améliorée depuis qu’elle était partie de son ancienne maison. Tout rentrait enfin dans l’ordre, et il était d’ailleurs plus que temps que tout se mette ainsi en place.

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feat. Abigail

Il esquisse un léger sourire quand Abigail lui fait remarquer, probablement à juste titre, qu’ils ne trouveront peut-être pas le courage de décharger le véhicule après s’être autorisé une bière. En vérité, Will n’est pas forcément pressé de passer à cette étape en particulier, les affaires d’Abigail peuvent bien évidemment attendre encore un petit moment dans sa voiture. Il préfère largement à cette tâche fastidieuse un moment de complicité avec sa fille de cœur. Ces cartons empilés dans le coffre n’iront, pour leur part, nulle part.

« Nous verrons ça en temps voulu », suggère-t-il seulement d’un ton complice.

Chaque attention, infime, a bien sûr son importance. Ce n’est pas sans raison si Will lui propose une boisson alcoolisée, si légère soit-elle, si on considère que le fait qu’il lui laisse conduire sa voiture n’était pas déjà une marque de confiance suffisante. Une part de lui aurait tendance à vouloir considérer la jeune femme comme une enfant qu’il faudrait couver et surprotéger, en le faisant tout naturellement mal, car la meilleure façon de la protéger serait, de toute évidence, de la tenir éloignée d’eux. Mais une autre part de lui, en revanche, a conscience de ce qu’elle est devenue, et sait l’apprécier pour cela. Abigail est une adulte, avec ses propres aspirations, quand bien même celles-ci peuvent parfois rejoindre les leurs. Et s’il ne veut pas la voir leur échapper, il doit justement avoir conscience de cet état de fait.

Une fois installés autour de l’ilot de cuisine, Will fouille le frigo et en déniche une bouteille de bière ambrée dont il remplit deux verres.

« Hannibal la réservait probablement pour une occasion spéciale », suggère-t-il d’un ton relativement indifférent. « Mais c’est une occasion spéciale », ajoute-t-il, qui ne sera pas à sa première bévue gustative ou culinaire. Il leur avait déjà, après tout, servi du vin « de cuisson », en le jugeant autrement plus agréable au palais que les rouges millésimés qui attendaient dans leur cave personnelle.

Au contact d’Hannibal, le goût de Will s’est peut-être affiné à bien des égards, mais il continuera toujours de trouver une satisfaction à peine voilée à ces comportements rustres – selon les standards d’hannibal – que ce dernier ne daigne lui consentir que parce qu’il s’agit de lui.

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Abigail & Will

Elle le devinait facilement, Will n'était pas pressé de débarrasser sa voiture des cartons. Elle ne pouvait que comprendre, elle-même n'était pas particulièrement pressée. Quelques étapes destinées à tourner la page avaient déjà été franchies. Plus elle passait de temps sous ce toit, moins elle ne sentait l'ombre de son père biologique la menacer d'outre-tombe. Les affaires restantes n'étaient que des détails. Des manières de se sentir un peu plus à sa place auprès de ceux à qui elle s'était sciemment attachée, d'abord par nécessité d'adaptation, puis par le constat indéniable qu'ils étaient les seuls à pouvoir comprendre.

Amusée par le mépris évident de Will pour les goûts raffinés de son conjoint, Abigail observa avec amusement son père de cœur décapsuler la bière.

« Je ne dirai rien. »

La remarque était joueuse mais bien inutile, bien sûr. Hannibal remarquait tout. Parfois, elle avait même l'impression qu'il savait tout. Avant tout le monde, même les concernés. C'était à se demander si quelque magie n'était pas en œuvre, par moments. Mais non… aussi surnaturelle soit leur survie et leur vie sur cette île, Abigail savait que les extraordinaires facultés d'Hannibal et de Will n'avaient rien d'ésotérique. Ce qui ne les rendait que plus fascinantes. Et redoutables.

Prenant son verre, elle ne jeta qu'un bref coup d'œil à son contenu avant de tendre le récipient vers lui dans le but de trinquer, ses lèvres relevées en un sourire presque insouciant. Comme celui qu'une fille aurait envers un père qu'elle voyait trop peu et avec qui chaque occasion de passer du temps seule à seul était trop rare pour ne pas être célébré.

« Merci pour tout Will », s'exprima-t-elle enfin dans un rare sursaut de reconnaissance.

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feat. Abigail

Will affiche une légère esquisse de sourire quand Abigail lui fait la promesse de ne rien dire à Hannibal… Évidemment, c’est peine perdue. Quelqu’un d’aussi observateur qu’Hannibal remarquera tout naturellement… et par ailleurs, il est sans conteste dans l’intention de Will que ce soit le cas. Ces manières de provocation qui ne représentent au fond pas grand-chose sont comme autant d’actes factices de rébellion qui le préservent d’une absence totale d’influence sur sa situation et sur les événements. Quand il devient difficile de contester l’ingérence presque absolue qu’Hannibal Lecter possède sur leurs vies, se jouer de ces quelques précieux codes imposés par une routine stricte et rigoureuses sont non seulement une manière de reprendre un microfragment de contrôle, mais aussi de s’assurer leur situation pour le moins exceptionnelle. Ce qui passerait pour une grossièreté indigne venant d’autres est tolérée parce que – et uniquement parce que – c’est eux.

Alors qu’il sirote nonchalamment cette bière réservée à d’autres grandes occasions et qu’il partage ce moment simple et unique avec sa fille de cœur, Will songe à cet équilibre qu’il avait tant attendu, cette vie de famille qu’il avait tant fantasmée, plus encore après la mort d’Abigail, songeant à ce qui aurait pu être sans jamais l’obtenir… Et tout ce qu’il avait attendu n’était rien en comparaison de ce qu’il a obtenu. Il se sent à sa place, en paix avec lui-même, comme il ne l’avait pas été depuis bien longtemps, et c’est à ses yeux un objet de pure et évidente satisfaction.

La gratitude d’Abigail lui va droit au cœur, même s’il ne pense pas avoir fait grand-chose, pour ne pas dire rien du tout, pour la mériter. Sans doute aurait-elle mené une vie plus douce et plus sereine s’il en était resté à l’écart, et s’il s’était surtout assuré qu’Hannibal, également, demeurerait toujours à l’écart. Mais il n’échangerait le cours des choses pour rien au monde… Les circonstances bien précises qui les avaient mené à cet instant exact étaient si sinueuses et sombres qu’elles auraient de quoi susciter l’horreur la plus absolue en n’importe qui, mais elles avaient été autant d’étapes nécessaires à la vie telle qu’elle est aujourd’hui.

« Tu n’as pas à me remercier. En famille, on doit être là les uns pour les autres. Tu pourras toujours compter sur mon aide. »

Et il se montre probablement bien trop solennel…. Mais il a toujours eu du mal avec les demi-mesures.