Elizabeth était heureuse. Certainement, plus qu'elle ne l'avait jamais été. Cette seconde chance, qu'elle imaginait définitivement perdue, lui apportait son lot de bonnes surprises après lui avoir apporté la solitude et la peur. Mary restait une menace. Mary serait toujours une menace tant qu'elle existerait, tant qu'elle vivrait, mais Alexander avait juré de la protéger et de lui apporter les armes nécessaires s'il devait y avoir une lutte, un jour. Elle avait confiance en lui, certainement plus qu'elle n'avait jamais eu confiance en personne. Elizabeth avait déjà aimé avant Alexander, mais jamais de cette façon. Tout était différent, avec lui. Peut-être était-ce parce qu'il n'y avait pas de couronne à protéger ou de véritables guerres à mener ? Peut-être était-ce cette ville ou peut-être était-ce lui, tout simplement ? Pour lui, elle avait accepté de rompre avec cette solitude qui avait été sa seule compagne pendant des années. Elle avait accepté ses idées, ses convictions et elles les avaient faites siennes. Pour lui, elle renonçait à ce qu'elle croyait pour lui offrir un soutien sans limite. Alexander l'avait acceptée. Il avait accepté l'idée qu'elle puisse le mettre en danger. Il avait accepté la femme qu'elle avait été. Il avait tout accepté. Ils avaient accepté de se jeter corps et âme dans cette relation qui aurait dû être impossible. Ils étaient devenus la faiblesse l'un de l'autre, mais ils ne voyaient que la force qu'ils se donnaient mutuellement.

Peut-être fermaient-ils un peu trop les yeux sur leurs différences, sur ce qui pourrait finir par leur causer du tort ? Ils se sentaient invincibles l'un avec l'autre. Ils pensaient pouvoir lutter contre le monde entier, sans jamais se questionner sur s'ils étaient capables de surmonter ce qui pouvait se hisser entre eux. Il était beau de croire que l'on pouvait tout accepter de l'autre parce qu'on l'aimait et de faire de ses défauts, des qualités. Il était beau de croire que rien ne pourrait jamais les atteindre. Ils vivaient dans une sorte de rêve éveillé. Conscients des problèmes, sans jamais les évoquer. Conscients que les difficultés arriveraient, sans pourtant les craindre suffisamment. Ils fermaient les yeux sur la réalité, préférant s'aimer simplement et se promettre l'impossible. Elizabeth avait bien vite repris ses vieilles habitudes. Elle refusait souvent d'évoquer son passé ou elle n'en disait rien de plus que ce qu'Alexander savait déjà. Ses craintes la poussaient toujours à s'isoler, mais près d'Alexander désormais. Seule, mais avec lui et la promesse que la situation ne serait que temporaire. Il ne lui en fallait pas beaucoup plus. A sa façon, dans l'ombre, elle agissait aux côtés d'Alexander. Ils passaient des heures à discuter de ses projets, à débattre lorsqu'ils n'étaient pas d'accord. Un jour, elle le savait, elle serait à ses côtés pour l'aider, le soutenir et pour jouer un véritable rôle. Ce n'était qu'une question de temps.

La ville était plutôt clémente avec eux. Elle les laissait vivre paisiblement. Les anciennes menaces ne disparaissaient pas, mais ils n'avaient rien de nouveau à surmonter. Il n'y avait rien eu de nouveau, plutôt. Jusqu'à cette soirée. Ils étaient ensemble, tranquillement installés sur le canapé, après avoir dîné. Elizabeth profitait de la chaleur d'Alexander qui la gardait contre lui, sa tête reposant tendrement sur son épaule. Ils étaient bien. Trop, sans doute. Maintenant que les choses s'étaient installées entre eux. Maintenant qu'ils étaient heureux, qu'ils se faisaient confiance, la ville avait sans doute penser qu'il fallait tenter de détruire tout cela. Il n'avait suffi que d'un clignement d'yeux pour que tout ne change. Il n'avait suffi que d'une seconde. Il n'avait fallu à Elizabeth qu'une seconde pour reconnaître ce décor qu'elle connaissait par coeur. Un décor qu'elle n'avait que bien trop vu tout au long de sa vie. De son autre vie. S'était-elle endormie ? Rêvait-elle ? Non. Elle l'espérait, mais elle sentait au fond d'elle qu'elle était bien éveillée et qu'elle était bel et bien de retour, chez elle. Ses vêtements lui prouvaient. L'endroit lui prouvait. Ses sensations lui confirmaient. Silencieuse, inquiète, les yeux d'Elizabeth se posèrent sur Alexander qui était toujours là, à ses côtés. Elle y cherchait des réponses, du réconfort, quelque chose. Sans ajouter un mot, elle s'était dirigée vers son bureau pour y feuilleter les papiers qui traînaient et ainsi espérer comprendre ce qui était en train de se passer. Paniquée, elle s'était tournée vers Alexander, ses mains étaient venues, tremblantes, se glisser sur son visage et son regard s'était planté dans le sien. Ici, il n'était pas en sécurité. Ici, il ne pouvait pas être lui-même. Et sans prendre le temps de lui expliquer les choses, elle lui souffla simplement : « Tais-toi, ne dis rien, ne parle pas. Je t'en prie. » Parce qu'elle comprenait peu à peu ce qu'elle faisait là. La vue des documents lui permettait de comprendre qu'elle se trouvait peu de temps après avoir dû faire exécuter Lola, son amie, la meilleure amie de Mary et un sujet de la couronne écossaise. Elle se trouvait à la période où ses peurs l'avaient poussée à essayer de piéger Knox, qui avait tenté de l'assassiner et à cause de qui elle avait fait décapiter Lola. Elle ignorait précisément à quel moment elle était - avant ou après avoir fait exécuter cinquante de ses nobles par peur qu'ils ne complotent contre elle, parce qu'ils s'étaient réunis à la demande de Knox ? - mais elle savait qu'Alexander trouverait à redire de chacune de ses décisions, sauf qu'il ne pouvait pas le faire devant les autres. D'autant qu'elle comptait bien profiter de cette seconde chance pour se venger et prendre des décisions différentes afin d'éviter ce qu'elle avait connu. Cette fois-ci, il n'était pas question que Knox ou Narcisse sortent de ce château en vie. Alexander lui avait souvent dit que l'on apprenait de ses erreurs. Il avait raison, cette fois-ci. Elle avait fait l'erreur de les laisser vivre et ils lui avaient tout pris. Elle ne commettrait pas la même erreur une deuxième fois.

« Essaie de comprendre que je n'avais pas le choix. Je t'en prie. Essaie de te mettre à ma place. » Elle n'expliquait rien, elle continuait simplement à se laisser envahir par la panique qui naissait en elle. Alexander avait toujours prétendu qu'il se moquait, d'une certaine façon, du passé d'Elizabeth, persuadé qu'elle n'était plus la même femme. Ce passé, pourtant, était en train de les rattraper. Alexander n'allait plus simplement entendre Elizabeth lui raconter les atrocités qu'elle avait pu commettre autrefois, il allait les vivre. Si Elizabeth ne se trompait pas, si cette réalité était la même que la sienne - parce qu'après tout ce qu'Elizabeth avait vécu dans cette ville, elle ne savait plus rien et ne présumait plus de rien, avant d'avoir des certitudes - ils se trouvaient à une époque où elle avait commis une des actions qu'elle avait le plus regretté. Il allait forcément savoir pour la mort de Lola. Comprendrait-il qu'elle n'avait pas eu d'autres choix que de la condamner à mort parce qu'elle avait participé à un complot visant à l'assassiner ? Oui, Lola avait été dupée, elle avait été piégée par Knox et elle croyait répondre à une demande de sa reine, Mary, mais Elizabeth l'ignorait à ce moment-là. Alors, elle avait tué sa seule amie et sa seule confidente. Rien que pour cela, elle savait qu'Alexander la détesterait parce qu'il allait être confronté à la vraie Elizabeth. Que dirait-il alors, quand, dans quelques minutes à peine, elle ordonnerait à Gideon de tuer cinquante de ses sujets protestants, réunis pour comploter contre elle ? Pas de procès, pas de justice et Alexander accordait une importance tout particulière à la justice, il le lui avait dit suffisamment. Il la détesterait plus encore et verrait le monstre qu'elle était réellement. Et, pire encore, à l'instant où Elizabeth avait compris où elle était, elle s'était décidée à changer le cours de l'histoire. Gideon ne mourrait pas à cause de Narcisse. Elle le tuerait avant qu'il ne puisse l'empoisonner. Elle tuerait Jane, l'une de ses domestiques, avant qu'elle ne puisse empoisonner Gideon sous les ordres de Narcisse. Elle tuerait Knox qui lui avait fait vivre un enfer en tentant de l'assassiner à plusieurs reprises et à cause de qui la vie de Lola avait été prise. Elle se vengerait. Maintenant qu'elle connaissait l'avenir, maintenant qu'elle savait ce qui se passerait après ce moment, elle l'en empêcherait. Elle ne laisserait pas Gideon mourir une seconde fois dans ses bras. Elle ne laisserait pas ce monstre misogyne de Knox s'en sortir aussi facilement que la première fois. Et, en le comprenant, Alexander serait horrifié et la rejetterait, elle le craignait.

Alors, comme s'il y avait un risque qu'il n'y ait pas d'autres fois, Elizabeth s'était tournée vers lui et l'avait embrassé. C'était un baiser rapide, pressé, plein d'inquiétude et de peine, de passion et d'amour. Comme s'il n'y en aurait plus jamais d'autres. « N'oublie pas les promesses que tu m'as faites. » Souffla-t-elle en plantant son regard dans le sien, avant de lui tourner le dos. A tous les problèmes qu'ils allaient devoir affronter d'un instant à l'autre, Elizabeth n'oubliait pas celui que représentait Alexander. Comment justifier sa présence ici ? Devait-elle le cacher ? Et s'ils étaient ici de manière définitive ? Non, elle refusait de le perdre parce qu'on lui interdirait de l'aimer. Non, il fallait prier, espérer, pour que ce ne soit qu'une épreuve de plus avant de rentrer chez eux où elle se ferait pardonner d'Alexander pour ce qu'il aurait vu aujourd'hui. « Je t'aime, Alexander. » Elle ne le regardait pas, elle n'osait pas. Ce n'était qu'un nouveau souffle, des mots qu'elle espérait qu'il n'oublierait pas.

