(abandonné) Late Dinner | Orson

“You know I got your number, number all night. I'm always on your team, I got your back alright. Taking those, taking those losses if it treats you right. I want to put you into the spotlight. If the world would only know what you've been holding back. Heart attacks every night. Oh, you know it's not right. I will follow you way down wherever you may go. I'll follow you way down to your deepest low. I'll always be around wherever life takes you. You know I'll follow you.” (follow you – imagine dragons)


Krennic se trouve dans le lit de Jyn Erso lorsque son téléphone se met à sonner pendant quelques secondes, avant les sons se transforment en vibrations grondantes. Ce bruit assourdissant met à mal son envie de passer aux choses sérieuses avec elle. Krennic soupire de lassitude, « Merde, j’ai oublié de le couper. » souffle-t-il en tâtonnant d’une main, tout en embrassant Jyn, pour récupérer l’objet négligemment posé sur la table de chevet. Elle lui intime de laisser tomber son téléphone pour la soirée, mais il en est incapable. « C’est peut-être important. » se justifie-t-il. Orson délaisse les lèvres de son amante quelques secondes. Quelque chose le frappe furieusement à la lecture du dérouler de ses dernières notifications et appels manqués. Un texto. Un texto provenant de Galen Erso. « Attends. » Un murmure qui s’apparente davantage à un ordre. Un vestige de l’ancien lui, l’ancien Orson Krennic, directeur du bureau le plus important de l’Empire en matière d’innovation militaire. Orson se redresse, afin d’installer son dos contre la tête de lit. Il envoie valser l’un des oreillers aux pieds du lit, en prenant connaissance du message de son meilleur ami. Galen propose un dîner en tête-à-tête ce soir ; comment peut-il consciemment décliner cette proposition ? Orson s’apprête à répondre, mais les grands yeux de Jyn le renvoient à une dure réalité : le secret qui entoure leur liaison.

« C’est… » C’est ton père, Jyn. Voilà les mots qu’il meurt d’envie de dire, ce qu’il est même en droit de lui dire, mais ceux-ci ne franchissent pas la barrière de ses lèvres. Ton père, me propose de dîner avec lui maintenant. Tu en penses quoi, Jyn ? Les mots défilent dans son esprit sans qu’il ne puisse les retenir. Il imagine ce qu’elle pourrait lui répondre, s’il lui disait la vérité. C’est une mauvaise idée de t’en parler, n’est-ce-pas ? Si tu savais, tu ne voudrais sûrement pas le savoir. Fais-moi confiance, je sais ce qu’il y a de mieux pour nous deux. Je le sais toujours. Orson Krennic est terrifié par la possibilité que ce message puisse remettre « le problème Galen » sur le tapis. L’écrivain imagine ce qu’elle est capable de répondre, ce qu’elle veut qu’il fasse au sujet de son père : lui dire la vérité, toute la vérité sur eux. Hors de question, pense-t-il avec obstination. Hors de question de perdre l'amitié de Galen, ou Galen tout court. Orson préfère savourer chaque seconde passée en compagnie de son amante, sans penser à son père. Il préfère éluder sa relation avec Galen avec elle, tant que Jyn sera dans la dynamique de le quitter en l’absence d’une décision de sa part. « Hum… Encore un souci avec mon appartement. » Encore, parce que depuis quinze jours, c’est fou comme les problèmes s’accumulent dans son appartement. C’est en réalité devenu un prétexte pour justifier ses sorties avec Galen sans éveiller ses soupçons. Orson sait qu’il doit lui dire les choses, même si elles sont douloureuses et source de conflit, mais ce pas est encore impossible à franchir pour lui. La dernière fois qu’ils ont parlé de Galen, la conversation est très vite montée dans les tons. Cela a laissé place à la possibilité d’un ultimatum. Orson a su l’éviter avec soin, mais il sait que ses jours sont à présent comptés. Il évite alors de mentionner le prénom de son père depuis deux semaines, afin de ne pas remettre de l’huile sur le feu. Un exercice d’équilibriste, compliqué et frustrant. Orson a eu, tant de fois, envie de parler de Galen avec Jyn, qu’il s’agisse de ses projets d’adaptation cinématographique ou de ses soirées entre hommes. Krennic s’est transformé en une véritable tombe, afin de préserver les deux relations les plus importantes de sa vie, malgré le stress constant que cela occasionne à son esprit déjà bien endommagé par les conséquences de la Lune Rouge. « Je dois y aller. Un dégât des eaux… Je t’appelle demain. » dit-il précipitamment en tapant quelques mots sur son vieux BlackBerry, un peu « has been » mais terriblement plus professionnel que les smartphones dernier cri. Orson opte finalement pour la voie du mensonge en prétextant un problème avec son appartement à Hogwart’s Place. Il s'exprime de manière évasive et succincte, sans donner plus de précisions au risque de se faire prendre. C’est un bon menteur, un excellent menteur avec Jyn. Il plonge ensuite ses deux orbes bleu océan, afin d’apporter de la sincérité à ses mots. Orson pense endormir la méfiance de Jyn. Bien que l’expression de son visage soit convaincante, Orson parvient à simuler l’agacement et l’ennui à merveille, il remarque toutefois qu’une lueur de doute traverse le regard de son amante. « Viens-là. » chuchote-t-il avec autorité, de son habituelle voix rauque, en voulant la rassurer. Il attrape sa nuque d’une main pour l’attirer plus près de lui. Orson écrase ses lèvres dans les siennes, en voulant noyer ses mensonges entre ses lèvres sucrées. Orson l’embrasse lentement, en exprimant toute la force des passions comprimées en lui. Il profite de cette proximité pour étreindre la chevelure soyeuse de Jyn entre ses doigts, comme à chaque fois, comme s’il s’agissait de la dernière fois. « Fais de jolis rêves en pensant à moi… » murmure-t-il en rompant leurs embrassades, ses doigts glissant de ses cheveux jusqu’à sa joue et son menton, avant de se perdre le long de son cou. Ses gestes sont tremblants, précipités mais désespérés. Il est partagé entre l’envie de prendre des risques en révélant ce qui torture ses pensées et de se noyer encore une fois en elle en voulant nier ses problèmes et ses responsabilités. Orson se sépare, non sans regrets, de son amante en laissant cette simple requête. En se levant du grand lit entreposé dans la chambre, la première chose qui occupe ses pensées est de retrouver Galen. Orson ne le verbalise pas, mais il trouve cela difficile d’omettre certaines choses qui le rendent heureux dans sa vie. Jyn est ce qui se rapproche le plus d’une muse ou d’une bouée de sauvetage, une fonction qu’elle partage avec Galen. Il pense à parler de Jyn avec Galen, mais ce qu’il imagine à chaque fois se rapproche dangereusement de l’apocalypse. Tout en se rhabillant, Orson tapote discrètement sur son clavier de BlackBerry : « Bonsoir Galen. Ravi d'avoir de tes nouvelles. Je te rejoins là-bas rapidement. ».

Krennic abandonne son amante en quelques minutes, une fois avoir retrouvé l’ensemble de ses vêtements éparpillés aux quatre coins de la chambre. En nouant son écharpe autour du cou, Orson lui adresse un dernier regard plein d’intensité avant de quitter son appartement. Une part de lui regrette de ne pas passer le restant de la nuit en sa compagnie. Orson n’est pas complètement salaud, il se montre différent en présence de Jyn. Elle est témoin du large panel de sa personnalité, elle a connaissance de toutes ses facettes, de ses parts de lumière et ses parts d’ombre. Elle possède un privilège par rapport à son père. Galen, lui, ignore certaines choses de sa vie, notamment ses fréquentations intimes. Orson a toujours préféré mettre sa vie personnelle sous silence, en l’enfouissant dans le sable comme un enfant ayant fait une bêtise, mais surtout en espérant que l’ignorance préserverait l’intensité de leur relation. Comme si le simple fait de savoir qu’Orson fréquente quelqu’un, que ce soit sa fille ou une autre personne, briserait quelque chose entre eux. Au fond de lui, Orson veut laisser croire à Galen qu’il est un électron libre, sans attaches sentimentales, comme si cela pouvait changer que ce soit à la nature de leur relation. Orson peut toujours compter sur Galen. Galen peut également toujours compter sur Orson. Ils jouissent tous deux d’une amitié confortable et d’un soutien indéfectible. Orson est capable de tout envoyer bazarder, de mettre les choses en plan, à n’importe quelle heure du jour comme de la nuit, si Galen demande sa présence. Ce qui les lient est un lien d’une force exceptionnelle, bien que fortement biaisé par les sentiments que l’un éprouve pour l’autre.  Une part qu’Orson a enfoui au plus profond de lui-même il y a bien des années. Galen est son meilleur ami, son soutien le plus fidèle. Orson n’envisage pas de prendre le risque de détruire une amitié aussi forte, pure et sincère, en y mêlant un sentiment aussi imprévisible que l’amour.

Orson pianote sur les touches de son BlackBerry, alors qu’il se trouve sur la banquette arrière d’un taxi. « J’arrive dans cinq minutes. J’aurais un peu de retard. Je fais de mon mieux. Désolé, Galen. » Ses doigts tremblent contre les touches de son clavier, Orson presse son pouce ici et là, afin de former ses phrases le plus rapidement possible. Il lève les yeux vers le conducteur du taxi, qui décide de tourner au prochain carrefour à droite, au lieu de prendre la deuxième sortie, comme ce qu’il lui a conseillé en refermant la portière de son véhicule. Orson fait signifier son mécontentement en serrant fortement sa mâchoire et ses dents du fond. « Disons plutôt quinze minutes. » corrige-t-il avec hargne en appuyant fortement contre les touches. L’une de ses jambes est placée en parallèle de l’autre, sur sa cuisse gauche. Une fois le message envoyé à Galen, il balance son téléphone entre ses jambes, agacé par le fait que les évènements ne se passent pas exactement comme il le désire. Orson lève la tête vers la fenêtre de sa portière afin d’aérer son esprit en ébullition. Il observe le paysage citadin et épuisant des rues interminables qui se ressemblent toutes, de ces voitures qui défilent à des vitesses peu réglementaires. Dans un énième soupir las, Orson pose son index et son majeur contre ses lèvres, arborant une expression étrangement pensive. Galen, Jyn, ses projets… Orson pense aux choses les plus importantes de sa vie, les mélangeant, en espérant trouver un moyen de tout avoir sans perdre quoi que ce soit en chemin. « Vous savez, m’sieur, ce n’est pas en soufflant toutes les deux minutes que je passerais la seconde. » Une voix le fait sortir de ses réflexions, celle du conducteur du taxi. « Baker St. est blindé à cette heure-ci, vous savez bien, m’sieur Krennic… les gens sortent dans les bars et les restaurants, vous tombez au pire moment. C’est pas contre vous. » Orson grimace derrière ses doigts, et laisse un rictus se dessiner à la commissure de ses lèvres. Bien sûr, bien sûr… Comme si Orson avalait un seul instant ces salades. Crétin, pense-t-il. Tu fais exprès de rouler à deux à l’heure, ne me prends pas pour un con. Orson ne prend pas la peine de répondre au chauffeur, il refuse de lui accorder le moindre crédit, l’expression sinistre de son visage et celle de son regard perçant suffisent à lui signifier son mépris. Au bout de minutes, interminables selon Orson Krennic, le chauffeur se gare dans la rue qui fait face à celle du restaurant. « Bonne soirée, m’sieur Krennic. Vous m’aviez l’air nerveux, c’est un date ? J’dis ça parce que… vous avez eu la main drôlement lourde sur l’eau de Cologne ce soir… vous avez refait tout mon taxi ! »  Krennic grimace de plus belle et manque de s’esclaffer. Il grommèle quelque chose, une insulte, probablement, avant de s’extirper du taxi sous un dernier « Bonne chance ! » provocant venant du chauffeur. Krennic se retient de l’envoyer bouler, c’est bien parce que son esprit est embrouillé par un certain nombre de choses qu’il s’en empêche. Galen. Ses retrouvailles avec Galen après une courte absence.

