(abandonné) This town ain't big enough for both of us | Orson

“Here comes the darkness, it's eating at my soul. Now that the spark has gone out of control. This fire is raging, I can't find the door. I just want to die here, but you wanted more. You want me to burn. Want me to burn. Want me to hurt. And maybe I'll finally learn. Here comes the darkness, it's eating at my brain. Now that the light has driven me insane. This fire is blazing, and I'm still inside. I just want to die here, you won't let me out alive.” (BURN •• THE PRETTY RECKLESS)


9 SEPTEMBRE 2022 ▴ BAR, HOGWARTS PLACE


Ce jeu de dupe est compliqué. Orson est toutefois un très bon acteur. Cela le surprend, tout en l’amusant. En vérité, il trouve de plus en plus un certain intérêt à jouer la comédie avec Tarkin. Au début, soyons honnêtes, cela l’a mis dans une situation chaotique. Il a détesté être obligé de mentir. Ce n’est pas que le mensonge est un terrain inconnu pour lui, loin de là. Il a détesté mentir ces derniers mois parce que Wilhuff Tarkin incarne tout ce qu’il méprise le plus au monde. Mentir en face d’une personne dont on rêve de crever les yeux ou d’étouffer avec un sac poubelle est une manœuvre bien compliquée. Krennic a appris avec le temps à dissimuler son profond dégoût ou sa soif de vengeance pour jouer le jeu jusqu’au bout. Tarkin désire jouer au bon samaritain – qu’il le soit sincèrement, ou que cela ne soit que l’un de ses jeux sordides et malsains…  

Persuadé que Tarkin joue forcément un double jeu, il n’a de cesse de radoter les moments qu’ils ont partagé durant trois ans. Il s’obstine à croire que Tarkin ne peut avoir oublié tous ses souvenirs, ou du moins, ne pas les avoir retrouvés au bout de trois ans. Lui-même a fini par sortir de sa transe. Krennic ignore encore comment percer à jour le jeu de son meilleur rival, mais il sait en tout cas comment lui rendre la « supposée » monnaie de sa pièce. Il le mènera en bateau jusqu’au bout, en voulant le manipuler à son tour. Il jouera le jeu du parfait petit amnésique jusqu’au bout, jusqu’à ce que Tarkin finisse par se trahir. Jusqu’à ce que Tarkin retrouve ses souvenirs, dans l’hypothèse de la bonne foi de l’ancien Grand Moff.

« Rendez-vous professionnel ou rendez-vous galant ? » lui demande Tarkin, si innocemment que Krennic le croit à moitié. Bien évidemment, Wilhuff Tarkin est incapable de retenir sa curiosité malsaine. Comme c’est prévisible. Orson n’est pas surpris de cette question, qui s’avère clairement insidieuse. Tarkin se persuade d’être son ami, ou bien essaie de le persuader qu’il est. La frustration à devoir duper son ancien plus grand rival s’est progressivement muée en un jeu excitant. Aujourd’hui, Krennic réalise qu’il a les moyens de se venger. Insidieusement. Cruellement. Dans l’ignorance de la vérité sur les souvenirs de Tarkin, et désireux de mettre ce dernier en difficulté pour déterminer si oui ou non, son amitié est bien muée de bonnes intentions, Krennic s’amuse en enjolivant ses confessions « amicales », en inventant des histoires rocambolesques dans le seul but de le contrarier. Il espère pouvoir trahir les intentions de Wilhuff en procédant de cette manière. Si Wilhuff ment depuis le début, il y a forcément des choses qui le mettront hors de lui, et il ne pourra que foncer droit dans le piège en un battement de cil. Si Krennic peine à croire en la bonne foi de son « ami », c’est à juste titre.