Elle ne lui avait pas donné davantage d'explications que l'on frappait à la porte de son bureau. Son coeur accélérait tout naturellement face aux multiples épreuves qui les attendaient. Tout allait vraiment commencer, maintenant. Elle invita la personne à entrer et son coeur rata un battement en le voyant. « Gideon... » Souffla-t-elle. Ça avait été plus fort qu'elle. La dernière fois qu'elle avait vu cet homme qu'elle avait tant aimé, il mourait dans ses bras. Aujourd'hui, il était bel et bien là, vivant - et amoureux de Mary. Cet homme-là n'était pas encore celui qu'elle avait aimé et qui l'avait aimé. Malgré tout, et même si elle aimait Alexander plus que tout, elle ne pouvait s'empêcher d'être troublée en le voyant, ici, en vie. « Lord Blackburn. » Se reprit-elle, en essayant de retrouver une bien meilleure contenance. Le regard de Gideon se posait tout naturellement sur Alexander et afin de couper court à toute question, Elizabeth ajouta : « Vous pouvez parler librement devant lui, c'est... » Il y avait une brève hésitation, qu'elle tenta de masquer au mieux. « l'un de mes nouveaux conseillers privés. » Après sa tentative d'assassinat, Elizabeth s'était entourée davantage, cela ne devrait donc pas étonner Gideon qui savait comme elle pouvait se montrer excessivement prudente lorsqu'il s'agissait de sa propre survie.

L'homme expliquait donc la situation : il n'avait pas réussi à piéger Knox comme prévu, puisqu'il n'était pas présent à la réunion, mais cinquante des sujets d'Elizabeth s'y étaient rendus. Elizabeth priait pour qu'Alexander garde le silence et se hâtait de répondre, en tentant de paraître surprise, même s'il n'y avait plus de surprise depuis bien longtemps. « Cinquante hommes ? Comment a-t-il pu trouver autant de traîtres prêts à comploter contre moi ? » Si elle avait déjà vécu ce moment, son ton était toujours empli de désespoir et de colère et ses yeux de larmes. La trahison était toujours difficile à accepter, même si elle la connaissait déjà - et la présence d'Alexander n'aidait en rien, mais facilitait, au moins, ces émotions chez Elizabeth, émotions que Gideon attendait forcément d'elle. Elizabeth n'avait pas envie de faire le moindre effort pour que tout se déroule de la même façon, elle insistait simplement volontairement sur certains termes pour qu'Alexander comprenne qu'elle n'avait pas le choix. Elle voulait simplement en finir, et au plus vite. Evidemment, Gideon lui avait appris que Knox n'était pas parmi eux et, contrairement à la première fois, elle ne lui disait pas qu'il n'avait pas d'autres choix que de le relâcher. C'était hors de question. « Alors nous n'avons rien contre lui. Si vous ne l'avez pas arrêté avec eux, vous n'avez rien. » Et cette situation l'agaçait autant que la première fois. Il avait été arrêté en train de fuir, mais ce n'était pas un crime puisqu'il n'était pas prisonnier de ce château. « Trouvez-moi une raison valable de le garder dans ce château. Une raison qui ne me mettra pas mes sujets protestants à dos. Les témoins ne suffiront pas, vous devez trouver autre chose au plus vite. Je refuse qu'il parte et qu'il s'en sorte. » Le ton autoritaire et plein de rage d'Elizabeth démontrait qu'il était préférable de ne pas discuter avec elle parce qu'elle était déterminée à punir Knox, alors Gideon poursuivit sur ces fameux témoins, prêts à témoigner contre Knox et ceux qui seraient jugés pour trahison. « Il ne peut pas y avoir de procès. » Avait-elle dit, en se rapprochant de lui pour s'éloigner d'Alexander, avant ce qu'elle s'apprêtait à prononcer. « S'il y a un procès, cinquante de mes sujets déverseront leur haine contre moi et d'autres, plus nombreux, se rallieront à leur cause. Je ne peux pas les laisser parler, je ne peux montrer qu'autant de nobles se sont dressés contre moi. » C'était une évidence. Un procès serait leur donner une tribune qu'Elizabeth leur refusait. C'était bien trop dangereux pour sa vie. « Tuez-les tous. » La première fois n'était pas gravée dans sa mémoire en détail, mais elle était persuadée qu'elle avait prononcé ces mots avec plus d'assurance. Cette fois-ci, il n'avait s'agit que d'un souffle, presque discret, et elle n'avait pas pu s'empêcher de jeter un coup d'oeil à Alexander. Elle s'apprêtait à faire tuer cinquante hommes, coupables d'avoir voulu comploter contre elle, certes, mais sans leur offrir le moindre procès. Et c'était certainement l'une des choses qu'elle aurait aimé qu'Alexander ne voie jamais d'elle : ce que la peur la poussait à faire, les décisions qu'elle la poussait à prendre.

Elizabeth était incapable de lui donner la moindre explication. Elle ignorait le temps qu'ils avaient devant eux pour s'expliquer, elle ignorait ce qu'il découvrirait - et elle n'aimerait pas lui dire ce qu'il n'avait pas besoin de savoir parce qu'il ne l'apprendrait pas - et elle était, de toute façon, bien trop terrifiée pour pouvoir se raisonner et se décider à lui parler. Tout ce qu'elle se sentait capable de faire était de le supplier de comprendre qu'elle n'avait pas eu le choix. Il ignorait de quoi elle parlait, mais il comprendrait bien assez vite - trop vite. A nouveau, il lui demandait des explications, mais, à la place, elle s'était tournée vers lui pour lui offrir un baiser. Elle craignait tant qu'il ne s'agisse du dernier. Lorsqu'elle lui parlait de son passé, il ne voulait rien voir. Cette fois-ci, il allait le vivre et elle craignait, tout naturellement, que ses réactions soient différentes. Entendre et voir étaient deux choses bien différentes dans ce genre de situation, deux choses qui pouvaient changer définitivement la vision qu'il avait d'elle.

Incapable d'affronter ce regard qui la questionnait, Elizabeth lui avait tourné le dos avant de lui souffler qu'elle l'aimait. S'il y avait bien une chose qu'il ne devait pas oublier, c'était ça. Elle l'aimait terriblement. Et il l'aimait, il le lui disait, mais elle n'en doutait plus depuis longtemps. Elle doutait simplement de ce qu'il serait capable de supporter, d'accepter, de sa part. Il insistait encore pour obtenir des informations, mais il avait été stoppé par la personne qui frappait à la porte. Aussitôt, Elizabeth s'était tendue et, intérieurement, elle priait pour qu'Alexander écoute ce qu'elle lui avait demandé et ne parle pas. Elle avait beau avoir tous les pouvoirs entre les mains, elle n'était pas capable de protéger les gens qu'elle aimait alors il devait faire attention à chacun de ses mots pour ne pas la mettre dans une situation inconfortable ou impossible.

Elizabeth était troublée par la personne qui était entrée dans son bureau. Évidemment. Gideon. Lui aussi, elle l'avait aimé passionnément avant qu'on ne le lui arrache violemment en l'empoissonnant. La dernière fois qu'elle l'avait vu, il mourait dans ses bras. Le voir là, debout, vivant, en pleine forme... Elle avait perdu le contrôle l'espace d'un instant, mais elle s'était reprise rapidement - après tout, c'était un jeu auquel elle était habituée désormais, faire semblant. Assez vite, en tout cas, pour éviter les questions de Gideon et pour présenter Alexander comme l'un de ses nouveaux conseillers.

Elizabeth devait reprendre cette vie qu'elle avait abandonnée, il y avait une éternité désormais. Heureusement, les choses se faisaient plutôt naturellement, facilement, et elle en oubliait presque la présence d'Alexander tandis qu'elle discutait du problème que représentait une cinquantaine de ses sujets. Cette conversation, ils l'avaient déjà eue - enfin, elle - et elle voulait l'écourter au plus vite pour qu'Alexander n'ait pas le temps d'intervenir. Et le meilleur moyen pour en finir rapidement était d'en arriver rapidement à ce que Gideon devait faire. Puisque pour son propre bien il ne pouvait y avoir aucun jugement, Elizabeth avait soufflé l'ordre de tous les faire tuer - et en prononçant ces mots, elle savait qu'Alexander ne serait pas d'accord. Elle n'avait pas pu s'empêcher de lui lancer un regard discret pour jauger sa réaction.

A l'instant où elle l'avait entendu prendre la parole, elle avait prié intérieurement pour qu'il ne dise aucune bêtise qu'elle se trouverait obligée de justifier. Il faisait part de son mécontentement, évidemment. Son regard s'était planté dans le sien et elle lui demandait silencieusement de se taire, mais il poursuivait. Il la forçait à lui tenir tête devant quelqu'un, elle qui était habituée à débattre d'une autre façon, avec lui. Cette fois-ci, elle n'était pas libre de réagir comme elle le voulait. Sa première réaction avait été de vouloir lui demander de se taire et de ne parler que si on lui demandait son avis - comme elle aurait pu le faire avec n'importe quel conseiller - mais elle ne pouvait pas faire ça à Alexander, même s'il était en train de remettre en cause ses décisions sans tout savoir de la situation. « Je ne leur dois rien. » S'emporta-t-elle un peu trop vivement et rapidement, en appuyant sur chaque mot. Elle ne devait rien à des gens qui avaient tenté de comploter dans son dos pour la tuer. Alexander avait beau avoir des idéaux de justice, elle ne supporterait pas d'entendre ce genre de choses, même pour la convaincre qu'un procès était la meilleure solution. « Croyez-vous qu'ils m'auraient accordé un procès avant de m'assassiner ? » Puisqu'il fallait qu'elle se justifie, elle allait le faire à sa façon. « Je dois faire une démonstration de force, montrer que je n'ai pas peur et que je suis impitoyable avec les traîtres. Si je ne le fais pas, d'autres, plus nombreux, se soulèveront à leur tour. » C'était une triste réalité. Il fallait écraser ce genre de révoltes avant qu'elle n'explose et ne devienne incontrôlable. Si elle n'agissait pas assez sévèrement, on la considérerait comme faible et on s'attaquerait à elle avec plus de hargne et d'acharnement encore. « Et c'est justement un soulèvement que j'essaie d'éviter. » Affirma-t-elle, se souvenant d'une conversation qu'ils avaient eue et qui évoquait la nécessité de ces dernières, parfois. « Ce n'est pas un peuple en colère qui se soulève, mais des nobles incapables de supporter d'être dirigés par une femme qu'ils n'arrivent pas à contrôler. Ils veulent me tuer pour mettre un homme à la tête de mon royaume. » Elizabeth oubliait totalement la présence de Gideon, elle se concentrait sur Alexander parce qu'elle voulait qu'il comprenne et qu'il ne la juge pas. Il ne s'agissait pas du genre de révoltes dont ils avaient pu parler, la situation était différente et, d'après Elizabeth, ces hommes méritaient d'être tués comme ils avaient voulu la tuer. « Mes ennemis sont partout, même parmi mes sujets. Si je me montre faible, je laisse la porte ouverte à d'autres complots de ce genre. Ils ont choisi leur camp le jour où ils ont préféré suivre Knox plutôt que leur reine et ils le paieront de leur vie. » Il ne s'agissait pas d'innocentes victimes, mais de gens qui étaient prêts à écouter l'homme qui avait tenté de l'assassiner quelques semaines plus tôt. Alors, peut-être n'avaient-ils encore rien fait, mais elle n'allait pas attendre de se faire tuer par l'un d'eux pour réagir.