Lorsqu’il pénètre dans le restaurant, Orson ne peut que sourire intérieurement en se remémorant les nombreuses soirées passées entre ces quatre murs. Galen et Orson sont déjà venus ici. Plusieurs fois. C’est en quelque sorte un endroit sanctuaire pour eux. Un homme, employé du restaurant, s’approche aussitôt de lui en le découvrant dans le hall. Krennic agite sa main avec agitation, comme pour le maintenir à bonne distance, n’ayant besoin de personne pour le guider. Il est ici comme chez lui, après tout. Krennic déboutonne vite fait son long manteau gris anthracite, pris par une violente bouffée de chaleur. La différence de température entre l’intérieur du restaurant et l’extérieur est déstabilisante. Il recherche de ses yeux son ami, en balayant chaque coin du restaurant, en ce moment même blindé de clients en train de prendre un apéritif un peu corsé, d’entamer le plat du jour ou de se partager un fondant au chocolat. Ses beaux yeux bleu océan captent enfin le visage familier de son ancien collègue et ami, Galen Erso, seul près d’une table ronde dans un coin de la salle du fond. Krennic s’en approche d’un pas conquérant, son rythme cardiaque s’accélérant au fur et à mesure de ses pas, jusqu’à ce que leurs regards se croisent enfin. « Galen ! Je ne t’ai pas vu depuis une semaine, c’est le travail qui t’accapare autant ? » salua-t-il en débarrassant son manteau en laine vierge, le pliant avec un soin manique, avant de le déposer sur le dossier de sa chaise. On sent une pointe de jalousie dans le son de sa voix, c’est un reproche déguisé. Orson a déploré l’absence de Galen, et cela l’a encore plus frustré de ne pouvoir en parler à qui que ce soit. Il avait espéré depuis une semaine de se retrouver en tête-à-tête avec lui. Orson entreprend ensuite d’extirper son écharpe grise, qui est enroulée autour de son cou. Ce qu’il ne remarque pas en enlevant les couches superflues de vêtements pour laisser place à un chemisier blanc sous un pull bleu marine, c’est la présence d’une marque de rouge à lèvres au niveau de l’une de ses manches. « J’ai fait au plus vite, mais il y avait beaucoup de circulation, et le taxi… » Tout en s’installant en face de son ami, l’écrivain de science-fiction cherche un serveur des yeux. « …ce foutu taxi a refusé de prendre le raccourci que je lui ai conseillé. » Des plaintes, encore. Une ritournelle aux oreilles de Galen Erso. Orson balaie ses doutes et le poids de sa culpabilité en se perdant dans des problèmes superficiels, c’est ce que l’on appelle la partie immergée de l’iceberg. Orson semble agité ce soir, il jette des coups d’œil à droite et à gauche sans réellement bloquer son regard sur quelque chose ou quelqu’un en particulier.

Lorsque Galen évoque la possibilité que son message ait pu bouleverser ses plans pour la soirée, le visage de Krennic se crispe. Un éclair de lucidité traverse ses yeux bleu océan, ses pupilles se dilatent quelques secondes en repensant au fait qu’il se trouvait dans les draps de sa fille, il y a tout juste une heure. Les battements de son cœur sont précipités, ils grondent dans sa cage thoracique, ne laissant aucun doute sur l’état d’anxiété dans lequel Orson se trouve, malgré toutes ses pirouettes de déni. « Ah… Non… Ne t’en fait pas. Je n’étais pas seul, mais ce n’était pas important. » ment-il, en luttant pour soutenir le regard perçant de son ami. Galen... Il faut qu'on parle. Les yeux d’Orson sont fuyants, ils s’accrochent à un point fixe au niveau de la nappe blanche qui recouvre la table. « J’étais sur le départ. » Sûrement pas, Jyn et lui venaient tout juste de commencer. Galen. Je suis navré, mais ta fille et moi... On ne l'a pas calculé. C'est arrivé il y a un an. Tu peux comprendre sans me juger ? Le cerveau d’Orson Krennic est en ébullition, comme avant de d'écrire l’introduction d’un énième chapitre de sa saga galactique. Jyn... J'aime ta fille unique. Pas seulement comme une collègue ou par respect pour le lien filial entre vous. Je ne l'aime pas seulement parce qu'elle est ta fille. Je ne la considère pas comme une amie. Tu es en droit de le savoir. Il rassemble ses neurones en quête d’une excuse pour ne pas attiser la curiosité de son ancien éditeur. Galen, je suis amoureux d'elle. On se fréquente depuis un an. C’est alors que lui vient l’idée d’aborder son travail, c’est tout ce qu’il y a de plus crédible. « Un de ces rendez-vous interminables et ennuyants à mourir… » dit-il avant de se confondre en un rire amusé, mais anormalement nerveux. Krennic plonge les mains dans les poches de son manteau recouvrant le dossier de la chaise, à la recherche de son téléphone portable. Il le pose ensuite sur un coin de la table, au cas où, Jyn, ou n’importe qui d’autre lui enverrait un message en urgence. « Je déteste faire ça, mais j’ai besoin d’être inspiré. Je rencontre des personnes intéressantes, des experts en psychologie… elles me font un diagnostic par rapport à ce que je compte faire de certains personnages, je prends des notes. Parfois, ça s’éternise un peu tard. Tu connais le métier, il faut se montrer audacieux pour décrocher les meilleures places, et ce n’est pas avec des personnages creux et fantaisistes que je décrocherais ma prochaine récompense. » Orson est un auteur multi-récompensé, mais ce n’est jamais suffisant. Il lui faut toujours plus de récompenses, de distinctions, de reconnaissances pour ses travaux.

Il est vrai que le message de Galen a perturbé sa soirée avec Jyn, mais Orson ne peut faire preuve de transparence sur ce point. Les risques sont bien trop importants et effrayants pour qu’Orson daigne les prendre ; les détails de sa relation avec son éditrice doivent rester secrets, et ce, pour une durée indéterminée. Contrairement à Jyn, il imagine aisément une vie entière passée avec elle dans le secret absolu de leurs amours. Krennic imagine que Galen serait fou de rage de découvrir la vérité. Peut-être même que le fait d’apprendre sa liaison avec sa fille unique, sa précieuse fille chérie, Jyn Erso, le ferait sortir de ses colères froides, de ses silences oppressants. Dans tous les cas de figure, dans toutes les scènes qu’Orson s’est imaginé pendant des mois, son ami réagissait toujours extrêmement mal ; quoiqu’il dise ou quoiqu’il fasse. Krennic est partisan du dicton qui dit que pour vivre heureux, il faut vivre cachés. Jyn finira bien par changer d’avis sur cela. Elle acceptera quand elle comprendra que c’est le meilleur avenir que nous puissions avoir ensemble.

Orson se positionne contre le dossier de sa chaise et vérifie que tout est bien en place, au moins trois fois. « Tu es bien tombé, je n’ai pas encore dîné. » conclut-il en souriant de manière très brève. Orson ne dit pas cela pour lui faire plaisir, malgré l’heure tardive, soit vingt-et-une heure, il n’a pas eu le temps d’avaler quelque chose de bien consistant. Hormis deux verres de vin rouge en fin d’après-midi, et une boite entière de biscuits apéritifs sur la table de son salon. Orson a travaillé toute la journée sur l’un des chapitres de son prochain livre, avant de retrouver Jyn en début de soirée. Ils avaient prévu de se commander quelque chose, avant que Galen n’envoie son message. Il croise les jambes sous la table avec une certaine désinvolture, tout en captant enfin l’attention d’un serveur. Orson fait un léger signe de main à ce dernier. Il déplie le menu qui se trouve sous ses yeux et balaie très rapidement les propositions de plats, pendant que l’employé s’approche de leur table. Orson est assoiffé, sa gorge est désespérément sèche depuis qu’il est arrivé. « On prend un verre pour commencer ? » lance-t-il avec un enthousiasme qu’il est incapable de camoufler, comme s’il s’agissait de la meilleure idée du siècle. De l’alcool, quelle bonne idée, il espère que ce doux breuvage lui permettra de mettre de côté les problèmes qu’occasionnent le fait coucher avec la fille de son meilleur ami. « Un verre de pinot noir pour moi… Non… Attendez ! Ramenez une bonne bouteille pour nous deux. Galen, tu aimes toujours le vin rouge ? » commente-t-il, ses yeux scrutent respectivement le visage du serveur et de Galen. Orson replie soigneusement le menu, avant de le déposer entre les mains du serveur. Il tourne ensuite la tête vers Galen, afin de planter ses yeux dans les siens, s’adressant à lui comme s’il n’y avait qu’eux dans la pièce. « Pour la suite… Je prendrais la même chose que lui, merci. » Il hausse les épaules, indifférent à la nature de l’entrée, du plat principal ou du dessert, préférant même suivre les recommandations. Galen a toujours eu bon goût. Orson fait aveuglément confiance à son ami, et il la lui prouve tous les jours. Un clin d’œil en direction de Galen illustre la belle complicité de leur relation, une complicité à laquelle Orson tient plus que tout au monde.

“how i wish i could surrender my soul, shed the clothes that become my skin, see the liar that burns within my needing. how i wish i'd chosen darkness from cold. how i wish i had screamed out loud, instead i've found no meaning. how i wish i could walk through the doors of my mind, hold memory close at hand, help me understand the years. how i wish i could choose between heaven and hell. how i wish i would save my soul, i'm so cold from fear. hides my true shape, like dorian gray, i’ve heard what they say, but i'm not here for trouble. far, far away, find comfort in pain, all pleasure's the same. it just keeps me from trouble. it's more than just words. it's just tears and rain.”  (tears and rain ▵ james blunt)


Il n’y avait pas d’urgence. Orson désapprouve les propos de son meilleur ami en lui offrant une mine dramatique, presque sinistre. Ses lèvres se sont pincées dans une moue, Orson se comporte comme si Galen avait moqué les rides de son front ou l’accent prononcé de sa voix. Tous les appels de Galen sont toujours urgents pour Orson. Il ignore vraiment pourquoi, mais Orson s’est toujours battu pour lui. Il a toujours senti le besoin de protéger Galen, et ce, depuis aussi longtemps qu’il s’en souvienne. Les souvenirs de sa vie sur l’île sont encore brouillons, ce qui n’est pas étonnant, puisqu’il ne vient pas d’ici. Quelque part dans sa mémoire défaillante, le lien d’amitié avec Galen est toujours aussi fort. Dans leur vrai monde, Orson a été la première personne à remarquer le potentiel du très jeune Galen, fraîchement débarqué à Brentaal IV. Un garçon de cinq ans son cadet, exceptionnellement brillant, doté d’un accent aussi prononcé, différent des autres comme le sien, et suffisamment marqué pour être considéré comme un signe distinctif. Le jeune Orson s’est pris d’affection de lui, littéralement fasciné par la haute intelligence du jeune adolescent de quinze ans. Lorsque Galen subissait des brimades de la part de leurs camarades à Brentaal, Orson intervenait toujours en sa faveur. Plus âgé, plus expérimenté et surtout plein d’assurance, il n’avait peur de rien, ni des heurts ni des bagarres en soirées. Orson s’est toujours illustré par une impulsivité et un tempérament instable, il est celui qui fonce dans le tas sans réfléchir à une sortie de secours. Orson avait la force de ses convictions et de ses amitiés. Galen a été son premier et seul ami, tous les autres qui gravitaient autour de lui n’étaient que des supporteurs, des suiveurs ou des copains de beuveries. Orson n’éprouvait pas d’empathie pour eux, ils n’étaient pas comme Galen, ils étaient médiocres et futiles. Seul Galen avait son affection. Orson s’est battu maintes fois pour Galen en pensant qu’il en valait largement la chandelle, en le défendant bec et ongles, en affirmant volontiers qu’il était sous sa protection. Tous les autres se pliaient aux caprices de Krennic, lorsqu’il prenait quelqu’un sous son aile, tout le monde évitait de le toucher de peur d’exciter sa colère. D’une certaine façon, Orson donnait ce que lui-même n’avait pu avoir quelques années plus tôt : une personne sur qui compter. Personne ne s’est battu pour Orson, alors il a décidé qu’il le ferait pour Galen. En liant une amitié forte et fusionnelle, Krennic a pensé qu’ils pourraient être formidables ensemble, et l’avenir ne l’a pas fait mentir, bien que la fin de leur relation soit digne d’une tragédie grecque.

