Mutt n’avait rien remarqué, et c’était tant mieux. Il faut dire qu’au vu de l’état dans lequel ils avaient fini après la mémorable soirée d’anniversaire qu’il avait organisée pour lui (et qui demeureraient dans les annales – le jeu de mot est volontaire – pour un bon moment), qui était partie dans tous les sens, il fallait s’attendre à ce que certains détails (qui n’en étaient pas tant, lui échappent). Pour Mutt, ça avait été clair et net, et Klaus l’avait bien senti, il toucherait plus jamais à cette merde, il toucherait plus jamais au V, la redescente du lendemain avait été bien assez dissuasive pour lui. Pas Pour Klaus… Il était sujet à toutes les dépendances existantes et imaginables, et il était de ces vieux briscards qui finissaient par se dire que même les dopes considérées les plus violentes ne lui faisaient plus qu’un effet tout relatif.

Avec le V, c’était différent, il avait gagné une conscience si haute de lui-même, de ce qui l’entourait et de son potentiel, il se sentait si fort, si vivant quand il en prenait, qu’il avait du mal à se raisonner, ou à même accepter de suivre la voix de la raison, qui pour une fois était bel et bien celle de Mutt. La fiole de V, il l’a embarquée avec lui. Il en a repris… A peu près tous les jours, à chaque fois qu’il en a eu l’occasion, dans les moments où il savait que Mutt s’absenterait suffisamment longtemps de l’appartement pour ne pas le remarquer. Et le contenu de la fiole se vidait à une vitesse hallucinante. Bientôt, il serait à sec, et il n’avait même pas envie d’y penser. Il n’a pas la moindre idée, par ailleurs, d’où s’en procurer. Son dealer habituel, qui pourtant fait dans la coke, la met et autres psychotropes bien violents, lui a dit expressément ne pas toucher à ces conneries, et ne pas en refourguer non plus… Bon, il est pas sorti de l’auberge. Mais si Mutty a pu en trouver, il devrait pas avoir de mal à faire pareil, pas vrai ?

En attendant, puisque son contact n’avait pas pu le rencarder comme il l’aurait voulu, il errait comme un beau diable. Trop fébrile pour revenir à l’appartement, il s’était « calmé » avec un petit fix, et attendait qu’il fasse effet, profitant d’une journée étonnamment convenable pour un mois d’octobre (mais en même temps, la météo ici n’a ni queue ni tête) pour juste glandouiller à l’extérieur, éventuellement se payer un truc à grignoter, parce qu’il a les crocs. Les mains dans les poches de sa veste longue (comme à son habitude, l’excentricité prime dans le style vestimentaire de Klaus – et il n’en est pas peu fier), il est un peu pris de court quand une femme qu’il ne connaît pas vient l’aborder de but en blanc, sans chercher à y mettre les formes.

« Un tas de fois », s’amuse Klaus en la détaillant de haut en bas. « Et je les comprends. » Il l’observe puis reprend. « Merci pour la tentative de drague, c’est vraiment super flatteur. Mais j’ai bien peur que mon pauvre cœur soit déjà pris, et je lui donne bien assez de boulot comme ça, croyez-moi, donc je vais devoir passer mon tour. »

« C’est moi qui suis blessé », répond Klaus en portant sa main à son cœur. « Quoi, je suis pas digne d’être dragué ? » demande-t-il du tac au tac, d’un ton qui laisse évidemment entendre qu’il n’est pas sérieux le moins du monde.

Il ne sait pas grand-chose de la femme qui lui fait face, mais il devine rapidement le sacré tempérament qu’est le sien. C’est même assez flagrant. Elle a du répondant, elle a du charismatique, et un style assez incroyable. Pas besoin de s’étonner du fait que la miss ait décidé de faire de la mode son domaine de prédilection, Klaus a bien envie de lui emprunter l’intégralité de sa tenue pour la garder pour lui. Enfin, dans tous les cas, elle a forcément un goût sûr en matière de mode si il lui a tapé dans l’œil. Ce n’est pas, après tout, parce que les membres de son entourage en général (et ses frères en particulier – Five, surtout Five, coucou papy) ne comprennent rien à l’élégance de ses tenues qu’il en manque pour autant. Loin, bien loin de là.

