Lorsqu'Alexander lui promettait de la rejoindre dans quelques minutes, Elizabeth ne s'attendait pas à ce qu'il tienne parole. Concentré sur ce qu'il faisait, complétement absorbé par sa tâche, il ne voyait plus le temps passer et Elizabeth finissait par s'endormir avant qu'il ne soit venu la rejoindre. Elle s'y était habituée et ne lui en tenait pas rigueur. Elle savait comme chaque instant était précieux pour lui et qu'il ne voulait en perdre aucun. Il était toujours pressé par le temps et par l'envie de toujours en faire davantage. Elle devait l'accepter.

Alors qu'elle ne l'attendait plus vraiment, elle avait été surprise de le voir débarquer si vite dans leur chambre. Cependant, la surprise n'avait duré qu'un instant pour laisser place, bien vite, à de l'inquiétude. Il se passait quelque chose. Quelque chose qui perturbait suffisamment Alexander pour le pousser à quitter son bureau et se précipiter dans cette chambre. Quelque chose qui justifiait ce qu'elle lisait sur son visage, ce mélange d'incompréhension et de peur.

Elizabeth s'était assis aussitôt les premiers mots d'Alexander prononcés. S'il n'avait pas eu l'air si inquiet, certainement aurait-elle répondu qu'elle le prenait déjà pour un fou, mais l'instant n'était pas à la plaisanterie. Sans savoir ce qui était en train de se passer, elle sentait déjà l'atmosphère changer et l'ambiance devenir pesante. Alors, elle ne répondait rien et elle attendait.

Alors qu'il était en train de relever sa manche, les yeux d'Elizabeth se posèrent sur son bras. Elle restait silencieuse un instant, tout en attrapant son poignet pour l'observer de plus près - comme si cette simple action lui donnerait une explication à ce qu'elle était en train de voir. « Je le vois. » Souffla-t-elle, sans comprendre, tant ça lui paraissait évidemment qu'elle le voyait. Si ça n'avait pas été Alexander, peut-être aurait-elle pensé qu'il s'agissait d'une sorte de mauvaise blague. Avec lui, elle savait que la chose était sérieuse.  

Les yeux d'Elizabeth détaillaient avec attention les traits de cette cicatrice qui avait pris place sur le bras d'Alexander. Il n'y avait aucun doute à avoir, il s'agissait de chiffres. Mais qu'indiquaient-ils ? Comment s'était-il fait ça ? Ses yeux se relevaient finalement, dévoilant tout de son incompréhension, pour se plonger dans les siens, à la recherche de réponses. Il y avait forcément une explication. Il y avait toujours une explication. « Je ne comprends pas... » Il n'avait pas l'air de comprendre davantage, mais peut-être se trompait-elle ? « Qu'est-ce que c'est ? » Parce qu'il s'agissait bien de quelque chose. Ces chiffres avaient forcément une explication - et évidemment, un nouveau tour de cette ville semblait être le plus probable dans l'esprit d'Elizabeth.

Ils étaient, l'un et l'autre, désarmés face à une situation qu'ils ne maîtrisaient d'aucune façon. Ils ne comprenaient rien et ils ne savaient pas quoi faire. Alexander n'avait pas plus de réponses qu'Elizabeth. Il semblait perdu, effrayé, démuni, comme jamais Elizabeth ne l'avait vu auparavant, ce qui rendait cette situation plus terrifiante encore. Alexander était fort. Il restait fort. Toujours. Cette nuit, il semblait plus vulnérable que jamais. Son regard le trahissait. Son regard trahissait tout. Si ce n'était pas elle qui avait cet étrange tatouage sur le bras, elle n'en était pas moins terrorisée par sa potentielle signification. Le calme de la nuit, de cette chambre... tout rendait l'ambiance plus angoissante encore. Comme s'ils n'étaient plus que tous les deux, seuls au monde, avec cette chose incompréhensible, cette épée au-dessus de la tête, cette impossibilité de faire quoi que ce soit pour eux qui aimaient avoir la main sur tout, pour eux qui détestaient être impuissants.

Ce compte à rebours, ils allaient en venir à bout. Ils étaient invincibles du moment où ils étaient tous les deux, n'est-ce pas ? C'était en tout cas ce qu'elle aimait croire pour se sentir en sécurité, protégée. La réalité, cette fois-ci, la rattrapait. Ils n'étaient rien de plus que deux êtres humains, sensibles et vulnérables. Alexander, malgré ce qu'elle aimait se dire, n'était pas invincible - après tout, elle aimait tellement lui répéter, qu'elle aurait dû le savoir mieux que personne. Cette fois-ci ne serait pas différente des autres, ils allaient réussir à s'en sortir, non ? Ce n'était pas possible d'envisager les choses autrement. Elizabeth ne voulait pas envisager les choses autrement.

S'il ne disait rien de très précis, Elizabeth avait peur de comprendre. L'idée que ce compte à rebours était le temps qu'il lui restait avant de quitter ce monde lui paraissait plus qu'évidente. Cet endroit jouait sans cesse avec leurs peurs, avec leurs cauchemars. Cet endroit jouait avec eux comme avec de vulgaires marionnettes. Alors, peut-être n'était-ce qu'un jeu pour les pousser à craindre le pire ? Un jeu qui n'aurait aucune conséquence ? Ou peut-être avait-elle besoin de le croire pour ne pas sombrer, pour rester près de lui, pour ne pas s'effondrer. Elizabeth sentait son coeur battre beaucoup trop vite et ses mains se mettre à trembler face à ces perspectives beaucoup trop sombres. On ne lui prendrait pas Alexander, ni cette ville, ni personne. Elle se battrait peut-être contre le vent, mais elle ne cesserait jamais de se battre pour lui.

Alors qu'il s'était installé sur le lit, Elizabeth s'était approchée de lui. Il lui expliquait qu'il n'avait aucun autre symptôme, que personne n'avait pu lui faire ça... Il était peu probable, en effet, qu'Elizabeth n'ait rien entendu, elle qui venait à peine d'aller se coucher. Non, il fallait se rendre à l'évidence, c'était apparu comme par magie. Il fallait désormais espérer pour que ça disparaisse de la même façon.