Plus les minutes passaient et plus Orson se mit à maudire ses tics non verbaux, ceux-ci ne faisaient que trahir son anxiété grandissante. En voulant calmer ses nerfs, Krennic eu le réflexe spontané de tapoter le bord de la table du bout de ses doigts. En vain, rien n’est naturel chez lui depuis une bonne quinzaine de minutes ; que ce soit l’intonation de sa voix, habituellement si confiante et paisible, ou son langage corporel, qui accumule les signes d’une apparente nervosité. Galen se doute de quelque chose. Orson en est convaincu. Ce n’est pas dans ses habitudes de cerner ses attentes aussi facilement. Habituellement, Galen croit aveuglément tout ce qu’Orson lui raconte. Un regard appuyé, un sourire conquérant et une voix claire et ferme sont autant d’atouts qui lui permettent d’asseoir sa position. Orson se tape mentalement le front. Une bouffée de chaleur le submerge soudainement. Qu’est-ce qu’il vient de faire ou de dire ? Qu’a-t-il bien pu commettre comme erreur pour que Galen puisse lever le voile de ses mensonges ? Orson ne comprend pas, mais finalement, ce n’est pas si surprenant que cela. Ses sentiments aveuglent ses capacités de réflexion, ils mettent en évidence les failles dans son jeu de dupe, et le conduisent vers ses propres contradictions. Galen ne fait que saisir les armes qu’Orson lui tend de manière inconsciente. « Hm. » grogne-t-il, tout en se redressant dans son siège. En galante compagnie… Un sourire furtif se dessine sur ses lèvres. Bref, mais sincère. Jyn est toujours d’excellente compagnie. Tout comme Galen. Il ne peut se lasser d’eux. Orson réalise enfin ce qui l’a trahi, cette marque de rouge à lèvres sur l’une des manches de sa chemise blanche. Il ferme les yeux par dépit pendant une fraction de seconde, se sentant comme un enfant pris en faute. « Ce n’est pas… la première fois. » avoue-t-il enfin, en luttant férocement pour réprimer ses émotions, afin de ne pas faire apparaître le rouge sur ses joues qui menace de poindre depuis quelques secondes. « On… a beaucoup de choses en commun. » Encore une fois, le coin de ses lèvres menace dangereusement de se retrousser en un sourire. Orson s’efforce de garder une expression impassible et sérieuse, mais c’est un exercice bien trop difficile, alors que tout son être menace d’exploser. Il sent que ses lèvres tremblent, tout comme ses mains, qui s’avèrent de plus en plus moites. « Elle… » débute-t-il, en baissant les yeux vers son assiette vide, son téléphone et le coin de la salle en espérant secrètement qu’une intervention divine lui vienne en aide. Orson a la gorge anormalement sèche. Il prie mentalement qu’on lui apporte un verre de vin rouge afin de se donner le courage de continuer. Ses regards sont fuyants, ses gestes hésitants et exposent clairement une certaine fébrilité. Le jugement, tout comme le regard de Galen le pèsent. Comment s’appelle-t-elle… Il déglutit péniblement, tout en se mettant doucement à rire. Un réflexe trahissant sa nervosité. Si tu savais Galen..., pense-t-il vaguement. Cette charmante experte en psychologie… ? Un prénom. Il lui faut impérativement trouver un prénom pour cette couverture. « Serena. » ment-il. Pour l’une des rares fois dans leur amitié, ou dans ses rapports en général, Orson se sent véritablement en difficulté. Il se sent gauche et vulnérable, ce qu’il déteste par-dessus tout, mais c’est l’effet que lui font les sentiments et les émotions lorsqu’il ne parvient pas à les maintenir sous son contrôle. Se montrer aussi vulnérable n’est pas dans ses habitudes. Il ne dévoile cette facette, ses faiblesses, qu’à très peu de personnes. Galen est l’une de ces personnes, pour ne pas dire « la » personne. Orson ne montre son affection qu’avec lui. Et maintenant Jyn.

Galen Erso est loin d’être dupe. Orson Krennic aurait dû parier sur sa haute intelligence, très similaire à la sienne. On ne peut rien lui cacher, du moins, sauf lorsqu’Orson décide de s’appliquer à donner l’air que tout est parfaitement normal. Orson Krennic est un très bon menteur. Il excelle dans l’art de la manipulation, sans réellement savoir comment cela est possible. Sur cette île, Orson n’est qu’un écrivain, loin d’être formé à la politique. Et pourtant, le voilà doté de facilités qui le surprennent encore aujourd’hui. Comme s’il avait été une autre personne dans une ancienne vie, comme s’il avait été quelqu’un d’autre. Quelqu’un capable des pires mensonges, d’actes d’une grande atrocité ou de cruauté. Quelqu’un dépourvu de la moindre once d’humanité. Orson ne pense pas un seul instant être capable d’être ce genre de personne, même si une voix enfouie au fond de lui, s’amuse parfois à lui susurrer qu’il en est bien capable, et qu’il est même cette personne-là. Cette personne qu’il dépeint dans ses œuvres, cet impérial sans scrupules, arrivant des cendres des colonies extérieures de la galaxie pour se hisser le plus loin possible dans la machine impériale. Manipulant le système impérial de l’intérieur à ses propres intérêts, quitte à poignarder ses plus proches alliés, coupable d’audace, mais jamais dans le bon sens du terme. Cette personne-là est capable de choses tellement horribles, mentir à ses amis ne lui pose pas le moindre cas de conscience. Il ne comprend pas d’où vient cette impression, parce que ce n’est pas comme s’il avait l’habitude de lui mentir. Jyn est son premier mensonge. Comme si c’était facile pour lui de mentir à son meilleur ami. Il ignore encore que c’est quelque chose de coutumier entre eux. On aurait pu croire que leur complicité et le degré de proximité de leur relation rendraient impossible toute tentative de mensonge ou de manipulation. Ce n’est pas sans connaître le charisme indéniable et les paroles enjôleuses, réconfortantes, de cet ancien officier, membre du corps de haut commandement et du bureau de sécurité impériale. Tous les deux sont des pointures dans leur domaine de spécialité. Orson ne s’en souvient pas encore, mais ils ont marqué la galaxie toute entière par leur génie, chacun à sa manière. Galen pour ses talents de recherche et d’invention, Orson pour sa maîtrise de l’architecture et ses connaissances poussées en matière d’armement.

Orson balaie ces pensées brusquement, détestant lorsqu’elles surgissent au moment le plus inopportun, comme maintenant. Il ne comprend pas pourquoi, mais elles s’imposent à lui avec violence. Il y a comme une impression de « déjà-vu » dans cette situation des plus cocasses. Comme s’il avait déjà menti sur quelque chose d’important, comme s’il avait déjà regardé Galen, droit dans les yeux, et l’avait bercé de contes de fée, de jolis mensonges enveloppés avec soin, de manière à les faire passer pour des vérités. C’est impossible, persiste-t-il en refusant de se souvenir de détails d’une rare violence. Orson n’est pas certain d’être prêt à se confronter à toutes les facettes de sa personnalité, ses zones d’ombre comprises. Ces pensées, ces flashs qui ressemblent à s’y méprendre à des souvenirs qui l’assaillent chaque nuit, ou dans ces moments de faiblesse en journée, ne sont pas réels. Ils ne sont que le fruit de son imagination débordante, celle d’un écrivain qui passe au moins vingt heures par jour à manger, respirer et boire ses écrits, ses recherches. Ce ne sont que des déformations professionnelles, ses récits épiques prennent finalement vie dans son esprit. Il se surprend à s’incorporer dans ces derniers, mais ce n’est pas la réalité. Cette galaxie n'existe pas. L’Empire galactique non plus. Les rebelles, les raids, les fusillades, les impériaux, les massacres des mondes… Ce ne sont que des fantasmes. Ce n’est que de la fiction. Orson en est persuadé. Lui, haut officier d’un Empire régi par un dictateur, quelle blague. Quant au fait de mentir à son meilleur ami… Orson ne le fait que par nécessité. Galen lui en voudrait terriblement. Ce n’est pas comme s’il avait le choix. Ce n’est pas comme si j’avais le choix de ne pas lui dire la vérité. En un éclair, quelque chose vient le frapper en plein cœur. Un pincement. Une décharge électrique. Une impression, une seconde fois, de déjà-vu. Cela lui donne la nausée et des vertiges. Orson se raccroche tant bien que mal à ces réminiscences, comme si celles-ci avaient une signification bien particulière pour lui. Il essaie de les capturer au vol, mais elles filent, elles courent loin, elles ne veulent pas qu’il les rattrape. Elles savent qu’il en serait effondré. Ce n'est pas comme si..., s’entend-il dire. Ce n’est pas comme si j’avais eu le choix. Cette phrase pensée avec conviction évoque en lui quelque chose d’extrêmement familier, mais aussi de douloureux. Ce n'était pas personnel. Mes aspirations... elles doivent être assouvies. Orson agite légèrement sa tête de droite à gauche, afin de balayer une fois encore ce qui semble être un sujet tabou. Orson cherche ses tempes de l’une de ses mains, afin de soulager ses douleurs lancinantes à l’aide d’un léger massage circulaire de son index et de son pouce. En levant les yeux vers son ami de toujours, quelque chose vient momentanément flouter sa vision. Il sent l’absence de quelque chose, comme une dent manquante, une douleur sourde, et une image s’impose dans son esprit embrouillé comme un morceau de puzzle. Un souvenir ou bien une hallucination.

Orson capte un éclair de cheveux noirs, une jeune femme, dans un capharnaüm de hurlements, d’ordres, de bombes qui explosent et de tirs de lasers. Cet endroit est sombre et il pleut. Orson sent une étrange douleur au niveau de son épaule, un accroc oublié depuis bien longtemps, qui réveille une plaie encore béante. Comme si on lui avait déjà tiré dessus. Orson farfouille dans ce fouillis de flashs difformes et d’incohérences jusqu’à s’entendre lui-même demander une chose à un homme en uniforme, apparemment sous son commandement : « Galen Erso ? » Lorsque son interlocuteur hoche négativement la tête, Orson sent que ses muscles se raidissent. Avant même que le lieutenant ne prononce les mots fatidiques, Orson sent que ses jambes faiblissent, quelque chose se brise au plus profond de lui. Comme un cristal qu’on éclate vulgairement sur le sol, qui se casse en mille morceaux. Son cœur. Son cœur saigne désespérément. Il assiste, impuissant, à la dure réalité de sa folie des grandeurs. Une expression figée sur le visage, faussement impassible, mais catastrophée à l’intérieur. Son visage est flouté. Orson ne peut le distinguer, mais seulement entendre sa réponse, qui sonne en lui comme un coup de massue. « Il n’a pas survécu à l’attaque, directeur. » Et là, c’est le drame. Désolé, se retient-il d’ajouter. Orson le sait, il le sent. Cet homme est sincèrement désolé. Ils font tous bonne figure, mais ce n’est que le début de la fin. Une descente en Enfer pour le haut dignitaire en cape. Ce n’est que la confirmation de ses soupçons, mais même s’il s’y était attendu, un bref espoir sommeillait encore jusqu’à ce que le couperet final vienne tout balayer. La douleur est si fulgurante, qu’elle entaille chaque parcelle de son âme et laisse un goût métallique en bouche. Du sang. En voulant contenir toute la force de ses émotions, toute sa détresse devant ce qui semble être ses hommes, il s’est entaillé la joue de l’intérieur jusqu’au sang. Sa tête lui tourne, son palpitant se contracte douloureusement dans sa poitrine, au point qu’il a presque l’impression de manquer d’oxygène. C’est comme s’il avait la tête dans un étau, qui se refermait d’un coup de manivelle, écrasant ses tempes pour ne laisser qu’une douleur lancinante, mais foudroyante. Dans ses gants en cuir, ses phalanges blanchissent à force de garder les poings serrés, en espérant sans doute pouvoir calmer ses nerfs par la force. Tout, Orson est prêt à tout, sauf à montrer le moindre signe de faiblesse, toute démonstration d’affection n’est pas tolérée pour un homme de sa stature. Orson sent sa mâchoire se serrer et ses dents grincer sous l’annonce de la mort de Galen Erso. Et alors, toute la profondeur de ses sentiments se heurte à l’inévitable, l’irréparable. Toutes ces émotions qu’il a longtemps réprimées, pendant plus de vingt ans, lui explose en pleine figure. Comme une gifle. Comme un coup de tonnerre. Il n’était pas qu’un ami, il était bien plus qu’une arme, mais il n’est plus, et je l’ai détruit. Pendant un instant, l’odeur des cendres qui se disperse dans l’air devient presque irrésistible. Elle s’insinue dans son esprit comme un raz-de-marée déferlant sur une côte paradisiaque. Elle le fait suffoquer, jusqu’à ce que de terribles vertiges ne viennent le faire momentanément trébucher. Tout ce dont il se souvient, ce sont ces nausées qui succèdent aux vertiges. Des nausées atroces, mêlées au goût du sang. Il est concentré sur les battements de son palpitant, c’est un son qui prédomine entre les explosions et les tirs de lasers. Orson se pense partir, son âme n’ayant qu’une envie, c’est de s’échapper de son corps pour éviter de se confronter à cette douleur grondante et sourde qui paralyse ses muscles et brouille toute capacité de raisonnement. « Directeur ? » Il se voit ensuite reprendre contenance, par la force de caractère qui est la sienne, afin de ne rien laisser transparaître devant un public médusé et encore choqué par l’attaque des rebelles. Cette impuissance terrasse son légendaire égo, son flegme si imperturbable. Son être tout entier est déstabilisé par la violence des évènements qui se précipitent sans qu’il ne puisse déplacer ses pions, il a l’impression d’être laissé sur le bas-côté de la route. Rien de ce qu’il fera ou dira ne changera l’issue fatale de cette nuit sanglante. Pour cet homme d’action qui aime tirer son épingle du jeu en toutes circonstances, c’est un véritable supplice que de se retrouver à contempler les cendres encore chaudes de cette attaque surprise. Parmi toutes les vies humaines qui ont été fauchées, il y en avait une seule en particulier qui pouvait détruire son masque et exposer cette vulnérabilité tant refoulée pendant ces années. Les dés sont jetés, et sa vue se brouille dans un nuage de fumée et de lumières aveuglantes. Il ignore quoi faire, comment se positionner après cette cruelle atteinte à son âme ; c’est comme si on l’avait amputé de la partie la plus sensible de lui. Galen Erso est parti avec les restes de son humanité, tout le poids de la culpabilité repose désormais sur ses épaules. Orson Krennic est le seul responsable de la chute de Galen Erso. « Non. » marmonne-t-il agressivement, en sentant une main se poser sur son épaule pour l’encourager à quitter les lieux au plus vite. Ce non sonne comme un gémissement plaintif qui vient des profondeurs de son âme. « Directeur, nous devons évacuer. » Krennic n’entend pas les avertissements de ses hommes pendant quelques secondes. Dans ce théâtre macabre, il n’accordera qu’un dernier regard à Galen, une lueur indéchiffrable traversant le bleu océan de ses pupilles, avant de se détourner des ruines de cette amitié obsessionnelle. Galen, mon ami. Adieu. En faisant volte-face pour s’engouffrer dans sa navette, Orson fait mine que cette perte humaine ne l’affecte pas, mais elle brûle en lui comme un feu ardent, s’accompagnant d’une bonne dose de remords. Des remords et non pas des regrets. Afin d’avoir des regrets, il faut avoir eu le courage de ses sentiments. Des remords pour avoir lâchement menti et fui la seule personne qui avait eu de l’importance dans sa vie, la seule personne qui aurait pu le ramener à sa part d’humanité. Les pans de sa cape virevoltant sous ses bottes, alors que l’infâme directeur s’en retourne dans son vaisseau en compagnie de ses death troopers. Son dernier souvenir de Galen Erso sera son cadavre, en partie brûlé et abîmé, sous la pluie battante, entouré de caisses et d’autres corps sans vie.