Bref non, la jeune femme insiste, son cœur est pris, et elle n’a pas cherché à le draguer. En revanche, elle s’intéresse à son look. Une styliste, tiens ? Comme quoi, ces histoires de casting sauvage, c’est pas que dans les films ? … Quoique, rien ne lui garantit que cette femme soit bel et bien styliste. C’est pas qu’il soit du genre méfiant, mais il a quand même rencontré suffisamment de personnes qui ont essayé de la lui mettre à l’envers au cours de sa vie pour se méfier un minimum, quand même.

Elle travaillerait donc dans une boutique du nom d’Evil style, et tandis qu’il regarde la carte de visite qu’elle lui tend, la présumée styliste semble, de son côté, plutôt intéressée par ses pupilles… ça c’est nouveau ? Ses addictions comme un argument d’embauche, c’est bien une première ? Pas inquiète que son mannequin (ultra-canon et sexy certes) lui fasse une overdose en plein podium, apparemment. Ça, c’est soit la preuve qu’il a une opportunité en or, soit celle qu’il est vraiment tombé sur une folle à lier et il faut absolument qu’il se tienne à distance de cette femme qui, pourtant, et à sa manière, lui inspire une certaine sympathie, sans doute parce qu’elle semble complètement jetée, et qu’il adore ce genre de personnalités absolument excentriques.

« Tu me payes combien pour ton truc, là ? Tu me laisseras essayer ta robe, si j’accepte ? Elle est incroyable… »

Oui, Klaus a besoin de sous, et depuis un bail. Il ne cherche pas de travail, il faudrait. Là, du taf lui tombe dessus comme la foudre du ciel, il peut pas refuser ce genre d’opportunités. Il a un loyer à aider à payer, Mutt pourra plus dire qu’il vit à ses crochets, comme ça. Et puis… s’il veut se procurer une dose supplémentaire, juste une… il arrivera à rien en suppliant ou en faisant les yeux doux.

"Hey, c'est pas parce que je suis peut-être encore un tout petit peu défoncé que je suis stupide, je sais qu'un salaire normal, ça veut rien dire du tout", dit-il en jouant les faux hommes d'affaires, pas crédible pour un sou avec la dégaine qu'il se trimballait.

Et pour dire la vérité, il ne serait pas fichu de dire ce qu'était supposé être un "salaire normal", ou même un salaire minimum. Il a jamais travaillé, ou jamais assez longtemps pour que ça ait le moindre sens pour lui. Alors, il sait combien coûte une bouteille d'alcool moyenne, un paquet de clopes moyens, une plaquette... bref, vous avez compris le topo, mais il serait bien en mal de négocier un salaire décent, en réalité. Pour ça, il faudrait qu'il ait la moindre idée de ce qu'était un salaire décent pour commencer, et il en est loin, vraiment très loin (et n'a pas spécialement envie de s'y intéresser, parce que tout ça, ça pue l'administratif à plein nez, et il déteste ça). N'empêche qu'il a pas non plus envie d'être pris pour un pigeon sous prétexte qu'il a une dégaine de camé notoire - ce qu'il est.

La robe, c'est bien, les vêtements sur-mesure, il a même envie de dire que ce serait presque suffisant pour le convaincre, mais c'est pas avec ce genre de tenues super sexy qu'il paierait sa part de loyer, s'il doit envisager de faire un truc pareil un jour... quoi qu'il faudrait déjà qu'il commence à régler ses très nombreuses dettes avant ça, et on en est encore définitivement très loin. Alors certes, débarquer à l'appart en tenue affriolante ferait peut-être oublier à Mutt qu'il rapporte pas un rond à la maison, mais bon, quand même, c'est peut-être un pari trop risqué pour qu'il ne cherche pas à en entendre plus de la part de son interlocutrice.