Elizabeth n'était pas complètement stupide, elle savait comme il était difficile pour Alexander de garder le silence. Elle le connaissait par coeur. Pourtant, à l'instant où il avait commencé à parler, elle lui avait lancé un regard qui lui demandait de se taire - en vain, évidemment. Dès qu'Elizabeth avait compris où elle était, elle avait compris que la vision qu'Alexander avait d'elle risquait de changer. Il allait la voir agir dans ses pires moments, ceux où elle était terrifiée par la tournure que les événements prenaient, au point de prendre des décisions qu'il jugerait cruelles, elle le savait. Évidemment, elle avait peur qu'il ne la haïsse, mais elle ne pouvait s'empêcher d'être, en même temps, en colère contre lui et déçue. Elle le voyait défendre des hommes qui s'apprêtaient à mettre en place un complot pour la tuer. Elizabeth aimait Alexander pour ce qu'il était, elle l'aimait parce qu'il était ambitieux et pleins de rêves et d'idéaux, elle l'aimait parce qu'il souhaitait instaurer la justice et la paix. Néanmoins, il n'était ni chez lui, ni dans leur nouveau monde. Ici, ils étaient chez elle et, d'après elle, les mêmes règles ne pouvaient pas s'appliquer. Alors oui, elle devait l'avouer, même si elle savait qu'il s'offusquerait d'une telle décision, elle aurait aimé se tromper et le voir souhaiter la mort de ses hommes parce qu'il avait souhaité la sienne. Sauf, qu'évidemment, elle ne pouvait rien lui dire en présence de Gideon, alors elle exprimait sa colère autrement. « N'oubliez pas de leur rappeler comme j'aurais fait preuve d'intelligence en étant trop indulgente, le jour où ils auront réussi à me tuer. » Comprenait-il que ces hommes n'auraient de cesse de recommencer jusqu'à obtenir de mettre un roi sur le trône d'Angleterre ? Il ne prenait pas le parti de révolutionnaires qui souhaitaient mettre fin à la monarchie, il prenait le parti d'un groupe d'hommes qui la jugeait incapable de gouverner uniquement parce qu'elle était une femme. Il prenait la défense d'un groupe misogyne qui souhaitait conserver la monarchie, mais avec un homme à sa tête.

Elizabeth tentait alors de lui expliquer qu'elle n'avait pas le choix - parce que, malgré sa colère, elle ne voulait pas qu'Alexander la déteste pour ses choix - et qu'il fallait qu'elle agisse ainsi pour sa sécurité. Il fallait faire une démonstration de force. Elizabeth n'avait pas le droit de montrer la moindre faiblesse, le faire était se condamner à une mort certaine. Pourtant, il insistait. Il ne voulait pas qu'elle donne l'ordre de tuer ces traîtres. « Ce n'est pas cruel, c'est ce qu'ils méritent. Que voulez-vous que je fasse ? Que je les enferme ? Que je leur confisque leurs titres et leurs biens ? Non, en dehors de leur mort, rien ne me permettra de m'assurer leur silence. » Aucune sanction ne serait satisfaisante aux yeux d'Elizabeth, hormis la mort. Parce que morts, ils ne pourraient plus rien contre elle.

Alexander n'en avait pas fini. Il tentait de s'expliquer, en assurant qu'il ne défendait pas leurs actions ou leurs motivations. Elizabeth allait répliquer, mais lorsqu'il avait failli prononcer son prénom, elle avait dégluti difficilement, sentant son coeur s'accélérer. Elle le connaissait, il s'emballait et elle craignait de le voir faire une faute bien plus grave. Heureusement, de lui-même, il s'était repris. Repris pour continuer à lui faire voir les choses autrement et pour essayer de la convaincre qu'il y avait forcément une meilleure solution que le massacre qu'elle envisageait. « A trop protéger la vie de mes ennemis, je finis par me demander : de quel côté êtes-vous ? » Ça avait été plus fort qu'elle, elle n'avait pas pu s'en empêcher. « Alors que me proposez-vous comme alternative ? Je vous écoute. » Elizabeth tentait de garder son calme et de se contrôler, parce qu'elle ne devait rien montrer de ce qui l'unissait à Alexander, mais ce n'était pas simple de lui parler comme s'il n'était que l'un de ses conseillers et rien de plus.

Parce qu'elle craignait de voir les choses leur échapper, parce qu'elle avait besoin de comprendre ce qu'Alexander était en train de faire et parce qu'elle sentait l'agitation de Gideon, qui souhaitait parler - et elle avait assez à faire avec un, elle n'avait pas envie de gérer les deux hommes et leurs beaux discours en même temps - elle s'était tournée vers Gideon pour lui souffler : « Laissez-nous un instant. Ne faites rien pour le moment. » Elle l'observait jusqu'à ce qu'il ait quitté la pièce et s'était tournée vers Alexander. Ils n'avaient pas des heures devant eux, mais ils avaient quelques minutes pour discuter. « Je t'avais demandé de te taire, Alexander. » Souffla-t-elle. « A quoi tu joues ? Tu prendrais vraiment le risque de laisser en vie des hommes qui complotaient pour m'assassiner ? » Il y avait de la colère dans sa voix et dans son regard, de la déception aussi de voir qu'il n'était pas prêt à la protéger comme elle l'attendait et de la peur, celle de voir Alexander réaliser enfin qui elle était. « Ces hommes sont déjà morts. J'ai déjà vécu tout cela, tu ne peux plus rien y changer. » Même s'il la trouvait monstrueuse, ces ordres, elle les avait déjà donnés. « Je... Je vais donner l'ordre de les exécuter. » Affirma-t-elle comme s'il n'y avait pas de discussion possible en réalité. Elle ferait tuer ces hommes, comme elle l'avait fait par le passé, et elle ferait tuer Knox et Narcisse, même si cet acte devait changer tout ce qu'elle avait connu après cet instant.

Dès l'instant où Alexander avait su qui elle était, Elizabeth ne s'était jamais cachée d'avoir fait des choses monstrueuses ou d'avoir pris de mauvaises décisions. Il avait toujours prétendu que ça n'avait aucune importance, que le passé ne l'intéressait pas et qu'elle n'était plus cette femme-là, de toute façon. Elizabeth avait tenté de lui faire comprendre, de lui expliquer, que si, elle l'était toujours. Elle avait essayé de lui faire comprendre qu'elle ne changerait rien à ses actions passées - ou presque - s'il lui était donné de les revivre un jour. Et qu'elle recommencerait, qu'elle serait, de nouveau, cette femme si elle devait retourner chez elle. Elizabeth savait qui elle était, elle ne se mentait pas, mais elle aurait aimé que lui ne le sache jamais véritablement. Elle aurait aimé que tout ne reste qu'une histoire, sans qu'il ne la vive. La jeune femme avait peur. Peur qu'il ne soit pas capable de l'accepter comme elle était. Peur qu'il ne puisse aimer que la femme qu'il avait découverte, sans pouvoir aimer la femme qu'elle était aussi, en ce genre d'occasions. Pourtant, et malgré ses peurs, elle ne souhaitait rien changer. Alexander tentait de la convaincre qu'il y avait d'autres solutions, mais, à ses yeux, c'était la seule véritable solution. La seule qui lui permettait de vivre, de survivre. Elle savait l'importance qu'Alexander portait à la justice et la haine qu'il avait pour la monarchie, mais elle souhaitait simplement qu'il comprenne qu'elle n'avait pas le choix, que ce n'était pas un jeu, qu'elle risquait réellement sa vie. Peut-être aurait-elle aimé avoir le choix ou pouvoir prendre d'autres décisions, mais ce n'était pas le cas. Alors, elle devait composer avec ce qu'elle avait et, ici, elle devait punir une cinquantaine de traîtres qui recommencerait à l'instant où il serait libéré, si elle n'était pas radicale et sans pitié. Et, heureusement pour elle, de la pitié, elle n'en avait aucun pour les traîtres qui voulaient son trône - ce qui lui avait permis de régner longtemps et de conserver sa tête.

Afin de pouvoir discuter plus librement - et afin de comprendre le jeu auquel Alexander était en train de jouer et qui échappait totalement à Elizabeth - la jeune femme avait demandé à Gideon de sortir et d'attendre ses ordres. Elle ne voulait pas revenir dessus, mais elle voulait le faire comprendre à Alexander et elle voulait qu'il l'accepte avant de faire quoi que ce soit - si seulement c'était une chose possible, ce dont elle doutait sérieusement. Alors, Alexander en profitait aussitôt pour tenter de la convaincre. Il lui parlait de deuxième chance, de signe du destin. Il justifiait sa présence par le fait qu'elle devait changer sa décision. Quelque part, Elizabeth avait envie d'y croire. Elle avait envie de croire qu'elle pouvait prendre une autre décision et être meilleure, mais elle ne devait pas. Pour une fois, elle ne devait pas se laisser avoir par les belles paroles d'Alexander parce que cela lui ferait prendre un risque trop grand. « Il est tard, je ne peux pas faire traîner les choses pendant des heures. » La nuit était déjà tombée et elle souhaitait s'être débarrassée de cette affaire avant le lendemain matin, jugeant qu'elle avait bien plus important à régler. « Alors, soit tu me proposes une alternative, soit tu acceptes que c'est la seule solution pour me protéger et tu me laisses donner cet ordre d'exécution sans plus attendre. » Elizabeth aimait débattre avec lui pendant des heures, mais, cette fois-ci, elle n'en avait pas le temps - et parce qu'il défendait ses ennemis sans lui montrer qu'il comprenait sa détresse, elle n'avait pas envie de lui en donner, du temps.

Mais, à l'instant où elle assurait qu'elle donnerait cet ordre, Alexander lui avait demandé d'attendre. Lorsqu'il l'interrogea sur les répercussions de cette action, elle ne le lâcha pas du regard. Lorsqu'il l'interrogea sur les regrets qu'elle avait pu éprouver après avoir pris une telle décision, elle ne répondit rien, mais son regard répondait pour elle : non, elle n'éprouvait aucun regret à tuer des hommes qui lui voulaient du mal. Des hommes qui avaient décidé de suivre un homme qui avait tenté de la tuer quelques semaines plus tôt. Elle ou eux, le choix était vite fait. Pour sa survie, Elizabeth était prête à tout. C'était certainement ce qu'elle savait faire de mieux puisqu'elle devait se battre pour elle depuis toujours.