En un second éclair, Orson se retrouve entre les murs du restaurant. Ces flashs l’ont aveuglé un court instant, pendant lequel le serveur s’en est allé leur rapporter une bonne bouteille. Orson met un certain temps avant de refaire surface. Il se sent étrange, encore foudroyé par le réalisme de ces étranges scènes dans sa tête. Orson caresse sa nuque lentement, elle est brûlante et légèrement moite. Par réflexe, il cherche quelque chose à boire, mais s’empêche de prendre le verre d’eau qui se trouve à sa droite. Le serveur vient de revenir avec le vin. Pile au bon moment, songe-t-il avec sarcasme. Orson le remercie d’un hochement de tête, peu concerné, et s’empresse de goûter le vin. Orson attrape cet élégant verre à pied entre ses doigts et parcoure des yeux la courbe bien ronde. Il contemple la couleur rouge cerise de son alcool, jouant même quelques secondes à faire tournoyer le liquide dans les sens de l’aiguille d’une montre, avant de porter une gorgée à ses lèvres. « Parfait. » affirme-t-il en captant le regard hésitant du jeune serveur, qui semble relâcher toute la pression accumulée depuis le début de son service. Il hoche ensuite la tête et s’échappe de son champ de vision, en quête d’autres tables à satisfaire.

Orson se racle la gorge quelques secondes, en s’apprêtant à reprendre la conversation. Galen est un très bon ami, ce qu’il est en train de faire ne l’étonne pas. Orson apprécie fortement qu’il lui laisse l’opportunité de se confier ou de conserver son jardin secret. Au fond de lui, Orson a bien envie de parler de Jyn. Il meurt d’envie de lui raconter à quel point elle arrive à produire le miracle de… le dérider, mais surtout de lui faire oublier la douleur d’un premier amour obsessionnel et unilatéral. « Galen… » sa voix s'élève presque trop gravement pour que cela rassure Galen. « Les choses ne sont pas faciles à dire, et encore moins à vivre. J’ai besoin de ton ouverture d’esprit la plus totale sur ce cas. » Orson hésite. Orson tergiverse. Au bout de quelques secondes, il décide finalement de rebrousser chemin. Non, c’est une mauvaise idée. Ces flashs viennent d’apparaître à lui, comme un avertissement de la part de son esprit bouillonnant d’imagination. S’il persévère sur cette voie, il risque de perdre Galen. Non, Orson refuse d’envisager cette possibilité. Cette relation ne doit pas avoir la même finalité que durant ces flashs étourdissants. Trop tard, il s’est embarqué dans de drôles de confidences, mais comment faire pour faire machine arrière ? Galen s’attend nécessairement à quelque chose… de gros. Orson ne peut nier le fait qu’une part de lui bouillonne d’envie de sauter le pas et de recueillir les conseils de son ami. Si elle n’avait pas été sa fille, les choses auraient pu être différentes, plus avouables et moins dangereuses. Au fil des minutes et du stress qui converge en lui, l’écrivain se met à bloquer sa respiration. « On n’est pas exactement de la même tranche d’âge. » affirme-t-il, non sans mal. Un demi-aveu. Toute la pression qui s’est accumulée en lui se libère progressivement, alors qu’il se précipite sur son verre de vin. Tout en buvant deux, puis trois gorgées précipitamment, Orson expire violemment l’air qu’il avait gardé en lui ces dernières trente secondes. Orson s’est senti à deux doigts de révéler son plus honteux secret, mais la raison l’a emporté sur la passion. « Je sais ce que tu vas dire, mais Galen, ce genre de fusion n’est pas contrôlable, elle échappe à tout raisonnement cartésien. » se justifie-t-il autant que possible. Orson n’est clairement pas à l’aise avec ses aveux. Une part de lui est gênée par rapport au lien qui les unissent tous les trois, mais une autre part de lui est troublée par le fait qu’il s’émancipe, d’une certaine manière, de ses sentiments refoulés pour Galen en ouvrant son âme à une autre personne. C’est un aveu qui peut justifier son étrange nervosité, sans pour autant paraître trop suspect. Après tout, c’est une vérité. Déguisée, certes, mais Jyn est beaucoup plus jeune que lui. Orson a l’âge d’être son père. Orson est un architecte avant d’être scientifique, Galen est le plus conditionné des deux à adopter des raisonnements mathématiques et terre-à-terre. Il faut dire qu’entre les deux, c’est également Orson qui s’illustre le plus par ses débordements passionnels et ses réactions intempestives. Ses détracteurs, dans l’Empire, disaient de lui qu’il jouissait d’une réputation imprévisible et instable. Ce n’est finalement donc pas étonnant. L’amitié de Galen est son bien le plus précieux, et pour une raison qui lui est encore lointaine, il a l’impression de l’avoir déjà perdue une fois. Raison de plus pour se cramponner à cette dernière et de ne plus jamais la lâcher. Galen restera dans son sillage. Galen restera sien. Cette fois-ci, il ne détruira pas leur relation. Ce qu’il ignore, c’est que ce ne sont pas les circonstances de sa liaison avec Jyn qui provoqueront un raz-de-marée entre eux, mais les souvenirs d’évènements qui se sont bel et bien produits. Le passé nous rattrape toujours, et à un moment donné, celui-ci rattrapera Orson Krennic.

“I could've been a fighter pilot. I could've got high. I could've been a lawyer. Justice on my mind. But I know I won't think twice about how I spend my life. My heart knows only one song. Those words, they echo on. It's the voice that follows me. It's that never ending beat, because there's only one thing that my heart is set on, that never ending beat.”  (my heart ▵ twin wild)


C’est la première fois que le goût de ses mensonges prend une certaine amertume. C’est surtout la première fois qu’il manque de confiance quant à la teneur d’une conversation avec Galen. Galen est toujours cet ami dévoué, croyant aveuglément et souvent à tort tout ce qui s’échappe des lèvres d’Orson Krennic. Leur relation a toujours fonctionné de cette manière, elle a commencé dans leur véritable monde avant de s’achever à leurs morts. Ici, sur cette île, elle s’est muée en quelque chose de différent. Sur cette île, Orson se sent étrangement vulnérable. Il enchaîne les décisions qui le conduisent inévitablement à plonger, tête la première, dans les ténèbres que son inconscient refoule désespérément. Orson est souvent empreint d’une fragilité qui ne lui ressemble pas. Il ressent presque le besoin d’être protégé et préservé, alors que c’est bien souvent la place qu’il a lui-même occupé auprès de Galen. Sur cette île, Galen préserve son esprit embrouillé par la perte de ses véritables souvenirs. Galen est le gardien de sa sécurité, de sa pureté d’âme et de cœur ; le seul être qui l’éloigne de ses tendances à l’insanité et à la destruction. Dans ce monde, Orson Krennic ne s’en rend pas encore compte, mais il ne fait que s’autodétruire. Comme l’atteste sa relation avec Jyn Erso, fille unique de son cher et précieux ami et ancien partenaire en affaires. Galen est son seul ami, son meilleur ami. Bien qu’il en ait conscience, il est malgré tout en train de tout foutre en l’air dans une simple liaison. Là est l’ironie de la chose, c’est que ce n’est pas qu’une simple histoire sexuelle, c’est une histoire de sentiments et d’émotions vibrantes, passionnées. Un amour interdit. Un amour que tout oppose. Autant au niveau de la différence d’âge, que d’allégeance.

« Oh, tu aurais voulu une photo… » murmure-t-il, en prenant un air faussement désolé. Orson se sent emporté par un léger vertige qu’il parvînt à dissimuler en se noyant dans son verre de vin. Bien que son regard soit fuyant, Orson réussi brillamment à maintenir une illusion de normalité. « Elle n’aime pas être sur les réseaux sociaux. » répond-il simplement pour lui signifier l’absence d’une quelconque photographie. Orson vient d’inventer un mensonge plus que crédible, mais faute de préparation, il ne dispose pas de preuves concrètes pour étayer sa soi-disant liaison avec une conseillère en psychologie comportementale. Orson est convaincu que ce mensonge fera mouche, parce que Galen est réfractaire à sa présence sur les réseaux sociaux. Il ne pourra que concevoir que d’autres personnes pensent exactement la même chose que lui. Il ne pourra qu’approuver, d’autant plus avec autant de convictions de la part de Krennic. « Comme toi. Vous avez énormément de choses en commun, dis-moi. » renchérit-il sur le ton de la plaisanterie. Une plaisanterie amère et déplacée. Orson s’en rend compte et s’en amuse, parce qu’il sait que Galen ignore la vérité. Si Galen savait, sans doute aurait-il hurlé devant une allusion aussi provocatrice.

« Tu sais bien que tu peux tout me dire. » lui dit Galen, qui se veut rassurant. Krennic se répète cette phrase comme une agréable ritournelle sifflant mélodieusement à ses oreilles ; tout, vraiment tout ? « J’hésitais à t’en parler, mais tu es mon plus proche défenseur, c’était une crainte infondée. Tu me connais mieux que personne, n’est-ce pas… Tu sais que je suis quelqu’un de bien. » Quelqu’un de bien pour elle, tu le penserais si je te disais la vérité ? songe-t-il, non sans que le bas de son visage ne se mue en une grimace durant quelques secondes. Orson plonge ensuite ses yeux bleu océan dans les siens en quête de réponse, d’une source d’inspiration, probablement, mais surtout d’une approbation. Il a terriblement besoin de l’approbation de Galen quant à cette relation hors normes. Il recherche dans le marron chocolat de ses prunelles un signe lui permettant de se conforter dans l’idée qu’il est quelqu’un de bien, alors qu’il ne l’est absolument pas. Mais si Galen en est persuadé, Orson est donc quelqu’un de bien. Quelqu’un de bien pour Jyn.

Lorsque Galen semble avoir été convaincu, du moins à moitié, quelque chose se débloque en lui. Un soupir de soulagement s’échappe discrètement de ses lèvres. Galen le croit. Galen pense que cette Serena existe. Elle n’existe pas en réalité. Orson ne connaît personne sous ce prénom. C’est même le premier prénom qui est apparu dans son esprit, au moment où Galen s’est enquit de connaître l’identité de sa maîtresse. Avec le recul, Krennic comprend enfin d’où lui vient ce prénom. Serena est le nom d’une œuvre cinématographique que lui et Jyn ont eu le plaisir de regarder ensemble, il y a un an déjà. C’est devant ce film, qu’ils ont confessés leur attirance pour la première fois. C’est devant ce même film, qu’Orson l’a embrassée. Un baiser qui reste imprégné dans ses pensées, encore aujourd’hui. Sucré, miellé, un peu alcoolisé. Voilà sans doute pourquoi Orson a conservé en mémoire ce prénom insolite, mais très élégant. Serena évoque beaucoup de choses pour lui. Pour eux.