"Mais on m'admire !" fait mine de s'offusquer Klaus quand Meg remarque qu'avec un style comme le sien, il devrait susciter l'admiration. "Les gens sont juste trop timides pour le dire à voix haute", ajoute-t-il sur le faux ton de la confidence, un sourire goguenard aux lèvres. Il pousse un soupir. "J'sais pas, la sobriété, j'ai essayé, et résultat des courses, j'ai fondé une secte. Je suis pas sûr que ça me réussisse, tu vois."

Il le devrait, il le sait, et si Ben l'entendait, là, tout de suite (mais il ne risque pas de l'entendre), il lui passerait un savon monumental, c'est juste évident, mais il n'est pas là. Et lui, honnêtement, à l'heure actuelle, il a même pas envie d'essayer d'être clean... il se sent en phase avec ses addictions... peut-être moins avec la petite dernière en date, mais ça, c'est juste le temps qu'ils apprennent à mieux se connaître. Alors...

Alors, Klaus ne sait pas du tout ce qu’est supposé gagner un mannequin en temps normal, mais ce qu’il peut dire en revanche, c’est qu’il a clairement des dollars à la place des yeux quand il songe à tout l’argent qu’il pourrait toucher s’il accepte le job que Meg lui propose. Il sait pas à quel point c’est beaucoup ou non, il sait juste que c’est le genre de sommes qu’il a clairement pas l’habitude d’avoir entre les mains, et qui pourrait définitivement prévenir Mutty de lui reprocher de ne pas contribuer aux dépenses sous leur toit.

Clairement, s’il refuse un boulot pareil, presque providentiel, Klaus est un vrai boulet… Sauf que oui, en effet, il est bel et bien un boulet, c’est un fait, et à l’heure actuelle, il n’est pas encore certain d’accepter le poste, en réalité, parce qu’il ne sait pas où tout ça pourrait l’entraîner (pas que ne pas savoir où il va le dérange en temps normal, ceci dit)… il y a des concessions qu’il n’a pas envie de faire. En fait, il n’a pas envie de faire de concessions du tout, tout simplement. Et quand il est question de drogue, c’est encore plus compliqué. Déjà parce que ses nombreuses addictions rendent la compagnie des fantômes plus supportable, ensuite, parce qu’il n’a plus du tout envie de remonter dans le train de la sobriété, pas depuis son arrivée ici… Même s’il y a trouvé des choses exceptionnelles, ça ne suffit absolument pas à l’encourager à se ranger ou quoi que ce soit de la sorte. De toute façon, ce n’est pas comme s’il pouvait juste claquer des doigts ou le décider pour tout arrêter, c’était pas si simple… Et hors de question de finir en désintox, surtout pas.

Pour ce qui était de la secte, non, c’était horrible. Enfin, sur le moment, il s’était éclaté, on va pas se mentir, mais clairement, la situation l’avait pris de court, et il n’avait plus rien contrôlé du tout. Il n’avait jamais voulu tout ça. Non, les membres de sa secte ne l’appréciaient pas, ils le vénéraient, ce qui était une chose bien différente, à l’évidence. Il n’était proche de personne, à ce moment-là, la seule personne dont il était vraiment proche dans cette période de sa vie, quand il n’avait encore retrouvé personne, c’était Ben. Et Ben… il n’avait pas envie de penser à Ben, là, tout de suite. Ni tout de suite, ni plus tard, d’ailleurs. Sans façon.

« Euh… j’ai fait un truc ? Je suis toujours engagé ou pas ? » demande Klaus quand Meg décide de poursuivre son chemin.