Elizabeth s'apprêtait à lui répondre, mais il reprit avant. Il lui demandait de ne pas rappeler Gideon tout de suite, en accompagnant ses mots d'un geste de la tête. Elizabeth s'imaginait qu'il avait encore des arguments à avancer pour la faire changer d'avis et qu'il souhaitait simplement plus de temps, mais il avouait ne pas être pressé de le voir - pas parce qu'il recevrait l'ordre d'exécuter ces hommes, mais parce qu'il n'aimait pas la façon qu'avait Elizabeth de le regarder. A cette réflexion, elle avait baissé les yeux et perdu de son assurance, parce qu'elle ne s'y attendait pas. « Je le regarde comme une reine regarde son conseiller, rien de plus. » Répondit-elle presque aussitôt pour ne pas laisser de silence gênant s'installer et pour ne laisser planer aucun doute. A choisir, Elizabeth préférait encore discuter de ça que de cette exécution qu'elle prévoyait - il la détesterait sans doute moins pour Gideon que pour la mort de ces hommes, alors elle préférait une discussion qui la mettait mal à l'aise qu'une discussion qui la mettait en colère. Elle en profitait donc pour ne pas répondre à ses questions. « Tu n'as pas à t'inquiéter, il ne m'aime pas encore. » Ce n'était certainement pas les mots les mieux choisis pour le rassurer. « Il aime Mary. » Expliqua la jeune femme en relevant les yeux vers lui, peinant à masquer son irritation et son ressentiment face à cet aveu. Puis, même si le moment était mal choisi, elle ne put s'empêcher d'ajouter : « Tu as dit que nous étions peut-être là pour faire les choses différemment... » Puisque c'était son argument, il ne pourrait pas prétendre le contraire. « Aide-moi à le sauver. Je ne le laisserai pas mourir une fois encore. » Parce que s'il ne devait pas mourir bientôt, l'occasion était pourtant idéale pour elle de l'empêcher : Narcisse était ici, dans son château, là où elle pouvait l'atteindre avant qu'il ne l'atteigne, elle, en tuant Gideon, pour la punir de la mort de Lola.

Elizabeth n'avait pas le temps. Elle ne pouvait retarder éternellement sa décision. Plus elle serait longue à la prendre, plus cette affaire risquait de s'ébruiter, ce qu'elle souhaitait éviter à tout prix. Alors, elle ne laissait pas le choix à Alexander : soit il trouvait une solution rapidement, soit il la laissait agir. La solution d'Alexander paraissait si simple. Trop. Même enfermés, ils pourraient agir contre elle - il suffisait de corrompre les gardes, elle en avait fait l'expérience avec Mary, lorsqu'elle l'avait gardée enfermée. Et, surtout, combien de temps avaient-ils, eux ? « Et si cette décision me coûte la vie ? » Alexander avait dû le comprendre depuis le temps, mais Elizabeth était effrayée à l'idée de mourir de la main de l'un de ses ennemis, de prendre une décision qui la condamnerait. « Il n'y a pas de bonnes solutions, Alexander. Tu peux te donner tout le temps que tu veux, les choses sont simples : soit j'ordonne de les exécuter et je survis, soit je les garde en vie et je prends le risque qu'ils puissent se dresser de nouveau contre moi. Eux ou moi, c'est aussi simple que cela. » Et Elizabeth se choisirait toujours, évidemment. Elle ne prendrait pas le risque de voir son destin lui échapper pour une poignée de traîtres qui n'aurait eu aucun scrupule à la faire tuer. Les choses étaient, aux yeux d'Elizabeth, simples à comprendre. C'était un combat qu'elle avait l'habitude de mener : tuer avant d'être tuée.  

Mais, malgré la situation urgente, Alexander était préoccupé également par autre chose : Gideon. Il ressentait ce qu'elle avait essayé de dissimuler. Il avait vu ce qu'elle avait tenté d'ignorer elle-même. Alors, elle avait tenté de le rassurer. Gideon ne représentait aucune menace pour eux, il ne l'aimait pas. Pas encore. Et s'ils devaient rester ici définitivement, il ne l'aimerait probablement jamais ou, en tout cas, ils ne vivraient rien de ce qu'elle, elle avait connu. Elizabeth avait conscience de ce qu'Alexander devait penser et ressentir, mais, malgré tout, elle ne pouvait pas laisser passer sa chance. Si elle était de retour ici, peut-être était-ce pour éliminer ceux qui détruiraient sa vie à l'avenir ? Ils étaient tous là, réunis - d'abord Narcisse, puis elle évoquerait le cas de Knox. La première fois, elle n'avait rien pu faire. Cette fois-ci, elle ne voulait pas commettre les mêmes erreurs. Alors, même si elle préférait laisser Alexander en dehors de toutes ces histoires, elle ne put s'empêcher de chercher son aide. La jeune femme refusait de voir Gideon mourir une fois encore et elle l'empêcherait, avec ou sans l'aide d'Alexander.

« Tu ne peux donc pas simplement me dire oui, le faire pour moi, sans chercher à toujours tout comprendre. » Répliqua-t-elle dans un soupir alors qu'il lui demandait - tout naturellement, évidemment - des détails. « Je t'ai déjà raconté ce qui s'est passé. » Mais Alexander ne pouvait pas le savoir. Elle n'avait jamais donné son nom pour qu'il ne puisse rien répéter à Mary. « C'est le premier véritable aveu que je t'ai fait à propos de mon passé. » La première fois où elle lui parlait véritablement de celle qu'il avait cherché à découvrir par tous les moyens. La première fois qu'elle lui avait confié l'un des pires moments de sa vie, l'un des plus douloureux. « Il est mort, empoisonné, dans mes bras parce que je l'aimais. » Juste après avoir échangé des voeux de mariage, dans le plus grand des secrets, ce qu'elle préférait taire pour ne pas rendre la situation plus compliquée qu'elle ne l'était déjà.

Elizabeth poussa un soupir, désespérée. Elle devait se résigner à avouer un autre de ses crimes - un qu'elle regrettait terriblement. « J'ai dû faire exécuter une amie - ce qui y ressemblait le plus, pour moi. » Elle aurait aimé avoir Lola comme amie, en tout cas, et elles auraient pu l'être, Elizabeth en était persuadée. « Je n'ai pas eu le choix, je te le jure. » Parce qu'il devait suffisamment la détester, elle devait lui faire comprendre que les décisions qu'elle prenait n'étaient pas toujours celles qu'elle voulait. Son conseil avait de l'influence et du pouvoir et elle était obligée de faire certains choix. « Elle a reçu des ordres et elle a participé à un complot visant à m'assassiner. C'était peu de temps avant ce moment où nous sommes revenus. » Et toutes les décisions qu'elle prenait désormais découlaient de ce moment. « Elle croyait recevoir ses ordres de Mary, sa reine, mais ce n'était pas elle. Je l'ignorais. » Elle allait passer aussi sur le moment où elle avait fait de Lola sa prisonnière - dans un premier temps - en l'obligeant à vivre à la cour d'Angleterre alors qu'elle était un sujet écossais, dans l'espoir qu'Elizabeth ne libère sa famille, prisonnière. « Jamais, on ne m'aurait permis de lui laisser la vie sauve, tu comprends ? » Souffla-t-elle, ses yeux se fixant aux siens avec toute la peur qu'il y avait en elle d'y lire du dégoût. Lola avait fait en sorte qu'Elizabeth se trouve dans la trajectoire du tir, il y avait eu des témoins... Elle n'avait pas pu faire autrement que la condamner. « C'est parce que j'ai dû la condamner que Gideon va mourir. » Souffla-t-elle avec toute la difficulté du monde à l'évocation de cette mort, de tous ces souvenirs, la gorge nouée, submergée par ce qu'elle ressentait. « Le mari de Lola va l'empoisonner pour que je vive ce que lui a vécu. Il va tuer un innocent pour me punir, moi. Il ne le mérite pas, c'est quelqu'un de bien, c'est... Il ne mérite pas de mourir à cause de moi. » Ce qu'Elizabeth craignait tant de voir se répéter avec Alexander, elle craignait tant qu'il ne finisse par y laisser la vie, à cause d'elle. « Je dois l'en empêcher. » Et par empêcher, il n'y avait mille solutions qui s'offraient à elle, « Il doit mourir. »

Contrairement à ce qu'elle laissait peut-être paraître, Elizabeth comprenait le dilemme dans lequel se retrouvait Alexander. Il était confronté à ce qu'il détestait par-dessus tout et elle. Pour la première fois, il était directement exposé aux actions d'Elizabeth, mais il ne les voyait que d'un oeil extérieur, sans tout connaître du contexte et de sa vie, sans jamais avoir été confronté directement à ce type de décisions. Il ne voyait les choses que par ce qu'il avait comme préjugés, comme idées reçues, comme convictions. Oui, elle pouvait le comprendre, mais le comprendre ne diminuait en rien ce qu'elle éprouvait en l'entendant défendre la vie d'hommes qui avaient l'intention de lui voler la sienne.

Elizabeth lisait les difficultés dans les yeux d'Alexander, elle voyait à quel choix difficile il était confronté - mais elle aurait aimé qu'il n'y ait aucun choix à faire, elle aurait aimé qu'il veuille tout aussi durement qu'elle punir des hommes qui avaient voulu la tuer. Elle imaginait sans mal ce qu'il pensait d'elle et ça lui faisait peur. Terriblement peur. Elle ne pouvait pas le perdre à cause d'un souvenir, d'une hallucination ou d'elle ne savait quoi. Alexander était rarement aussi peu bavard, et elle imaginait le pire alors qu'il semblait en pleine réflexion. Après un certain temps, il semblait avoir pris une décision - ou s'être résolu à faire un choix, tout du moins. Sa déclaration était profonde et touchante, évidemment, et elle la rassurait.

« Alors, si tu es sincère, choisis-moi lorsque tu dois prendre parti. » Ce n'était qu'un souffle. Elle n'attendait pas de lui qu'il la défende en toute circonstance, mais dans celle-ci, oui. « Imagine un peu ce que je ressens chaque fois que je t'entends défendre ces hommes alors qu'ils s'apprêtaient à me tuer. » Elizabeth s'était rendue coupable de nombreux crimes et elle comprenait qu'Alexander puisse juger que celui dont elle voulait se rendre coupable était horrible, mais elle avait l'impression qu'il oubliait surtout ce que ces hommes s'apprêtaient à faire. La choisir, c'était aussi se mettre à sa place et comprendre les sentiments douloureux qu'il faisait naître en elle à chaque fois qu'il les préférait à elle. « Je ne suis pas stupide, je sais que tu te sens plus proche d'eux que de moi. » Avoua-t-elle dans un souffle, reprenant aussitôt : « Mais ils n'étaient pas en train d'essayer de mettre fin à la monarchie. » Il ne se rangeait pas du côté de personnes qui cherchaient à obtenir leur liberté, il se rangeait du côté d'hommes qui détestaient l'idée-même d'être dirigée par une femme parce que c'était une femme. Ils ne cherchaient pas à détruire la monarchie, mais une reine pour installer un roi.