« Je suis rassuré. » souffle-t-il enfin, avant de terminer son premier verre de vin rouge à une vitesse affolante. « Je redoutais que mon vieil ami me fasse la leçon pour m’être mis à fréquenter une femme qui a l’âge de Jyn. » Le double de son âge, en somme. Orson s’exprime en agitant parfois ses mains, on le sent agité, mais pas suffisamment pour que cela devienne trop inquiétant. Lorsqu’il repense à ses propos, il a simplement envie de se noyer dans ses bêtises. De s’esclaffer tellement la situation est plus que tendue, en plus d’être risible. Ce sont les nerfs qui lâchent, probablement, associé au manque de sommeil du fait de ses insomnies d’écrivain passionné et d’alcoolique notoire. Il y a de quoi s’inquiéter. Jyn, enfin, Serena dans les mensonges d’Orson, peut très bien être sa fille. Pour ne rien arranger, dans leur véritable monde, Orson est même de cinq ans plus âgés que Galen, qui est son père. Une précision sans doute inutile, vu les circonstances, mais qu’Orson est incapable de freiner. Galen vient d’ouvrir la boîte de Pandore et toutes ses frustrations s’échappent hors de lui. Ses pulsions sont maintenant hors de contrôle. Orson comprime des émotions beaucoup trop fortes pour lui, mais c’est un mal nécessaire pour se protéger des conséquences d’une liaison peu anodine. Il se force à dissimuler ses plus honteux secrets à son meilleur ami en craignant à juste titre que celui-ci ne lui en fasse le terrible et amer reproche. « Qui aurait pu être Jyn. » dit-il en riant doucement, à voix basse, presque comme un ricanement. Et qui est Jyn, en vérité. Une certaine nervosité se lit clairement dans l’éclat de son rire rauque, cela est très subtil, mais en y prêtant attention, on est capable de discerner une certaine fausseté dans ses propos. Quelle arrogance. Dire cela aussi ouvertement, dissimuler la vérité aux yeux de son meilleur ami avec autant de panache, se vautrer dans l’humour et les allusions malsaines en sachant pertinemment que cette vérité est destructrice. « Ahhh… Enfin, elle ne l’est pas tant que cela. Elle est plus jeune, mais pas… Pas au point d’être illégal. Beaucoup jugeraient cette relation en pensant que j’abuse de son innocence. Pour être parfaitement transparent avec toi… J’ai des difficultés à assumer cette relation pour l’une de ces raisons. Je connais ma notoriété. Les autres peuvent être très cruels. Les sentiments ne se commandent pas. C’est une fusion autant d’esprit que de corps. Je tiens beaucoup à elle… ça ne m’était pas arrivé depuis plus de vingt ans. » Ça ne m'était pas arrivé depuis plus de vingt ans... Une allusion à peine voilée sur ses sentiments pour Galen. Cette phrase résume à elle seule toute la complexité de sa psychologie, de la nature de ses obsessions et de ses ténèbres. Orson est le genre de personne à rester accroché pendant des années, gravitant dans le même cercle de l'objet de ses convoitises, tout en restant discret quant à la force de ses sentiments. Ce n'est pas sain, mais il ne peut s'empêcher de rester proche de Galen, malgré cette ambiguïté vieille de plus de vingt ans. Seulement voilà, ce sont des sentiments qu’il a affirmé et assumé par le passé dans son propre monde, mais pas dans celui-ci. Dans celui-ci, Orson est dans un déni, conscient de l’existence d’une zone d’ombre quant à ses sentiments pour son meilleur ami, mais sans parvenir à en identifier la nature exacte. Il s’est toujours convaincu que sa relation avec Galen, aussi fusionnelle soit-elle, n’est rien d’autre que le fruit d’une amitié sincère et forte de longue date, mêlée à ses tendances possessives et obsessionnelles. Galen est comme ses livres. Il est acquis, selon Krennic. Mais Orson est dans une dualité. Une dualité affective, émotionnelle qui l’emporte généralement dans le chaos.

Orson ne remarque pas à l’instant l’étrange lueur qui traverse les pupilles de Galen, tant il est accaparé par le fait de de réprimer ses émotions. Il s’empare de la bouteille de vin rouge, afin de resservir un second verre, avant de lever les yeux pour les ancrer dans ceux chocolat de Galen Erso. Il garde la bouteille légèrement surélevée, au-dessus de la table drapée d’une jolie nape foncée, dans l’attente d’une approbation de sa part avant de remplir également son verre. C’est là, qu’il décela cette chose dans ses yeux. Cette chose si subtile, infime, qu’il aurait vu en temps normal, mais qu’il a laissé inconsciemment grossir devant lui. Cette chose, c’est l’inquiétude. Orson vient de planter les germes du soupçon en son ami. Ce qu’il aperçoit est loin de le satisfaire. Orson repose tranquillement la bouteille et reporte ensuite son attention sur le verre à pied. Tout en le prenant entre deux doigts, Krennic hume quelques secondes la délicate odeur puissante de son Pinot Noir. Un mélange de fruits noirs et de truffe, un léger arrière-goût fort, évoquant celui du gibier. Un très bon Pinot Noir, selon lui. Ce n’est sûrement pas étonnant, vu les tarifs pratiqués à la carte. Rien que par ces effluves si particulières, l’écrivain est capable d’en déterminer la provenance et les qualités du cépage. Krennic est certes très, voire un peu trop porté sur l’alcool, mais cela lui permet de développer des connaissances approfondies sur la question. Ce qui s’avère parfois utile en société.

« En parlant de Jyn… » reprend-il après une courte pause. Orson comprend bien vite qu’il est dans son intérêt de changer de sujet. Il décide de faire plaisir à Galen en évoquant les activités professionnelles de sa fille ; lui qui est toujours empli d’une immense fierté la concernant. Jyn est par ailleurs un sujet qu’Orson évite d’aborder en règle générale, afin de ne pas se trahir. Mais cette fois-ci, il se sent obligé de parler d’elle, non seulement pour faire plaisir à Galen, mais surtout pour rassurer ce dernier sur les éventuels soupçons qu’il éprouve à son sujet. « Comment va-t-elle en ce moment ? » Orson se dit que c’est une très bonne feinte de mentionner l’existence d’une légère prise de distance entre eux. « Je suis tellement absorbé par mon écriture que je n’ai pas pris de ses nouvelles ces dernières semaines. » Pas vraiment. Il bloque sur l’un de ses chapitres depuis des jours, en revanche, Jyn est même son rendez-vous rituel au cours de ses insomnies. « Je dois t’avouer quelque chose, Galen… Bien que nous travaillions ensemble dans la maison d’édition que tu as fondée, nous ne nous croisons pas vraiment. On s’envoie des mails. Je lui retourne mes projets et mes corrections. C’est un travail assez mécanique. Très peu de rapports humains. » Très peu de rapports humains, quelle bonne blague. Mensonges, mensonges, mensonges encore et toujours. Orson s’étonne souvent lui-même de la facilité déconcertante avec laquelle il arrive à mentir aux personnes les plus proches de lui. Cela le surprend tout en l’emplissant d’un sentiment de grande fierté. S’il peut mentir aussi consciemment, les yeux dans les yeux, à Galen Erso, personne ne peut lui résister. Orson soupire lascivement en contenant un nouvel éclat de rire, mais un léger sourire furtif se dessine sur ses lèvres minces. Quel si bon menteur. Quel bel hypocrite. Quel gros enfoiré. On pourrait jeter la pierre sur Orson Krennic un nombre incalculable de fois. Lui-même sent qu’il est dans une situation abusive avec la fille de son meilleur ami, jouissant clairement d’une supériorité en termes d’âge et d’expérience. Krennic s’amuse de ses propres mensonges, et sans s’en rendre compte, il s’empêtre dans un tissu de mensonges qui sera bien délicat à assumer dans les prochaines semaines. « Je le déplore. Elle me fait beaucoup penser à toi. Tu l’as bien élevée. C’est quelqu’un de consciencieux, de professionnel. Elle a sans doute hérité de ton esprit logique et perfectionniste. » complimente-t-il indirectement, tout en revoyant les images des dernières heures passées avec elle. Krennic est en mesure de le confirmer. Jyn est très perfectionniste, et ce dans tous les domaines, y compris dans les choses de l’amour (oh putain Galen va buter Krennic, je le sens). C’est un terrain miné et très risque en connaissant les dessous de leur relation, mais c’est un homme audacieux. Ses mensonges sont toujours beaux, enveloppés avec grand soin. Il en ignore encore la raison, mais une force extérieure l’invite à parler d’elle devant lui. Sans doute parce qu’une part de lui, bien enfouie, espère une quelconque bénédiction de manière indirecte et complètement tordue. Comment Galen peut-il donner sa bénédiction à une relation qui n’existe que dans les fantasmes de Krennic avec cette fameuse Serena ? Pour qu’il puisse donner sa bénédiction, les choses doivent être réellement mises à plat. Jyn et lui. Jyn et Orson. La vérité, toute la vérité, même si elle doit être abominable.

D’une certaine manière, Galen semble lui apporter le réconfort dont il a besoin. Lorsqu’il se met à évoquer le fait que l’amour est imprévisible, c’est alors comme une petite victoire pour Orson. Un sourire satisfait se dessine sur son visage. Il se laisse retomber mollement en arrière contre le dossier de son siège, et bien croiser élégamment les jambes sous la table, avant de porter son verre de vin en bouche. Son autre main renforce sa prise contre le bord de la table, en caressant de manière distraite les coutures de la nappe qui la recouvre. « Je suis heureux pour toi, sincèrement. » dit Galen. Cela le comble tellement, et tout à coup, la pression accumulée redescend pour laisser place à un véritable et sincère état d’euphorie. « J’attendais ce moment depuis longtemps, tu sais. » murmure-t-il entre deux gorgées de vin. « Tu respectes toujours mes prises de position. Par exemple, tu sais que je déteste m’étendre sur ma vie personnelle, et tu as toujours respecté ma discrétion à ce sujet. Je t’en remercie. Seul un véritable ami en est capable. » C’est même une consécration de la part de Krennic. Il incline légèrement sa tête afin d’illustrer ses propos, puis repose finalement son verre près de son assiette. Toute la tension nerveuse qui s’est accumulée ces dernières minutes commencent progressivement à retomber. Une certaine… sérénité se dégage de lui. Du moins, jusqu’à ce que le prénom de Lyra vienne siffler à ses oreilles. Là, tout à coup, il se sent vriller sans raison. Son visage passe de la sérénité à l’énervement. Une légère teinte de rouge vient même colorer ses joues durant une fraction de seconde. De la colère. De la jalousie. De la possessivité. Orson fronce les sourcils quelques instants en essayant de se recaser la défunte épouse de son ami. « Lyra… » marmonne-t-il gravement. Il en ignore encore la raison, mais il ressent une très forte animosité pour Lyra. « Mmh… Quel drame terrible. » dit-il en soupirant exagérément. Il simule avoir du chagrin pour la pauvre Lyra, afin de consoler Galen, mais cela ne lui fait réellement ni chaud ni froid. Quoiqu’il ressente une légère satisfaction dans la mort de Lyra. Elle vient de nulle part l’emporte dans un tourbillon d’excitation inattendu. « Il y a des pertes dont on ne se remet jamais, Galen. Elles sont toujours là, tout le temps. Partout. Jusqu’à notre mort, cette personne restera dans nos pensées, bien qu’elle ne puisse… être avec nous. » Ces mots sonnent en lui comme un aveu compliqué à formuler. Ils lui parlent personnellement. Orson ne se remettra jamais de la perte amoureuse de Galen, il a été contraint de tirer une croix sur toute possibilité entre eux, il y a bien des années. Alors qu’il est bien conscient aujourd’hui que Galen reste et restera uniquement son ami, ses pensées sont encore tortueuses. Encore tournées, parfois, vers lui. Cette dualité affective, dans laquelle Krennic est partagé entre son passé et son présent l’empêche souvent de distinguer son futur. Son cœur se contracte douloureusement dans sa poitrine. Encore une fois, il n’y a aucune raison apparente, mais l’existence même de Lyra insuffle en lui une certaine douleur. D’autant plus que Galen évoque la possibilité de rencontrer quelqu’un, ce qui le fait, encore une fois, douloureusement tiquer. Krennic inspire une profonde bouffée tout en croisant les bras contre sa poitrine. La fin de sa phrase calme quelque peu ses ardeurs et le rassure, d’une certaine façon, tant mieux si Galen ne s’en remet jamais. Galen est acquis. Galen ne peut s’encombrer d’une autre personne. Pourquoi en aurait-il besoin, après tout, dans l’esprit de Krennic, sa présence lui suffit amplement (PSYCHO). « Je suis là, dans tous les cas, Galen. Tu peux compter sur moi. Je ne partirai pas. Je ne ferai jamais rien qui puisse te faire du mal ou te causer du tort. » Sur ces deux derniers points, ce n’est pas tout à fait exact. Il lui en a fait, mais il ne s’en souvient simplement pas. « Ce que tu ne me dis pas, c'est que je te suffis, pas vrai ? » dit-il en riant pour faire passer cet aveu sous la forme d'une plaisanterie. Mais ce n'en est pas une. Loin de là. Le pire c'est qu'il est diaboliquement sérieux. Orson considère qu'il peut suffire à Galen jusqu’à la fin de sa vie, c’est même de cette manière qu’il conçoit le dénouement de leur amitié fusionnelle.  Deux vieux amis. Galen qui reste veuf. C'est extrêmement égoïste de sa part d'espérer un tel avenir pour celui qu'il considère comme son meilleur ami, mais il méprise fortement toute forme de concurrence ou de possession sur ce qu'il croit lui appartenir.

