Un être vivant, ça naît. Même sauvage, même sans aspect humain. Tu te souviens que très peu de ta naissance, de ton enfance. Après tout, tu n'étais qu'un bébé requin, découvrant l'univers vaste de l'océan qui s'offre à toi. Un horizon bleu, sombre et tellement grand. Ta mère, tu ne t'en souviens pas, l'enfance d'une créature comme toi passe vite, trop vite. Mais tu découvres comment nager, chasser, manger... Tu apprends à être le prédateur que tu es censé être. Oui, censé.

Et tu grandis. D'un bébé requin, tu deviens un "monstre". Un Grand requin blanc, un chasseur des mers. Ta mère maintenant loin, tu trouves toi-même une famille. Des camarades aux ailerons droits et fidèles, tu deviens un chef malgré toi. Pourquoi ? Parce que tu es plus grand que les autres, plus imposant, plus fort. Et dans le royaume animal, ça a la plus grande importance. Au court de tes voyages dans l'immensité océanographique, tu rencontreras des femelles avec qui le courant passait bien... Tu as certainement des enfants, des enfants que tu ne connais pas. Mais tu vis ta vie comme n'importe quel prédateur : loin du danger, au dessus de tout, une vie paisible finalement. Et tu grandis toujours plus, tu deviens sûrement l'un des plus imposant grand requin blanc qui arpente ces eaux. Tu es bien âgé pour un requin... Mais rien ne se met sur ta route. Sauf que la vieillesse, même chez les animaux, ça conduit parfois à la bêtise. Et c'est sans savoir toutes les conséquences futures que tu perds ta tribu, que tu t'éloignes trop des profondeurs. Que tu te perds. Jusqu'à te retrouver proche de la baie, proche de la plage... Et donc proche des humains.




Perdu, tu l'es. Coincé à nager si proche de la terre, tu cherches les tiens mais il faut avouer que tu n'as pas particulièrement le sens de l'orientation. Et pire que ça, tu es affamé. Aucune nourriture à l'horizon, rien... Jusqu'à ce que, de loin, tu entends et vois des mouvements dans l'eau. Serait-ce là enfin un espoir de te rassasier un peu ? De te donner de la force pour rentrer chez toi ? Sans réfléchir, laissant ton instinct primaire te diriger, tu fonces vers cette mouvance et sans hésiter, tu croquer. Ew. Pas le goût que tu imaginais, un goût qui te plonge à la fois dans une frénésie et un dégoût profond. La première fois que tu goûtes un être humain. Apparemment, c'est une jeune femme que tu as dévoré, ne laissant pas grand chose car poussé par la faim. Première victime, oui, mais pas la dernière.

Parce quelques jours plus tard, tu fais face de nouveau à de nombreux mouvements dans l'eau, si proche de toi. Tu ne devrais sûrement pas être là mais encore une fois, tu n'as pas le choix. Ou alors si ? Et tu en as envie ? Quelle complexité pour un simple poisson... Mais ton dévolu se jette cette fois sur un enfant. Un goût infect d'ailleurs, tu préfèrerais vraiment trouver tes mets habituels. Et la vue de tout ce sang, même pour un requin, n'est pas vraiment plaisant. Le pire dans tout ça, c'est que tu arrives à passer entre les mailles de leur filet mais c'est un de tes congénère qui va être sauvagement abattu à ta place. Plongé dans une culpabilité face à cette injustice, après tout, lui n'avait rien fait... Tout devient plus... Personnel. Et maintenant, tu n'es plus certain d'être seulement affamé.

Certains humains semblent persuadés d'avoir eu le bon requin. Mais il n'en est rien et tu comptes bien leur prouver. Une nouvelle victime, encore devant beaucoup de monde. Ils n'ont plus le choix, tu sais que la chasse est ouverte et tu comptes bien venger cet autre requin, mort pour aucune vraie raison. Cette fois, pas de quartier.



Une course poursuite folle. Trois humains contre toi, un grand requin blanc, bien plus grand et imposant que la normale. Une fois qu'ils t'ont vu, ils ont compris leur erreur et plus jamais ils ne te sous-estimeront. N'est-ce pas ? Les humains sont stupides. Plutôt que de s'allier pour de vrai contre la menace que tu représentes, ils semblent plutôt se disputer, encore et encore. D'un point de vue animal, cette réaction te semble bien puérile. Tu n'es pas vraiment leur adversaire, ils se mettent des bâtons dans les roues sans toi. Un policier, un scientifique et un pêcheur que peu recommandable. Une belle équipe de bras cassés. Ils essayent de t'avoir avec des appâts, des stratégies plus que questionnables.