Elle a presque l’air d’avoir oublié sa présence. Il a dit un truc ou… ? Oui, il a dit qu’il voulait pas être sobre. Mais en même temps, c’est vraiment miss-je-vais-me-taper-un-whisky qui va lui faire une leçon de morale sur la sobriété ? Klaus lui emboite le pas.

« J’ai toujours pas essayé ta robe. Puis moi aussi je me taperai bien un whisky, je te l’offre, même, si tu veux. Enfin non, je suis fauché, mais on s’arrange. »

« Ah bah je préfère ça ! » répond Klaus avec enthousiasme quand son interlocutrice lui confirme qu’il est engagé, juste comme ça.

Bon, d’accord, Klaus ne devrait clairement pas monter sur ses grands chevaux et encore moins se réjouir. Il est tout à fait possible que cette femme soit juste une illuminée notoire, et le fait qu’elle se trimballe avec des cartes de visites ne signifie pas pour autant qu’elle soit vraiment styliste… Peut-être qu’elle a mis en place une espèce de grosse arnaque et que lui plonge dedans à pieds joints comme le bougre d’idiot qu’il est. Si Five le voyait, il lui ferait sans doute la morale au sujet du contrat de travail qu’il ferait bien de signer avant de se bourrer la gueule avec sa présumée patronne, mais outre le fait que Klaus ne sait pas du tout comment les choses fonctionnent véritablement dans le monde du travail et s’en fiche au demeurant plus que royalement, ce n’est définitivement pas son truc que de se préoccuper de tout ça, encore moins si ça doit toucher à l’administratif et autres joyeusetés… très peu pour lui, vraiment…

Donc lui, il aime bien l’idée que si cette femme doit être sa patronne, alors elle est aussi peu conventionnelle que lui. Ça lui convient parfaitement. Comme ça, il aura peut-être un peu moins de risques de se faire virer, et en attendant, ils vont pouvoir boire un coup, ou deux, ou trois (ou quatre ou cinq) ensemble… ça lui semble être un plutôt bon programme, là, tout de suite, et ça a le mérite de le détourner, au moins temporairement, de la sensation de manque qu’il éprouve en l’absence de V dans son organisme.

Quand il découvre que la robe de la jeune femme est en fait un manteau, ce qui signifie donc qu’il peut l’enfiler immédiatement, Klaus est absolument ravi. Sans perdre de temps, il retire son propre manteau pour qu’il puisse les échanger et même si le manteau est légèrement trop serré pour lui, il apprécie grandement le look que ça lui donne, et qu’il admire dans la vitrine du premier magasin devant lequel il passe.

« C’est un très joli nom », répond-il quand elle lui fait remarquer que le manteau en question s’appelle « Reviens ». Il est pas comme ça, c’est pas un voleur, jamais il se permettrait de lui prendre sa tenue. Si ce genre de choses lui arrive, c’est toujours par omission.

Ils se rendent donc dans un bar que Klaus ne connaissait pas mais qu’il trouve immédiatement sympathique. Cette Meg a définitivement bon goût. Bon, quand elle lui parle du fait que les papiers seront rapidement expédiés, il sait pas trop si c’est bon signe ou pas, mais il préfère s’en moquer, il commande un whisky pour lui aussi et tire une clope de son paquet pour fumer en même temps que Meg.

« Bon, et donc, comment ça va se passer ? Je suis supposé me pointer au boulot tous les jours à neuf heures ? Parce que je te préviens tout de suite, je suis pas du tout du matin. »

Klaus ne sait pas trop s'il doit être impressionné, parce qu'il n'a jamais entendu parlé de ce M. Laufeyson, et même s'il a entendu parler de l'Asgard, c'est la première fois qu'il y met les pieds. Qu'elle ait son propre espace privé, c'est plutôt la classe, mais ça veut pas forcément dire grand-chose non plus, peut-être que c'est juste une habituée qui a suffisamment de fric pour s'accorder des passe-droits partout où elle passe... ceci dit, si elle a des thunes, ça veut dire qu'elle pourra éventuellement lui en filer, et ça, c'est évidemment une chose qu'il ne doit pas oublier et garder dans un coin de sa tête...