“I could've been a fighter pilot. I could've got high. I could've been a lawyer. Justice on my mind. But I know I won't think twice about how I spend my life. My heart knows only one song. Those words, they echo on. It's the voice that follows me. It's that never ending beat, because there's only one thing that my heart is set on, that never ending beat.”  (my heart ▵ twin wild)


Lorsque Galen lui affirme que Jyn Erso se porte bien, c’est avec un sourire niais qu’Orson répond. « Elle va bien. » dit-il. Bien sûr qu’elle va bien. Il y a encore quelques heures, Orson s’est trouvé en sa compagnie, entre les draps de son propre lit. Il préfère ne pas tenter le diable, et se contente de boire son verre de vin rouge, sans un mot. Il écoute d’une oreille attentive, tout en donnant l’air d’être ailleurs, les propos qui suivent : « Elle aussi a beaucoup de travail ces derniers temps, je suppose que ça n’aide pas vraiment. Même moi j’ai peine à passer du temps avec elle ces derniers temps. Ceci dit, je la soupçonne aussi d’avoir une vie sentimentale plus accaparante qu’elle ne veut bien l’avouer à son vieux père. » Galen ne peut forcément le déceler, mais le rictus d’Orson Krennic s’allonge derrière sa coupe. Le père est perspicace, en effet, sa fille chérie a en ce moment une vie sentimentale plus accaparante qu’elle ne veut bien le lui avouer… Et pour cause, elle entretient une liaison avec le meilleur ami de son propre père. Plus âgé qu’elle, plus expérimenté, plus… dangereux. Des némésis, dans leur propre monde. Sans leurs souvenirs, ni Jyn ni Orson ne sont capables de prendre conscience de la dangerosité de leur relation amoureuse. Il termine son verre, et le repose un peu trop brutalement sur la nappe. « Oh… Galen, ne t’en fait pas. Elle est jeune, c’est de son âge, ce genre de secret. Elle t’en parlera au moment opportun. » répond Krennic, d’une voix traînante en faisant mine de ne pas avoir plus d’informations que lui. (quel putain de bâtard de menteur omfg) « Elle a probablement peur que tu ne fusilles ton futur gendre en le voyant passer le pas de ta porte… » se moque-t-il amicalement, non sans avec une arrière-pensée à l’esprit. Il hésite même à faire une comparaison avec lui-même, pour « tâter le terrain » avec Galen mas s’en abstient à la dernière seconde. (heureusement pour lui, il veut être flag omg)

Il attrape dans le creux de sa main la bouteille de vin rouge, afin de se remplir un autre verre. Orson a cessé de compter. C’est le troisième ou le quatrième ? Il est de plus en plus nerveux, craignant de commettre une bavure, voilà pourquoi l’alcool lui semble être un si bon compagnon de réconfort. « Et tu n’es pas si vieux. » renchérit-il sur un ton réprobateur, malgré les cinq ans qui les séparent. Galen est plus âgé. Orson est supposé être… le plus frivole des deux. Ce qui est bien le cas. Pourtant, à cet instant, c’est Orson qui se comporte comme l’adulte responsable, le pygmalion. « Pour un homme qui approche de la cinquantaine, tu te portes assez bien. D’ailleurs… la barbe d’une semaine, c’est temporaire pour essayer quelque chose de nouveau, c’est un oubli de de ta part de te raser, ou bien alors… c’est que… tu essaies de séduire quelqu’un en particulier ? » (OUI, LUI !!) souffle Krennic en haussant un sourcil une fraction de seconde, avant d’accompagner ses taquineries d’un clin d’œil qui se veut… ambiguë – situé entre le flirt et l’amusement. Orson aime flirter avec son meilleur ami. C’est sans mal. Il ne heurte personne, Galen est célibataire. Ils sont amis de longue date, c’est tout naturel pour eux. Leur proximité affective, émotionnelle et physique a déjà atteint ses limites. Celles de l’amitié, bien entendu. Jamais au-delà. Enfin, pas d’après leurs souvenirs.

Ils ne se souviennent pas encore, mais ils ont déjà dépassé le cadre de la décence et de l’amitié. Plusieurs fois. Orson aime être dans un jeu de séduction malsain avec Galen. Même lorsque le scientifique était marié, il continuait avec ses allusions, sous-entendus étranges et pénétrants. A le toucher – le biceps, la cuisse, la main, l’épaule. A abuser de leur proximité physique en prétextant une franche camaraderie. Galen a toujours cru en sa bonne foi, mais il n’y a jamais rien eu d’innocent, pas sous le prisme de Krennic. « Si c’est définitif… Ma foi… Je pense que je pourrais bien m’y faire. » Des propos tendancieux qui ne sont pas sans rappeler ceux qu’il a lui-même proféré, il y a bien longtemps, dans leur véritable monde. Après l’avoir sauvé sur la planète Vallt. (le coup de la barbe, ça me tue encore) « C’est étrange. » remarque-t-il, au moment même que ces mots s’échappent de ses lèvres. « J’ai comme une impression de déjà-vu. » Ce n’est pas qu’une impression, mais Orson Krennic a tout perdu en arrivant sur cette île, dont ses précieux et mémorables souvenirs. « Je t’ai déjà fait cette réflexion ? » Il insiste, troublé par les flashs grossiers et lumineux qui recouvrent ses pensées. Lui et Galen. Galen en piteux état, amoindri et avec une barbe de quelques mois. Lui qui semble s’en inquiéter, une main accrochée à son biceps, et un sourire amusé au visage, soufflant ces quelques mots pour le réconforter… « Je pourrais me faire à la barbe. »

La prochaine question de Galen le cloue à sa chaise. Krennic glisse alors ses doigts sous le bord de la table, pour accrocher ses ongles au bois vernis. « Que ferais-je de tout le temps libre que je vais avoir à présent que mon meilleur ami me néglige pour sa nouvelle conquête ? » Sa nouvelle conquête est toute autant importante que son meilleur ami. Ne comprend-il donc pas ? Krennic a besoin des deux dans sa vie. Il croit fermement, en tout cas à ce moment précis, avoir besoin de son ancien et de son nouvel amour pour être heureux. Il ne comprend pas que son intérêt pour Jyn Erso est faussé depuis le début de leur romance. C’est pour Galen qu’il fait tout cela, c’est pour Galen depuis toujours. Il aime encore Galen Erso, quoiqu’il en dise, quoiqu’il fasse. Krennic prend la remarque de Galen au sérieux. Il hausse les épaules, gêné par ce qu’il s’apprête à dire, et souffle : « J’aurais toujours besoin de toi, Galen. » Toujours. C’est une certitude. Même marié, même en couple, même avec des enfants. Il lui faut Galen dans son entourage, mais surtout sous son emprise. Il le lui faut plus que tout. C’est une pulsion viscérale, qui brûle en lui comme un volcan en éruption. « Peu importe avec qui je sors… Galen, tu auras toujours une place importante dans ma vie. Tu le sais, n’est-ce pas ? » dit-il, visiblement déjà un peu éméché. Mais ce n’est pas encore terminé. Orson marque une pause et décide de poursuivre en adoptant un timbre de voix plus grave. « Ce qu’il y a entre nous… » Krennic soupire, tout en lâchant la table pour récupérer son verre de vin rouge. « C’est plus fort… qu’une banale histoire d’amitié. » C’est de l’amour encore en sommeil. Un amour qu’il pense bêtement être mort, alors qu’il n’est qu’endormi, et n’attend qu’une simple étincelle pour renaître.

Krennic savoure son verre alors qu’il se repasse ses dernières paroles en boucle dans sa tête. C’est probablement présomptueux de sa part d’affirmer l’existence d’un tel lien entre eux. Il se sent légèrement désinhibé. « J’espère tout de même que tu as l’intention de me la présenter. » Alors là. Comme c’est risible. Vraiment drôle. Krennic s’en étouffe avec son vin rouge. Il repose son verre, désormais vide. C’est le combien, d’ailleurs ? Il boit depuis… vingt minutes au moins, et les verres défilent. Krennic remarque d’un coup d’œil furtif que la bouteille de vin rouge est déjà bien entamée. Sur cette île, et sans ses souvenirs, son penchant pour l’alcool est assez prononcé – cela trahit des angoisses profondes qu’il est incapable de résoudre. « Peut-être. » répond-il sur un ton quelque peu énigmatique. « Plus tôt que tu ne le penses. » Une semaine plus tard, en réalité. Oui, il parlera à Galen de sa relation amoureuse avec Jyn. Il confiera tous ses secrets, c’est même prévu dans son agenda. Orson est profondément mal à l’aise. Chaque détail dans sa gestuelle, dans son timbre de voix ou dans ses paroles est susceptible d’éveiller de la curiosité ou de l’inquiétude. Galen Erso l’a sûrement déjà senti, Orson semble ne pas s’en rendre compte, tant il est focalisé sur le goût épice de son vin rouge.

« Au fait… » Il décide alors habilement de changer de sujet, pour reporter l’attention de Galen sur son futur projet d’écriture, avant de se trahir davantage auprès de lui. Ce n’est pas le moment de confier sa relation. « J’ai commencé la rédaction de ma dédicace, et de la conclusion de mon dernier projet. Pour mon prochain bestseller. J’aimerais ton avis sur ces propositions. Je sais que nous n’avons pas travaillé sur ce livre ensemble, mais… » En effet, c’est avec Jyn qu’il a planché sur ce bouquin, mais l’ombre de Galen est partout autour de lui. Orson alcoolisé est d’ailleurs plus… loquace que d’ordinaire sur ses sentiments, ce qui peut être également un frein. « Ton avis m’importe beaucoup. » Krennic craint quelque chose, mais ne sait pas comment l’expliquer. De quoi a-t-il si peur, finalement ? De se confier à propos de Jyn, ou bien de s’aventurer sur… un sujet encore plus dangereux ? Comme… les lèvres fines et si belles de Galen Erso, à la faible lueur de l’éclairage du restaurant ? Comme… le fait qu’il désire être ramené dans son appartement par Galen – vu le nombre de verres, il est évident qu’ils doivent prendre un taxi pour la fin de soirée. (vas y un baiser dans la voiture omg) Orson éprouve des réminiscences de son ancien amour obsessionnel pour son plus vieil ami, mais se refuse à ouvrir la boite de Pandore... Jamais, Ô grand Dieu jamais, il ne le fera. Orson le fera pourtant, et pas plus tard que pendant cette soirée. « Surtout que cette dédicace… te concerne. » Qu’est-ce qu’il ne ferait pas pour appuyer son emprise sur Galen. « J’ai décidé de te le dédicacer. » confie-t-il, avec un rictus au coin des lèvres. Un sourire mystérieux.

Il s’interrompt en levant le doigt, comme pour mettre Galen « en pause », le temps de farfouiller dans son smartphone pour retrouver ses dernières notes. « Ah, voilà. » soupire Krennic, satisfait, en déroulant ses textes du bout de l’index. Il cherche et trouve enfin les propositions qu’il a mis de côté, dans l’attente de ces retrouvailles. « Dis-moi ce que tu en penses. » Faut-il préciser que ces dédicaces ont été rédigées, sous l’emprise d’un élan de nostalgie ou d’alcool ? Krennic ne les lit pas à haute voix, sans doute par pudeur étrange ou déplacée, alors il lui laisse ce plaisir en déposant son téléphone près de son assiette en porcelaine encore vide. Orson semble toutefois réfléchir à son geste, et se lève d’un bond de sa chaise, avant de contourner leur table drapée d’une élégante nape blanche. Il veut le lui donner en main propre. Il attrape le poignet de son ami, pour déposer dans le creux de sa main son précieux smartphone. « Regarde. Ces lignes-là. » souffle-t-il en désignant du doigt les quelques paragraphes qu’il surligne d’une ou deux manœuvres de doigt sur son écran tactile. Puis, il garde la main de Galen dans la paume de la sienne, afin de garder un contact physique tout le long de leur lecture à deux.