Depuis trois ans, Orson et Wilhuff ont échangé sur tout un tas de choses. Wilhuff a été pendant des années un ami très proche pour Krennic. C’est à lui qu’il a confessé sa liaison secrète avec Jyn Erso, quelques temps avant qu’il n’avoue toute la vérité à Galen Erso. En y repensant, c’est même lui qui l’a poussé à confesser son histoire d’amour. Son « bon ami » a par le passé encouragé Orson à régler le problème épineux qui entoure sa liaison secrète et dangereuse par des confessions au principal intéressé. Soi-disant, Galen comprendra, car Galen est un très bon ami. Galen est un pacifiste. Galen comprendra l’amour qui lie sa fille et son meilleur ami mieux que personne. Galen ne restera pas en colère bien longtemps. « Il faut lui dire, Orson. Crois-moi, cela ne peut que bien se passer. Vous êtes de très vieux amis. Ça ne s’arrêtera pas à tes aveux. Fais-moi confiance. » est une phrase parmi tant d’autres. L’ancien Grand Moff a redoublé d’efforts pour le convaincre, en déclinant tous les moyens mis à sa disposition. « Ce n’est pas juste envers Jyn, puisque tu comptes l’épouser. » Il a même prétendu être toujours là, en cas de difficulté ou de rupture avec Galen. « Vous êtes des adultes. Vous ne resterez pas en mauvais termes bien longtemps. »

Tarkin l’a bercé longtemps de ses paroles mielleuses, qui ont précipité la plus grosse dispute de toute l’histoire de son amitié avec Galen Erso. Lorsque l’ex-impérial recoupe tous les évènements de ces trois dernières années, il réalise brusquement que tous les conseils de Wilhuff Tarkin l’ont précipité dans des situations compliquées, inexplicables ou chaotiques. Même sa relation avec Jyn a été grandement encouragée par Tarkin. Soi-disant, l’amour n’a pas d’âge, l’amour n’a pas de barrière. « Qu’importe si c’est la fille de ton meilleur ami, Orson. Ton meilleur ami ne pourra qu’être heureux de confier sa fille unique dans les bras de l’homme qu’il a en plus haute estime. » Conneries. Krennic grimace en repensant à ces discussions interminables autour d’un verre de whisky ou de vin rouge. Conneries. Putains de conneries. Tarkin l’a toujours fait sombrer dans les pires décisions possibles.

« Rendez-vous galant, pour être vraiment sincère avec toi. » répond Krennic après une courte absence. « On ne peut rien te cacher. » renchérit-il avec un clin d’œil taquin. « Tu me connais vraiment par cœur, pas vrai, mon ami ? » Mon ami. Orson s’étouffe presque avec son whisky en se fondant dans un rire qui se veut complice. Mon ami. Il hallucine et rigole intérieurement, tout à la fois. Finalement, cette belle fumisterie est fortement divertissante. Orson jubile en avance de ce qu’il lui prépare. Il désire le pousser à bout, jusqu’au point de non-retour. C’est bien là, sa seule manière de découvrir la vérité sur les véritables intentions de Tarkin. Est-ce qu’il est sincère, est-ce qu’il ment ? « Enfin, c’est compliqué. » Il prend alors son air le plus peiné du monde, mais n’en dit pas plus. Pas pour l’instant. Il garde le meilleur pour la fin. Il va le faire mariner, et lui dévoiler sa nouvelle plaisanterie à la fin. Alors qu’il se perd dans ses manœuvres cruelles et dans ses pensées sordides, la voix de son « ami » le tire de ses calculs. Tarkin reprend et lui parle de son parti politique. Quel ennui mortel.

Qu’est-ce qu’il en a à faire de ce parti infâme, inintéressant au possible, qui mourra très certainement dans l’œuf avant les prochaines élections municipales ? Comment peut-on vouloir élire un despote comme Wilhuff Tarkin ? La blague. Orson n’y attache qu’une importance moindre, mais simule l’étonnement et l’admiration à la perfection en face de ce sombre traître. Tout en l’écoutant et en lâchant des « Oh » ou des « Bien » de satisfaction, Krennic savoure ses gorgées de whisky pur malt. Il écoute d’une oreille distraite, tout en insultant son interlocuteur à chaque fin de phrase dans sa tête. Il le maudit, il prie toutes les étoiles du ciel pour que les plans sur la comète de Tarkin soient réduits en cendres. Il grimace et fait mine que cette réaction est provoquée par l’amertume du second verre de whisky qu’il vient de commander en agitant la main avec arrogance en direction de la jeune barmaid. Son sourire s’évanouit toutefois au moment d’entendre Tarkin évoquer sa carrière dans le déclin. Son cœur se serre douloureusement et ses entrailles se contractent de fureur. Même s’il rejette en bloc depuis le retour de ses souvenirs l’homme qu’il a été sur cette île durant trois ans, cela le peine véritablement d’avoir perdu sa si belle plume. Krennic a été un auteur de génie ici.

