If it's true.

Sur bien des points, le maire de cette ville n'est pas sans lui rappeler Hades. Inacessible, énigmatique, parfois cruel. En plus de deux ans à s'accoutumer à son nouvel environnement, Orpheus a croisé une multitude d'habitants qui, pour la plupart, subissent des maux similaires aux siens : la confusion, les difficultés d'adaptation, la perte d'un proche. Même si, pour ce dernier cas, il en est le seul responsable. Eurydice. Elle occupe sempiternellement son esprit. Chaque parole qu'il prononce est accompagnée de la charge de ce nom qu'il ne prononce pas mais qui reste en arrière-pensée, tel l'air d'une chanson que l'on ne saurait oublier.

Parfois, lorsqu'il n'est pas occupé à composer des chansons dont il n'est jamais pleinement satisfait, Orpheus écrit des poèmes. Ils sont sa forme d'expression favorite. Il tente de raconter son histoire, parfois. Le plus souvent, ses poèmes prennent la forme révoltée de l'indignation. A travers ses poèmes, il se fait la voix d'un peuple soumis à la volonté de cette entité inconnue qu'est le maire.

And it isn't for the few to tell the many what is true.

A mesure que ses poèmes circulent, il entend parler d'autres noms qui s'expriment pour défier l'autorité. Parmi ces noms, un en particulier retient son attention. Orpheus a lu ses écrits. Et il les a appréciés.

Alors, n'écoutant que la fougue de sa jeunesse et la teinte désespérée de sa lutte politique, il a contacté cet Alexander Hamilton qui travaille pour le maire. Il lui a envoyé une lettre, accompagnée de quelques-uns de ses écrits. Et avant même de recevoir une réponse, il décide de se rendre sur place pour obtenir un rendez-vous sans tarder.

Il s'adresse à l'hôte d'accueil de la mairie qui s'apprête à le renvoyer d'où il vient. Mais déjà, Orpheus ne l'écoute plus car il vient d'apercevoir l'homme qu'il tient tant à rencontrer. Il n'écoute alors que son impulsivité et se dirige vers lui, l'abordant tout en lui tendant la main droite pour qu'il la serre.

- Alexander Hamilton. Accordez-moi un entretien, supplie-t-il plus qu'il n'ordonne.

If it's true

feat. Orpheus

C’est avec une curiosité non feinte qu’Alexander s’est intéressé à ce courrier singulier, où se mêlaient tout à la fois envolées lyriques et fort message politique. Alexander avait déjà entendu le nom d’Orpheus Mélôidia, et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a pris la décision de s’attarder sur la lettre qu’il lui a envoyée, quand d’autres attendent encore qu’il les ouvre (ce qu’il fera, mais le nombre de ses priorités est tel et varié que ce courrier à décachet »’ apparaît bien bas dans une liste qui ne fait que se remplir constamment). De ce jeune homme, il apprécie autant la plume que la vision, une vision qui ne lui semble pas très éloignée de la sienne. Peut-être un peu trop impétueux, peut-être trop idéaliste, il lui rappelle en partie ce qu’il a pu être avant que des années à rouler sa bosse en politique étouffe… disons, un millième de la verve de sa jeunesse. Sourire plus et parler moins. Il n’avait jamais su respecter le conseil de Burr à la lettre, même dans les moments ou accepter de se conformer à cet enseignement ne lui aurais sans doute pas fait de mal.

Il a gardé ces poèmes à l’esprit, songé qui était plaisant de savoir que, dans cette ville, d’autres ou du moins un autre était bien décidé à laisser éclater sa voix autant que ses idéaux afin de mettre fin à un système politique d’autant plus oppressif qu’il était insidieux. La politique du silence règne en maître sur la ville et beaucoup trop ont l’air de s’en contenter. Certains, même, semblent tout à fait satisfaits de seulement pouvoir se reposer sur la confortable illusion de ne rien avoir à gérer, parce que cette sorte d’entité invisible – que l’on nomme maire par commodité, mais le terme est-il seulement approprié ? – semble se charger de tout pour vous.

Alexander avait eu l’intention de répondre au jeune Orpheus, mais il n’en aura guère le temps, car leur rencontre aura lieu bien avant qu’il n’ait l’occasion de la planifier. Ce jour-là, alors qu’il s’apprête à quitter la mairie pour rentrer chez lui, ce jeune homme dont il pourrait dorénavant reconnaître la plume mais certainement pas le nom se précipite dans sa direction et lui demande d’office de lui accorder un entretien.

Son impulsivité pourrait sembler déplacée, mais elle ne déplaît pas complètement à Alexander qui reconnaît, dans ce charmant culot un peu de celui qu’il possède lui-même. Son ton est impératif, certes, mais tient davantage de la supplique que de l’obligation. Il a su capter sa curiosité, encore faut-il qu’il sache, à présent la garder.

« Tout dépend », répond Alexander en serrant la main que le jeune homme lui tend. « A qui ai-je l’honneur ? »

If it's true.

Les expressions faciales s'accordent sur un air de satisfaction juvénile quand Orpheus se rend compte qu'Alexander Hamilton s'arrête pour lui répondre. Il reste sur la réserve et demande à en savoir davantage à son sujet. C'est un bon début, qui ne fait qu'encourager le jeune homme.

Sa poignée de main est énergique. Orpheus tient à cette rencontre, tout comme il tient à revendiquer haut et fort ses idées. Celles-là même qui, autrefois, ont su lui permettre de rejoindre Eurydice parce qu'il s'était attiré la sympathie des travailleurs. Il ne se permet pas d'espérer retrouver Eurydice en luttant contre cette force invisible qui gouverne la ville, mais il espère honorer ce qui fut leur amour par ses actions. Il n'a pas su la sauver, elle. Mais il saura peut-être agir pour libérer les habitants.

- Orpheus Mélôidía, monsieur.

Il se redresse, relève le menton, bombe légèrement le torse. La fougue de la jeunesse, la fierté de l'indigné. Le désir d'être entendu. Mais sa voix est claire et comporte toujours cette touche de douceur qui le caractérise alors qu'il ajoute :

- Je vous ai écrit il y a peu. J'aimerais en savoir plus sur ce maire pour qui vous travaillez et que personne ne voit jamais.

Une décision audacieuse que celle de prononcer de tels propos au beau milieu de la mairie. Mais Orpheus se fiche bien des répercussions. Il a déjà connu les brimades, a déjà connu les agressions physiques. Quant au pire qui puisse arriver, il l'a déjà vécu. Il a perdu Eurydice, et il ne saurait plus rien craindre désormais.

Il sait que les hommes de la trempe de cet Hamilton sont occupés. Il ne sait donc pas si celui qui lui fait face a bel et bien lu son courrier. Dans le doute - toujours le doute -, Orpheus a emmené avec lui une copie du dernier courrier qu'il lui a adressé. Il le sort de la poche intérieure de sa veste et tend l'enveloppe légèrement froissée à son interlocuteur afin de lui rafraîchir la mémoire ou de lui permettre de le découvrir par une brève lecture de ses propos.

If it's true

feat. Orpheus

L’enthousiasme et la verve de ce jeune homme, qui par bien des aspects lui sont familières, ne manquent pas de faire sourire Alexander. Quand il se présente, le politicien sait immédiatement de qui il s’agit. Il faut dire qu’un nom tel que le sien ne s’oublie pas si facilement. Pour des raisons qu’il ne s’explique pas lui-même, c’est en effet un nom qu’il associe, et tout naturellement, à la poésie, à l’inspiration… il n’est pas difficile, par conséquent, d’associer le nom de ce jeune homme aux poèmes d’une grande pertinence qu’il lui a transmis, en plus d’une missive qu’Alexander a lue avec le plus grand intérêt.

