I / Une fraternité soudée

Charlotte est née et a grandi à Colombus, dans l'Ohio. Elle est la benjamine d'une famille d'immigrants italiens et membre de la première génération de Sorrento née sur sol américain. Sa naissance n'était absolument pas prévue et avait la forme d'un heureux, très heureux accident. Douze ans après son grand frère Nolan, Charlotte faisait son apparition dans la famille et devenait immédiatement le centre d'attention de tous. Née peu avant le terme, elle était plus petite et plus fragile et nécessitait plus de soins, ce dont elle ne manqua jamais.
Colombus n'était pas une cité particulièrement agréable à vivre, dans un monde au bord de l'effondrement, la jeune fille développa très vite une certaine appréhension du monde extérieure, exacerbée par Nolan qui n'avait de cesse de lui faire part des dangers du monde extérieurs pour une jeune demoiselle innocente comme elle.
Avec son frère, il y avait une très importante complicité. Il était beaucoup plus âgé qu'elle, plus expérimenté, il savait tout, pouvait tout faire. Pour Charlotte, ce n'était pas moins que l'homme parfait, la référence, le modèle. Si celui-ci aimait le rock, il n'y avait plus aucune autre musique qui trouvait grâce aux yeux de sa sœur. S'il n'aimait pas les choux de Bruxelles, impossible d'en faire manger une bouchée à Charlotte. S'il essayait de s'accuser lui-même des bêtises de sa sœur pour la protéger, celle-ci s'accusait elle aussi pour ne pas qu'il soit puni à sa place.


II / Une passion dévorante

Nolan et elle jouaient aux jeux vidéos depuis longtemps. Pour son frère, c'était une belle manière de la garder à l'intérieur au début, pour éviter qu'elle ne sombre dans les folies de la rue. Chaque jour, en revenant de l'école, ils jouaient, toujours un peu plus, l'un contre l'autre parfois, mais surtout en coopération, Charlotte détestant l'idée d'être contre son modèle de toujours. Quand son frère commença des études qui lui demandèrent plus d'investissements, Charlotte se réfugia alors dans ces jeux vidéos, tachant de devenir plus forte, plus douée, pour essayer de surpasser Nolan qui était toujours meilleur qu'elle. Elle ne se rendait pas compte qu'elle passait chaque jour plus de temps à jouer, qu'elle perdait peu à peu pied avec la réalité.

Bien évidemment, c'est parce que son frère s'y était intéressé que Charlotte avait plongé dedans. L'OASIS, le monde virtuel. Si vaste, si beau, si ... PRENANT. Charlotte avait toujours été attiré par la beauté, elle aimait l'art sous toutes ses formes. Elle dessinait et se trouvait plutôt douée. Elle faisait de la couture, s'habillait de ses propres créations, toujours dans des couleurs claires ou chatoyantes. Elle chantait, avec une voix d'ange, sans être capable de jouer d'un instrument. Elle écrivait, des fictions d'amour surtout, pour voir de la beauté, de la douceur et du bonheur dans son monde, qui en est cruellement privé.

Charlotte était alors dans la fin de sa vingtaine, elle avait ce qu'une jeune demoiselle rêvait d'idéal, un diplome en infographie et un métier qui la passionnait chez IOI, des hommes qui la courtisait, elle avait la beauté et l'intelligence mais elle manquait cruellement d'amis, de vrais, en dehors de son frère. Elle manquait de personnes pour la ramener sur Terre quand il le fallait.

III / La déchéance finale

Elle avait prit l'OASIS comme un énième jeu au début, s'y plongeant peu à peu, appréciant les quêtes proposées, essayant les divers modes disponibles, rencontrant les personnes qui y vivent ... Très vite, le virtuel eut raison d'elle. Parfois, Charlotte restait dans l'OASIS durant 24h d'affilée, trop prise, trop obsédée par l'aventure dans laquelle elle s'était lancée. Elle oubliait de manger, de se laver, de dormir, elle ne sortait plus, désertait son travail...

Peu à peu, même son frère ne parvint plus à l'extirper de ce monde virtuel. Elle s'y abandonnait totalement. Pour jouer plus longtemps et ne plus ressentir le besoin de dormir, elle sombra alors dans la drogue. La méthamphétamine lui permit de jouer plus longtemps, et elle sentait même ses performances dans l'OASIS se décupler.
Elle mourut dans l'OASIS, pour de bon. Obnubilée par la réussite d'une quête, elle prit une dose plus forte que d'habitude, afin de tenir plus longtemps. Une dose mortelle. L'overdose survint en un instant.

Son corps sans vie fut découvert trois jours plus tard.