Enfin, de toute façon, dans sa tête, c'est acté qu'il va l'accepter, ce job, parce que comme ça il pourra enfin payer sa part de loyer à Mutt, et puis il pourra se procurer du V plus facilement aussi... Quoi ? Bien sûr qu'il y pense, forcément qu'il y pense. Surtout qu'il se trouve un peu trop sobre, là, tout de suite.

"Si je me pointe à treize heures, ça passe ?" demande Klaus avec un sourire, en pure provocation quand son interlocutrice lui assure que s'il se pointe avant midi, déjà c'est bien.

Mais se pointer avant midi, pour Klaus, c'est déjà faire un effort, quand même... Enfin, bien sûr, là, il abuse, mais une part de lui continue de ne pas être totalement convaincue par cette histoire d'offre d'emploi. Parce que, bon, il est toujours pas sûr que toute cette histoire soit bien sérieuse. Mais il se laisse porter par les événements, on va dire. C'est toujours ce qu'il a su faire de mieux, alors autant continuer sur cette voie, pas vrai ?

"Vas-y, gérer la boutique, c'est parfait, je suis un excellent géreur de boutique." C'est absolument faux, mais si elle a envie de courir ce risque, c'est son problème à elle, pas le sien, n'est-ce pas ? C'est en tout cas ce que pense Klaus qui ne sait pas trop considérer cette situation autrement qu'avec inconséquence, pour le moment. "Mais ouais, j'ai un portable, sinon."

Cela dit, il est pas entièrement sûr de pouvoir se permettre de confier son numéro à Meg ou de le vouloir. C'est peut-être un peu trop tôt pour donner son numéro à la grande excentrique du coin - et non, ce n'est pas de lui-même qu'il parle, croyez-le ou non.

"Je suis un homme entretenu", qu'il répond sans hésiter quand Meg lui demande comment il gagne son pain. C'est pas franchement une fierté que de l'affirmer, et d'ailleurs, il ne le vit pas comme un fierté, mais comme un constat. "Je vis avec mon mec."

Rien qu'à l'évocation de Mutt, rien que pour avoir prononcé les mots "mon mec", il sent bien qu'il a un sourire débile sur les lèvres.

« Ça me dérange pas de prendre des coups de pieds au cul, enfin, faut le bon contexte, quoi », répond-il quand Meg lui fait comprendre qu’il ne faudra pas abuser non plus et se pointer avant treize heures au boulot (requête plus que raisonnable, mais Klaus a envie de dire que c’est peine perdue, en ce qui le concerne, jamais il ne tiendra les horaires qu’on lui demande, si souple soient-ils).

On pourrait presque croire qu’il lui fait du rentre-dedans, dit comme ça, mais non, pas du tout. C’est même loin d’être son intention, mais c’est comme ça, il ne peut pas se retenir de faire des blagues potaches, même en présence d’une potentielle, éventuelle, employeuse. D’un autre côté, depuis le début, son entretien d’embauche (si c’en est un) ne ressemble pas du tout à un entretien d’embauche, preuve en est des verres de whisky qu’on leur a placé entre les mains. Alors, à partir de là, y a pas à se poser mille questions non plus. En tout cas Meg enchaîne et lui parle du fait de l’accompagner sur le terrain, de rencontrer les clients. Il a presque envie de bailler aux corneilles, quand elle dit ça.