Il y a trois propositions de dédicaces. Dont une, assez ambiguë. Les deux premières sont normales, sans trop d’artifices. Elles se composent simplement de remerciements amicaux, sans être particulièrement inquiétants, même avec une pointe d’humour pour l’une d’elles. « Pour Galen. Le meilleur ami qu’un écrivain aussi talentueux puisse espérer. Merci d’avoir su tout supporter de moi depuis la naissance de ce projet, mes penchants pour nos virées nocturnes compris. » Krennic fait référence à leurs innombrables dîners en ville et dans les bars, et parfois même, en discothèque. Cela ne leur est arrivé qu’une fois, mais ce moment reste mémorable, autant pour l’un que pour l’autre. Dans une autre proposition de dédicace, il évoque les liens sacrés de leur amitié, d’une manière quelque peu intime, en faisant mention de « son sang ». « Galen, mon ami le plus fidèle et le plus vieux. J’espère que tu apprécieras ma dernière œuvre littéraire. C’est en pensant à toi que j’ai travaillé sur l’un de mes héros. Le courage de mon scientifique est ce que tu m’inspires de plus noble et de plus sage. Comme il l’a affirmé à mon antagoniste de ce dernier tome, je te dédie ses quelques mots qui décrivent si merveilleusement bien notre amitié : ‘Quoique tu fasses, je te retrouverai toujours. Cela va bien au-delà de notre projet. Je ne te laisserai jamais entièrement partir – quoique tu me dises ou quoique tu me fasses. Parce que tu as autant besoin de moi, que j’ai besoin de toi. Tu es dans mon sang.’ » Krennic garde la meilleure pour la fin. Celle qui fera pleurer dans les chaumières, en écrivain talentueux qu’il est sur cette île. (attends qu’il retrouve ses souvenirs et là il va tout faire péter, tout cramer, ça va être le feu sur l’île)

Krennic fait dérouler de l’index les quelques paragraphes de l’une de ses notes virtuelles, au fil de leur lecture commune. Il ne commente rien, mais s’appuie sur le mouvement des yeux de Galen Erso pour savoir à quel moment il convient de descendre le curseur. Lorsqu’enfin, Galen termine ses deux premières lectures, Orson expose sa dernière œuvre avec un mélange d’appréhension et de fierté. Il recule sa main de l’écran, pour laisser celle de Galen prendre le relai, sans toutefois briser le contact physique. Orson positionne cette dernière sur l’épaule droite du producteur. Une poigne ferme et… possessive. Orson et Galen sont des amis très proches et fusionnels. Ce genre de rapprochement physique, d’effleurement, de caresses est… finalement monnaie courante. Orson aime toucher Galen. Il aime effleurer ses doigts, au moment de faire descendre le curseur de son écran virtuel. Il aime serrer l’épaule de Galen à travers le tissu de son vêtement. Il adore souffler dans son oreille, ou pencher délicatement son visage vers le sien en s’adressant à lui, en laissant au passage ses lèvres effleurer sa joue « Alors ? » chuchote-t-il dans le creux de son oreille. Son souffle chaud se répand alors comme un poison dans le cou de son meilleur ami. Il referme ses doigts dans le creux des os de son épaule, par-dessus la veste de son costume élégant. Orson se tient toujours dans son dos, son torse se soulevant et s’affaissant au rythme précipité de sa respiration. Il en ignore encore la raison exacte, mais ce rapprochement, – quoiqu’amorcé de son propre fait – lui coupe le souffle. Il se met à lire sa dernière dédicace en même temps que Galen Erso, en appuyant sur son épaule parfois – selon les passages les plus forts. Oui, il serre, tout en penchant son torse davantage jusqu’à rencontrer le dossier de la chaise. « Pour Galen, mon ami le plus fidèle. Galen, mon patron, mon confident, mon meilleur, mon miroir, mon soutien le plus fort et le plus lointain... Galen, c’est désormais un rituel entre nous. Chaque livre s’accompagne d’une dédicace pour la personne formidable que tu es. Cette dédicace clôturera ma saga des étoiles. Pour toi, Galen. Pour ta patience, pour ta passion, pour ton amitié, pour le simple fait que tu existes et que tu respires. Tu es ma personne préférée dans ce monde. Tu l’as toujours été et tu le seras toujours. L’affection que je te porte va bien au-delà de tout. La passion que tu m’inspires me coupe souvent le souffle, mais je le retrouve par ton sourire plein d’espérance. L’envie que tu fais naître en moi, celle d’aspirer à devenir une meilleure personne me comble. Je n’aspire à devenir la meilleure version de moi-même que grâce à ton amitié. Je le fais pour toi, et pour personne d’autre, Galen. Il a toujours été question de toi et de moi. Si nous n’étions pas deux hommes et si nous étions autre chose que de proches et vieux amis, tu serais sans doute l’amour de ma vie. Tu es comme « mon autre femme ». Tu me conseilles, tu me réprimandes, tu es au cœur de cette œuvre en quatre volumes. Ce projet est notre projet. J’ouvre ma saga, avec ton amitié, et je la termine, avec la conviction d’être ton âme-sœur. En toute amitié. En toute tendresse. Ton âme-sœur d’amitié. (je ris) Dans une autre vie, dans un autre monde, peut-être. Tu es mon meilleur ami. Merci pour ces livres. Merci d’avoir été mon meilleur héros. Merci pour ton amitié. » Leurs visages sont proches, même côte à côte, à scruter les quelques lignes sur le téléphone d’Orson. « J’étais très inspiré ce soir-là. » fait-il, apparemment admiratif de son propre travail. Il a surtout beaucoup bu ce soir-là. (je ris fort)

Une fois leur lecture aboutie, il interroge spontanément son plus vieil ami sur l’ordre de ses préférences : « Je prends laquelle ? » Krennic se garde de faire un commentaire sur la nature quelque peu tendancieuse de certaines de ses tournures, en dehors du fait de dire qu’il a été « très inspiré ». Il admet lui-même avoir été assez loin sur quelques passages, faute d’un petit verre en trop, mais il reste dans l’ensemble fier de son travail. Orson se persuade d’avoir su transmettre de la force et des émotions à travers ces quelques mots. Des mots qui signifient bien plus qu’une simple dédicace faite sur l’autel de leur amitié. « J’ai hâte d’être au dessert. Ce qu’ils proposent me met vraiment en appétit. » renchérit-il en riant contre la joue de Galen, en passant du coq à l’âne. Encore une fois, Krennic change de sujet. Il aime avoir l’avis de Galen sur son travail, cela le stimule tout particulièrement. Cela l’angoisse tout autant. Galen est si… exigeant et brillant. Il refuse de le décevoir. Alors, il cherche à détendre l’atmosphère au moment de ressentir comme un pic de nervosité s’emparer de lui. Krennic se redresse en prenant le soin d’appuyer une fois de plus l’épaule de Galen, tout en récupérant son smartphone de l’autre main, à la recherche de son verre de vin. Il a déjà bien assez bu. (RESSERS LE) Il s’écarte de Galen, en déposant une caresse brève et légère dans son cou, qui se veut fraternelle et affectueuse.

“I could've been a fighter pilot. I could've got high. I could've been a lawyer. Justice on my mind. But I know I won't think twice about how I spend my life. My heart knows only one song. Those words, they echo on. It's the voice that follows me. It's that never ending beat, because there's only one thing that my heart is set on, that never ending beat.”  (my heart ▵ twin wild)



Krennic repense aux propos précédemment tenus par Galen. « Tu penses toujours que je n’aurais pas dû ? » D’un simple coup d’œil, il s’aperçoit de détails qui l’attirent irrésistiblement et laissent son esprit vagabonder vers des fantasmes inavouables – comme de ces quelques frissons qu’il distingue au niveau de la nuque de Galen, au rythme du souffle chaud qui s’échappe de ses lèvres entrouvertes, logées contre son oreille. Orson est bien trop ivre pour interpréter ces signaux autrement que comme des marques d’une affection naissante. Il est forcé de les interpréter comme des indices susceptibles de lui être reprochés, peut-être plus tard. Il garde les yeux rivés sur la chair fragile et bien blanche du cou de Galen, baissés sur ces pores qu’il devine frileux au contact de son souffle ou de la pulpe de ses doigts. Krennic réalise des caresses lascives et surtout brèves, qui sont à mi-chemin entre la caresse dévouée d’un amant et le geste tendre, réconfortant d’un ami. Galen Erso est incapable de déterminer si ses intentions sont honorables ou tendancieuses, et c’est exactement ce qu’Orson Krennic veut. Il espère semer le doute dans l’esprit de son meilleur ami. Lorsque Galen le sort de ses rêveries, cela lui procure l’effet d’un coup en plein cœur. « Tu étais surtout très bourré, je suppose. » Oui, un peu. Krennic le prend toutefois mal, mais ne montre aucune trace de son agacement. Orson dévoile bien souvent ses sentiments sous le coup de l’alcool. Pourquoi est-il si étonné, que Galen veuille s’engouffrer dans cette brèche ? « Ah, ah, oui, sans doute. » grommèle-t-il en riant faussement. « Je vois qu’on ne peut rien te cacher. » Krennic ment, blessé. Il a pensé chacun de ses mots, mais il ne peut les verbaliser, car c’est trop dangereux pour leur amitié. Il comprend qu’il vient d’atteindre un mur qu’il ne peut surmonter. Qu’il pense à tort, ne pas pouvoir affronter, en tout cas.

Krennic dévie le bleu océan de ses orbes profonds en direction de l’écran éclairé, un peu aveuglant, de son smartphone, tandis que Galen termine sa lecture et commence à lui donner ses premières recommandations. Il écoute avec attention, comme un élève devant son professeur. Chaque mot, chaque conseil de Galen Erso est quelque chose qu’il chérit intimement. « Je choisirais la première, la dernière pourrait… porter à confusion. – je veux dire, pour quelqu’un qui ne nous connaîtrait pas dans l’intimité. » Il hausse les sourcils, tiquant sur la fin de sa phrase, mais préfère demeurer dans son mutisme, avant de faire une bêtise. « Mais ça me touche. » Son cœur fait alors un bond gigantesque dans sa poitrine. Galen est touché. Orson a réussi son coup. « Sincèrement. Tu sais bien que même si je ne manie pas les mots aussi bien que toi, je le pense tout autant. » Un faible rictus se dessine au coin de ses lèvres, qui ne fait que s’élargir au fil des secondes pour former un sourire amusé et charmeur. Galen n’est pas un écrivain dans l’âme, c’est un esprit plus cartésien, scientifique et mathématique qui l’habite. Galen est toutefois capable de transparaître beaucoup d’émotions, avec de simples mots. Car Orson sait que ces mots-là ont une importance capitale pour ce dernier. Comme là, maintenant. Orson est touché par ce qu’il lui dit. Il est heureux, presque euphorique en découvrant toute l’affection que lui porte son meilleur ami – une affection réciproque. En partie, du moins. Galen ignore ce qu’Orson désire réellement de sa part. Mieux vaut qu’il continue de l’ignorer, se dit sombrement Krennic, alors que son sourire vient de disparaître brutalement de son visage éclairé, au regard pétillant d’émotion. Il ne peut aller plus loin que ces dédicaces. Il ne peut pas. Il risque de tout perdre. Il risque de perdre ce sourire, cette douceur, cette solidarité, cette amitié, cette épaule sur laquelle se reposer en toute confiance, cette affection… Cette sensation d’être « tout » dans le cœur et l’esprit de Galen. Son meilleur ami, son seul et unique ami depuis Brentaal IV. Bien que sur ce dernier point, l’architecte est incapable de se rappeler les souvenirs de son ancien monde pour le moment. Krennic comprend qu’il préfère largement garder Galen à ses côtés, quel que soit le lien qui les lient. Une amitié lui suffit pleinement, si Galen se tient près de lui. Confesser des choses inavouables, comme une attirance ou un amour vieux de trente ans est un risque qu’il n’est pas encore prêt à prendre. Pas avant d’avoir descendu une bonne bouteille de vin rouge au moins.