A son grand dam et son grand étonnement, la politique n’a l’air d’intéresser personne – ou presque, ici, quand il estime pourtant qu’elle devrait être au cœur de toutes les conversations, qu’importe le bord que l’on choisira. Il a par trop le sentiment que chacun ne se satisfait que trop d’un insupportable status quo. Comment peut-on simplement accepter que les choses soient « comme ça ». Faudrait-il accepter, donc, l’idée, qu’on ne les changera pas, qu’on ne changera pas ce monde sous le prétexte qu’on y a été jeté sans avoir le choix ? Jamais de la vie il n’acceptera de raisonner de cette manière. Avoir devant les yeux un interlocuteur capable de le comprendre et soucieux des mêmes choses que lui est par conséquent une source de soulagement pour lui, en plus de satisfaction.

Il veut lui parler du maire pour lequel il travaillait, et évidemment, puisque c’est son sujet de conversation préféré ces derniers temps, il ne va certainement pas le lui refuser, bien au contraire. Toutes les occasions d’aborder le sujet en long, en large et en travers sont toujours réclamées et appréciées. Certes, il n’y a finalement pas tant de choses à en dire, puisque la conclusion à tout cela est qu’on ne sait rien, mais il sera néanmoins ravi d’en discuter plus longuement avec son interlocuteur.

« Orpheus, bien sûr. Heureux de vous rencontrer. Et si nous allions en discuter à l’extérieur, qu’en pensez-vous ? »

Il n’attend pas sa réponse, il décide d’office pour eux en entraînant Orpheus à l’extérieur, en direction du café le plus proche. Évoquer le sujet du maire invisible au sein de la mairie elle-même est une entreprise bien trop hasardeuse pour qu’il puisse s’y risquer.

« J’ai lu votre courrier avec beaucoup d’intérêt, je dois dire. Vous avez un véritable don avec les mots. Utile, très utile en politique. Quant au sujet qui vous a amené à moi, je serai ravi d’en discuter avec vous, mais je crains d’avance de vous décevoir, car sur ce maire invisible, je n’ai pas plus d’information que vous ou n’importe qui d’autre. C’est ce que je m’efforce de trouver. »

If it's true.

Un sourire ravi orne la figure juvénile d'Orpheus en recevant la confirmation que l'homme qui lui fait face a bien reçu son courrier et, mieux encore, l'a lu avec intérêt. Le jeune homme suit volontiers son interlocuteur à l'extérieur. Il n'est pas sans savoir que les murs ont des oreilles, même si les murs qu'il avait rencontrés par le passé s'étaient montrés plus sympathiques que prévu.

- Je vous remercie. C'est pour votre propre don avec les mots, monsieur, que je vous ai contacté.

L'honnêteté dont il fait preuve, en cet instant, n'a pas pour but de le flatter. Orpheus ne verrait aucun intérêt dans le fait de flatter son interlocuteur. Il ne fait qu'exprimer ce qu'il estime être vrai, avec toute la simplicité et la sincérité dont il est capable et dont il s'assure de savoir faire preuve en toutes circonstances.

Ce qui lui annonce Alexander Hamilton le déçoit, en effet. Son pas se suspend, mais il continue d'avancer non sans tourner le visage en direction du politicien. Lorsqu'il l'interroge, c'est avec l'incompréhension indignée dont il s'est autrefois servi pour émouvoir les dieux :

- Comment est-ce possible, monsieur ? Comment avez-vous pu vous approcher suffisamment pour travailler pour lui, mais sans jamais le voir ni n'en apprendre davantage que nous autres ?

Il ne remet pas en cause les paroles d'Hamilton, loin de là. Il les considère très sérieusement, et c'est l'aspect catégorique de cette constatation qui le désespère. Si même cet homme-là n'en sait pas davantage, qui est-il pour prétendre pouvoir agir ?

Mais avant de céder aux murmures cruels du doute, il secoue la tête et continuer de l'interroger, avec plus de calme cette fois-ci :

- Comment les autres citoyens peuvent accepter sans broncher de se faire diriger de la sorte, sans explication, sans but ? Je refuse de me résigner à vivre ici sans comprendre, sans agir pour nos libertés.

If it's true

feat. Orpheus

Alexander Hamilton est quelqu’un d’aisément flatté. Pas parce qu’il se considère naïf, mais parce qu’il sait reconnaître sa valeur et ses qualités, et quand ces dernières sont observées et appréciées, il apprécie lui-même qu’elles le soient. Tout comme Orpheus sait manier les mots, Alexander estime qu’il en est de même pour lui. Et après tout, c’est tout à fait logique, n’est-ce pas ? Peut-on vraiment faire de la politique quand on a le verbe malhabile ? Même un Jefferson, même un Burr, en dépit de ce qu’il a pu penser d’eux avaient ces exactes mêmes qualités.

Alexander voit aisément que son interlocuteur est déçu par sa réponse, comme Alexander l’a été lui-même dans les premiers temps où il a pris son poste à la mairie. Pour commencer, on l’a averti qu’un entretien avec le maire ne serait pas possible, mais il ne l’a pas vraiment pris au sérieux. Comment cela pourrait-il bel et bien être impossible ? Non, en insistant bien, en s’adressant aux bonnes personnes, en gravissant les échelons, peut-être, cela arriverait forcément. Mais voilà trois ans, à présent, qu’Alexander travaille pour le maire et que rien ne se passe, alors il ne peut prétendre encore être aussi confiant (pour ne pas dire naïf) qu’il ne l’était à ses débuts. Ce qui ne veut pas dire qu’il a changé son fusil d’épaule pour autant. Il compte bien se battre afin d’obtenir la vérité, et il veut croire qu’il l’obtiendra, oui, tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre. Par la force s’il le faut, si ce doit être la seule manière de se faire entendre et d’obtenir le fin mot de cette histoire.

« Je ne le comprends pas moi-même. On m’avait assuré que travailler à la mairie était chose impossible, pourtant, à force d’insistance, on m’a ouvert les portes du bâtiment. Je veux insister tout autant, et à vrai dire davantage, pour que cela se reproduise jusqu’à obtenir un entretien avec la personne qui entend ordonnancer cette ville. Et si cela doit se révéler impossible, il faudra employer d’autres méthodes. C’est un soulèvement général dont ce monde a besoin pour qu’enfin la vérité éclate. » Il marque une pause, considère son jeune interlocuteur du regard. « Trop acceptent leur sort parce qu’ils ont sans doute peur de ce qu’ils pourraient apprendre. Certains, comme moi, ne devraient plus être ni de ce monde ni d’aucun autre, ils ont peut-être peur d’être renvoyés d’où ils viennent, c’est-à-dire nulle part », observe-t-il alors qu’ils passent la porte du café où ils peuvent s’installer tranquillement à une table afin de poursuivre cette conversation qui promet d’être animée.

Ni l’un ni l’autre n’ont peur des mots, ils ont, bien au contraire, fait le choix avisé d’en faire de précieux alliés. A partir de là, il faut naturellement s’attendre à ce qu’ils ne gardent pas leur langue dans leur poche. Et c’est évidemment tant mieux.

If it's true.

Orpheus suit Alexander jusque dans ce café, et l'écoute attentivement. L'ambition dont fait preuve son interlocuteur l'impressionne, mais ne le rebute pas, bien au contraire. Il apprécie ce qu'il entend. Il apprécie d'apprendre qu'à force d'insistance, Alexander a réussi là où tous les autres avant lui ont échoué. C'est là un récit qui a le don de faire espérer Orpheus, de le faire espérer que ses rêves de changement et de vérité sont possibles.

Il s'installe à la table du café et médite un instant sur les informations qu'il vient d'obtenir. Les raisonnements d'Alexander sont similaires aux siens, mais son interlocuteur semble posséder plus de connaissances que lui. Et Orpheus est prêt à tout écouter, à tout apprendre.