Mais le destin de ces hommes n'était pas le seul problème qui dérangeait Alexander. Il se questionnait à propos de Gideon. Elizabeth profitait donc qu'il aborde le sujet pour le supplier de l'aider à le sauver. A sa demande, Elizabeth lui détailla rapidement l'histoire. Pour espérer qu'il lui accorde son aide, elle devait révéler certains de ses crimes, dont elle n'était pas fière, mais si c'était le prix à payer pour espérer sauver un homme qu'elle avait tant aimé, elle le payait. Elizabeth savait qu'il allait avoir du mal à la comprendre. Évidemment. Il fallait le vivre et y être directement confronté pour le comprendre. De loin, ses actions ne ressemblaient qu'à de la cruauté. « Je suis une femme, je n'ai pas la chance de pouvoir prendre mes décisions seule et de faire absolument tout ce que je veux, même avec une couronne. » Elle restait calme, mais elle voulait qu'il puisse comprendre que sa vision était partiellement erronée, que les monarques n'étaient pas libres de tous leurs faits et gestes - moins encore lorsque ces monarques étaient des femmes. Quoi qu'elles fassent, elles dépendaient toujours indirectement des hommes de leur entourage. Là où l'on voyait une décision juste et humaine chez un homme, on ne voyait que de la faiblesse et des sentiments chez une femme. « Et même les rois ne sont pas entièrement libres. Oublie tes préjugés juste un instant, s'il te plaît. » Pour qu'il ne la déteste pas. Elle n'était pas froide, mais elle le suppliait d'avoir l'esprit plus ouvert à ce sujet. Il devait comprendre que les décisions prises n'étaient pas toujours celles qu'ils souhaitaient, mais celles qui s'imposaient.

Alexander était prêt à l'aider. Malgré tout ce que Gideon représentait, malgré tout ce qu'il devait penser d'elle, il était prêt à lui apporter son aide. En revanche, ce n'était pas du tout comme Elizabeth l'imaginait. « Non. » avait-elle soufflé alors qu'il proposait, en quelque sorte, de prendre la place de Gideon. « Tu crois que je supporterai davantage de te perdre toi ? » Elle s'approchait de lui pour lui attraper les mains. « Tu n'as toujours pas compris à quel point je t'aime ? » S'imaginait-il qu'elle lui préférerait Gideon, qu'elle le sacrifierait lui pour le sauver ? « Je ne perdrai aucun de vous. » Dit-elle résolument en plantant son regard dans le sien. « Narcisse tuera un innocent, simplement pour me punir. Crois-tu vraiment qu'il mérite de vivre ? Crois-tu qu'il serait plus juste de te laisser mourir ou de laisser mourir Gideon à sa place ? » Ils ne voyaient pas les choses de la même façon. Alexander voulait éviter de sacrifier des vies quand, pour Elizabeth, il s'agissait de la seule solution à son problème. « Gideon le tuera. Ou je le tuerai moi-même s'il le faut. » Affirma-t-elle en baissant les yeux pour ne pas voir les réactions dans le regard d'Alexander. Elle avait promis qu'elle vengerait la mort de Gideon, s'il fallait qu'elle le fasse de ses propres mains, elle le ferait. « Il est chancelier de France, si je m'attaque directement à lui, j'entrerai en guerre avec la France et c'est impossible. » Et ce n'était certainement pas le moment pour ça. « Il veut la peau de Knox autant que moi, c'est à cause de lui que Lola est morte. C'est à cause de lui que ces hommes se retrouvent condamnés ce soir. C'est lui qui a fomenté ce complot contre moi, il y a peu. » Lui qui lui ferait vivre un enfer et qui ferait vivre un enfer à Mary parce qu'il les méprisait. « Il peut le tuer pour moi. » Réfléchissait-elle à voix haute, sans plus faire attention à ce qu'elle disait devant Alexander. Si Narcisse s'occupait de Knox, Elizabeth avait un problème en moins et une solution à son second problème. « Et j'aurai une raison pour le tuer sans risquer la guerre. » Elle osait enfin relever les yeux vers Alexander. « Je... Oublie ce que je t'ai demandé, je ne veux pas que tu te mettes en danger. » Elle pouvait se débrouiller seule, avec l'aide de Gideon, elle lui faisait suffisamment confiance pour ça. « Dis-moi simplement que tu comprends ce que je suis en train de faire, que tu ne me détestes pas. » Elle ne cherchait pas son approbation, simplement à être rassurée, à s'assurer qu'il ne la détestait pas.

Parce qu'il lui assurait qu'il la choisirait toujours et parce qu'il acceptait de lui laisser le choix de ses actions, elle doutait. Lorsqu'il s'évertuait à lui faire comprendre qu'elle était en train de faire le mauvais choix, elle était persuadée de faire le bon et elle était déterminée à lui faire entendre raison. Maintenant qu'il lui montrait à quel point il l'aimait et la forme de confiance qu'il lui accordait, elle ne voulait pas le décevoir en prenant de mauvaises décisions. C'était étrange comme il avait le don de la rendre meilleure - ou plus réfléchie, peut-être, parce que meilleure n'était pas le terme quand, malgré ses doutes, elle s'apprêtait toujours à faire exécuter ces hommes pour sa sécurité - et de la faire réfléchir. Elle ne répondait rien. Elle ne pouvait pas lui dire qu'il réussissait à la faire douter, mais que ses peurs étaient plus fortes que tout le reste, ni lui dire qu'elle tuerait ces hommes après ce qu'il venait de lui dire parce qu'elle aurait l'impression de salir cette confiance. Il le comprenait déjà, après tout, alors pourquoi reformuler ces mots à voix haute ?

Pour Elizabeth, cette question était réglée et une autre devait l'être plus vite encore. Si elle était ici, elle avait une chance de sauver Gideon d'une mort certaine. Mais certainement pas au détriment d'Alexander. Comment pourrait-elle accepter de perdre l'homme qu'elle aimait pour celui qu'elle avait aimé ? Si elle avait eu beaucoup de mal à se remettre de la perte de Gideon, elle ne se relèverait pas de celle d'Alexander, elle en était persuadée. L'amour qu'elle avait pour lui était différent, plus puissant, d'une certaine façon et il lui était vital. « Je ne te demanderai pas de le faire. » Autrefois, c'était une chose qu'elle n'aurait sans doute pas accepté, qu'on lui dise non. Aujourd'hui, elle vivait quelque chose de différent avec Alexander. Elle n'était pas sa reine et il n'avait pas d'ordres à recevoir d'elle. Et, surtout, elle ne pouvait pas l'obliger à tuer pour elle et risquer de détruire ce qui existait entre eux. Elizabeth avait bien des défauts, mais elle voulait protéger Alexander plus que tout autre chose - et le protéger d'elle était une tâche difficile. Alors, elle ne lui demandait rien, elle revenait sur ses paroles. Elle n'avait besoin que d'une chose : entendre qu'il la comprenait et qu'il ne la haïssait pas. Peut-être qu'il pouvait lui offrir au moins ça pour la soulager ?

Et elle l'était, soulagée, lorsqu'il lui affirma ne pas la détester et la comprendre. En échange, il lui demandait de le comprendre. De comprendre que la situation était compliquée pour lui parce qu'elle lui échappait en partie. Il lui disait comme il voulait la protéger et qu'il était prêt à obéir si elle pouvait le convaincre qu'il n'y avait pas de meilleures solutions. Elizabeth se forçait à ne pas se laisser convaincre de le persuader. Il jouait un jeu dangereux. Elizabeth se connaissait et elle craignait de lui faire du mal ou d'en exiger trop de lui. Il devait rester entièrement libre et il ne l'était pas lorsqu'elle exigeait de lui qu'il l'aide alors qu'il ne connaissait pas tout de cette histoire. Il n'avait pas toutes les cartes en main pour prendre les bonnes décisions. Alors oui, il avait raison, d'une certaine façon, il lui était plus facile de prendre de la distance sur ces événements, mais ces derniers étaient bien trop complexes pour prendre une décision de cette façon. Il regretterait. Et elle refusait qu'il ne finisse par lui en vouloir.

« Je suis désolée que tu te retrouves confronté à toutes ces histoires. J'aurais aimé que cela n'arrive jamais. Tu n'aurais jamais dû être là. » souffla-t-elle en déposant l'une de ses mains sur sa joue. Elle voyait le désarroi dans son regard, elle l'entendait et il n'y avait rien qu'elle détestait plus que ça. « Tu n'as rien à faire. Ce ne sont pas tes problèmes. Mon passé n'a pas à... Tu n'as pas à faire quelque chose que tu n'as pas envie de faire. » Et ça lui coûtait de dire ça, elle qui aimait voir une dévotion totale de la part de celui qu'elle aimait - comme elle qui était prête à tout pour celui qu'elle aimait - mais Elizabeth se sentait responsable de la situation et elle n'arrivait pas à exiger de lui quoi que ce soit lorsqu'elle le voyait ainsi perdu. « Il m'aidera à tout régler. » Gideon, bien sûr. Lui était habitué à recevoir des ordres et à obéir sans trop chercher à les remettre en question.

Contrairement à ce qu'il disait, elle avait davantage sa place en ce monde que lui. Elle était chez elle, ici. Revivre le moment qui avait marqué un tournant dans sa vie était sa punition. Une punition qu'Alexander n'avait pas à subir. Elle méritait d'être ici et de se souvenir de tout ce qu'elle avait fait et de tout ce qu'elle allait faire, de voir tout ce qu'elle avait perdu. Elle avait été inconsciente, elle s'était imaginée pouvoir avoir une seconde chance, elle avait laissé Alexander entrer dans sa vie alors qu'il y était en danger. Ce retour en arrière lui rappelait cette triste réalité. Elle avait perdu tous ceux qu'elle avait aimés et elle n'apprenait pas de ses erreurs. Elle recommençait, encore et encore, à mettre d'autres personnes en danger, égoïstement, parce qu'elle ne voulait pas être seule. « Tu n'as pas à l'être. » Souffla-t-elle. Non seulement, il n'y était pour rien, mais en plus de tout, il était celui qui subissait par sa faute. Elle revivait ce qu'elle avait déjà vécu, elle subissait les choix qu'elle avait faits. C'était de sa faute, à elle. Si elle n'avait pas été cette femme, sans doute, cette ville n'aurait pas eu ce genre d'instants où la renvoyer. « Pourquoi tu ne me l'as jamais dit ? » Elizabeth était mal placée pour le juger puisqu'elle avait connu la même chose, avec Mary, alors qu'elle voyait déjà Alexander - mais avant qu'ils ne soient ensemble, ce qui expliquait, pour sa part, son silence. « Rien ne peut nous assurer que cette fois encore, nous rentrerons. » Et c'était terriblement effrayant d'imaginer qu'ils pourraient finir leur vie ici, parce qu'ici, ils n'auraient pas d'avenir - et en même temps, elle aurait aimé rester suffisamment de temps pour espérer voir Gideon survivre à ce qui arrivera dans des mois. Néanmoins, il fallait être réaliste, cette ville - ou la chose qui la dirigeait - avait des pouvoirs incroyables et comment pouvaient-ils être sûrs qu'elle n'était pas capable de les renvoyer d'où ils venaient de manière définitive, afin de s'amuser davantage avec eux ?