Présenté comme ça, ça n’a l’air ni passionnant, ni trépidant. En même temps, c’est un travail, c’est nor-mal. Aucun travail n’est passionnant ou trépidant, c’est comme ça, c’est un fait, et c’est sûrement logique, par la même occasion. Il est déjà plus intéressé et attentif quand il lui parle de faire les boutiques : là, ça lui parle immédiatement, et davantage. Pour ce qui est d’aimer ou pas le stylisme, il n’en sait rien, au fond. Il aime la mode, oui, ça ne veut pas forcément dire pour autant qu’il aime le stylisme. Et pour ce qui est de sa volonté. Euh… comment dire que sa volonté est de toute manière au ras des pâquerettes peu importe le sujet et les circonstances. Non mais si, je vous jure, il est quand même intéressé par le job, ne serait-ce que parce que ce serait cool d’avoir de quoi payer le loyer pour une fois, mais… Là, elle parle, et il ressent déjà le poids écrasant des responsabilités qui menace de l’assommer, et les responsabilités, pour le pauvre junky / déchet humain qu’il est, ça fait beaucoup.

« C’est pas que je suis pas convaincu, c’est surtout que ça vient un peu de nulle part, et je sais pas trop quoi en penser », remarque Klaus quand son interlocutrice suggère de lui laisser le temps de réfléchir. Alors, il apprécie, évidemment l’attention, et l’opportunité de job qui semble un peu trop providentielle, mais ça lui semble bizarre, surtout que, à part le fait qu’il est merveilleusement bien sapé (quoi, faut savoir se jeter des fleurs, qui le fera à votre place ?), il a pas le sentiment de lui avoir donné le moindre argument pour donner envie de l’embaucher. Et parce qu’il est naturel et ne cessera pas de l’être, il ne compte pas en faire davantage pour le convaincre.

« Si j’accepte votre job, honnêtement, ce serait pour lui », dit-il au sujet de Mutt, « pour lui rendre un peu de tout ce qu’il me donne. »

Et oui, clairement, il lui fait tourner la tête. Il pense plus droit depuis que Mutt est entré dans sa vie.

Au fond, Klaus commence à dire que Meg ne cherche pas tant quelqu’un avec qui travailler que quelqu’un pour lui tenir compagnie, parce qu’elle doit être du genre à s’ennuyer très facilement, et qu’il n’y a pas grand monde qui lui convienne en termes d’extravagance et d’excentricité. Ils ne se connaissent pas, c’est vrai, et ce n’est pas forcément ces quelques minutes de conversation qui vont leur garantir de bien « travailler » ensemble, mais malgré tout, il pense commencer à mieux cerner son interlocutrice (si c’est vraiment possible), et ça ne lui déplaît pas. Vu comme ça, la perspective de travailler ne lui paraît pas si terrible que ça, et même plutôt agréable, à dire vrai.

« Après, faut pas me la faire non plus, j’ai vu le Diable s’habille en Prada et je me suis tapé toutes les saisons d’Ugly Betty, je sais comment vous êtes dans le milieu de la mode », répond Klaus avec un sourire. Peut-être qu’il plaisante un peu trop avec elle, mais ça ne l’empêche pas de s’amuser grandement de cette situation.

Elle reprend en affirmant que les diplômes ne l’intéressent pas le moins du monde. Là-dessus, ils sont bien d’accord, les diplômes n’ont jamais franchement intéressé Klaus non plus. Lui, son truc, c’est l’école de la vie, et il en a bouffé, à l’école de la vie, mais ça l’a quand même bien forgé, et il a appris tout un tas de choses essentielles à cette école-là, qu’il ne risque certainement pas d’oublier. Pour le reste, il ne sait pas s’il a tant que ça le physique mannequin. Oui, il se trouve objectivement très sexy, et il trouve qu’on devrait plus souvent louer son charisme (en toute objectivité, vraiment), mais bon, il reste un camé de base, et il n’y a pas besoin de beaucoup le connaître pour remarquer ça au premier coup d’œil.