- Comment créer une coalition ? Comment trouver ce qui rassemblera les habitants de cette ville ?

Autrefois, il a su inspirer les travailleurs à l'aide de sa chanson. Mais les personnes qui habitent ici sont plus nombreuses. Leurs souffrances sont plus variées, et leurs ambitions divergent trop pour qu'Orpheus espère les inspirer tout aussi efficacement. D'autant plus qu'Orpheus a perdu la flamme qui l'animait autrefois, au moment même où il a perdu Eurydice.

Le jeune homme écoute Alexander, et ce qu'il lui révèle à propos de ce qui aurait dû être sa disparition l'intrigue.

- Sont-ce là vos motivations ? Retourner d'où vous venez ? demande-t-il doucement, cette fois-ci.

Les motivations des hommes l'intéressent, et l'ont toujours intéressé. Tout comme il s'était intéressé à l'histoire des dieux par le passé, c'est désormais celle de son interlocuteur qui l'intrigue. A vrai dire, c'était l'histoire de chaque habitant de cette ville qui aurait mérité de constituer les paroles de ses chansons, désormais. Chaque être qu'il croise avait connu une autre réalité que la sienne, parfois constituée d'éléments plus incroyables et haletants les uns que les autres. Mais tant de diversité et de souffrances ne pouvaient qu'ôter à cette ville son harmonie.

- Cette ville a un trop grand pouvoir sur ses habitants. J'ai écouté, durant ces deux années. J'ai écouté ce que chacun disait et plus encore ce que chacun taisait. Certains, ici, revivent les choses affreuses qui leur sont arrivées. D'autres, plutôt que de considérer posséder une deuxième chance, maudissent leur apparition ici et réitèrent leurs méfaits. J'ai parfois l'impression que le maire cherche à nous monter les uns contre les autres plutôt qu'à nous offrir une chance de rédemption.

If it's true

feat. Orpheus

« Nous avons déjà une chose en commun qui n’est pas négligeable », observe Alexander en réponse à la question d’Orpheus quand ce dernier lui demande ce qui sera susceptibles de rassembler tous les habitants de la ville sous un même drapeau afin de défier l’autorité en place. « Peu importe de quelle époque, de quel lieu, de quelle… dimension nous venons, nous avons tous été jetés dans cet endroit en même temps, et sans savoir comment. Même ceux qui s’accommodent le mieux de cette situation ne sauraient qu’être curieux des circonstances qui nous ont précipités ici, n’est-ce pas ? Comprendre c’est donner à certains l’occasion de partir, à d’autres la possibilité de rester, dans tous les cas, cette soif de savoir, même si elle est source d’inquiétude, est ce qui nous rapproche, ce qui pourrait bien nous renforcer. » Il rajoute, avec fermeté.

La volonté d’un seul homme pour s’élever contre l’autorité en place, pour se faire la voix de tous ceux qui pensent ne pas en avoir, c’est ce qui peut faire une véritable différence. C’est une certitude qu’il porte en lui, et qui ne s’est pas forcément confirmée jusqu’ici. Il a organisé des meetings, il a écrit des livres, distribué des pamphlets, fait des discours, sans que cela bouleverse en profondeur quoi que ce soit. Mais il n’est certainement pas dans l’idée d’Alexander d’arrêter et de baisser les bras. Il insistera encore et encore jusqu’à obtenir gain de cause, il y est plus que fermement décidé.

« Il n’y a rien pour m’attendre d’où je viens », ajoute-t-il. « Et je pense qu’il est utopiste de penser que ce soit seulement une possibilité. Nous sommes condamnés à demeurer ici, autant faire de cette sentence l’opportunité de… oserais-je dire une forme d’utopie ? Toutes proportions gardées, bien sûr, mais si ce monde doit pour de bon être le nôtre, il est primordial de le façonner à notre manière, n’est-ce pas ? Je ne l’envisage pas autrement pour ma part, en tout cas. »



Orpheus a tout à fait raison de le souligner, cette ville a en effet un trop grand pouvoir sur ses habitants. La ville semble dotée d’une raison, et d’un pouvoir au sens le plus surnaturel du terme. Si cela semble avoir bien peu de sens, ce n’en est pas moins vrai, et eux semblent n’avoir d’autres choix que de faire avec, que cela leur plaise ou non.

« Je ne crois pas non plus que ces lieux soient voués à nous offrir une quelconque forme de rédemption… La ville nous oriente peut-être dans des directions déplorables, mais nous devons garder à l’esprit que nous conservons notre libre arbitre. Si nous le souhaitons, si nous le décidons, nous pouvons tirer les leçons de nos erreurs passées et en faire le moteur de nos décisions futures. Cette ville donne et reprend à la manière d’une divinité au sadisme prononcé, à nous de faire bon usage du peu qui nous est accordé. »

If it's true.

Orpheus esquisse un sourire quand Alexander pointe du doigt le point commun qu'ont tous les habitants de cette ville.

- La soif de compréhension. C'est donc sur cela que vous comptez. Vous avez raison de souligner que c'est ce qui nous rapproche tous. C'est encore léger, mais c'est un début.

Malheureusement, ils n'étaient pas les seuls à l'avoir compris. Et certains, plus mal intentionnés que d'autres, s'arrangeaient pour garder leur entourage dans un flou total afin d'obtenir tout ce qu'ils pouvaient obtenir de leur situation sans crainte de représailles.

- Le façonner à notre manière, oui. Mais pour cela, il nous faut obtenir les idées et l'avis de chacun. Nous ne pouvons espérer contrer l'autorité du maire pour la remplacer par une forme de pouvoir tout aussi oppressive.

Il l'écoute avec attention, touché de l'entendre affirmer qu'il n'y a rien qui l'attende d'où il vient. Cette précision attise la curiosité d'Orpheus, mais ce dernier la tait pour se concentrer plutôt sur la suite. Encore une fois, Alexander s'exprime avec éloquence, et Orpheus ne peut faire autrement que de lui accorder son attention. Pour sûr, cet homme-là est doué pour exprimer son avis.

- Je crois également en notre libre arbitre, malgré les caprices d'une quelconque entité. D'expérience, je sais que même les dieux ont un pouvoir limité.

En vérité, il n'en est pas si sûr. Orpheus a toujours fait entendre sa voix afin d'encourager chaque homme à se dresser contre l'autorité et l'oppression. Et il veut croire que l'on peut changer les choses. Véritablement les changer, en faisant des choix parfois difficiles, mais nécessaires.

Seulement... Seulement sa propre histoire lui vient en tête. La manière dont il avait cru l'emporter sur la fatalité en allant libérer Eurydice, condamnée à rester au royaume d'Hadès. Et la manière dont il avait pitoyablement échoué. Ces voix qu'il avait entendues au moment de douter de la parole du dieu et de la voix de sa femme, si elles n'étaient pas réelles, le condamnaient à endosser le rôle de seul coupable. C'était un rôle qu'il était prêt à accepter en échange de la certitude de pouvoir, cette fois-ci, changer les choses. Mais l'hypothèse de l'existence des soeurs du destin avait été confortable malgré tout.

- Quels sont les retours que vous avez obtenu jusque-là ?  

If it's true

feat. Orpheus

Alexander ne peut qu’admettre en effet que la soif de savoir de tous ceux qui se trouvent ici ne fait pas une base très solide à une revendication commune, mais Alexander arguera que c’est un début, déjà, et dans des circonstances si complexes, il faut savoir déjà apprécier les quelques éléments que l’on sait ainsi obtenir, si fragiles peuvent-ils nous sembler. Qui plus est, un feu de paille peut très vite se changer en brasier si on sait l’entretenir convenablement. Il faut savoir commencer par quelque chose, c’est à cela que tiennent toutes les révolutions, à une voix solitaire qui sur le long terme se mêle à tant d’autres qu’elle forme finalement un chant puissant et uniforme.