« J'espère que tu n'auras plus jamais l'occasion de le découvrir de cette façon. » Souffla-t-elle, sérieuse, alors qu'il lui assurait qu'il ne regrettait pas sa présence ici. Elizabeth avait commis tant d'autres atrocités... Peut-être qu'Alexander était capable de lui pardonner l'exécution de cinquante hommes qui avaient comploté contre elle, mais elle n'était pas certaine qu'il puisse en voir beaucoup plus et lui pardonner, à chaque fois, avec tant de facilité - et il y avait fort à parier que cette chose qui s'amusait de leur vie n'attendait que ça, les détruire pour s'en divertir, comme elle détruisait chaque vie dans ce grand terrain de jeu qu'était cette ville. Alors, à choisir, Elizabeth préférait se confier en détails que de revivre chacun des pires moments de sa vie. Les mots étaient sans doute plus facilement acceptables et pardonnables.

Elizabeth aimait voir tant de conviction et de détermination chez Alexander, oui, mais pas lorsqu'il s'agissait de ce genre de choses. Ses problèmes n'étaient pas les siens, pas ces problèmes-là, en tout cas. Non, il était préférable pour Alexander d'en rester aussi éloigné que possible s'il ne voulait pas devenir ce qu'il ne voulait pas être. Et elle ne l'y obligerait pas. Elizabeth refusait qu'il puisse faire quelque chose qu'il n'avait pas envie de faire, qu'il puisse ne pas se reconnaître dans ses actions. Il n'était pas question qu'il se mette en danger. Et elle refusait de prendre le risque qu'il finisse par lui reprocher ce qu'il aurait pu faire pour elle - à cause d'elle. « Je te fais courir suffisamment de risques en te gardant près de moi parce que je suis incapable de prendre les bonnes décisions. C'est déjà bien assez de raisons pour toi de m'en vouloir un jour. Je ne veux pas, en plus, que tu te trahisses... Tu finiras par me le reprocher, par m'en vouloir, si tu agis pour moi et pas parce que tu penses que c'est la bonne chose à faire. » Alors oui, Elizabeth était exigeante et elle attendait la dévotion la plus totale de l'homme qu'elle aimait, mais elle n'arrivait pas à s'y résoudre cette fois. La peur qu'il ne finisse par la détester ou juger qu'elle était responsable de son malheur l'en empêchait.

A la question d'Alexander, Elizabeth avait baissé les yeux. Elle pouvait signifier tellement de choses. « Je suis sa reine et il doit obéir, même si mes ordres le mettent en danger. » Répondit-elle après une certaine hésitation, ne sachant ce qu'il craignait d'entendre ou ce qu'il cherchait, justement, à entendre. Alors, autant ne lui montrer les choses que de cette façon - inutile de parler des raisons du coeur, qui n'existaient certainement pas encore pour Gideon, de toute façon - : Gideon n'avait pas d'autres choix qu'obéir aux ordres, qu'importe les risques qu'il prenait. Il faisait partie des sujets les plus loyaux, alors il était prêt à risquer beaucoup pour sauver la couronne ou Elizabeth. « Il ne lui arrivera rien. Je le protégerai. » Parce qu'elle le refusait, parce qu'elle faisait tout ça pour le protéger alors elle refusait que cela ne fonctionne pas. « Il est prudent et je lui fais confiance. » Ajoutait-elle pour se rassurer davantage elle-même. « Je n'attends pas de toi que tu sois prêt aux mêmes sacrifices. Les choses sont différentes. » Souffla-t-elle, presque dans un murmure, sans le regarder, si jamais le véritable problème résidait plutôt là.

« Que s'est-il passé ? » Souffla-t-elle doucement. Qu'il ne lui en ait pas parlé avant n'avait pas grande importance - parce qu'elle serait de mauvaise foi, elle taisait la même chose, après tout. S'il n'en avait pas ressenti le besoin ou s'il ne s'était pas senti prêt, elle ne pouvait pas lui en vouloir. Ce qui lui importait réellement à cet instant, c'était ce qu'Alexander avait été contraint de revivre, parce qu'il était évident qu'il avait été bousculé et bouleversé par cet événement. Sinon pourquoi lui aurait-il caché ? Ou pourquoi voudrait-il que ce ne soit qu'un rêve ? Ou pourquoi semblerait-il si affecté ? « Je veux être là pour toi, tu peux me parler. » Elle ne l'y obligeait pas, il n'était pas obligé de tout lui raconter dans l'instant, mais elle voulait qu'il se sente suffisamment en confiance avec elle pour tout lui confier - et peut-être ne s'était-elle pas suffisamment intéressée à lui pour cela ? Alors, elle tenait à lui répéter, à lui rappeler qu'elle était là pour lui, pour l'épauler et l'aider à affronter les difficultés, comme lui était là pour elle.

Aujourd'hui, Alexander se retrouvait confronté au souvenir d'Elizabeth. Evidemment, il ne se retrouvait pas un jour où elle avait su faire preuve de clémence, un jour où elle aurait pu lui prouver que la monarchie était plus que ce qu'il imaginait ou un jour où elle avait su vivre autrement que dans la peur. Au moins, elle s'évitait la situation gênante de se retrouver à une période où elle était avec quelqu'un - s'il fallait tenter de trouver les bons côtés d'une situation aussi catastrophique. Néanmoins, elle s'estimait chanceuse. A l'instant où elle avait compris ce qui était en train de lui arriver, elle s'était imaginée la réaction d'Alexander et elle s'était aussitôt persuadée qu'il la haïrait autant qu'il haïssait ce qu'elle représentait en tant que reine. Il avait réagi, évidemment, mais il ne semblait pas lui en vouloir - ou il cachait très bien son jeu. Comment pouvait-il si facilement accepter ce qu'elle avait fait quand elle se détestait tant d'être cette femme ? Une femme qu'elle détestait être autant qu'elle l'aimait - parce qu'elle aimait ce pouvoir et les sensations qu'il lui permettait de ressentir, inutile de le nier. Une femme qui assumait, malgré tout, presque tous ses choix. Une femme qui les assumait au point de savoir, avec certitude, qu'elle recommencerait tout, exactement de la même façon, sans la moindre hésitation, s'il le fallait. Elle savait le monstre qu'elle pouvait être, elle savait les décisions terribles qu'elle était capable de prendre et elle détestait ce que cela pouvait représenter. Tout était complexe pour elle, même ce qu'elle pensait d'elle-même. Plus encore lorsqu'Alexander devait la voir ainsi - et plus encore, même, lorsqu'elle s'imaginait ce qu'il devait penser d'elle.

Il n'en avait pas conscience - parce qu'il préférait rester sourd aux mises en garde - mais Elizabeth n'était pas de celles qui prenaient les bonnes décisions. Il ne l'avait jamais vue comme elle était. Sa présence ici, les événements qu'ils vivaient, en était une preuve évidente. Qu'elle l'accepte dans sa vie, malgré tous les risques qu'il courait en était une autre. Pour son bien, si elle avait été quelqu'un de bien, elle aurait dû l'éconduire dès les premiers instants. Pour le protéger. Pour ne pas le mêler à une histoire qui le dépassait parce qu'il n'avait rien à y faire. Elizabeth avait été égoïste. Elizabeth était bien trop souvent égoïste lorsqu'il s'agissait d'amour et de sentiments. Elle était faible. Trop. Son besoin d'aimer et d'être aimée avaient été plus forts que sa raison. Alexander avait été plus fort que sa raison. Il avait su lui faire redécouvrir ce qu'elle pensait disparu à jamais et elle n'avait pas su lui résister parce que leurs sentiments étaient réciproques. Elle lui faisait prendre tellement de risques qu'elle ne pouvait pas le laisser se mêler de cette histoire. Il finirait par la détester. Elizabeth pouvait supporter bien des choses, mais pas de lire le dégoût ou la haine dans ses yeux lorsqu'il la regardait. Alors, elle s'en protégeait tant qu'elle le pouvait. Sauf qu'il ne l'écoutait pas et qu'il ne prenait pas ses mises en garde au sérieux - il n'en avait pas l'air en tout cas. « Pour moi, oui. Pas pour toi. » Rétorqua-t-elle avec sérieux lorsqu'il évoquait la décision d'Elizabeth d'accepter de lui ouvrir son coeur en lui faisant une place à ses côtés. Ce choix n'avait été bon que pour elle.

Il avouait, au moins, ne pas avoir toutes les cartes en main, mais il n'était pas capable de rester complètement en retrait. Non, il ne pouvait s'empêcher de la pousser à se questionner sur ses décisions et sur l'impact qu'elles avaient pu avoir par le passé. « La première fois, Gideon m'a raconté ce qui s'était passé. J'ai ordonné l'exécution de ces hommes immédiatement et il les a tués. » Décrivit-elle après un instant de réflexion. « J'ai tué ces hommes, mais je n'ai jamais pu avoir leur leader, Knox. » Et c'était pourtant bel et bien lui qui était visé à l'origine. « Il sait que j'ai fait ça parce que j'avais peur et il prend plaisir à voir ce qu'il peut créer chez moi. » Et parce qu'il était persuadé que par définition son sexe la rendait faible.

Lui avait poursuivi ses attaques contre elle, bien sûr, mais, du côté des nobles, il n'y avait eu aucune révolte après l'exécution de ces hommes. Son message était passé. Elle n'avait pas été plus en sécurité, parce qu'elle était en danger à chaque instant, mais elle avait éliminé cinquante potentielles menaces qui auraient pu la tuer à tout instant. « Je me suis sentie en sécurité lorsque j'ai su que ces hommes étaient morts et qu'ils ne pourraient plus rien me faire. » Autant être franche, leur mort ne l'avait pas affectée et elle n'avait pas éprouvé le moindre remord. « Mais j'ai regretté d'avoir laissé partir Knox. Je n'avais rien contre lui, pas la moindre preuve de son implication, alors je n'avais pas le choix. » Et, contrairement à ce que certains pensaient - comme Alexander - elle ne pouvait pas tuer quelqu'un parce qu'elle en avait envie, surtout lorsque ce quelqu'un était aussi influent. « C'est lui qui a organisé la tentative d'assassinat, c'est lui qui a piégé Lola, c'est à cause de lui que j'ai dû prendre l'une des décisions que j'ai le plus regrettée dans ma vie. » Racontait-elle, en laissant le souvenir de sa colère parler pour elle.