« En effet, ma carrière est au point mort. » Il reprend les mots de Tarkin avec gravité, tout en serrant discrètement les poings derrière la chaise. Quel sombre connard. Oh, il est persuadé que Tarkin en jubile. Il se contente de grimacer de colère et de frustration. Comme il a envie de lui exploser le visage contre le rebord du comptoir, là, maintenant. Pauvre connard, répète-t-il en boucle. Il est persuadé que Tarkin éprouve un malin plaisir à lui rappeler sa panne d’inspiration. « Je pense être arrivé au bout de ma carrière d’écrivain. J’essaie depuis des mois, un an déjà… Mais je n’ai plus d’inspiration. Je pense que ça va bien au-delà du simple syndrome de la page blanche. » soupire-t-il en terminant d’une traite son verre de whisky. Il le repose un peu brutalement ensuite, dans un léger bruit sourd. « Je pensais aller voir ailleurs. » Fort heureusement, Tarkin et Krennic sont sur la même longueur d’onde, pour une fois. Il est sincère, pour une fois, depuis qu’il l’a rejoint au bar. « Tu tombes au bon moment. » Tarkin tombe à point, à vrai dire, avec ses propositions. Orson marque une pause en prenant une nouvelle gorgée, et en reposant son verre toujours aussi agressivement. La présence de Wilhuff Tarkin près de lui le met toujours dans des états chaotiques.

« Fais-moi toujours part de tes projets, mais… Je t’avouerai avoir la tête un peu ailleurs ces jours-ci. Ce n’est pas que le travail. Tu t’en doutes… Je l’ai suggéré un peu plus tôt… » Par esprit de vengeance, ou simplement par arrogance, il désire lire la décomposition la plus totale sur le visage de son bien aimé rival. Il veut lui faire payer ses affronts dans leur monde, lui faire payer toutes ses trahisons, y compris la pire de toutes, celle qui lui a coûté la vie sur Scarif. Baiser sa femme en étant amnésique n’est pas un acte de vengeance suffisant. Maintenant qu’il est bien conscient, il désire aller plus loin encore dans son jeu de manipulation. Il veut savourer le vide dans ses yeux, la crispation de ses muscles. Il veut sentir la colère irradier de lui – sourde et brûlante. Une colère qu’il dissimulera, quoi qu’il en coûte, parce que Tarkin ne prendra très certainement jamais le risque de dévoiler ses cartes aussi tôt.

« Quand je suis arrivé… Tu m’as demandé la nature de mon rendez-vous… Il y a quelqu’un dans ma vie qui occupe toutes mes pensées... Elle me fait mettre de côté mes aspirations et c’est quelque chose d’assez grisant. C’est à cause d’elle, je pense… Que j’ai perdu l’inspiration. Elle m’accapare tellement, je n’ai plus le temps d’écrire. Ni même l’envie, pour être honnête avec toi. Je sais que je peux t’en parler. Tu ne me jugeras pas. » Non, bien sûr que non. Son plus vieil ami sur cette île ne le jugera jamais. Son vrai ami ne le pourra jamais. Quel plan génial, machiavélique, lorsqu’il y pense. Orson s’efforce tant de ne pas craquer en dévoilant l’esquisse d’un sourire amusé. L’envie d’exploser de rire est si forte qu’elle s’imprègne dans son esprit de manière compulsive. Il doit se mordre la lèvre si fort pour garder une expression terne et désorientée. Car oui, il doit avoir l’air complètement perdu entre ses devoirs et ses sentiments pour convaincre Wilhuff. « J’ai des projets plus… personnels, à vrai dire. » confesse-t-il en observant avec attention le liquide ambré que contient son verre. Il le regarde de manière si compulsive, que s’en est inquiétant. Orson revêt l’apparence de l’homme angoissé, déprimé et en proie à ses vieux démons – exactement ce qu’il a été depuis trois ans. Rien de mieux pour convaincre un expert de la duperie.