« Nous sommes d’accord sur ce point », confirme Alexander qui ne veut pas avoir laissé entendre autre chose quand son interlocuteur suggère qu’il faudra savoir obtenir l’avis de chacun afin de ne pas remplacer un système oppressif par un autre. C’est pour cette raison qu’il considère qu’une révolution serait un idéal à atteindre. Le soulèvement de tout un peuple contre une seule et unique autorité. Et c’est d’ailleurs en ces termes très précis qu’il l’exprime, et sans détours. « C’est pour cela que nous avons besoin d’une révolution », confirme-t-il alors.

Même si renverser le gouvernement n’est pas suffisant, bien sûr, il faut le remplacer par autre chose, et veiller que ce système soit juste et profite à tous, ce qui serait complexe à la gouvernance de n’importe quel pays mais l’est plus encore à celle d’un monde miniature aux frontières restreintes et difficiles à définir, dont tous les habitants ont été habitués à des politiques aussi différentes que variées qui pour beaucoup ont peu de chances de coïncider et de se correspondre.

« Vous me feriez donc croire que vous avez une expérience spécifique et individuelle avec les dieux ? » demande Alexander qui voulait d’abord rebondir sur les propos premiers de son interlocuteur avant d’y renoncer, intrigué par sa formule, curieux de savoir ce qu’il entend par là plus précisément.

Cependant, quand Orpheus lui pose ensuite une question plus sérieuse, à laquelle Alexander est attristé de ne pouvoir donner de réponse assez stimulante ou convaincante, malheureusement.

« Jusqu’ici, je me suis surtout heurté à de l’incompréhension ou à de l’indifférence, force m’est de l’admettre, vous êtes bien l’un des premiers que mes discours et mes écrits semblent avoir impacté ne serait-ce qu’un peu. » Ce n’est pas heureux, c’est certain, mais ce n’est pas pour autant qu’Alexander a l’intention de baisser les bras. Bien au contraire, il a la ferme intention de se battre, encore et encore, jusqu’à obtenir gain de cause. « Mais cela viendra, vous verrez. »

Et sur ce point, il n’a pas besoin de prétendre être convaincu. Il l’est complètement.

If it's true.

Une révolution. Le terme était fort, et pourtant il parut doux aux oreilles d'Orpheus.

- En effet, approuva-t-il avec un sourire.

Avant de songer qu'il fait sans doute preuve de trop de curiosité, il baissa légèrement la voix et l'interroge doucement :

- Vous semblez parler d'expérience, que ce soit maintenant, pendant notre conversation, ou dans vos écrits. La révolution... Avez-vous accompli un tel prodige, par le passé ?

Parler des dieux, pour lui, était une habitude. Il paraît donc dans un premier temps surpris par la question d'Alexander, avant de se souvenir de leur différence fondamentale. Ils ne venaient pas du même monde. Pas exactement.

- Avec certains d'entre eux, oui. Je sais que ça parait absurde, ici. Mais dans le monde où j'étais, ce n'était pas si étonnant. Hadès et Perséphone, en particulier, régnaient et avaient la même influence que ce maire invisible qui a tant de pouvoir sur nous.

Il se fait soudainement la réflexion qu'il est sans doute plus prudent de ne pas en dire davantage. Pour avoir lu les pamphlets et diverses opinions d'Alexander Hamilton, il sait que ses croyances ne seront pas partagées. Et il devine que le besoin de raison de son interlocuteur risque de le catégoriser, lui et son discours sur les dieux, en tant que décérébré. Ce n'est pas ce qu'il souhaite. Il désire au contraire être pris au sérieux, car ses convictions politiques sont, elles, similaires à celles d'Alexander.

Malheureusement, il n'est pas surpris d'apprendre que l'homme qui lui fait face n'a jusque-là rencontré que des oreilles indifférentes ou fait face à de l'incompréhension. C'est le prix à payer de tout discours qui sort des sentiers battus.

- Oui. Oui, vous avez raison, cela viendra. Ce qu'il faut, c'est trouver le moyen de toucher les gens. De communiquer avec eux d'une manière qui saura capter leur attention.

Il marque une pause. Son regard se perd dans le vide et il semble, plus que jamais, au bord de l'exaltation. En vérité, il est saisi d'une inspiration soudaine. Il esquisse un sourire avant de battre des cils et de fixer de nouveau son interlocuteur.

- Ne me croyez pas trop présomptueux. Mais une jeune femme m'a récemment confié être touchée par ma musique, et plus précisément par le propos de mes chansons. Or, j'ai l'intime conviction que c'est par la jeunesse, pour commencer, que nous pourrons espérer changer les choses. Si ma musique a su toucher cette jeune femme, elle saura peut-être inspirer d'autres personnes. Il faut que vous veniez présenter vos idées sur scène, vous aussi.

If it's true

feat. Orpheus

« J’ai connu des batailles, des guerres et des révolutions, j’ai contribué à bâtir une nation neuve sur le terreau infertile d’un territoire accaparé illégitimement par des dirigeants qui le considéraient comme leur », répond Alexander en guise de première réponse quand Orpheus remarque qu’il semble parler d’expérience, ce qui est le cas, et même s’il se montre pour le moment cryptique, il n’hésiterait pas un seul instant à s’engager dans le très long récit de sa vie et de son parcours politique. Un parcours dont il veut que le monde se souvienne, autant qu’il souhaite que ce nom demeure dans les annales… Il n’aurait aucun problème à discuter de son histoire et de son expérience, de sa vie avec son interlocuteur. Il veut ce parcours fort et inspirant. Et s’il peut atteindre son but, alors ce n’est sans doute pas plus mal.

Mais pour le moment, c’est au récit de son interlocuteur qu’il s’intéresse, et à son expérience avec les dieux, et s’il devait le prendre pour invraisemblable, il décide d’y accorder du crédit, parce qu’il aura, au fond, entendu récits plus étranges au cours de sa vie depuis qu’il est ici. Tout ce qu’il imaginait improbable, impensable, est devenu possible.

« Hadès et Perséphone. Les Hades et Perséphone ? » Il l’observe, de plus en plus curieux. Ce jeune homme lui a dit s’appeler Orpheus, et être poète… ce qui pouvait passer pour une coïncidence et une référence prend dorénavant une tout autre tournure. « Bientôt, vous m’apprendrez que vous avez parcouru les enfers et en êtes revenu ? » demande-t-il, en partie avec légèreté, mais avec un soupçon de curiosité.

Il est plus simple de revenir à quelque chose de plus pragmatique. Certes, pour le moment, ils n’ont rencontré que l’indifférence et l’incompréhension sur leur chemin, mais ce n’est pas pour autant qu’Alexander se voit baisser les bras, certainement pas. Il leur faut trouver le bon moyen de communication, et dès que le discours se fait trop ostensiblement politique, on détourne le regard et on décide que ça ne nous intéresse plus.

« Vous avez sans doute raison, en effet, ce sont après tout les jeunes générations qui pourront façonner l’avenir de notre communauté telle qu’elle se présente à présent. Je pense en effet qu’il va être nécessaire que je vous écoute chanter… Il faudrait que nous collaborions à l’écriture de vos chansons, même si je ne doute pas de votre talent. Permettre qu’elles orientent votre auditoire vers les choix politiques les plus avisés. »

Il se perd dans toutes les possibilités qu’il entrevoit, et qui lui apparaissent toutes plus séduisantes les unes que les autres, il s’agit à présent de mettre de l’ordre dans leurs idées.

If it's true.

Orpheus écoute l'homme qui lui fait face avec attention et un véritable respect lorsque Hamilton lui liste ses exploits. Il doit reconnaître que c'est impressionnant. Et, si la fierté qu'il décèle dans la voix de cet homme pourrait être une source de reproche, Orpheus est bien placé pour comprendre que c'est chose saine que d'être conscient de ce que l'on a accompli et, surtout, de tels succès.