A cause de lui, elle avait exécuté Lola, qui avait été trahie et manipulée, comme elle. S'ils étaient revenus quelques semaines auparavant, Elizabeth aurait pu éviter cette mise à mort, elle aurait pu sauver celle qu'elle considérait comme son amie. Evidemment, on ne lui avait pas offert cette chance, on lui avait simplement offert la possibilité de contempler ce que ses erreurs avaient eu comme conséquence. « Je ne regrette pas d'avoir ordonné l'exécution de ces hommes, mais je regrette de ne pas avoir fait tuer Knox et Narcisse. Le premier a fait de ma vie un enfer, il a tenté d'organiser mon assassinat à plusieurs reprises, le second m'a privée de l'homme que j'aimais. Il l'a empoisonné. Il est mort dans mes bras parce que je n'ai pas su prendre les bonnes décisions. » Lui répétait-elle. Ils en revenaient toujours au même point : Elizabeth qui, par ses mauvaises décisions, mettait les gens qu'elle aimait, en danger. « Je serai satisfaite lorsqu'ils seront morts et qu'ils ne représenteront plus le moindre danger pour moi ou les gens que j'aime. » Ce n'était peut-être pas ce qu'il voulait entendre, mais elle refusait de prétendre le contraire. Elle voulait leur mort et ses seuls regrets étaient là : elle avait été trop faible la première fois pour faire ce qu'il fallait faire.

Elizabeth avait suffisamment confiance en Alexander pour le croire, lorsqu’il lui affirmait qu’il n’avait pas cherché à lui cacher quoi que ce soit. Ce secret s’était imposé de lui-même, elle pouvait le comprendre. Elle n’était pas en colère contre lui, elle ne lui en voulait pas, parce qu’elle jugeait qu’il avait peut-être eu besoin de temps pour digérer ce qu’il avait vécu ou pour se sentir prêt à en parler. Elle craignait simplement que ce silence ne soit dû à tout autre chose : un manque de confiance en elle, une impression de ne pas pouvoir lui parler… Elizabeth avait de nombreux défauts, mais elle refusait de l’oublier pour ne se concentrer que sur elle-même. Elle voulait être là pour lui, pour l’aider, pour l’écouter, comme au début, et elle voulait le lui rappeler. « Je sais, je ne t’en veux pas. » Précisa-t-elle, un sourire tendre aux lèvres, lorsqu’il lui assura qu’il ne voulait rien lui cacher, jamais. Il n’y avait aucun reproche, simplement la peur qu’il ne se sente pas suffisamment bien auprès d’elle pour lui confier ses secrets les plus douloureux ou perturbants.  

Alors, Alexander lui faisait part de cet événement de son passé qu’il avait été contraint de revivre. Elle n’avait qu’à entendre le son de sa voix, remarquer les tremblements ou voir l’air qu’il prenait pour comprendre que ce souvenir n’avait rien d’heureux. Et il lui suffisait d’écouter la fin de sa phrase pour le confirmer. Elizabeth se sentait terriblement mal à l’idée de ce qu’il avait été contraint de vivre. Elle n’aimait pas le voir souffrir. Elle aurait aimé pouvoir l’éloigner de toute douleur ou toute peine, elle aurait aimé pouvoir le préserver du mal, mais elle n’avait aucun pouvoir sur la ville et ses actions ou sur les événements de la vie d’Alexander. « Alexander… je… » Les mots lui manquaient. Que pouvait-elle bien dire à cela ? Il avait dû vivre la pire épreuve qui puisse exister sur cette Terre, très certainement. La perte d’un enfant était une épreuve terrible, insurmontable, certainement, mais lorsque l’on était forcé à l’affronter une nouvelle fois… Elle imaginait ce qu’il pouvait ressentir et elle aurait aimé pouvoir effacer chacun des douloureux sentiments, mais elle se sentait soudainement incapable de quoi que ce soit. « Je suis tellement désolée… » Mais ça, c’était une évidence et c’était aussi la seule chose qu’elle avait été capable de dire ou de faire. Elizabeth aurait aimé le prendre dans ses bras, mais elle en était tout aussi incapable. La seule chose qu’elle était capable de faire, c’était se sentir inutile dans une situation comme celle-ci. « Je me moque de ce qui est en train de se passer ici, c’est toi qui m’importes. » Et elle était sincère. S’il fallait délaisser tout ce qui était en train de se passer pour l’écouter, elle le ferait. Elle se rendait compte d’à quel point ces événements étaient son passé alors qu’Alexander était son présent et son futur. Néanmoins, ce n’était pas parce qu’elle jugeait soudainement que ces événements n’avaient pas d’importance que le monde arrêterait de tourner pour l’attendre. Quelque part, ils n’avaient pas le choix, elle devait faire quelque chose parce qu’on attendait d’elle qu’elle fasse quelque chose.

Alors elle tentait de se rencontrer sur les événements actuels, malgré la difficulté désormais, et elle lui racontait ce qu’il voulait savoir. Elle donnait davantage de détails sur la situation et sur ce qu’elle regrettait ou non. Elizabeth n’était pas fière de tout, mais elle assumait la majorité de ses actions. Elle ne craignait qu’une chose désormais, le regard et le jugement d’Alexander. Pourtant, il faisait des efforts pour tenter de se mettre à sa place et de la comprendre, sans trop la juger - ou sans trop le montrer, elle l’ignorait. Elle ne dissimulait rien de sa haine ou du fait qu’elle ne regrettait rien. Peut-être que ces hommes auraient mérité un procès, mais cela n’aurait sans doute rien changé. Les véritables regrets d’Elizabeth se trouvaient dans ce qu’elle n’avait pas fait. Elle n’avait pas eu l’occasion de tuer Knox puisqu’elle n’avait jamais rien eu contre lui. Et elle avait pardonné Narcisse, elle ne s’était pas montrée suffisamment méfiante et Gideon en avait payé le prix fort. Deux erreurs qu’Elizabeth ne comptait pas commettre une nouvelle fois. Aux conclusions d’Alexander, Elizabeth s’était contentée de hocher la tête. Il réfléchissait à la situation et elle se taisait, attendant patiemment ce qu’il avait à lui dire.

Après un certain temps, il lui assura donc qu’il ne l’en empêcherait pas. Elizabeth en ressentait un certain soulagement, évidemment, mais supporterait-il vraiment de la voir faire ce qu’elle devait faire pour régler ses problèmes ? Il garderait en tête, à jamais, ce qu’elle avait fait et plus seulement comme une histoire qu’elle lui avait raconté, mais bel et bien comme un événement auquel il aurait assisté. « Merci. » Souffla-t-elle dans un murmure. De ne pas la juger. De la laisser agir comme elle l’entendait. D’être un soutien pour elle, même dans les pires moments. Ce n'étaient pas les raisons qui manquaient pour le remercier. « Je vais donner l’ordre d’exécution et nous nous occuperons du cas de Knox et de Narcisse au retour de Gideon. Si tu préfères ne pas être présent, je le comprendrai. » Elle préférait lui dire les choses avec transparence et expliquer comment elle comptait procéder, mais il n’avait pas à être là. Après tout, il lui avait assuré qu’il ne l’en empêcherait pas, pas qu’il l’aiderait ou serait à ses côtés. « Il faut agir avec prudence si je veux éviter une guerre. Si nous restons coincés ici et que ça se passe mal, ce sera… » Elle ne pouvait terminer, imaginant la situation terrible dans laquelle elle les plongerait. Il fallait éviter à tout prix la guerre. Ou plusieurs guerres.

Et si elle changeait l’avenir qu’elle avait connu, que se passerait-il ?  « Que se passera-t-il si mon futur, ici, change ? Si je déclenche une guerre ? Si je réussis à éliminer Knox et Narcisse ? » Il n’en savait très certainement rien, mais cette idée l’inquiétait soudainement. Serait-elle impactée ? Sa vie aurait été bien différente si Knox n’avait pas passé la sienne à l’attaquer, si Gideon n’était pas mort, s’il y avait eu la guerre avec la France ou avec les protestants anglais et écossais. C’était un risque à prendre, certainement, mais un risque qu’elle n’envisageait que maintenant et auquel elle n’avait pas réfléchi.

En d'autres circonstances, il aurait peut-être été plus facile pour Elizabeth de balayer les événements qui se déroulaient devant ses yeux pour ne se préoccuper que d'Alexander et de ce qu'il avait dû traverser. Aujourd'hui, malgré ce qu'elle aurait aimé faire, elle ne pouvait pas ignorer ce qui était en train de se passer. Oui, elle désirait plus que tout le faire passer avant tout autre chose parce qu'il lui importait plus que n'importe qui ou n'importe quoi, mais même si elle le voulait, les événements extérieurs les rattraperaient toujours trop vite pour qu'ils puissent se le permettre. Et même si Elizabeth avait voulu se détourner de cette réalité pour ne se préoccuper que d'Alexander, ce dernier refusait catégoriquement. Ils en reparleraient plus tard, il fallait parer au plus pressé. Actuellement, le plus pressé, c'était ce moment du passé d'Elizabeth dans lequel ils étaient plongés et pour lequel il voulait lui apporter son aide.

Il acceptait les choses. Il acceptait de la laisser agir sans tenter d'empêcher quoi que ce soit. Il serait là, comme un soutien. Alors, s'il était prêt à accepter tout ça, Elizabeth n'avait pas de temps à perdre. La première chose à faire était de refaire exactement la même chose que la première fois : ordonner à Gideon de tuer ceux qui avaient comploté contre elle. Ensuite, elle changerait l'histoire. Son histoire. Ensuite, elle détruirait ceux qui l'avaient détruite. Ils s'en étaient sortis une première fois, Elizabeth voulait s'assurer que cela n'arriverait plus. Et, malgré tout ce qu'il avait pu lui dire, elle lui assurait qu'elle comprendrait s'il ne souhaitait pas être à ses côtés. Elizabeth exigeait toujours beaucoup des gens qu'elle aimait, mais elle ne se sentait pas capable d'exiger davantage que du soutien de la part d'Alexander. Qu'il soit de son côté et qu'il accepte ce qu'elle devait faire étaient déjà bien plus que tout ce qu'elle avait espéré. Mais c'est justement parce qu'il souhaitait rester à ses côtés, malgré tous les risques que cela comportait et malgré tous les sacrifices que cela devait lui demander d'assister à ce genre de choses, qu'elle l'aimait davantage. Il ne l'abandonnait pas. Jamais. N'y avait-il pas de meilleure preuve de son amour pour elle ?

Tout était clair dans l'esprit d'Elizabeth. Tuer les traites, attendre le retour de Gideon et s'occuper, avec lui, de Knox et Narcisse. Il fallait agir prudemment et ne pas prendre de décisions à la hâte. La mort de Knox provoquerait la colère de ses partisans, tant Anglais qu'Ecossais. La mort de Narcisse provoquerait la colère de la France. Elizabeth ne pouvait se contenter de les tuer ou les faire tuer. Elle ne devait pas être reliée de près ou de loin à leur mort. Tout devait paraître être un accident, une vengeance, un assassinat prémédité par leurs ennemis... Qu'importe du moment où elle ne pouvait pas être reliée à leur mort.