Sa détresse la brisait. Jamais elle ne l'avait vu dans un tel état - mais jamais il n'avait été confronté à une telle chose devant elle. Elle avait envie de le rassurer, de faire disparaître cette chose, de prendre cette marque à sa place, de faire n'importe quoi, pourvu qu'il puisse se sentir mieux. Ses mains étaient venues entourer son visage, dans un geste tendre, et son regard s'était planté dans le sien. « A la fin de ce décompte, il ne va rien se passer. Il ne t'arrivera rien du tout, tu m'entends ? » Même si elle voulait se montrer sûre d'elle, son regard trahissait son incertitude, ses doutes et ses craintes. Elle ne pouvait que nier la réalité. « Ça va aller, je te le promets. » Elle n'avait aucun moyen de tenir cette promesse. Elle ne contrôlait rien du tout. « Ça va aller, d'accord ? » Répétait-elle, encore, en venant déposer son front contre le sien, cherchant à se rassurer autant qu'elle le rassurait, incapable de lui proposer une explication ou une solution. « Il y a forcément quelqu'un qui sait quoi faire... » Mais qui ? L'idée de le conduire aux urgences lui avait effleuré l'esprit, mais ils n'auraient rien pu faire. Alors, vers qui devaient-ils se tourner ? Qu'étaient-ils censés faire ? Juste attendre, bêtement ? Juste espérer et prier ? Juste accepter et profiter des dernières heures ensemble ? Rien de tout cela n'était envisageable pour Elizabeth. Elle ne resterait pas là, les bras croisés, à attendre l'inévitable alors qu'Alexander avait besoin d'elle. S'il y avait une solution, quelque part, elle la trouverait. Ils la trouveraient, ensemble.

Elizabeth tentait de le rassurer parce qu'elle ne pouvait rien faire d'autres et parce qu'elle ne supportait pas de le voir ainsi, dans cet état. Elle aurait mille fois préféré avoir des solutions, des idées, pour effacer cette marque, la faire disparaître, pour qu'ils puissent oublier ce mauvais cauchemar et simplement passer la nuit l'un contre l'autre pour attendre la journée qui s'offrirait à eux le lendemain. Elle aurait tout donné pour ça. Tout donné pour qu'Alexander n'ait pas à supporter l'angoisse terrible de ce décompte. Sauf qu'elle était impuissante. Non seulement, elle n'avait aucun pouvoir sur ce qui était en train de se passer, mais elle n'avait pas, non plus, la moindre solution. Elle n'était qu'une spectatrice assistant à un terrible spectacle, dont elle craignait de connaître l'issue.

Elizabeth tentait alors de le rassurer, d'abord par des mots et des promesses qu'elle était incapable de tenir, puis par des gestes. Elle savait qu'il était capable de la rassurer juste en posant ses mains sur elle, elle espérait que l'inverse puisse être vrai également. Les yeux dans les yeux, elle le voyait se calmer peu à peu, reprendre le contrôle de sa respiration. Ainsi, il serait bien plus facile pour eux de discuter pour trouver une solution - parce qu'ils allaient forcément en trouver une.

Si eux ne savaient pas quoi faire, il y avait forcément quelqu'un, dans cette ville, qui en avait une idée. Cependant, Elizabeth n'avait pas la moindre idée de qui. Ils n'avaient pas des jours devant eux, à peine quelques heures, alors qu'étaient-ils censés faire ? Les questions, les hypothèses, se bousculaient dans l'esprit de la jeune femme, jusqu'à ce qu'Alexander fasse une remarque très juste, bien que toujours surprenante, malgré les années passées dans cet endroit. Cette ville était magique, ils en étaient tous témoin, mais elle possédait également des êtres magiques. Etait-ce vers eux qu'il fallait se tourner pour espérer trouver une solution ? Le problème était que ni l'un ni l'autre n'en connaissaient. « Tu y trouveras des charlatans, sans aucun doute. » Elle doutait que ceux qui possédaient des capacités hors du commun faisaient réellement leur publicité en ligne. Ils restaient sans doute discrets, non ? « Mais on va chercher et on va appeler tous ceux que l'on connaît, on frappera à toutes les portes s'il le faut, mais on trouvera une solution. » En ligne, grâce à des proches, à des voisins ou grâce à n'importe quoi, Elizabeth fouillerait tout, absolument tout, pour lui apporter une solution. « Je ne t'abandonnerai pas. » Ni lui, ni l'idée de trouver une solution.

Cette fois-ci, ils ne s'en sortiraient pas seuls. Alexander et Elizabeth étaient face à une situation qu'ils ne maîtrisaient pas. Ils avaient besoin d'aide - ils avaient surtout besoin d'une solution miraculeuse. Ce n'était pas la décision la plus simple qu'ils avaient eu à prendre parce que remettre leur destin entre des mains extérieures... Ce n'était décidément pas leur genre. Surtout lorsqu'il était potentiellement question de vie ou de mort. Mais puisqu'ils ne voyaient aucune autre solution, Elizabeth avait proposé de contacter tous ceux qui pourraient être susceptibles de les aider. Ils tenteraient le tout pour le tout, ils s'acharneraient, mais une chose était certaine : ils n'abandonneraient pas avant d'avoir trouvé une solution. Elizabeth refusait de perdre Alexander à cause d'un caprice de cette ville. Et il ne comptait pas plus l'abandonner en se laissant mourir à la fin du décompte.

Pour respecter cette promesse qu'ils se faisaient, il fallait donc choisir comment procéder. Contacter des gens de l'extérieur, d'accord, mais qui ? Même s'ils étaient prêts à tout, ils ne pouvaient pas contacter tout le monde. Contacter tout le monde, c'était prendre le risque de contacter la mauvaise personne. Celle à l'origine de ce problème ou celle à qui ce problème profiterait un peu trop. Du côté d'Elizabeth, les choses iraient très vite. Elle avait très peu de contacts en dehors de ses patients et encore moins de contacts avec qui elle se sentait suffisamment en confiance pour demander une telle aide. Il n'était pas question qu'elle prenne le moindre risque avec la vie d'Alexander en contactant n'importe qui. « Je n'ai que très peu de personnes à contacter, mais peut-être que je peux essayer de joindre les hôpitaux pour savoir si des cas similaires ont été déclarés cette nuit ? » Savoir s'il était le seul - à supposer que si d'autres avaient été touchés, ils s'étaient rendus à l'hôpital - les aiderait peut-être à comprendre ce qui était en train de se passer ?

Face à sa dernière question, en revanche, elle ne savait pas quoi répondre. Lui lancer un sort... Autrefois, peut-être aurait-elle trouvé ça complètement fou, mais dans un monde comme celui-ci... Pourquoi pas après tout ! Puis, même autrefois, il était connu qu'à la cour de France se trouvait un personnage pour le moins particulier : Nostradamus. Un homme capable de prédire l'avenir. Capable de mettre au point certaines potions ou certains poisons. Pour ne jamais l'avoir fréquenté, Elizabeth ne savait pas bien tout ce dont il était capable, mais déjà, à son époque et dans son monde, il y avait ces choses qui paraissaient étranges aux yeux de beaucoup. Alors pourquoi pas, aujourd'hui, dans un monde où tout semblait possible, un mauvais sort ? « Tu crois que certains ont ce genre de... pouvoirs ? » Comment le saurait-il ? « C'est soit l'un d'entre eux, soit cette ville. » Qui d'autre ?