« Ecoute, on verra bien comment ça marche de toute façon, pas vrai ? »

Klaus n’a aucune envie de faire la moindre promesse à son interlocutrice. A la place, il préfère, et plus que largement, y aller au feeling, et si ça ne passerait sans doute avec personne d’autre, il pense qu’avec Meg, ça passera, parce que ce brin de femme très étrange n’est définitivement pas comme tout le monde. Il ne lui faut pas grand-chose et pas longtemps pour comprendre que cette situation est peut-être la seule situation professionnelle au monde qui serait susceptible de lui convenir.

« Vas-y, je suis curieux, je veux voir ta boutique. »

Il est aussi enthousiaste qu’il est éméché. Il a très envie de voir à quoi ressemble la boutique de son interlocutrice, ne serait-ce que pour s’assurer qu’elle en possède bien une, de boutique, et qu’elle ne lui monte pas de baratin depuis tout à l’heure. Non, parce que le fait qu’elle ait une grande gueule et qu’elle soit particulièrement bien sapée, ça veut pas forcément dire qu’elle est qui elle prétend être. Et au moins, ça lui permettra d’y voir un peu plus clair.

En vérité, à force de ne pas trop en demander de sa part, Meg pourrait bien pousser Klaus à s’investir plus qu’il ne s’en penserait capable. Est-ce qu’elle n’est pas en train de lui faire de la psychologie inversée ? Peut-être bien que oui, et si c’est le cas, il avale le tout sans broncher et sans envisager une seule seconde de pointer du doigt ce qui ne sont peut-être que des tours de passe-passe rhétorique. Comme c’est très souvent le cas, il se laisse porter par les circonstances : s’il n’a pas la moindre idée de ce à quoi il s’engage, ni même de s’il s’engage à quoi que ce soit, il a envie d’en entendre plus, d’en découvrir plus. Ce sacré brin de femme qu’est Meg l’intrigue par plus d’un aspect, et il a vraiment envie de pénétrer plus avant dans son univers.

« Rien que le nom, déjà, c’est la grande classe », remarque Klaus sans une once d’ironie dans la voix quand la styliste lui propose de lui faire découvrir Evil Style.

Heureusement, la boutique n’est pas trop loin, c’était préférable vu l’état où se trouve Klaus. Déjà passablement jeté au moment de rencontrer la rouquine, il a encore abusé en forçant sur le whisky. Klaus a toujours abusé dans sa consommation de… ben de tout, en fait, mais il faut admettre que ces derniers temps, il bat de véritables records : il est tout bonnement intenable, et pas facile à supporter pour son entourage, forcément. A commencer par Mutt à qui il en fait voir de toutes les couleurs ces derniers temps. Bref, il se laisse porter, tout chancelant peut-il être pourtant. Et après un moment, donc, ils arrivent dans la boutique de la styliste.

Klaus prend le temps de contempler les lieux, de s’arrêter sur chaque tenue portée par les mannequins en vitrine. Le style est clairement très rock, mais c’est justement ce qui lui plaît, lui-même a un style que l’on pourrait qualifier de rock (même s’il préfère ne s’arrêter à aucun label : il se contente de porter ce qu’il aime sans vraiment s’interroger sur l’étiquette qu’on y collerait – ça ne surprendra très certainement personne, mais les étiquettes et Klaus, ça fait vraiment deux).

« J’adore. C’est canon ! » observe-t-il dans un sifflement sincèrement impressionné. La styliste a clairement de l’or entre les mains, et elle est définitivement capable de faire des merveilles. « J’ai envie d’essayer toutes ces tenues. Surtout… » Klaus tourne sur lui-même avant de s’arrêter, de façon pas si aléatoire que ça, sur une jupe au motif écossais et à la taille originale, et accompagnée de sa veste cloutée. « Celle-ci », décrète-t-il avec autorité et certitude, quand bien même le fait de tourner sur lui-même lui a légèrement donné la nausée.

Oui, d’accord, c’est une tenue pour filles… Mais on s’en fout, pas vrai ? D’où ça existe, de base, les tenues pour filles ?