« Ça m’arrange que tu m’aies donné rendez-vous. J’hésitais à t’en parler par messages, mais… en face, ce sera sans doute plus officiel. Après tout, tu es mon plus proche ami depuis mon déménagement… » Son déménagement. Oui, car les souvenirs de l’île lui ont implanté une vie en Europe, avant d’avoir emménagé ici. Orson n’oublie aucun détail pour assurer sa couverture. Il incarne son rôle. Il vit son rôle.  Il hausse les épaules, en prenant son verre entre ses doigts épais. Oh, Krennic désire jouer encore un peu. Il adopte un visage de déterré durant quelques secondes, avant de mettre un terme à cet étrange silence : « C’est Thalassa. » Krennic soupire, un peu exagérément, mais assez normalement pour que Tarkin le pense sincère. « Je t’ai déjà parlé de Thalassa, n’est-ce pas Wilhuff ? » Non, en vérité. Il ne lui a jamais dévoilé son prénom. Il lui a parlé d’une femme élégante avec laquelle il a trompé Jyn, dans les débuts de leur relation, sans jamais l’avoir nommée jusqu’à maintenant. Orson ne prend pas donc aucun risque d’exposer sa couverture. « Je ne me souviens plus vraiment… » ment-il en se frottant le bout du menton, emporté dans son faux scepticisme. « Je crois que j’en suis amoureux, Wilhuff. » murmure-t-il en souriant doucement, presque chaudement. « Non… Je ne crois pas, j’en suis sûr. » Un sourire sincère. Un sourire d’homme amoureux. Il pense à Galen de toutes ses forces à ce moment précis pour insuffler suffisamment d’émotions à son visage. Ses yeux brillent comme deux diamants, impossible de prétendre qu’il n’existe pas d’amour dans ces derniers. De l’amour, oui. Un amour fou, mais pour Galen Erso. Il visualise si fort son visage, en l’imaginant même dans les reliefs géométriques du cristal de son verre de whisky. « Elle m’aime aussi. » conclut-il en hochant la tête, plus pour lui-même. Oui… Galen m’aime aussi.


Après une courte pause, Orson reprend la parole, sans regarder Wilhuff. Pas encore. Il attend la chute. « On s’est fréquenté quelques fois lorsque j’étais avec Jyn. Oui, je sais… Encore elle. Je sais aussi que tu m’as déconseillé de courir deux lièvres à la fois à cette époque, mais que n’étant pas certain de mes sentiments… je me devais malgré tout d’explorer toutes mes possibilités. » Après tout, c’est bien le conseil qu’il lui a donné à l’époque, sans connaître l’identité de sa maîtresse. Il l’a poussé à l’infidélité, à cette époque. Encore un très bon conseil venant d’un ami si dévoué... Orson ne doute pas un instant qu’il en sera très fier. Un très bon ami est toujours fier de voir l’autre suivre ses conseils à la lettre. « Je les aient explorées pendant six mois… avant qu’elle arrête tout entre nous. Ca, je ne te l’avais pas dit… J’avais un peu honte de te confier qu’elle m’avait jeté... Je t’ai dit que ça s’était mal passé avec elle et que ça n’allait pas sur le plan sexuel. C’était faux, elle était merveilleuse. Elle était même bien mieux que Jyn. Un petit côté… femme fatale, tu vois le genre. Jyn n’était encore qu’une enfant. Elle me faisait prendre mon pied. Je n’avais jamais connu ça, alors que j’en ai eu des femmes dans mon lit. Je n’avais pourtant jamais… rencontré une femme aussi… » Il se coupe, en se mordant la lèvre encore, alors qu’un mince sourire béat se dévoile sur son visage. Comme il prend un plaisir malsain. « Enfin, tu vois ce que je veux dire. » Un clin d’œil complice accompagne à merveille son sous-entendu obscène.