Face à cette affirmation, une autre idée germa dans l'esprit de la jeune femme. La même qu'à chaque fois. « Ou alors... Il y a quelque temps, Mary m'a rendu visite... » Une visite dont elle avait gardé le secret - et une visite qui était plus de l'ordre de l'intrusion qu'autre chose - pour ne pas l'inquiéter, mais ce n'était pas le moment de s'expliquer à ce sujet. « Elle disait avoir consulté une voyante. » Comme elle s'était fiée aux prédictions de Nostradamus autrefois, elle s'était fiée aux prédictions de cette femme qui lui assurait qu'Elizabeth finirait par causer sa perte, tôt ou tard. « Si elle y est pour quelque chose, si elle a trouvé plus qu'une voyante, je la tuerai de mes propres mains. » Parce que cette situation n'avait que trop durée et qu'Elizabeth, qui avait toujours craint que sa cousine ne s'en prenne à Alexander, ne laisserait pas passer une telle attaque. Mais, après tout, ils avaient tous les deux des ennemis nombreux et de tous les côtés. Il était difficile de déterminer lequel était en train de s'attaquer à eux et Elizabeth se trompait peut-être complètement. « Que ce soit elle ou l'un de tes adversaires, cette fois-ci, ils ne s'en sortiront pas. » Assura-t-elle, morte de peur à l'idée de perdre celui qu'elle aimait et déterminée à se venger de cette attaque. Si elle devait découvrir le coupable, cette fois-ci, elle refuserait de se laisser raisonner par Alexander et ses discours. Le coupable allait payer.

Elizabeth voulait donner l'impression de savoir ce qu'elle était en train de faire. Elle voulait donner l'impression d'avoir un minimum de maîtrise sur cette situation. En réalité, elle était perdue. Aussi perdue que lui. Contacter des gens, des proches, des amis... Oui, mais qui ? N'était-ce pas prendre un risque trop grand ? Contacter les hôpitaux pour savoir si des cas similaires avaient été déclarés cette nuit ? Oui, mais après ? Avaient-ils trouvé une solution miracle ? Certains étaient-ils déjà arrivés à la fin de ce compte à rebours ? Que s'était-il passé alors ? La mort ? Rien ? Autre chose ? Avait-elle vraiment envie de savoir qu'elle était en train de passer ses dernières heures en compagnie de l'homme qu'elle aimait ?

Pourtant, plutôt que s'activer en contactant leurs proches ou les hôpitaux, ils ne pouvaient s'empêcher de chercher l'origine de ce problème. Peut-être que le comprendre pourrait les aider ? Cependant, s'il fallait faire la liste de leurs potentiels ennemis... cela leur prendrait un certain temps - sans compter que, finalement, il pouvait toujours y avoir des ennemis de leur ancienne vie en ville, sans qu'ils ne soient au courant, ce qui rendrait cette liste incomplète et inutile, en plus de tous les autres.

En premier lieu, évidemment, Alexander soupçonnait ses adversaires politiques. Ces derniers étaient prêts à absolument tout pour l'éliminer. Si eux ne possédaient pas ce genre de dons - et comment le savoir de toute façon ? Il y avait de fortes chances pour qu'ils ne s'en vantent pas - il ne devait pas être si compliqué de trouver quelqu'un les possédant pour mener à bien leur plan, comme Alexander le suggérait. Elizabeth, persuadée que cet endroit était une sorte de conscience capable de bien des choses ou qu'il était contrôlé par quelque chose ou quelqu'un cherchant à tester leurs limites, mettait en avant l'idée que la ville pouvait également être responsable. Plutôt que la ville, Alexander imaginait plutôt le Maire derrière tout ça - aux yeux d'Elizabeth, le Maire et la ville n'étaient qu'une seule et même entité, d'une certaine façon, alors pourquoi pas ? Autant dire, donc, que les possibilités étaient nombreuses.

Alexander et Elizabeth fonctionnaient comme toujours. Ils discutaient, ils échangeaient leurs idées, ils mettaient en avant leurs hypothèses... sauf que cette fois-ci, ils étaient pressés par le temps. Ils n'avaient ni le temps de débattre, ni le temps de vérifier chacune de leur hypothèse. Difficile à gérer, donc. « Réfléchis, peut-être que tu as mis le doigt sur quelque chose d'important, d'essentiel... Quelque chose que le Maire ne veut pas que tu découvres. » Une idée qu'il aurait évoquée, quelque chose qu'il aurait trouvé, une raison qui aurait poussé cette ville à le mettre hors d'état de nuire de manière définitive.

Et comme si les hypothèses n'étaient pas suffisamment nombreuses, Elizabeth en avait une autre. Une évidente. La plus évidente de toutes, même. Mary. Mary était toujours une menace pour elle. Pour eux. Elizabeth restait persuadée qu'elle les attaquerait à un moment ou à un autre et quel meilleur moyen pour affaiblir Elizabeth que s'attaquer à Alexander pour la priver de son soutien ?

Si Mary était toujours soupçonnée lorsqu'Elizabeth était confrontée à ce genre d'événement, elle avait, en plus de tout, une véritable raison, cette fois-ci, de la considérer comme coupable. Elle l'avait accusée de vouloir s'en prendre à elle - comme toujours - et elle avait, selon elle, les prédictions d'une voyante pour le confirmer. Puisque Elizabeth avait refusé d'admettre tout ça et d'admettre qui elle était, Mary l'avait menacée - enfin, c'était ce qu'avait ressenti Elizabeth. « Je sais. » Se contenta-t-elle de répondre en soufflant et en évitant son regard un instant. Bien sûr qu'elle aurait dû lui en parler, mais Elizabeth ne fonctionnait pas toujours comme il l'aimerait - surtout lorsqu'il s'agissait de sa cousine.

Pour le reste, sur la visite en elle-même, elle ne lui répondait rien, ignorant ses questions parce qu'il y avait plus important à gérer pour le moment. « Non... Enfin, je ne sais pas... Je ne m'en souviens pas. » Elle essayait de se souvenir et elle n'avait pas l'impression d'avoir eu plus d'informations sur cette voyante, mais... Et si elle se trompait ? Si elle avait oublié l'essentiel pour le sauver ? « Je sais simplement qu'elle est allée consulter une voyante parce qu'elle avait besoin de réponses à ses questions et elle lui a dit que... Elle lui a dit que je la conduirai à la mort une nouvelle fois, que je complotais quelque chose contre elle... » Ce qui était faux - pour l'instant. Elizabeth n'avait toujours voulu que vivre paisiblement dans ce monde, mais Mary l'en empêchait. « Elle voulait des explications, elle voulait que j'avoue tout, que j'assume et j'ai refusé... Elle pense que je veux la tuer, alors quel meilleur moyen pour m'affaiblir que s'en prendre à toi ? » Et elle s'en voulait terriblement. Elle avouerait tout à Mary, même les mensonges qu'elle souhaitait entendre, pour assurer sa survie, pour le protéger. Il ne méritait pas de mourir à cause d'elle.