Comme toujours, les mots d'Alexander étaient rassurants. Réconfortants. Quoi que le futur puisse leur réserver, il promettait d'être là, à ses côtés, de la protéger et de se battre. A ces mots, elle ne pouvait s'empêcher de poser un regard empli de douceur sur lui, accompagné d'un sourire qui dévoilait toute la tendresse, l'amour et la confiance qu'elle avait pour lui quand elle le sentait prêt à tout, ou presque, pour elle. « Mes armées sont occupées avec les frontières écossaises, jamais nous ne pourrions mener une guerre. L'Angleterre n'est pas assez forte. » Elle tentait de rester pragmatique et de ne pas se laisser bercer par des illusions. La France aurait le soutien d'autres grandes puissances européennes. Les protestants trouveraient des soutiens partout en Europe. Jamais l'Angleterre ne pourrait mener de front plusieurs guerres. Cesser de protéger les frontières écossaises pour protéger les frontières françaises, c'était s'assurer une attaque de Mary. Quant aux partisans de Knox, la menace viendrait de l'intérieur même du royaume. « Tu ne pourras pas me protéger. » Même s'il le voulait, il devait réfléchir avant de se lancer pleinement dans ce qui allait suivre. Se tromper, c'était la mort presque assurée pour l'un comme pour l'autre. C'était un jeu auquel il ne faisait pas bon de perdre. « Et peu importe ce que tu as combattu ou affronté par le passé, je t'interdis de te mettre en danger pour une cause désespérée. » Lui ordonnait-elle avec douceur. Qu'il l'aide jusqu'aux limites du raisonnable était une chose, mais si les choses se passaient mal, elle refusait qu'il soit associé à elle et qu'il se batte pour elle. « Si nous devions rester ici et que les choses tournaient mal, je veux que tu me promettes de rester en vie. » Ici, personne ne connaissait le lien qui les unissait, tous les deux, alors ils pourraient facilement se détacher d'elle et de ses décisions, en laissant les choses se dérouler, sans intervenir. Parce qu'elle avait beau aimé plus que tout l'entendre lui promettre qu'il serait là, qu'il était de son côté et qu'il était prêt à faire des sacrifices pour elle, elle ne pouvait pas accepter l'idée qu'il puisse y laisser la vie.

« Réponds-moi franchement... » avait-elle fini par souffler, en plantant son regard dans le sien, cherchant à apaiser toutes ses craintes avant que les choses ne commencent vraiment. « Tu penses que je ne devrais pas essayer de changer les choses ? » Il était persuadé qu'il ne fallait pas changer le passé et il venait de dire, face aux craintes de la jeune femme de voir son avenir être modifié, que les choses arrivaient pour une bonne raison. Alors pensait-il qu'Elizabeth devait accepter les événements, sans chercher à leur faire prendre une tournure plus favorable pour elle ? Devait-elle accepter la mort de Gideon, comme quelque chose de nécessaire ? Devait-elle accepter que la mort de Lola ne soit jamais vengée ?

Alexander et Elizabeth avaient tendance à se voiler la face et à estimer que rien ne pouvait les arrêter. L'un avec l'autre, ils espéraient pouvoir affronter tous les dangers, surmonter tous les obstacles. Pourtant, il y avait des situations où ils ne maîtrisaient absolument rien et celle-ci en faisait partie. Ils se retrouvaient dans le passé d'Elizabeth, sans rien connaître des règles du jeu. Prenaient-ils de véritables risques à essayer de changer les choses ? Leur était-il seulement possible de changer quelque chose ? Rentreraient-ils chez eux ? Elizabeth n'aimait pas ne pas maîtriser une situation - et pourtant, elle devait avouer que ça lui arrivait bien trop souvent - et elle n'aimait pas se montrer aussi hésitante. Elle était impitoyable. Déterminée. Sûre d'elle. Forte. Ou elle avait été cette femme, autrefois. Ou elle avait essayé de l'être, peut-être. Aujourd'hui, tout semblait plus compliqué - principalement à cause de la présence d'Alexander.

Ce monde, ce passé qui se déroulait devant leurs yeux, ce n'était pas un hasard. Elizabeth en était persuadée. Il fallait simplement déterminer si l'on attendait d'eux qu'ils soient capables de regarder sans agir, capables de surmonter l'épreuve qu'on leur imposait, ou si on leur donnait une chance de changer les choses. Comment savoir ? C'était impossible. Ils devaient prendre la décision, sans rien connaître des conséquences possibles ou des possibilités qui s'offraient réellement à eux. Néanmoins, il y avait une évidence aux yeux de la jeune femme : Alexander ne devait pas se mettre inutilement en danger, si les choses devaient dégénérer. Naturellement, Elizabeth cherchait le soutien, l'appui, d'Alexander. Elle le mettait en danger dans leur vie quotidienne par sa seule présence à ses côtés et elle exigeait de lui des armes pour lutter contre Mary. Pourtant, et malgré tous les risques qu'elle lui faisait déjà courir, elle ne voulait pas qu'il se mette en danger ici, si la cause était désespérée parce qu'il n'y aurait alors aucun intérêt à le faire. Si la guerre se déclarait de tout côté, Elizabeth ne gagnerait pas et elle interdisait à Alexander de se battre, de se mettre en danger, de mourir pour quelque chose d'inéluctable. « Les armées des royaumes en guerre contre le mien le pourront, je peux te l'assurer. » C'était un triste constat, mais c'était la réalité. Contre des nations entières dressées contre elles, contre son propre peuple, contre ses conseillers, malgré toute la bonne volonté du monde et malgré tout l'amour qu'il pouvait lui porter, il ne pourrait rien faire pour la protéger - et tout ça lui prouvera à quel point toute la situation était désespérée. Pour s'assurer qu'il ne ferait rien de stupide, elle exigeait une promesse de sa part. Elle exigeait qu'il lui promette de ne pas mourir. Il refusait de lui accorder. Ou plutôt, il ne lui offrait rien de plus qu'un silence qui voulait tout dire. Elizabeth n'insistait pas. Elle aurait aimé, mais elle le connaissait. Il était bien trop têtu pour lui accorder cette promesse et elle n'avait aucune envie de se battre contre lui dans un moment comme celui-ci. Alors pour assurer sa survie, elle devrait se montrer particulièrement vigilante puisqu'aucune autre solution ne s'offrait à elle.

Elle passait à autre chose. Une question qui venait de lui apparaître, qui venait de faire naître en elle plus de doutes qu'elle n'en avait déjà. Modifier le futur - autrement dit, son passé - pouvait changer les choses. Alexander lui avait soufflé que ces choses arrivaient toujours pour de bonnes raisons et, malgré sa promesse de la laisser agir comme elle l'entendait et de la soutenir, elle ne pouvait s'empêcher de se questionner : pensait-il qu'elle devait regarder cette vie se dérouler, sans intervenir, sans y changer quoi que ce soit ? S'il avait raison ? S'ils faisaient pire que mieux en essayant de se protéger et de changer un futur déjà inscrit quelque part ? « Je ne sais pas quoi faire, Alexander. » C'était un aveu difficile pour elle qui tentait de ne rien laisser paraître de ses doutes lorsqu'il était question de prendre de telles décisions - mais avec lui, elle savait qu'elle pouvait le faire parce qu'il n'en profiterait pas. Jusqu'à présent, elle s'était montrée plutôt sûre de ses démarches - en réalité, si elle avait été aussi sûre d'elle, elle aurait déjà donné les ordres, sans laisser l'occasion à Alexander de s'exprimer - face à ce qu'ils étaient en train de vivre, face à Alexander, mais cette fois-ci, elle ne cachait plus rien de sa détresse ou de ses doutes parce qu'elle avait véritablement besoin d'aide pour décider de ce qu'il fallait faire ou non.

Laisser vivre ces deux hommes, c'était prendre le risque de mener des combats difficiles, de supporter des attaques fréquentes et violentes, de ne pas venger la mort de Lola ou de savoir qu'elle condamnait Gideon pour la seconde fois - ou peut-être pas, s'ils étaient condamnés à rester ici, le futur serait différent et peut-être que les choses se modifieraient donc d'elles-mêmes ? Etait-ce un risque qu'elle avait envie de courir ? Changer les choses, c'était prendre le risque de perdre plus encore. De plonger son royaume dans des guerres dont il ne se relèverait pas intact. De perdre Gideon, une fois encore, mais peut-être de perdre Alexander, également. Fallait-il préférer ce risque ? « Je ne peux pas le laisser mourir. Je ne veux pas. » Ni partir d'ici avec la certitude que l'histoire se répéterait, ni rester ici en le voyant mourir de nouveau. Elle ne s'était jamais pardonnée la première fois, jamais elle ne pourrait supporter la seconde. « Et je ne veux pas prendre le risque de te perdre. » Il y avait énormément de variables à prendre en compte. Leur avenir pouvait prendre tellement de chemins différents à cet instant. « J'ai peur de vous faire tuer tous les deux en essayant de le sauver. J'ai peur de ne pas être capable de supporter l'idée de n'avoir rien fait pour le sauver. J'ai peur de ne pas être capable de survivre à toutes les attaques. J'ai peur de déclencher une guerre dont on ne saura pas se relever. » Toute sa vie était dirigée par la peur. Toujours. Chacune de ses décisions était motivée par la peur. De mourir. De voir ceux qu'elle aimait mourir. De perdre ce en quoi elle tenait. D'être trahie. Comprenait-il mieux, désormais, ce qu'elle s'était évertuée à lui faire comprendre à propos du rôle et du pouvoir d'un roi ? Comprenait-il qu'elle n'était pas maîtresse de ses décisions parce que chacune d'elles pouvait avoir des conséquences terribles, non seulement pour elle, mais pour ceux qu'elle aimait ou pour un royaume tout entier ? Comprenait-il qu'elle n'était pas libre de faire tout ce qu'elle voulait, qu'elle ne pouvait pas penser qu'à elle et à ses envies, lorsqu'elle devait prendre une décision qui pouvait déclencher une guerre ? Comprenait-il les sacrifices qu'il fallait accepter de faire parfois à leur place ? « Dis-moi ce que je dois faire. Je ne peux pas choisir. » Elle n'aimait pas que l'on décide pour elle, mais elle avait besoin d'un avis, d'un conseil, d'aide. Elle avait besoin qu'il la guide. Pas sur le bon chemin, puisqu'ils ne pouvaient pas savoir lequel était le meilleur, mais sur celui qu'il jugeait être le meilleur, lui. Parce qu'elle avait confiance en lui, confiance en ses décisions. Parce qu'il avait été capable d'accepter toutes ses décisions ce soir - sans ça, s'il s'était montré fermement opposé à tout, sans doute n'aurait-elle pas tant douté, mais parce qu'il lui offrait son soutien absolu, elle ne voulait pas prendre de mauvaises décisions et elle se sentait capable d'écouter son point de vue puisqu'il ne cherchait pas à lui imposer quoi que ce soit - elle n'avait plus envie de lui imposer ce passé, elle voulait qu'il y prenne part parce qu'il y avait sa place. Ils devaient fonctionner ensemble, qu'importe l'époque ou l'épreuve.