« J’étais un con arrogant. C’était ma fierté qui en avait pris un coup. Elle en aimait un autre. Six mois… C’est tout ce que j’ai pu avoir avec elle, il y a deux ans. C’était compliqué pour elle. Elle était un peu névrosée, pour être tout à fait franc. Elle avait perdu son mari dans un tragique accident, mais elle ne m’a jamais vraiment expliqué comment… Je n’ai même jamais su comment il s’appelait. On n’a jamais parlé de lui. J’ai supposé que c’était encore trop douloureux pour elle. Elle ne voulait pas m’en parler. Je lui ai fait confiance. Je ne lui en ai pas parlé. C’était plus simple de nier son existence. Je croyais qu’elle avait bien tourné la page. Mais… Elle pensait encore à lui. Alors, je me suis rabattu sur Jyn après ça. » C’est la vérité, cette fois. Leur liaison s’est bel et bien déroulée de cette manière. La suite, en revanche, est inventée de toutes pièces. « J’espérais le remplacer. Un peu naïvement… » Il soupire en faisant tourner son whisky dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. « On s’est perdu de vue depuis… » C’est à ce moment-là, qu’il relève la tête de son verre et ancre ses beaux yeux bleus dans ceux de son « ami ». Pour lui asséner le coup fatal.

« On s’est retrouvés il y a quelques mois. Je ne t’en avais pas encore parlé, parce que j’avais besoin d’aller au bout de cette histoire pour comprendre si elle en valait la peine… Thalassa m’a confié avoir fait son deuil. Elle a réalisé que j’étais son seul espoir. Elle m’a dit qu’elle n’avait pas cessé de penser à moi depuis notre rupture et je… Je lui ai dit que c’était la même chose pour moi… Je pensais constamment à elle lorsque j’étais avec Jyn. » confesse-t-il avec une sincérité désarmante, encore une fois, en pensant à Galen. Tout est vrai, mais il n’a jamais été question de Thalassa. « C’est pour elle que j’ai quitté Jyn. » affirme-t-il avec panache. L’intonation de sa voix se fait plus grave, plus caressante, alors qu’il aborde un sujet hautement sensible et dangereux entre eux. Il ne lui apprend rien. Tarkin sait que la relation entre Orson et Jyn est terminée depuis des mois. Orson ne lui en a jamais donné les raisons exactes, il ne lui a jamais parlé de Galen, parce qu’il s’est toujours méfié de sa sincérité, au retour de ses souvenirs. Il lui est alors très facile de déformer des vérités. « Au fond, c’est elle que je voulais. Déjà à l’époque. Jyn n’était… que mon second choix. » Galen, Galen est celui qu’il a toujours voulu. Galen est son premier choix. Orson pèse ses mots avec soin, et surtout avec la sincérité qui convient. « Mais… Cette histoire est compliquée, elle ne peut pas encore avoir de happy end. » reprend-il plus durement, d’une voix éteinte, conscient que pour avoir l’impact qu’il le désire, elle doit forcément avoir un « mais ».

« Tu t’en doutes… » Orson soupire alors, tout en refermant ses doigts autour du verre jusqu’à l’en fissurer légèrement, sous le coup du désespoir. « Son mari est revenu. » Il rit doucement. « C’est ce qu’elle m’a dit… Il y a quinze jours. » Cela le met mal à l’aise, alors il agite ses jambes sous le comptoir en donnant quelques coups contre le comptoir en chêne massif. Les dates sont précises. Ce que Tarkin ignore, c’est qu’il le suit. Il le suit depuis des mois. Il sait depuis quelques semaines déjà, que Thalassa a quitté sa colocation avec Pansy pour aller vivre avec lui. Tout concorde. Il ne pourra que le croire, et avec un peu de chance… Il pourra semer la discorde entre eux. Ce ne sera que trop peu, mais un début, dans son projet infâme de vengeance. Il veut le détruire. Briser tout ce qui lui est cher. Exactement ce que Tarkin lui a fait subir dans leur monde. « Je lui ai dit… Donc c’est terminé entre nous ? Tu m’appelles pour qu’on se revoit, – parce que c’est elle qui a fait le premier pas – on remet le couvert, tu me fais quitter Jyn… et pour finalement, trois mois plus tard, me dire que celui dont tu as fait le deuil est revenu d’entre les morts et que je ne sers plus à rien ? » grommèle-t-il en feignant l’énervement, seulement pour quelques secondes.