Alexander observait le décompte sur son poignet et Elizabeth faisait de même. Le temps semblait passer bien plus vite... « Non... Non ! » Souffla-t-elle en lui attrapant le poignet, posant sa main sur la cicatrice pour oublier ce décompte un instant. « Tu ne vas pas mourir. Tu ne peux pas mourir. Il nous reste tellement de choses à vivre... Tu ne peux pas. » Il y avait dans sa voix un mélange de détermination, d'assurance et de détresse. Une partie d'elle voulait croire qu'il ne lui arriverait rien, mais l'autre était morte de peur face à cette réalité. « Tu peux me demander tout ce que tu veux, mais tu ne mourras pas ce soir. » Elizabeth refusait cette idée. Et lorsqu'il s'agissait de se voiler la face, elle était plutôt douée.

Justement, Alexander agissait comme il le faisait depuis toujours, depuis son arrivée en ville. Aux yeux d'Elizabeth, si le maire était responsable de son état actuel, il y avait forcément quelque chose en plus, une autre raison, plus précise. Si ce n'était pas le cas, il se serait débarrassé d'Alexander bien plus tôt. Peut-être qu'Alexander s'approchait trop près du but, peut-être qu'il était tombé sur un détail, insignifiant pour lui, dangereux pour le maire, quelque chose qu'il n'avait pas compris ? Il ne pouvait pas s'en prendre à lui, après plus de quatre ans, de manière aussi radicale sans aucune autre raison que le comportement d'Alexander. Elle en était persuadée. « Si ce n'était que ça, il aurait cherché à te faire taire plus tôt. » Sauf si Alexander commençait à avoir une influence suffisamment importante pour inquiéter sérieusement la chose qui contrôlait cette ville. « Tu agis de cette façon depuis ton arrivée, alors... Il doit y avoir quelque chose de plus, si c'est bien le Maire qui est derrière tout ça. » Seulement, il était difficile de savoir quoi. « On pourrait tout te retirer, mais tu n'abandonnerais jamais. » Si le Maire voulait le réduire au silence, la seule solution était d'éliminer purement et simplement Alexander. Il avait beau dire ce qu'il voulait, le priver de sa place ou de ses fonctions n'aurait rien changé, il aurait continué à mener ses actions et à faire ses recherches par tous les moyens, elle en était persuadée.

En dehors du Maire et des adversaires politiques d'Alexander, il y avait une autre hypothèse à prendre en compte : Mary. Elizabeth craignait depuis toujours une action de sa part visant à l'affaiblir et quoi de mieux pour cela qu'éliminer Alexander, son seul véritable soutien ? Elizabeth lui expliquait alors ce qui était arrivé lors de leur dernière rencontre. Malheureusement, en dehors de quelques informations, elle ne savait rien. Ni qui était cette voyante, ni ce qu'elle lui avait dit dans le détail, ni rien... Elizabeth avait trop peu d'informations au sujet de sa cousine. Qu'elle soit responsable ou non de cet événement, elle allait devoir régler ça, au plus vite, pour avoir les moyens de se défendre. « Lorsque tu seras hors de danger, nous allons devoir réfléchir sérieusement à la menace qu'elle représente. On ne peut plus simplement attendre qu'elle frappe la première. » Autrement dit, aux moyens de s'en protéger et aux informations qu'il fallait obtenir sur elle pour qu'Elizabeth puisse frapper la première. Si Mary commençait à s'allier à des voyants ou à des personnes ayant des dons particuliers, ils étaient fichus. Ils ne pouvaient pas attendre de se retrouver au pied du mur pour agir, il fallait être prévoyant. Elizabeth avait fait une bêtise en ne l'étant pas suffisamment, en abandonnant ses habitudes d'un autre monde pour se protéger et elle comptait bien y remédier.

En attendant, Elizabeth refusait de le voir mourir et sa priorité était là. Il fallait le sauver, à n'importe quel prix. Ils n'avaient pas eu la chance de vivre tout ce qu'ils avaient à vivre et, égoïstement, Elizabeth ne voulait pas se retrouver seule, se retrouver face à la peur et à la solitude comme avant de rencontrer Alexander. Non, il ne pouvait pas mourir - et puis, ne lui en avait-il pas fait la promesse un jour ? Alors, s'il pouvait lui demander absolument tout ce qu'il voulait, ce n'était pas parce qu'il allait mourir. Ça, c'était ce que la partie d'Elizabeth qui refusait la réalité s'obstinait à penser.

La partie la plus raisonnable, la plus réaliste, prenait conscience de la réalité des choses et de l'issue plus que probable de la situation. Cette partie avait conscience qu'il ne leur restait peut-être plus beaucoup de temps pour se dire tout ce qu'ils avaient à se dire, pour profiter de la présence et du contact de l'un et de l'autre, pour imprimer chaque sensation afin de ne jamais les oublier... Mais ce temps, celui indiqué sur le poignet d'Alexander, ne serait jamais suffisant pour qu'ils puissent vivre tout ce qu'ils auraient aimé vivre tout au long de leur vie. Tous ces événements qu'ils auraient dû vivre, tous ces moments qu'ils auraient dû partager... Allait-on vraiment les priver de tout ça ?

Les mots d'Alexander la faisaient sourire. Et pleurer, en silence. Elle souriait parce qu'une part d'elle voulait continuer de croire qu'ils auraient le temps de vivre tout ça. Elle souriait parce qu'elle était heureuse de l'entendre lui dire qu'il aurait aimé faire d'elle sa femme. Elle souriait parce qu'il souriait et parce qu'elle voulait qu'il la voie ainsi. Et elle pleurait parce qu'elle était brisée à l'idée que tout, dans quelques heures, soit terminé. Elle pleurait parce qu'elle avait l'impression de perdre l'unique personne qui comptait à ses yeux. Elle pleurait parce qu'elle avait l'impression d'être condamnée à toujours perdre les hommes qu'elle aimait par-dessus tout. « Alors, ne perds pas de temps. » Souffla-t-elle, son front toujours contre le sien. Peut-être devraient-ils davantage s'activer pour trouver une solution, mais s'il n'y en avait pas ? S'ils passaient tous leurs derniers instants à chercher quelque chose qui n'existait pas sans se donner le temps de se dire tout ce qu'ils avaient à se dire ? Sans se rappeler à quel point ils s'aimaient ? Elizabeth ne renonçait pas, elle ne renoncerait jamais, mais ils devaient prendre le temps de se dire ce qu'ils avaient à se dire pour ne pas le regretter - pour ne pas qu'elle le regrette.

Ils devaient penser à toutes les possibilités, mais elles étaient nombreuses - tout comme leurs ennemis respectifs. De plus, sans le moindre indice, sans la moindre indication, il était difficile, pour ne pas dire impossible, de déterminer qui était réellement derrière toute cette histoire. Ils ne pouvaient que spéculer, supposer. C'était ce qui rendait l'opération si difficile. Sans aucune certitude, sans aucune possibilité de valider une hypothèse, comment pourraient-ils trouver une solution ? Cette ville, un adversaire d'Alexander, un ennemi lié à leur ancienne vie, Mary, le Maire... En fonction du responsable et de son objectif, la solution à adopter serait différente alors... Comment faire ? Etaient-ils dans une situation désespérée au point où il n'y avait aucune solution ? Au point où on leur offrait juste la chance de passer encore quelques heures ensemble ? Une sorte de sursis gentiment offert avant de mettre définitivement fin à la vie d'Alexander ?