- Comment s'appelle cette nation ?

Sa curiosité accentue la candeur de son regard. Mais celui-ci se voile de tristesse au moment pour Alexander de mentionner sa descente aux enfers.

- Comment l'avez-vous deviné ? s'étonne Orpheus en fronçant les sourcils, incapable de se douter qu'une version devenue mythologie de son histoire a traversé les siècles pour tomber dans les oreilles d'Alexander Hamilton et de tant d'autres hommes.

Il reste circonspect, d'abord, puis décide de lui donner plus de détails afin de satisfaire la curiosité de son interlocuteur, même s'il est toujours surpris par ce qu'a déjà deviné Alexander.

- J'ai traversé Hadestown - le royaume d'Hadès -, oui. Et... Oui, on peut dire que j'en suis revenu. Même si...

Même s'il a tout perdu au moment d'en revenir. Même s'il ne s'est plus considéré comme étant vivant dès l'instant où il a croisé, trop tôt, le regard d'Eurydice. Ce n'est pas à cela qu'il veut penser dans l'immédiat. Alors il déglutit, détourne le regard puis se concentre sur le reste de leur conversation.

- Vous pourriez venir à l'un de mes concerts. Je vous offre la place, bien sûr. Vous pourrez vous faire votre propre avis. Et ensuite... Nous pourrons en discuter.

Il n'est pas friand de l'idée que l'on touche à ses écrits. Il se considère être un homme suffisamment engagé pour que ses propos servent sa cause politique, sans avoir besoin que l'on change une virgule aux paroles de ses chansons. Mais il a contacté Alexander Hamilton afin qu'ils coopèrent, afin qu'il le guide. Et, pour cette raison, il accepte néanmoins de lui laisser le bénéfice du doute. Et il accepte d'attendre de voir ce qu'Alexander aura à lui proposer concernant ses chansons.

If it's true

feat. Orpheus

« Les États-Unis d’Amérique. »

Il le dit avec aplomb et assurance, surtout, il le dit avec la plus grande des fiertés. Bien souvent, prononcer ces mots ne laissent pas indifférent. C’est une nation que l’on connaît, que l’on admire ou que l’on redoute, que l’on moque ou que l’on estime, en tout cas, qui a su faire date dans l’histoire, libérée de l’emprise des premières colonies.

Il va peut-être passer pour un fou, ou un illuminé. Il a vu sa très chère nation avoir bien des visages au gré de ses rencontres et des nombreuses personnes qu’il a rencontrées, qui ont vécu là, bien après sa mort, mais peut-être pas dans la même dimension que lui pour autant (c’est encore des notions difficiles à intégrer pour lui, il faut bien l’admettre). Dans tous les cas, il a toujours trouvé un prétexte à en être terriblement fier. Mais évidemment, quand on affirme avec le plus grand des aplombs que l’on est l’un des pères fondateurs des États-Unis, il faut s’attendre à ne pas forcément être pris au sérieux… ceci dit, son interlocuteur semble vouloir passer pour l’Orphée mythologique, alors à partir de là… ils ne sont sans doute plus à ça près, n’est-ce pas ?

Il y a tant de surprise et d’honnêteté dans ses yeux, pourtant, quand il lui demande comment il a pu deviner son histoire, qu’il est difficile de ne pas le croire… C’est franchement étonnant, désappointant, et Alexander refuse d’être pris pour un idiot au prétexte d’avoir accepter de croire en un récit trop gros pour être entendu comme tel, mais… Ils ne sont sans doute pas à ça près, en réalité.

« Votre histoire… ou une histoire qui ressemble beaucoup à la vôtre, est très connue, d’où je viens… », remarque-t-il en songeant qu’il baisse clairement sa garde en acceptant d’admettre que son interlocuteur puisse être l’Orpheus des légendes… mais impossible pour lui de passer sous silence cette éventualité. « Très bien, je m’arrangerai pour assister à un de vos concerts. Je ne vais pas mentir, je ne crois pas être très sensible à la… musique contemporaine, mais je ferai un effort pour vous. »

Après tout, qui sait s’il ne se découvrira pas un intérêt nouveau pour cela. Il a fait au mieux pour s’intéresser à la vie culturelle de ce nouveau monde, mais par certains aspects, il doit bien reconnaître que certains points continuent de lui échapper. Mais il a soif d’apprendre et de tout maîtriser, et ça, c’est une chose qui n’est définitivement pas près de changer, et sous aucun prétexte.

If it's true.

Une chose est sûre, Alexander Hamilton est extrêmement fier de cette nation. La manière dont il en prononce le nom ne laisse aucun doute à ce sujet.

- Je suis navré, ce nom ne me dit rien. Mais je suis très admiratif. Ce n'est pas donné à tous les hommes, de contribuer à bâtir une nation. Et surtout de pouvoir en être aussi fier que vous l'êtes aujourd'hui. Beaucoup de citoyens en viennent à renier leur patrie lorsqu'ils s'aperçoivent des vices de ses habitants. Accepteriez-vous de m'en parler ?

Orpheus est surpris d'apprendre que son histoire est connue dans ce monde qui lui est inconnu, à lui. Mais une part de lui ne s'en étonne pas, après réflexion. La séparation avec Eurydice lui, après tout, inspiré ses chants les plus émouvants, mais aussi les plus beaux. Et, comme pour confirmer cette intuition, il se décide, après une brève hésitation, à l'interroger à ce sujet :

- Connaissez-vous Eurydice également ? C'est pour elle que j'ai fait tout cela...

Et échoué lamentablement. Mais il ne veut pas s'épancher sur cette partie de son histoire.

La conversation dévie sur leur intérêt principal : la politique et les moyens qu'ils peuvent mettre en place pour persuader les habitants de se joindre à eux pour la révolution qu'ils comptent provoquer. L'honnêteté de son interlocuteur concernant la musique contemporaine le fait sourire.

- Je pense pouvoir affirmer sans prétention ou orgueil excessif que ma musique n'est pas semblable à celles des autres. Je vous invite à mon prochain concert, et nous pourrons discuter ensuite si vous en avez le temps.

Il est le fils d'une Muse, après tout. Et même si sa voix est moins inspirante dans ce monde-ci qu'elle ne l'était dans le précédent, Orpheus estime qu'il sait toucher son public, même lorsque celui-ci est composé d'oreilles peu habituées à apprécier la musique.

If it's true

feat. Orpheus

Alexander doit bien le reconnaître, il est un peu déçu d’entendre que le nom de la nation qu’il est si fier d’avoir contribué à ériger au rang de nation ne parle pas à son interlocuteur. Il sait qu’il ne doit pas en prendre ombrage : pour un « ignorant », de nombreux autres n’ont pas manqué de lui en parler, et qui sait si Orpheus, qui semble en vérité sorti tout droit de la mythologie grecque, a seulement vécu à la bonne époque pour en savoir quoi que ce soit. Dans tous les cas, il s’enorgueillit tout du moins de l’admiration que lui porte son interlocuteur pour ce qu’il a accompli, même si ici, tout est à recommencer de zéro.

« Une patrie ne peut-être responsable du vice des individus qui la composent. » Alexander marque une pause. « Je vous en parlerai avec grand plaisir, mais êtes-vous sûr de tout vouloir entendre ? L’histoire risque fort d’être un peu longue », observe Alexander, mais sans réellement chercher à dissuader son interlocuteur d’en réclamer davantage.