« Tu es plus important pour moi que n’importe qui. » Là, c’est le feu d’artifices dans sa tête. Krennic a le regard qui s’éclaire, brillant d’une lueur chaude et intense, pleine d’un désir comprimé. Est-ce qu’il a bien entendu ce qu’il vient d’entendre ? Galen estime qu’il est l’être le plus important qui soit. Cela empli son cœur d’une chaleur douce et réconfortante, mais pas seulement. Une étrange sensation, lancinante lui prend l’estomac. Piquante et aigüe. Krennic est flatté, troublé, et il meurt d’envie d’approfondir le constat que Galen se fait de leur si vieille amitié. Galen est donc d’accord avec ses écrits. Il le considère également comme « l’amour de sa vie » ? C’est… Non, c’est trop. Orson en oublie momentanément Jyn. Sa relation avec elle est désormais compromise par ce début d’aveu. Par le propre père de cette dernière. Krennic réalise que c’est extrêmement malsain, sordide, ignoble même. Il le sait, mais il s’en moque. Il sort avec la fille, mais il désire furieusement le père. Il le désire depuis toujours. Il le désire depuis le début. Il a simplement… oublié à quel point il le désire, qu’il le veut et qu’il l’aime. L’île lui a pris tous ses souvenirs. Ceux qui relatent une première liaison entre eux, du temps de la construction de l’Étoile de la Mort. « Je crois que j’ai déjà bien trop bu. Me remplir l’estomac ne me fera pas de mal non plus. » Galen semble avoir compris l’ambiguïté de ses propos, puisqu’il cherche immédiatement à se rattraper pour détourner le sujet.

Silencieux quelques instants, Orson Krennic décide d’en profiter pour rompre le silence pesant qui s’est installé entre eux. « Nous avons tous les deux trop bu, Galen. » La voix d’Orson n’est pas aussi froide qu’il désire le faire paraître, elle est au contraire aussi brûlante que le souffle amoureux d’un amant contre son oreille. Qu’il profite même de brosser, du bout de ses lèvres minces au passage. Oui, Orson Krennic est un homme amoureux. Pas de sa compagne actuelle, malheureusement. Il aime Jyn. Il l’aime avec force, mais il aime Galen encore plus. Jyn ne lui suffit pas. Jyn ne le comble pas autant que Galen le comble. Il aime Jyn, mais son amour n’est pas suffisant pour éclairer son monde entier, pour illuminer son regard comme Galen est en train de le faire. Alors qu’il retourne à sa place, et croise les jambes sous la table élégamment drapée pour l’occasion, Krennic récupère au passage son précieux smartphone. Il regrette de s’être éloigné du scientifique, aujourd’hui producteur dans le cinéma. Une grimace se forme sur son visage, alors qu’il relit distraitement ses dédicaces, loin de réaliser encore qu’elles ont mis son meilleur ami en émoi. « On commande ? » renchérit-il, pour calmer ses tensions, et surtout dissiper l’atmosphère étrange qui embaume désormais leur coin du restaurant. Krennic lève le bras, fièrement, afin d’interpeller un serveur, puis, il dépose sur le plateau de ce dernier son menu, après avoir ordonné qu’on lui rapporte des pâtes fraîches au foie gras, magret de canard et truffe noire du Périgord. Un plat cher, l’un des meilleurs de la carte, mais Orson Krennic refuse de se priver de quoi que ce soit, après avoir grandi comme un enfant de classe sociale très modeste, qui s’est efforcé de se créer son propre ascenseur social, pourchassant la gloire, la reconnaissance et la fortune.

Orson termine son nouveau verre de vin rouge, mais ne cesse de se resservir. Lorsqu’il réalise que Galen et lui risquent d’arriver à la fin de la bouteille, il siffle une seconde fois le serveur, pour commander une seconde bouteille de rouge. (déjà, ils en sont qu’à l’apéro, ça promet) « Il est excellent, j’ai préféré rester sur une valeur sûre. » se justifie-t-il auprès de Galen, lorsque les beaux yeux chocolat tendre de ce dernier se posent sur les siens. Orson cherche à justifier son choix confortable de recommander le même grand cru. Il ne désire pas changer, tout comme il est incapable de changer de direction les élans douloureux et passionnés de son cœur depuis trente ans. Il n’y aura toujours que Galen Erso, quoiqu’il fasse ou quoiqu’il dise – quelle que soit la merveilleuse créature qui se tient à son bras. Jyn est merveilleuse, et Orson se sent particulièrement chanceux de l’avoir à ses côtés. Il faut dire qu’il a oublié leurs querelles passées en arrivant sur cette maudite île. Quand bien même, Jyn est une femme merveilleuse, intelligente, forte et courageuse. Elle n’est pas Galen, mais c’est ce qui se rapproche le plus du scientifique. Il ne peut avoir Galen, il en est persuadé. Il ne peut l’avoir. Galen Erso est inaccessible. Il ne peut l’avoir, mais pourquoi… Pourquoi donc les poils du scientifique se sont hérissés sur ses bras, pourquoi ces légers frissons ont traversé le long de sa nuque au passage de son souffle chaud ou de ses brèves caresses ? Orson les a bien distingués de ses propres yeux. Cette question lui torture tant l’esprit et l’estomac, que Krennic enchaîne les verres de vin, en s’attaquant cette fois à cette nouvelle bouteille de vin – après que le serveur s’est occupé de la déboucher à leur table, avant d’abandonner les deux amis sans ajouter un mot.

« Je te ressers ? » Inutile, il est déjà en train de le faire. Oui, ils ont déjà trop bu, mais Orson Krennic ne s’embête pas de ces considérations pour continuer. Il aime le chaos, la contradiction. Il désire secrètement obtenir plus de confidences de la part de Galen, afin de se mettre lui-même en confiance et faire ce qu’il meurt d’envie de faire depuis son quatrième verre de vin. Depuis qu’il a chuchoté à son oreille, qu’il a posé ses doigts sur sa main pâle, si chaude sous la pulpe de ces derniers. Depuis que l’une de ses mains est venue tâter la musculature parfaite de son épaule par-dessus la veste de son costume. « Galen. Ôte-moi d’un doute, avant que je ne te coupe pour commander la suite… tu as bien dit que j’étais la personne qui comptait le plus à tes yeux ? » Une légère hésitation dans le timbre de sa voix, Krennic parle sans le regarder dans les yeux, en préférant les noyer dans la couleur pourpre de son vin rouge. « Dans quel sens, l’entends-tu ? » Parce qu’il existe plusieurs sens, voire un double sens à leur amitié ? « Parce qu’une personne qui représente vraiment tout est extrêmement importante, et on peut de ce fait tout lui demander, elle ne pourra que dire oui. » Ça y est, ses doigts tremblent sous la table. Il essaie de calmer sa main dissimulée sous la nappe en dépliant ses jambes pour les plier dans l’autre sens. Il touche au passage le mollet de Galen, du bout de sa chaussure en cuir vernis, par inadvertance. Ce n’est pas calculé, c’est la nervosité qui tétanise son corps tout entier qui lui fait réaliser des gestes un peu trop empressés. « Tu ferais vraiment tout pour moi ? » Cela le laisse perplexe. Peut-il tout lui demander sans sourciller ? « Si je te posais une question plutôt intime… Tu répondrais en toute honnêteté ? » Il inspire profondément, et dévie enfin son regard de son vin vers les yeux tendres de Galen, qu’il capture avec une intensité brûlante dans ses orbes lumineux. « Et si je te demandais de faire quelque chose, n’importe quoi, tu le ferais ? » Krennic est hésitant, et cela se sent. Les blancs qu’il place entre ses mots et le léger tremblement dans le son de sa voix trahissent la fragilité qui s’empare de son corps. Krennic devine déjà la nature tendancieuse de ce qu’il s’apprête à dire, il essaie de cacher ses vrais désirs sous des raisons parfaitement normales et saines. Il lui faut trouver un prétexte, afin de justifier la curiosité malaisante qui le démange fortement.

« J’écris quelque chose, en ce moment. Je ne l’ai pour l’instant montré à personne, pas même à Jyn, et… Je confesse être assez inexpérimenté sur la question. Je crains écrire de manière superficielle, pour ne l’avoir jamais vécu moi-même. Mais peut-être bien que toi… » Une expérience, bien sûr. Peut-être que lui… a déjà été confronté à ce qu’il compte lui raconter ? Krennic a besoin de savoir si Galen s’est laissé tenter par une romance, ou une liaison avec un autre homme. S’il a déjà éprouvé des sentiments, ou bien une attirance, pour quelqu’un de son sexe. Orson a besoin de savoir, il s’agit d’une curiosité très malsaine. Il en a besoin, car Krennic ne peut s’enlever de la tête les images des frissons sur sa peau, tout près de la sienne. Ces souvenirs l’obsèdent. Cette histoire de roman est fausse, bien entendu. Ce n’est qu’un prétexte. Il n’écrit absolument rien de ce genre, quelle horreur. Orson Krennic est loin d’être un putain de romantique. « Dans mon prochain livre, il y a deux hommes… » Quelle meilleure manière d’aborder l’ambiguïté de leur propre relation en la confrontant à celle d’une autre relation, parfaitement fictive ? « Ils s’aiment, mais ils n’en ont pas conscience. Enfin, peut-être qu’ils ne s’aiment pas vraiment, ou peut-être que juste l’un des deux aime l’autre… Je n’ai pas encore déterminé ce point. Ce n’est pas très important. En tout cas, ils sont très attirés l’un par l’autre, sexuellement, j’entends. » précise Orson, même si cette précision est ridicule. Il essaie de se donner un air pédagogue, assez détaché, en racontant un problème propre aux écrivains qui racontent des histoires, évoquent des sentiments et parlent d’expériences sans avoir vécu ce qu’ils sont eux-mêmes en train d’écrire. Orson est un perfectionniste et Galen le sait. Il a besoin de savoir ce dont il parle, si ce n’est par lui, ce doit être à travers les autres. « Mais il y a toute une dynamique qui complexifie grandement leurs rapports. L’un n’est pas vraiment disponible, et, ce sont avant tout de vieux amis. » Vieux comment ? Ce synopsis fait drôlement écho à leur propre situation. Il soupire et récupère de nouveau son verre de vin pour en déguster quelques gorgées, tout en reprenant sur un ton faussement détaché, alors que son être entier brûle et tremble à la simple idée que Galen puisse lire entre les lignes de ses prétendues œuvres fictives.

« Je te le demande à toi, précisément, car je m’interroge sur des choses… Tu es probablement… capable de combler les trous qu’il manque à mes connaissances pour apporter à ce récit le plus de sérieux, d’honnêteté, de sincérité et même de vécu possible. » Dit autrement, il s’interroge s’il a déjà aimé, couché ou bien embrassé un homme. « Je sais bien que c’est une question indiscrète, très intime… » Krennic se rattrape en sentant le regard étrange de son meilleur ami. Il craint de le blesser, ou même de le mettre en colère en supposant l’existence de son homosexualité, – ou du moins, l’existence d’une bisexualité – que celle-ci soit admise ou bien refoulée. Krennic opte pour le second cas de figure. Il n’a pas connaissance d’une liaison entre Galen et des hommes, mais il ne lui a connu qu’une femme dans sa vie. Orson s’estime donc en droit de se poser ce genre de questions. (ben voyons, c’est pour tâter le terrain en fait, que dalle son livre imaginaire) « Avant Lyra, ou même sur cette île… Après tout, tu n’as eu qu’une seule femme dans ta vie... » Orson se justifie, car il se trouve un peu embarrassé. Il manque même de s’étouffer devant ses propres allusions, après tout, il ne s’est même jamais marié, contrairement au scientifique. Galen est capable de lui retourner la question, et à juste titre. Si une personne à cette table est en mesure d’être attirée par les hommes, c’est bien Orson Krennic. Il n’a jamais voulu fonder une vie de famille ou se marier avec une femme, malgré une vie nocturne et de coucheries du temps de ses jeunes années à Brentaal IV. Il a couché avec des femmes, mais il n’en a aimé aucune d’elles. Il n’a aimé que Galen Erso. Elles ne lui ont jamais suffis. Jusqu’à Jyn. Encore une fois, même si elle a réussi le prodige de lui donner envie de l’épouser… Il lui manque quelque chose. Elle n’est pas Galen, même s’ils portent le même nom de famille. « Alors ? » insiste-t-il en terminant son verre pour le poser tout près de celui de son voisin, ses doigts encore enroulés autour de ce dernier, à quelques millimètres de ceux de Galen. Il prend un air parfaitement désinvolte, en essayant de mettre un fossé entre ses désirs et son besoin crucial de réponses. Une distance entre son cœur en plein ouragan émotionnel et son bon-sens. « Est-ce que tu as déjà éprouvé quelque chose pour un homme ? Quoique ce soit, et s’il s’est déjà passé quelque chose… ? » Au fond, Krennic ne pense pas que Galen s’est amusé à embrasser ou à coucher avec un homme. Il pense d’ailleurs qu’une pareille révélation ne peut lui être cachée. Cette question, loin d’être innocente, dissimule une autre question plus insidieuse. Est-ce que tu éprouves quelque chose pour moi, Galen ? Est-ce que tu me désires ? Tu veux m’embrasser ou même coucher avec moi ? Pour ma part… J’en ai très envie, là maintenant. J’en ai toujours eu envie.