IV / Une deuxième chance

Charlotte s'était réveillée comme revenant d'une grosse, très grosse gueule de bois. Le problème, est qu'elle ne se souvenait absolument pas de ce qu'elle avait fait la veille. Elle n'avait même aucune idée d'où elle était, comme frappée d'amnésie. Elle se souvenait pourtant de toute son enfance, de son adolescence, et même de ses études. Elle se souvenait avoir fêté son trentième anniversaire avec Nolan, quelques semaines plus tôt et c'était à peu près tout. De là, elle estima donc avoir encore cet âge.

Elle fit le tour de l'appartement où elle se trouvait, joliment décoré mais très impersonnel, sans aucune photo d'elle ou de gens qu'elle eut pu connaitre. Il lui semblait bien que ce devait être chez elle puisque l'ameublement, la décoration était parfaitement à son goût, mais aucun souvenir d'avoir jamais réalisé le moindre achat de canapé ou d'avoir dormi dans ces draps.
C'était un petit appartement, avec juste un salon avec coin cuisine et une chambre.
Dans le salon, elle possédait une bibliothèque, peuplée de livres d'arts et de manuels d'infographie, avec également des romans à l'eau de rose et des albums photos, contenant uniquement des paysages.
Sur les murs se trouvaient des peintures, qui n'avaient rien de reproduction ou de toiles de maîtres, c'était probablement des tableaux qu'elle avait fait elle-même. Il y avait là encore que des paysages, un coucher de soleil sur l'eau, un coucher de soleil sur une forêt, un coucher de soleil derrière une statue de cheval.
Son canapé était très simple, pas même convertible, et comportait deux places. Mais à en voir l'assise, elle était jamais la seule à s'asseoir dedans régulièrement. L'un des cotés était d'ailleurs jonchés de coussins aux couleurs vives.
Il faisait face à une belle télévision, probablement l'objet qui reflétait le plus de luxe dans la pièce. Il s'agissait là d'un objet qui valait une petite fortune, peut être même plusieurs milliers de dollars. Elle était soulagée d'y voir connectée trois consoles de jeux différentes. Deux d'entre elles n'avaient qu'une seule manette.
Le coin cuisine était vraiment minuscule et ne comportait pas beaucoup de choses pour cuisiner. Dans les placards y régnait l'habituel stock de pâtes et de riz, ainsi que divers bocaux de sauce tomate et un paquet de farine à moitié entamé. Le frigo était encore plus misérable, elle n'y trouva que trois oeufs et un sachet de fromage rapé.

La chambre était plus accueillante. Le lit était très grand, de la taille queen size et doté d'un matelas d'une très bonne épaisseur. Ses draps étaient doux, et un grand nombre d'oreillers rendaient cela plus confortable encore.
Il n'y avait qu'une seule table de chevet, du coté droit du lit. Dessus était posée une lampe avec un abat jour blanc, un réveil en forme de personnage de jeu vidéo ainsi qu'un livre : "Idylle dans les Îles" dont elle ne se souvenait pas avoir lu une seule ligne. Un petit tiroir contenait de quoi la faire rougir jusqu'aux oreilles.
Au dessus de la tête de lit, une inscription peinte sur le mur indiquait "Imagine or Improve".
Sur une commode, tout un tas de petites bougies parfumées étaient à moitié entamées, avec des parfums divers très enivrants. Il y avait également deux peluches qui lui faisaient face, deux chiens à l'air affable. Sa commode comportait tout un tiroir à pyjama, un autre pour ses sous vêtements, ainsi qu'un dernier qui comportait du matériel de couture.
Une grande armoire, très longue contenait un véritable trésor. Des robes, une centaine facilement, dont on sentait pour la plupart qu'elles étaient faites à la main pour leurs défauts, futiles mais néanmoins visibles. Un coté de l'armoire était dédié aux chaussures, là enore elle possédait une très belle collection, allant des chaussures vernies de soirée aux baskets, en passant par des bottines.
Enfin, un grand miroir sur pied lui reflétait son image : celui d'une belle blonde, bien mise, telle qu'elle se souvenait d'elle-même.

Elle avait été renvoyée à un moment dans sa vie précédent avant son addiction trop profonde à l'OASIS, lorsqu'elle n'avait encore jamais touché à la drogue, juste avant que la vie qu'elle avait commencé à construire ne s'effondre. Elle se souvenait parfaitement de l'OASIS, mais commençait à se demander s'il ne s'agissait pas là d'un rêve très élaboré qu'elle avait fait, puisque personne d'autre n'avait connaissance de ce monde virtuel.
Puisqu'il n'existait pas, et qu'elle savait y avoir passé des moments formidables dedans, ce serait incroyable d'être capable de le recréer. Lucide au fait que ses compétences en infographie ne sont pas encore suffisantes, Charlotte s'était décidée. Elle allait reprendre les cours et redoubler d'efforts pour réaliser ce nouveau rêve.
Il lui fallait aussi pour cela retrouver Nolan, elle avait rêver que c'était lui qui l'initiait à l'OASIS, il était donc peut être la clef pour lui permettre de le créer de toutes pièces.