Les histoires longues ne sont, à titre personnel, pas pour lui déplaire le moins du monde, surtout quand elles le concernent et que c’est lui qui les raconte. Et c’est aussi en racontant l’histoire à ceux qui ne la savent pas que l’on rentre dans l’histoire, chose qu’en l’occurrence, Orpheus semble avoir mieux réussi que lui, puisque son histoire ne manque pas d’être familière à Alexander. Et pour cause, d’ailleurs, comment pourrait-elle ne pas l’être ? Et donc, il fait un pas de côté pour écouter l’histoire de son interlocuteur, et découvrir qu’elle a bien des similitudes avec celle de la mythologie, si bien qu’Alexander a du mal à croire que son interlocuteur ne se joue pas de lui… et en même temps… Non, il ressent la sincérité de son discours… et serait-ce vraiment ce qu’il aura entendu de plus désarmant ou improbable ? Sans doute que non, en réalité.

« Bien sûr, les noms d’Orpheus et d’Eurydice sont indissociables, du moins dans l’histoire que je connais », observe-t-il en regardant son interlocuteur de plus en plus curieusement. Décidément, il ne s’attendait vraiment pas à une telle découverte, et elle est si perturbante qu’il ne sait pas exactement quoi en faire au bout du compte. Sans doute qu’il n’y a pas grand-chose à en faire, en réalité. Juste accepter d’écouter ce qui est dit. « Si vous êtes l’Orpheus des légendes, vous devriez avoir en effet un talent sans pareil pour la musique, cela me permettra d’en juger », reprit-il, en partie avec humour mais avec au fond de lui la volonté sincère, malgré tout, d’en avoir le cœur net.

Si vraiment, Orpheus est celui des légendes, alors probablement qu’il appréciera sa musique plus qu’aucune autre, si contemporaine soit-elle.

If it's true.

Orpheus l'inspecte silencieusement du regard avec un léger sourire en coin.

- J'en suis certain. Je suis poète, rappelez-vous, par conséquent les longues histoires ne m'effraient pas. C'est même tout l'inverse.

Il est à la fois attristé et rassuré, par la suite, d'apprendre qu'Eurydice et lui-même font bien partie de l'histoire connue de cet homme. Ils sont indissociables... Leurs noms, peut-être. Mais c'est bel et bien à cause de leur séparation physique que leurs noms sont connus. A cette pensée, son cœur se serre. Son chagrin, son deuil, se rappelle soudainement à lui et il lui faut monopoliser tout l'espoir qu'il possède encore et, surtout, toute la détermination qui anime sa lutte politique pour qu'il ne sombre pas dans le désespoir en cet instant. Pleurer à chaudes larmes devant un homme aussi illustre que celui-ci, ce n'est pas l'approche idéale s'il veut pouvoir mener la révolution à ses côtés.

Son alter ego des légendes possédait donc, lui aussi, un talent pour la musique. Toutes ces informations intriguent Orpheus, qui peine à se figurer un monde où une autre version de lui existe, ce monde où a vécu Alexander. Il en éprouve un léger vertige, qui le persuade de revenir à un sujet plus concret. Son interlocuteur acceptait donc de venir le voir à l'un de ses concerts, et c'était déjà un profond soulagement.

Il laissa passer un temps de silence, méditant un instant sur la probabilité colossale que chaque habitant, dans cette ville, ait connu sa propre version du monde. Parfois, les altérations ne tenaient qu'à un subtil changement, et pourtant elles suffisaient à faire en sorte que deux voisins aient des références similaires tout s'apercevant également d'énormes divergences entre leurs deux vies antérieures à celles vécues sur l'île.

- Parlez-moi de votre nation, souffla-t-il enfin, curieux et attentif.

If it's true

feat. Orpheus

Affirmer que l’on aime les longues histoires, ce n’est pas une chose qu’il faut dire deux fois à Alexander Hamilton si on ne veut pas le voir se lancer aussi sec dans un long laïus qui pourra autant concerner ses opinions et convictions politiques que sa propre histoire (et les deux son bien évidemment intrinsèquement liés). Si Orpheus aime les longues histoires, alors nul doute qu’il va être servi, et particulièrement bien servi. L’homme politique a bien l’intention de lui apporter satisfaction. Et encore, il sait pertinemment qu’il ne saurait dire sa propre histoire et celle de cette nation qu’il chérit tant – et qui est dorénavant hors de portée – qu’en faisant preuve d’un minimum de synthèse. En soi, il est capable de se montrer synthétique (si, si), mais ceux qui le connaissent bien admettront sans mal que ce n’est pas l’art dans lequel il excelle le plus. L’écriture notamment pour lui avait toujours ressemblé à une intense et effréné course contre le temps, et qui n’en finissait jamais.

Ça n’a, à l’évidence, pas beaucoup évolué depuis. Alors oui, il n’en faut pas plus à Alexander que l’invitation explicite de son interlocuteur pour en dire aussitôt davantage sur cette nation qui le rend au demeurant si fier. Avec une esquisse de sourire au coin des lèvres, il se lance donc, mais non sans omettre pour autant tout ce que, de son côté, son interlocuteur pourrait bien avoir à lui apprendre de sa propre histoire, et il devine sans mal que ce doit être également de l’ordre du passablement fascinant, et ce même si, cette histoire, il la connaît, par la force des choses, déjà en partie.

« Ce qu’il faut savoir, c’est que ce n’est pas là que je suis né, moi je suis né dans les Caraïbes, mais peut-être que cela ne vous dira rien non plus ? J’avais dix ans quand je me suis rendu dans ce qui devait devenir ma patrie. A l’époque, il s’agissait de colonies, sous la coupe de l’Angleterre. A mon arrivée à New York, j’était décidé à participer à la dépendance de notre gouvernement… Je me suis rapproché d’un cercle révolutionnaire dont le but était de lutter contre la domination britannique, et je me suis engagé dans l’armée continentale… Ce serait long à expliquer, mais en somme, lors d’un combat, j’ai volé des canons à l’armée britanniques et le général George Washington m’a alors pris sous son aile et nommé aide de camo. – Vous ne savez pas qui c’est, n’est-ce pas ? Un grand homme, pourtant. » Un sourire un rien nostalgique décore ses lèvres, mais Alexander se reprend rapidement. « Je voulais être aux commandes des troupes, mais Washington refusait catégoriquement de me laisser cette responsabilité, jusqu’à la bataille de Yorktown… Le combat a été terrible, mais après ça, les Britanniques ont capitulé. Nous sommes devenu une nation indépendante. Et comme nation naissante, nous avions besoin d’en poser les bases… Je suis devenu avocat, j’ai été élu délégué à la convention constitutionnelle, et ainsi, j’ai pu promouvoir la mise en œuvre d’une constitution américaine. Les présidences se sont succédé avec… plus ou moins de succès, quand Washington n’a plus été président, certains en ont profité pour m’évincer, mais je n’ai jamais cessé de me battre au nom de mes convictions. » Avec plus ou moins de raison. Le pamphlet Reynolds n’était clairement pas sa plus grande fierté. « Enfin, j’ai davantage parlé de moi que des États-Unis, je me trompe ? »

If it's true.

Orpheus fait preuve d’une écoute exemplaire au moment où Alexander commence son récit. Car pour Orpheus, toute discussion finit tôt ou tard par prendre la forme d’un récit. Qu’il retranscrit parfois dans ses écrits, ou qu’il conserve précieusement en tant que souvenir. Chacune de ses connaissances finit, inexorablement, par revêtir l’apparence d’un personnage. Ce n’est pourtant pas une volonté de déshumanisation, bien au contraire. Orpheus est persuadé que conter l’histoire des vivants est la meilleure manière de les rendre éternels, de continuer à les faire vivre à travers les mots et les souvenirs.