Et si c'était bel et bien le cas, comment devaient-ils profiter de ces dernières heures ? Devaient-ils se battre jusqu'au bout, jusqu'à la dernière seconde, juste au cas où ? Devaient-ils accepter leur impuissance et profiter de ce temps pour se dire tout ce qu'ils n'avaient pas eu l'occasion de se dire ? Tout ce qu'ils avaient envie de se répéter ? Comment faire un choix, sans le regretter ensuite ? S'ils ne se battaient pas pour le sauver, Elizabeth regretterait terriblement d'avoir perdu ses dernières chances de le garder auprès d'elle. S'ils ne prenaient pas le temps de se dire adieu, Elizabeth serait détruite d'avoir gâché ses derniers instants auprès de celui qu'elle aimait. Encore une fois, il n'y avait pas de choix parfait.

Ils avaient encore beaucoup de choses à vivre. Ils auraient dû avoir encore de nombreuses années devant eux. Pour être heureux, pour se découvrir, pour se marier, pour fonder une famille, pour voir leurs rêves se réaliser, pour se dire, à chaque instant, combien ils s'aimaient, pour vieillir l'un auprès de l'autre... Pour vivre, tout simplement. Des années que quelque chose ou quelqu'un venait de transformer en heures. Alors, ils faisaient un choix. Celui de ne plus perdre de temps puisqu'ils n'en avaient pas.

Jusqu'à présent, depuis l'instant où Alexander était entré dans cette chambre pour lui montrer son bras, Elizabeth avait refusé la réalité. Elle la connaissait, mais elle ne voulait pas la voir en face. Désormais, elle la frappait de plein fouet. Se voiler la face n'aiderait en rien, au contraire. Alors, elle lui demandait de ne plus perdre de ce temps qu'ils n'avaient plus, de lui dire ce qu'il avait à lui dire. Ce n'était pas ainsi qu'elle s'était imaginée les choses, mais ils n'avaient plus le temps. Les secondes défilaient beaucoup trop vite et elle était effrayée à l'idée d'être rattrapée par ce compte à rebours.

Alexander avait comblé l'espace qu'il y avait entre eux pour venir essuyer ses larmes, du bout des doigts, avec tendresse. Elizabeth tentait de graver en elle ce qu'elle ressentait à l'instant où sa peau avait touché la sienne, pour ne jamais l'oublier, en fermant un instant les yeux. Et elle avait fait la même chose lorsque ses lèvres étaient venues se poser sur les siennes. Tout graver, pour ne rien oublier. Mais combien de temps pourrait-elle se souvenir avec précision de ces sensations, de ces frissons, de ce bonheur ? Avec le temps - tout était toujours une question de temps - les souvenirs s'estompaient, devenaient imprécis. Mais elle ne voulait pas oublier.

Elle ne répondait rien. Elle savait qu'il se battrait jusqu'au bout, qu'il ne comptait pas se laisser abattre, mais de plus en plus, elle avait l'impression qu'ils n'étaient pas maîtres de leur destin. Ils n'étaient que des marionnettes et ils n'avaient pas leur mot à dire. Ils subissaient. Ils ne pouvaient que profiter de ces instants, sans vouloir modifier le cours d'un destin qui semblait déjà tout tracé. Alors, tout comme elle avait profité de la caresse sur sa joue ou de son baiser, elle profitait de la sensation de sa main dans la sienne et du baiser qu'il y déposait. Elle profitait du son de sa voix dont elle voulait mémoriser chaque intonation, chaque particularité.

Cet instant, elle se l'était souvent imaginé, mais jamais ainsi. Il aurait dû être différent, mais, malgré la situation, ce qu'il signifiait ou les raisons qui les poussaient à se précipiter, Elizabeth était heureuse. Elle lui devait d'être heureuse. Elle se devait de lui offrir ce souvenir s'il devait bientôt partir. Celui d'une femme heureuse, qu'il n'aurait jamais pu rendre plus heureuse, d'une femme comblée, d'une femme qui l'aimait plus que n'importe qui d'autre. Ses mots se gravaient dans son esprit. Des larmes de joie se mélangeaient à ses larmes de tristesse. Un sourire se dessinait sur ses lèvres alors qu'il l'appelait ma reine. Et ce sourire n'avait pu que s'élargir à l'instant où il avait posé la question. « Il n'y a rien qui me rendrait plus heureuse. » Souffla-t-elle en venant déposer sa main sur sa joue, avec tendresse, sans la moindre hésitation. « C'est oui... Bien sûr, que c'est oui. » Avait-elle ajouté, en souriant tendrement, son bonheur et sa peine se mélangeant étrangement dans ses larmes et son sourire.

Elle l'avait longuement observé, en silence, profitant de la main d'Alexander dans ses cheveux et de sa main, à elle, sur sa joue. Puis elle avait ajouté sans réfléchir : « Mais... Je veux devenir ta femme maintenant. Nous aurons tout le temps de rendre les choses officielles plus tard, mais s'il devait... » t'arriver quelque chose - mais ça, elle était incapable de le dire à voix haute. « Je ne veux plus perdre une seconde. Si je ne suis pas ta femme aux yeux du monde, je veux l'être à tes yeux. » Ils auraient tout le temps de rendre les choses officielles plus tard, lorsque cette histoire serait derrière eux. Et, s'il devait ne pas s'en sortir cette nuit, elle voulait être, au moins à ses yeux à lui, son épouse - même si ça devait l'obliger à revivre une deuxième fois cette situation. Autrefois, elle avait épousé Gideon dans le plus grand des secrets. Il n'y avait qu'eux. Eux, leurs voeux et leurs promesses, dans une vieille chapelle abandonnée. Puis il était mort. Quelques heures après, seulement. Elle ne voulait pas que l'histoire se répète, mais elle n'avait pas non plus envie de perdre Alexander sans être d'abord devenue sa femme - et toutes ces choses, toutes ces ressemblances, elle devrait les expliquer à Alexander, un jour ou l'autre, parce que lui survivrait à tout ça. « Epouse-moi maintenant. Fais de moi ta femme, maintenant. » Continuait-elle de souffler en venant l'embrasser. « Tu m'as demandé de venir vivre avec toi le soir où tu m'as avoué ce que tu ressentais, tu peux bien faire de moi ta femme sans attendre. » Soufflait-elle, en souriant. Il n'y avait pas besoin de grande cérémonie ou de témoin. Tout ce qu'elle voulait, c’était qu'ils échangent leurs voeux.