Mais malheureusement tu restes un animal, même si peut-être plus intelligent que la moyenne, tu te fais avoir. Ils te tirent dessus pour t'accrocher un baril, afin que tu restes à la surface. Mais encore une fois, ils te sous estiment. Ca ne suffit pas, il va falloir mieux que ça. Tu es plus fort que les autres, plus intelligent et maintenant c'est encore plus personnel alors que les harpons te transpercent la cuirasse. Mais encore une fois, malgré le nombreux tirs, c'est toi qui prends l'avantage, capable d'attaquer le bateau. Tu veux te venger, faire comprendre à ces humains qu'ils ne sont pas si supérieurs.

Enfin... L'un des humains, le plus intelligent s'il en est, semble vouloir te voir te plus près. Est-il fou ? Curieux ? Il s'enferme dans une cage avec le désir de me voir, de savoir comment lutter contre moi. Mais cette cage, j'en fais qu'une bouchée. Même si l'homme, je décide de ne pas le chasser. C'est le pêcheur ma cible. Et j'en ai marre de jouer, cette chasse a duré déjà trop longtemps. J'attaque pour de bon, décidé à terminer ce combat. Des coups de mâchoire, grands, efficaces suffisent à attraper le pêcher et à le mettre hors d'état de nuire. En réalité, j'aimerais arrêter là mais le policier ne semble pas d'accord... Après tout, je viens de dévorer un homme devant ses yeux. J'imagine que c'est compréhensible. Et mon erreur est là, je ne m'arrête pas. Quelque chose arrive dans ma gueule, une chose froide et désagréable. Une.. Bombonne. Remplie de... C'est l'éclair. Un blanc, un bruit assourdissant. Il ne reste rien de moi. Rien du tout.



Il ne reste rien de toi. Rien du toi requin en tous cas... Parce que cette lumière, cette explosion se fonde dans un reflet d'une lune écarlate qui se profile dans le ciel. Une belle lune dans laquelle tu voudrais te perdre. Et c'est ce qui arriva. Tout ce que tu as connu, toutes ces mésaventures semble si lointaines... C'est le trou noir, aussi noir que tes yeux.

Et si tu pense ta tourmente disparue, si tu penses quitter cette vie à jamais, tu te réveilles soudainement. Explosant dans une suffocation douloureuse alors que tu regardes partout autour de toi. Tu es couché sur le sable fin et chaud, sur la plage... Par reflexe un peu stupide tu t'arrêtes de respirer. Ce n'est pas normal... Tu rampes alors jusqu'à l'eau, mais dans le reflet azur de celle-ci, ce n'est pas ton corps de requin que tu remarques mais... Un corps d'homme. Un vieil homme. Tes mains viennent parcourir ton visage, ta gorge. Comment une telle magie peut être possible ? Comment tu as pu te retrouver dans le corps de ce que tu détestes le plus ? Comment ? Paniqué, tu hurles et apparemment tu es doté de la parole en plus de ça.

Oui, de requin, tu passes à un être humain. Une nouvelle vie s'offre à toi, loin de la mer, de l'océan et tu as bien du mal à l'accepter. Parce que même si tu as fait des erreurs, tu l'aimais ta vie... Mais tu n'as pas le choix. Alors tu décides d'apprendre. D'apprendre ce que font les humains. Apprendre à marcher, à parler, à manger autrement... Tout ça avec bien des difficultés, ton âge n'aidant clairement pas à faciliter l'apprentissage. Tu luttes aussi, laissant ta colère derrière toi parce qu'ici il n'y a pratiquement que des humains. Tu les hais. Tu détestes ce que tu es devenu. Tu trouves refuge auprès de l'aquarium de cet endroit. Là où se trouvent tes congénères, les tiens... Il y paraîtrait même qu'il y a un grand requin blanc là bas. Quelle douce ironie.

Avec le temps, tu as bien appris, des années ont passé depuis ton arrivée ici et tu as réussi à tirer ton épingle du jeu. Devenu scientifique et soigneur auprès de l'aquarium, tu es sûrement l'un des mieux placés pour t'occuper d'eux. Au moins, avec toi, ils sont en sécurité même si l'envie de tous les libérer est bien présente. Tu arrives même à acheter une petite maison dans le quartier de Baker Street Avenue. Tu réussis à te fondre dans la masse. Mais pour combien de temps ? Arriveras-tu vraiment à laisser ce passé derrière toi ? A rester un être humain malgré ton instinct primaire qui refait parfois surface ? Mais de toute façon, tu n'as plus ta mâchoire pour t'aider... D'ailleurs, depuis que tu es devenu humain, tu te forces à être végétarien même si ce n'est pas évident. De plus, tu as développé une phobie du sang que tu essayes pourtant de soigner. Appréhender les vices, les maladies, les pensées et les émotions humaines n'est décidemment pas une mince à faire... Tu as encore du chemin à parcourir, si tant est que tu en aies vraiment envie.