Et il n’a aucun mal à imaginer un jeune Alexander Hamilton participant à une révolution et permettant à son pays d’obtenir son indépendance. Orpheus est fasciné, tout le long où il écoute ses exploits. Les lieux géographiques qu’il mentionne lui sont inconnus, de même que ces gouvernements, mais il reste attentif néanmoins et comble son manque de connaissance en tentant d’associer ces informations à des éléments connus de sa propre histoire. Concernant les régimes politiques, il n’a aucun mal à s’imaginer l’état d’une nation soumise à une autre. Et il a encore moins de mal à imaginer l’indignation du peuple, une indignation qu’il a lui-même pu ressentir par le passé et, surtout, dont il a été témoin.

Cette conversation continuer de le convaincre qu’il s’est adressé à l’homme qu’il faut pour ses ambitions de révolution. Alexander a déjà vécu une telle situation, et il a déjà prouvé qu’il avait les compétences requises pour assumer ce rôle. Bien sûr, Orpheus n’a accès qu’à ce que cet homme veut bien lui dévoiler. Mais il le pense sincère, car sa candeur naturelle ne saurait lui faire penser qu’un homme avec qui il partage une telle discussion serait capable de lui mentir aussi ouvertement.

- Parler de ce qui nous passionne est toujours une manière de parler de soi, réplique-t-il finalement avec bienveillance.

En se faisant une meilleure idée de l'homme, il se faisait également une meilleure idée de cette nation dont il était issu et qui avait forgé son mode de pensée et sa manière d'agir.

- Vous ne dissociez donc pas la révolution d'une lutte armée ?

If it's true

feat. Orpheus

Certains l’auraient peut-être interrompu trop de fois pour lui être agréable, d’autres auraient fait mine d’écouter tout en laissant leurs penser vaquer complètement ailleurs (ce qui aurait été absolument compréhensible) : le discours d’Alexander a beau être passionné, il appartient dorénavant à une strate dimensionnel qui n’a que peu d’importance aux yeux de ceux qu’ils retrouvent ici, pour autant, il met toujours autant de verve et de passion au récit de son existence : et pour cause, c’est une histoire dont il veut qu’on se souvienne, qui est autant celle d’un peuple que d’une nation balbutiante, qui tentait de se façonner une place et une indépendance.

Oui, Orpheus aurait pu décider de ne plus l’écouter que d’une oreille distraite, et pourtant, ce n’est pas ce qui se passe. Bien au contraire, le jeune homme se montre particulièrement attentif à tout ce qu’il peut raconter, et s’il est très agréable de parler, il l’est encore plus de se sentir écouter. Il croit même lire une certaine forme de fascination dans son regard, et c’est un sentiment qu’il apprécie d’inspirer. Mais le but d’Alexander, bien sûr, c’est avant tout d’inspirer tout court, sans restriction aucune. Et si son récit peut réchauffer un cœur déjà avide de changement et de révolution pour lui donner encore davantage l’impulsion d’agir, alors il aura naturellement le sentiment de tout avoir gagné.

Alexander affiche un sourire ravi et convaincu quand Orpheus fait une réflexion qu’Alexander approuve tout à fait : parler de ce qui nous passionne, c’est en effet toujours parler de soi, puisque ce qui nous passionne est aussi ce qui fait de nous les individus que nous sommes. C’est presque une étape obligatoire dans la construction de tout individu, une étape à ne négliger sous aucun prétexte.

« Bien sûr que si », répond immédiatement Alexander quand Orpheus lui demande s’il n’est donc capable de dissocier le concept de révolution de celui de lutte armée. « Toute révolution est d’abord une révolution de la pensée, et celle-ci, généralement, se fait sans heurts. Cependant, s’il est une chose que l’expérience m’a apprise, c’est qu’en effet, j’ai bien peur que les révolutions qui savent être menées à bien le soient généralement par la force des armes. Quand les mots ne suffisent plus à dispenser un message, il faut savoir être prêt à se battre. »

Et c’est là une lutte qu’Alexander est tout disposé à mener, sans aucune vergogne et sans réellement de scrupule. Même si, dans leur cas, la tâche est différente, car l’ennemi qu’il leur faut combattre est, pour ainsi dire, invisible, et comment fait-on donc pour combattre quelque chose d’invisible ?

If it's true.

Le visage juvénile d'Orpheus adopta une moue qui trahissait sa déception. En grand idéaliste qu'il était, mais avant tout en grand pacifiste, il continuait d'espérer pouvoir inspirer les hommes à se rebeller autrement qu'en prenant les armes. Car face à la multitude, que pouvait bien faire un seul homme, ce maire que personne ne voyait ? Le nombre aurait dû être suffisant, la raison aurait dû être suffisante, pour que les choses changent d'elles-mêmes.

Mais, bien évidemment, le pacifisme d'un poète rencontrait bien des obstacles. Et même si le jeune homme n'était pas convaincu par Alexander lorsque celui-ci lui affirmait que tôt ou tard, il fallait être prêt à se battre, il comprenait que l'expérience de son interlocuteur était précieuse. Il était légèrement rassuré par l'insistance du politicien quant au fait qu'il s'intéressait d'abord à l'éveil des consciences et à l'évolution de la pensée. Tout temps que l'on ne prévoyait pas de lutte armée, Orpheus était prêt à s'investir pleinement dans cette cause.

- Les circonstances sont différentes, ici. Ce n'est pas contre un gouvernement ennemi que nous entendons lutter, mais contre celui qui est en place. Contre ce maire que nul n'a jamais aperçu et qui semble pourtant doté d'un pouvoir immense.

Il eut un soupir, suivi d'une mine affligée. Rien ne le chagrinait tant que l'injustice qui s'abattait sur les plus faibles à cause des puissants contre lesquels nul n'osait se dresser. Nul, ou si peu de personnes...

- Je ne tiens pas à provoquer une guerre civile. J'aimerais donner aux hommes le courage et l'espoir qu'il leur manque pour se rendre pleinement compte de la situation, et qu'ils cherchent à se libérer de cette emprise invisible que les Soeurs du Destin elles-mêmes envieraient.

If it's true

feat. Orpheus

Alexander sent bien que la réponse qu’il vient d’adresser à son poète d’interlocuteur n’était pas exactement celle qu’il avait voulu entendre, mais le politicien préfère être tout à fait honnête avec Orpheus. S’ils veulent associer leurs forces et leurs idées, ils doivent aussi d’office connaître leurs limites et leurs modes d’action. Alexander comprend bien que son interlocuteur est un homme de lettres, d’idées et d’utopies, ce qu’Alexander est aussi, mais également un utopiste, ce qu’Alexander est beaucoup moins, en l’occurrence.

Aucune des grandes évolutions qui ont jalonné la progression vers la nation nouvelle qu’il contribuait à construire autrefois n’a pu se faire sans la force des armes. Il aurait été absolument impossible à l’Amérique de gagner son indépendance sur les colons britanniques s’ils n’avaient pas décidé de se battre en bonne et due forme, et c’est une chose qu’il n’oublie pas. Si une nouvelle guerre doit éclater, alors elle éclatera à nouveau, et Alexander demandera à se trouver en première ligne le cas échéant, sans aucune forme d’hésitation.

Ceci dit, Orpheus a effectivement tout à fait raison de souligner le fait que les circonstances sont ici différentes. Il ne s’agit pas de bouter des colons hors de terre qui ne leur appartiennent pas, pas plus qu’il ne s’agit de renverser un gouvernement dont les têtes pensantes seraient connues et soutenues par une caste sociale bien définies. L’ennemi qu’ils entendent combattre est un ennemi d’autant plus dangereux qu’il est invisible. Il est presque impossible d’en définir parfaitement la nature… Tout comme il n’est pas tout à fait certain, au bout du compte, qu’il existe vraiment. Il ne servirait à rien de se battre si ce ne devait être, au bout du compte, que pour partir à l’assaut de moulins à vent, et c’est peut-(être ce qui les attend pour l’heure.