Cette demande, Elizabeth avait l'impression de l'avoir toujours attendu. Elle avait l'impression de l'avoir toujours secrètement espéré, bien avant, même, d'avoir rencontré Alexander. La perspective de se marier n'avait jamais été réjouissante pour Elizabeth. On lui avait interdit depuis longtemps de se marier par amour. Son potentiel mariage n'avait toujours eu comme ambition que de renforcer la puissance de son pays, de faire des alliances. Les hommes qu'elle avait aimés n'avaient jamais été de potentiels époux parce qu'ils ne lui auraient rien apporté. Ils avaient déjà évoqué le mariage, Elizabeth avait déjà été prête à se mettre en danger, à mettre en danger sa couronne, pour eux, mais la réalité avait toujours fini par la rattraper.

Avec Gideon, elle avait franchi le pas. Officieusement, bien sûr. Il n'y avait jamais rien eu d'officiel, elle l'avait épousé secrètement, sans autre témoin que leur dieu, pour lui prouver son amour alors qu'elle devait en épouser un autre officiellement. Et on lui avait retiré cet homme quelques heures seulement après l'échange de leurs voeux. Elizabeth avait perdu tout espoir d'être heureuse, après avoir perdu cet homme qu'elle n'avait même pas eu le droit de pleurer. Alors, l'amour et le mariage avaient toujours eu ce quelque chose d'impossible pour Elizabeth. Impossible, jusqu'à le rencontrer, lui. Il lui avait montré qu'elle avait le droit d'être heureuse, d'aimer et d'être aimée. Elle était heureuse avec lui, elle se sentait aimée et elle aimait comme jamais elle n'avait aimé auparavant. Alors, il n'y avait rien qu'elle ne désirait plus que de devenir sa femme, pour concrétiser leur relation, même si l'histoire devait se répéter et même si ce ne devait être que pour quelques malheureuses heures.

A son oui, il n'y avait qu'une condition : qu'ils ne perdent pas de temps parce que du temps, ils n'en avaient pas. Même si ça ne pouvait pas être officiel, elle voulait devenir sa femme tout de suite, avant que ce décompte n'atteigne sa fin. S'il devait lui arriver quoi que ce soit, elle voulait qu'ils aient franchi ce pas d'abord. Un pas symbolique, mais tellement important pour elle. Alexander lui promettait d'abord qu'elle était déjà sa femme. Il ne s'agissait que de mots, mais ces mots avaient une telle valeur pour elle. Tout autant que ceux qu'ils avaient prononcés ensuite, en lui assurant qu'il n'avait pas non plus l'intention de la faire attendre. Elle était heureuse de l'entendre. Heureuse qu'il souhaite passer ses potentielles dernières heures ainsi, avec elle.

« Ce que je veux, c'est qu'on fasse ce qui te plaît, à toi. Que ce soit ici ou ailleurs, ça n'a aucune espèce d'importance pour moi, il s'agira toujours d'un merveilleux moment, puisque tu seras avec moi... puisque je deviendrai ta femme. » Et c'était tout ce qui comptait pour elle en cet instant. Elle se moquait bien qu'ils se marient ici, dans leur chambre, qu'ils se retrouvent là où ils avaient échangé leur premier baiser ou dans le lieu qu'Alexander trouvait le plus romantique sur cette île. Elle s'en moquait parce que tout ce qu'elle voulait, c'était voir Alexander heureux. Ce n'était pas que tout cela n'avait pas d'importance, bien au contraire, mais elle accordait bien plus d'importance à ce qu'ils se diraient qu'à l'endroit où ils se le diraient - même si elle ne voulait pas faire ça n'importe comment pour autant, c'était un moment particulièrement important après tout, mais elle voulait offrir ce choix à Alexander. « On ne peut pas faire sans... » Avait-elle soufflé, en souriant, alors qu'il proposait de lui trouver une alliance de fortune. « N’importe quel morceau de métal ou de plastique fera l'affaire. » Ils n'avaient pas de temps à perdre avec ces détails, même si Elizabeth voulait avoir une trace, un reste, un quelque chose de cette union. « Et il nous faut un ruban. » Quelque chose qui ressemblait à une bague, un ruban, un lieu... Et ils pourraient s'unir l'un à l'autre, poussés à se précipiter par ce décompte qui défilait sur le poignet d'Alexander, les plongeant ainsi tous les deux dans l'incertitude la plus complète concernant leur avenir ensemble.

Ils avaient toujours vécu leur relation comme si le temps leur était compté. Ils avaient toujours vécu leur relation comme une chose dont ils devaient profiter. Ils avaient profité de chaque seconde. Ils n'avaient jamais eu de temps à perdre. Toujours pressés. Toujours impatients. Ce décompte, sur le poignet d'Alexander, ne faisait qu'accélérer quelque chose qui aurait été rapide dans tous les cas, elle en était certaine. Il précipitait simplement un peu plus une évidence qui aurait fini par s'imposer à eux, ils devaient s'unir, rendre leur relation plus officielle, plus forte. Ils n'avaient pas une seconde à perdre parce que chaque seconde était devenue précieuse. Chaque seconde les rapprochait inévitablement de la fin de ce décompte et de ce qu'il signifiait. Alors, ils devaient faire vite.

Alexander avait le choix du lieu. Elle n'avait qu'un souhait, qu'il puisse s'approprier ce moment, en faire ce qu'il voulait, juste au cas où... Il avait donc décidé qu'ils se marieraient ici. Pour ne pas perdre de temps inutilement en déplacement et pour rendre les choses officielles, à leurs yeux, le plus vite possible, c'était très certainement la meilleure décision à prendre.

Laissée seule, Elizabeth en avait profité pour se poser une seconde. Elle en avait besoin. Elle avait besoin d'accepter ce qui pouvait se passer d'ici peu de temps. Enfin, il ne lui était pas possible de l'accepter, mais, au moins, elle devait s'y préparer un minimum. Se préparer à ne pas craquer une nouvelle fois, se préparer à être un soutien pour lui, à l'accompagner au mieux, à l'aider au mieux. La suite, s'il devait lui arriver quelque chose, elle l'improviserait. Tout ce qui lui importait - s'il n'était pas possible de trouver une solution, mais elle refusait encore de s'avouer vaincue - était qu'Alexander puisse profiter de ses derniers instants. Et il n'y avait rien de plus terrible que de devoir étouffer ses émotions, son envie de céder, de craquer, de s'effondrer, mais parce qu'elle le faisait pour lui, elle se sentait prête à le supporter.

S'interdire de craquer et profiter des instants qui s'offraient à eux comme s'il s'agissait vraiment des derniers... Elle se le répétait encore et encore, tandis qu'elle enfilait quelque chose - à défaut d'avoir un mariage pour de vrai, elle pouvait au moins faire l'effort de changer la tenue qu'elle avait sur elle, pour dormir, et de faire disparaître les dernières traces de ses larmes - pour se donner de la force, celle d'affronter ce qui allait suivre. Ce qui aurait dû être le plus beau moment de sa vie avait aussi ce goût terrible, celui de la fin. Ce qui aurait dû être le commencement de quelque chose était peut-être la fin pour eux. Et, malgré tout ça, elle devait rester debout, pour lui, pour lui apporter son soutien jusqu'à la dernière seconde.

Prête, préparée à la suite comme elle le pouvait, elle avait attendu le retour d'Alexander qui l'avait menée jusque dans le salon, dans le plus grand des silences. Elizabeth n'avait besoin de rien de plus... Un décor familier où elle se sentait bien, en sécurité, quelques bougies et l'homme qu'elle aimait par-dessus tout. Il ne lui manquait que le temps pour être heureuse. Elle échangerait celui de n'importe qui contre celui d'Alexander, elle échangerait la vie de n'importe qui contre celle d'Alexander, mais elle n'avait pas ce pouvoir, malheureusement.

« Alors, allons-y. » Souffla-t-elle. Prêts, ils l'étaient autant qu'il était possible de l'être dans leur situation. Elle avait tellement de choses à lui dire, mais si peu de temps pour le faire. Il fallait faire vite, aller à l'essentiel. Alors elle se plaçait face à lui et glissa sa main dans la sienne. Lorsqu'elle était ainsi, face à lui, son regard plongé dans le sien, sa main dans la sienne, elle avait la sensation étrange que le temps pouvait s'arrêter. Mais il ne le pouvait pas. « Il me faudrait des heures pour te dire à quel point je suis heureuse avec toi, à quel point je t'aime ou pour te dire tout ce que j'aimerais te dire... » Des heures qu'elle n'avait pas, alors elle irait à l'essentiel. « Je t'aime, Alexander. Je t'aime comme jamais je n'avais aimé avant toi. Tu m'as appris à ne plus avoir peur à tes côtés. Avec toi, je me sens libre, comprise, écoutée et capable de tout, mais par-dessus tout, je me sens aimée. » Il était la première personne avec qui elle avait vécu et tout partagé parce que naturellement, elle s'était sentie capable de le faire. Il n'imaginait pas tout ce qu'il avait pu lui apporter. « Je t'aime parce que tu es l'homme le plus têtu, le plus déterminé, le plus courageux, le plus incroyable qu'il m'ait été donné de rencontrer... Je t'aime parce que tu es complétement fou de m'avoir accepté auprès de toi, fou d'avoir accepté tous ces risques, fou de m'épouser. » Souffla-t-elle en souriant, enroulant lentement le ruban autour de leurs deux mains. Elle l'aimait pour chacune de ses qualités et, plus encore, pour chacun de ses défauts. Elle l'aimait parce qu'il était imprévisible et impulsif. Elle l'aimait parce qu'il était lui, tout simplement.

Elizabeth n'aurait pas pu rêver mieux. Ils s'unissaient dans la plus grande hâte, sans avoir préparé quoi que ce soit, mais elle était heureuse. Elle était heureuse parce qu'il y avait quelque chose de naturel, de sincère, dans cette précipitation. Il y avait quelque chose qui leur ressemblait. Ils y avaient été poussés par les événements, par cet endroit, par ce décompte, bien sûr, mais finalement, n'était-ce pas ce qui leur correspondait le plus ? La passion et l'impulsivité, avant la raison et la logique ? C'était ainsi qu'ils fonctionnaient ensemble, ainsi que leur relation fonctionnait aux yeux d'Elizabeth. Alors, finalement, ce n'était que la suite logique de tout ce qu'ils avaient construit jusqu'à présent.

Elizabeth aurait aimé lui dire tout ce qu'elle avait à lui dire. Elle aurait aimé lui raconter pendant des heures ce qu'elle ressentait lorsqu'il était près d'elle, à ses côtés. Elle aurait aimé lui raconter à quel point elle était heureuse. Elle aurait aimé lui raconter à quel point elle l'aimait et tout ce qu'elle aimait chez lui, dans les moindres détails. Mais le temps leur manquait. Il fallait aller à l'essentiel. Ils n'avaient ni le temps de se préparer, ni le temps de se perdre en détails. Alors, elle allait à l'essentiel.

A son tour, il se prêtait à l'exercice. Comme elle, il devait faire preuve de concision et aller à l'essentiel - ce qui n'était clairement pas une habitude chez lui. Elizabeth aurait voulu graver chaque mot dans sa mémoire, pour ne jamais en oublier aucun, s'ils devaient être les derniers. Derrière chaque mot, elle ressentait tout son amour, toute sa sincérité. Elle ne pouvait qu'être profondément touchée, émue. Elle aimait l'entendre dire à quel point ils se complétaient, à quel point il se sentait entier lorsqu'elle était à ses côtés. Elle aimait entendre ce qu'il aimait chez elle et elle l'aimait quand il prétendait n'avoir jamais tort - et il la faisait sourire. Elle aimait l'entendre dire tout ce qu'il était grâce à elle et elle aimait, par-dessus tout le reste, l'entendre lui dire à quel point il l'aimait.

Chaque mot la rendait infiniment heureuse. Chaque mot la comblait. Et, un instant, elle réussissait même à oublier ce maudit décompte et tout ce qu'il signifiait peut-être. Un instant, seulement. La réalité n'était jamais loin. « Je t'aimerai toujours, quoi qu'il se passe. » Quoi qu'il puisse se passer à la fin de décompte, elle n'arrêterait jamais de l'aimer. Elle n'arrêterait jamais et elle lui en faisait la promesse.

« Tu as trouvé quelque chose pour les alliances ? » Souffla-t-elle, son regard plongé dans le sien, leurs mains toujours liées par le ruban. Elle aurait pu figer cet instant éternellement, arrêter ce décompte en même temps qu'arrêter le temps, se contenter de ce moment pour toujours, oublier cette ville et ses dangers, oublier la mort et la réalité, pour ne garder qu'eux, heureux et comblés.

Bien sûr qu'il y aurait bien plus à dire, bien sûr qu'elle aurait aimé lui dire tout ce qu'elle avait sur le coeur et le couvrir de mots qu'il n'oublierait jamais. Bien sûr qu'elle aurait aimé ne pas vivre ce moment dans la précipitation, avec le risque de voir Alexander s'écrouler à la fin de ce décompte. Mais ils n'avaient pas le choix. Et à travers cette obligation, Elizabeth voyait les bons côtés. Cette cérémonie leur ressemblait. Cette union était une nécessité pour l'un comme pour l'autre, et elle était finalement la preuve de cet amour si particulier et si fort qui les unissait. Alors, Elizabeth oubliait les mauvais côtés pour se concentrer sur les bons, juste le temps d'un instant. Elle voulait graver dans sa mémoire chaque seconde, chaque sourire, chaque regard. Elle ne voulait rien oublier... Juste au cas où.

A défaut de pouvoir lui dire tout ce qu'elle avait sur le coeur, elle s'était contentée de lui jurer un amour éternel, un amour qui ne disparaîtrait jamais, peu importe ce qui se passerait. Elle aurait aimé lui faire comprendre, lui dire de toutes les façons possibles, sauf qu'elle se sentait pressée par le temps. Elle craignait de ne pas avoir le temps d'aller au bout, elle craignait de ne pas avoir le temps de chercher une solution pour le sauver. Il y avait tant à faire en si peu de temps, qu'elle précipitait un peu plus les choses.