« Je comprends vos intentions, et peut-être que tôt ou tard, nos intérêts et visions divergeront », observe Alexander qui, en cet instant, songe que c’est même sans doute chose inévitable au regard de leurs visions respectives des circonstances. « Mais pour l’heure, je n’au aucune intention de partir au front, ni de mener une inutile lutte armée contre un ennemi dont nous ignorons jusqu’au nom. Je suis d’accord avec le fait que pour l’heure, nous devons avant tout et surtout communiquer un message qui manque sans doute à beaucoup… Ce qui sera fait de ce message, en revanche, et il faut que vous en ayez bien conscience, ne nous appartiendra pas, en revanche, ou en tout cas pas tout à fait. »

C’est une chose qu’il se permet de souligner, car elle lui paraît particulièrement importante, dans ce cas de figure bien spécifique. Confier de l’espoir et du courage à ceux qui en manquent peut-être, c’est aussi fournir des armes, si métaphoriques soient-elles, à des personnes qui pourront en faire usage comme bon leur semble.

If it's true.

S'il y avait bien une chose qui qualifiait le tempérament de son interlocuteur, et qu'Orpheus appréciait par-dessus tout, c'était l'honnêteté. Alexander le prévenait et, avec beaucoup de sagesse, observait que tôt ou tard, leurs intérêts finiraient sans doute par diverger. Orpheus partageait cet avis, et hocha brièvement la tête. C'était un constat qui se passait de commentaires. Ils étaient tous deux des hommes raisonnables, qui connaissaient les limites d'une alliance, mais qui pour l'heure, s'accordaient sur le fait que c'était sans doute la meilleure solution sur le court terme. Ce qui était déjà un bon début.

Le jeune homme, songeur, laissa son interlocuteur s'exprimer tout en lui accordant toute son attention. Les propos d'Alexander étaient pertinents. Et même s'ils bousculaient quelque peu la vision utopiste imaginée par Orpheus, ce dernier n'avait plus la naïveté de se bercer d'illusions. Les avertissements de son interlocuteur étaient logiques, et même si le poète était un homme de passion et de coeur, il reconnaissait parfois que la logique l'emportait.

- Je suis conscient du fait qu'une grande part de mes intentions reposent sur de l'espoir. Mais c'est précisément d'espoir dont la plupart des habitants de cette ville manquent. Je sais que le message que nous entendons porter ne sera pas toujours reçu de la manière imaginée, mais... Ce qui compte, c'est qu'une majorité de personnes l'entendent néanmoins. Je n'ai aucunement l'intention de guider le peuple, simplement de l'éclairer.

S'il fallait élire un meneur, en vérité, Orpheus aurait confié sans hésitation aucune les rênes à son interlocuteur. Qui, même s'il avait connu les luttes armées, même s'il était éloquent et diablement intelligent, était un homme dont les idées plaisaient au jeune chanteur. Et un homme d'expérience, qui plus est, ce qui était toujours un atout appréciable.

If it's true

feat. Orpheus

L’espoir n’est pas une mauvaise chose en soi, en revanche, se reposer sur lui et lui seul dans l’intention de mener quelque combat idéologique que ce soit revient à de la pure utopie. Bien sûr, l’espoir est nécessaire, c’est de lui que naissent les idées les plus grandioses, parce que souvent les plus folles : de la conviction que l’impossible peut être possible, mais si c’est là une considération nécessaire, elle ne doit pas faire oublier un pragmatisme qu’Alexander, pour sa part, n’envisagerait pas de mettre de côté. L’expérience, le fait d’avoir roulé sa bosse en politique, d’avoir joué le jeu et de s’être parfois laissé abuser, a façonné, assez naturellement, sa vision des choses, en l’occurrence. S’il ne saurait dire si elle est effectivement la bonne ou non, il reste néanmoins campé sur ses positions, et en homme très fier, on fera difficilement changer Alexander Hamilton d’avis.

Cependant, quand bien même il devine que, tôt ou tard, leurs intérêts divergents les empêcheront de mener ensemble un même combat, il sait aussi reconnaître la nécessité des alliances faites pour être temporaires. Il ne reproche pas à Orpheus sa manière de penser – et même, quelque part, il l’admire – mais il ne saurait pas adopter la même pour autant. Il préfère néanmoins la ferme honnêteté de son interlocuteur, sa franchise à toute épreuve, que les atermoiements indécis de ceux qui vont où le vent les mène, sans réelle conviction politique, comme cela avait été le cas de Aaron Burr, bien sûr.

Le point qu’Orpheus soulève n’a rien d’erroné. En effet, le peuple manque d’espoir, et il est bel et bien nécessaire de leur en fournir… Et même si le message qu’ils veulent diffuser ne sera pas toujours interprété de la bonne manière, l’essentiel reste en effet qu’il soit entendu quoi qu’il en soit.

« Éclairer le peuple, c’est déjà lui indiquer un chemin et donc le guider », répond Alexander avec un léger sourire. « Mais j’entends ce que vous dite. Vous êtes un homme de conviction, et j’apprécie sincèrement cela chez vous, mais il est vrai que la politique, dans son exécution la plus rigoureuse, n’est du goût que d’un nombre limité d’individus, et qui ne sont pas toujours des plus recommandables, qui plus est. »

Mais Alexander, pour sa part, veut croire ne pas appartenir à cette catégorie d’individus. Peut-il l’affirmer avec certitude ? Peut-être pas… Quiconque s’intéresse aux hautes sphères de la politique a forcément pour le pouvoir un goût particulier qui peut naturellement le rendre dangereux… Il ne va pas prétendre être l’exception qui confirme la règle. Mais il a aussi connu des grands hommes – ou qui du moins l’étaient à ses yeux, ou du moins un grand homme, qui n’avait certainement pas fait offense au rôle de président… Alors il sait d’expérience que ce genre d’homme existe.

If it's true.

La réponse d'Alexander fit également sourire Orpheus, qui acquiesça avec calme. Bien évidemment, Orpheus, en tant que poète, ne se voyait qu'en messager. Il n'en était pas moins conscient que ce n'était pas suffisant lorsque l'on entendait changer drastiquement la situation. Si Orpheus tenait à ce que chaque individu qui composait ce tout qu'était le peuple puisse obtenir le droit de s'exprimer, il savait cependant qu'élire un représentant serait une étape nécessaire s'ils voulaient éviter toute dérive. Orpheus avait entendu parler de ces partis qui entendaient imposer un régime tyrannique ou élitiste. Et c'était justement l'éventualité qu'il souhaitait éviter à tout prix.

- J'espère sincèrement que vous faites partie des individus les plus recommandables en politique.

Le message était limpide : il espérait pouvoir lui faire confiance. Même si leurs avis devaient diverger et impacter leurs décisions futures jusqu'à les mener à prendre des voies séparées, le poète espérait néanmoins pouvoir se fier à la raison et aux motivations d'Alexander le temps que leur coopération dure. Si coopération il y avait bien, mais sur ce point, Orpheus n'avait pas changé d'avis le moins du monde. Il avait besoin du soutien et de la participation de cet homme-là.

- Vos convictions me parlent, et s'il me fallait voter pour élire un représentant, vous auriez assurément mon vote. C'est pour cette raison que j'ai souhaité vous contacter. Le message que j'espère faire passer ne sera véritablement bénéfique pour le peuple que si en lieu et place du maire, un autre, plus bienveillant et avec plus de transparence, prend sa place. Je pense que vous pourriez être cet autre.

Comme toujours, il s'exprimait avec honnêteté, n'ayant aucun intérêt pour la duperie ou pour les semi-vérités. En exposant ainsi ses intentions, il espérait qu'Alexander se sente libre d'en faire de même. Orpheus comprenait bien que la méfiance était une prudence parfois nécessaire en politique, mais c'était justement en tant que chanteur et artiste qu'il se positionnait et non en tant que politicien.