Alexander lui présenta alors les anneaux. Des trombones pliés, travaillés pour prendre la forme désirée. En les voyant, Elizabeth n'avait pu s'empêcher de sourire. Il lui avait promis des alliances, il lui en avait trouvées. Et si ces anneaux n'avaient aucune valeur, elle leur en accordait beaucoup. Sentimentalement. Symboliquement.

A sa plaisanterie, elle n'avait rien répondu, mais elle avait souri davantage. Il était davantage doué pour la politique - qu'il se rassure donc, il n'avait pas raté sa vocation. Avec plus de sérieux, Alexander avait fini par lui attraper la main. Dans ce simple geste, il y avait quelque chose de terriblement puissant, de terriblement stressant, de terriblement officiel. Ce moment, Elizabeth lui accordait toute l'importance qu'il méritait. Elle était émue en sentant Alexander lui passer cette bague au doigt, et il devenait difficile de retenir ses larmes. Elle se sentait différente, plus forte. Elle avait l'impression que ce simple anneau avait une valeur infiniment grande. Elle avait l'impression qu'il les liait l'un à l'autre pour l'éternité, qu'il faisait de leur histoire... quelque chose d'autre. Quelque chose de plus beau encore. « J'aime déjà beaucoup celui-ci. » Elizabeth aimait l'idée de posséder une bague qui était la preuve de ce mariage, une bague qu'elle pouvait porter pour se rappeler chaque jour qu'elle n'était plus seule, mais elle avait une affection toute particulière pour celui qu'elle portait désormais au doigt. Cette petite chose, insignifiante et sans valeur, était devenue, cette nuit, le symbole de leur histoire, de leur amour, de leur union.

A son tour, Elizabeth avait attrapé cet objet qui faisait office d'anneau. Puis, elle avait pris la main d'Alexander dans la sienne, avec une douceur infinie. Sans jamais le quitter des yeux, elle avait lentement glissé l'anneau à son doigt. « Je t'aime. » S'était-elle contentée de souffler, incapable de dire autre chose, en dehors de ces quelques mots, même si elle se répétait, ou de se rapprocher de lui pour l'embrasser. Désormais, même si ce n'était officiel qu'à leurs yeux, ils étaient mariés et plus rien ne pourrait les séparer. Pas même cet endroit, parce qu'il existerait toujours un lien entre eux. Un lien qui symbolisait l'amour qu'il se portait l'un à l'autre.

Que fallait-il faire lorsqu’il ne restait que peu de temps à passer avec l’être aimé ? Elizabeth aurait aimé lui dire tout ce qu’il lui avait apporté, tout ce qu’il avait fait pour elle, à quel point il l’avait libérée d’une vie qu’elle ne maîtrisait plus pour lui en redonner le contrôle. Elle n’arrivait pourtant à rien. Perturbée par le temps qui passait, elle n’arrivait qu’à profiter de l’instant présent et lui dire combien elle l’aimait. Ces mots, elle aurait aimé lui répéter, encore et encore. Il y avait, dans ces mots, une forme d’éternité et d’infini. Il y avait, dans ces mots, cette impression de tout dire sans rien dire. Alors, puisqu’ils n’avaient plus de temps, ils devaient se contenter de peu. Ils devaient se contenter d'eux. Elle aimait les entendre sortir de sa bouche. Elle aimait quand il lui disait qu'il l'aimait parce qu'à travers ces mots, elle avait l'impression de tout comprendre des sentiments qui l'animaient.

Leurs voeux échangés, l'anneau de fortune autour de leur doigt, il était venu l'embrasser. Il y avait dans ce baiser, un mélange de douceur et de force. Sa tendresse habituelle mélangée à la force de tout l'amour qu'il y avait entre eux et qu'ils craignaient de perdre à jamais d'ici peu. Ce baiser était différent de tous les autres. Ils scellaient définitivement le lien qui les unissait désormais et il marquait, en même temps, la fin de tout - peut-être. Elizabeth profitait de chaque seconde, de chaque sensation, de chaque battement de coeur. Elle se laissait envelopper par la douceur de l'instant. Si elle n'avait pas conscience du temps affiché par le compte à rebours, elle savait qu'il ne leur restait que peu de temps. Elle craignait alors qu'il ne s'agisse de la dernière fois. La dernière fois où elle goûterait à ses baisers, à sa douceur, à ses mains dans ses cheveux, à ces sensations, à cette passion... A tout. Elle voulait tout retenir dans les moindres détails. Et elle en avait profité. Profité jusqu'à ce qu'il vienne éloigner ses lèvres des siennes pour observer son bras et lui annoncer la pire des vérités. Vingt secondes. Vingt minuscules secondes. Comment réagir face à si peu de temps ? Que faire ? Que dire ?

Ils n'avaient pas su arrêter le temps comme ils l'auraient souhaité. Avant qu'ils n'aient pu trouver une solution, le compte à rebours allait toucher à sa fin. Non. Ça ne pouvait être fini. Pas déjà. Pas comme ça. Elizabeth sentait l'angoisse qui montait en elle, la panique et la peur qui envahissaient chaque parcelle de son être, son envie de hurler au monde pour que tout s'arrête, son envie de s'effondrer et de supplier tous les dieux pour que rien ne lui arrive, son besoin de tout donner pour le sauver... Mais de tout ça, seuls trois petits mots ressortaient, trois petits mots qui montraient toute son impuissance : « Pas déjà, non... » Elle savait désormais que, plus que jamais, chaque seconde comptait. Son coeur battait à toute vitesse. Son esprit cherchait le meilleur moyen de réagir et d'affronter ça. Elle devait être forte pour Alexander. Ce n'était pas facile, mais elle lui devait cela.

Ses mains étaient venues se poser sur son visage avec douceur pour l'obliger à la regarder dans les yeux. Elle refusait qu'il ne fixe les secondes. Elle refusait que la dernière chose qu'il voie soit ce maudit compte à rebours. « Tout se passera bien, Alexander. » Après tout, il y avait toujours une petite chance pour que ce soit réellement le cas. Une chance qui la poussait à rester forte, qui la poussait à lui sourire, qui la poussait à ne pas pleurer. Une chance et une envie d'être forte pour lui si jamais le pire devait arriver. Sa pire crainte était de le voir s'effondrer, d'être impuissante alors qu'il rendait son dernier souffle. Elle aurait aimé qu'ils ne soient pas là, debout, au milieu du salon, pour qu'il ne s'écroule pas devant elle, mais elle ne pouvait pas perdre les précieuses secondes qui leur restait, elle voulait pouvoir, une dernière fois, observer chaque trait de ce visage qu'elle aimait tant pour le graver dans sa mémoire - même s'il y avait déjà toute sa place.