[color:ba46=#crimson]« J’étais hors de moi. Pas contre elle, mais contre lui. Je voulais lui éclater la tête contre je ne sais encore quoi… » Sa voix se brise en plein milieu de sa phrase, mais c’est un tic volontaire, afin d’apporter un aspect dramatique à son histoire. « Je l’aime tellement. Je n’ai jamais aimé une femme autant qu’elle. Si tu savais… Je ne voulais pas qu’elle me quitte, mais… Elle m’a demandé une pause de quelques jours, pour voir comment les choses se passent avec lui… Elle m’a toujours dit qu’il était froid avec elle et que j’étais… son exacte opposé. C’est ce qui l’avait séduite, la première fois. Ma douceur. Mes démonstrations d’affection. Ma sollicitude. Ma manière de lui faire l’amour… Elle est magnifique, son corps est digne d’être celui d’une déesse grecque… Ce n’était pas bien difficile de chérir chaque partie de son anatomie. » Un léger rire s’échappe de ses lèvres entrouvertes, empreint de nostalgie. Et dans le même temps, il envoie des piques indirectes à son adversaire de toujours.

Oui, il fait l’amour à sa femme avec davantage de dévotion, de sacrifice, de tendresse. Il lui dit qu’il l’aime, il la couvre de compliments. Tout le temps. Il ne ressent aucune gêne. Il joue son rôle, en partant du principe que le Orson amnésique ignore les liens qui unissent Thalassa à son nouvel ami. « Une pause, tu te rends compte ? S’il n’était pas revenu, on se serait peut-être mariés. Je comptais… Je voulais l’épouser. C’est ce qu’elle voulait aussi. On avait décidé, il y a un mois, qu’on se marierait en avril prochain. Au début du printemps… On trouvait cela romantique. Elle a une véritable passion pour les fleurs qui naissent à cette saison. Comme les fleurs de cerisier. » souffle Orson en se remémorant les moindres détails de ce que Thalassa lui a déjà dit, au sujet de ses goûts ou de ses passions. « Je lui ai posé un ultimatum il y a cinq jours. Qui que ce soit, quitte-le, ou quitte-moi, mais je veux une réponse maintenant. » Lorsqu’il y pense, cette histoire est digne d’être le scénario d’un prochain et futur best-seller. Orson n’a rien préparé, seulement les grandes lignes. Il raconte, sans réfléchir, une histoire d’amour tragique, magnifique… qui connaîtra un happy end. Dans sa version.

D’un geste de la main, il appelle la barmaid. Un troisième verre ne sera pas de refus. « C’est un Pinot noir ? » interroge-t-il en désignant le verre de vin qui se trouve entre les doigts de Wilhuff. « Servez m’en un verre. » ordonne Krennic, sans même jeter de regard à son interlocutrice, qui s’affaire silencieusement à répondre à ses caprices. Il passe du coq à l’âne, et fait traîner son histoire en longueur dans le seul et unique but de frustrer le Wilhuff Tarkin qui sommeille à ses côtés. Le Wilhuff Tarkin qui n’a pas perdu tous ses souvenirs enragera. C’est le seul moyen de confirmer ses soupçons. Dans le même temps, Krennic s’en amuse comme un grand enfant. Même si Tarkin a bel et bien perdu la mémoire, cela reste un divertissement. Orson reporte ensuite son attention pleine et entière sur son « ami ». « Elle a fait son choix. » marmonne-t-il, en ne cachant pas sa joie de lui annoncer la « très bonne nouvelle ».

« Elle m’a dit qu’elle m’aimait et qu’elle voulait donner une chance à nos projets. J'étais avec elle. Elle me l'a annoncé. De vive voix. Elle m’a dit « Orson, je t’aime. C’est toi que je veux. » Tu te rends compte ? Elle m’aime au point de quitter cet imbécile… Elle ne l’a pas encore fait, mais elle m’a dit qu’elle m’a promis de le faire dans quelques mois. C’est un homme très riche, et je ne le suis plus depuis quelques mois… On a besoin de son argent. » Il soupire, les yeux brillants. « Elle a besoin de cet argent. » corrige Orson avec un petit sourire narquois placardé sur son visage. Si arrogant, si charmeur, si insupportable. Orson Krennic est dérangeant, même lorsqu'il prétend ne plus être vraiment Orson Krennic. « Elle doit d’abord trouver un avocat pour lui faire cracher tout son argent… En attendant… On essaie de se montrer discrets, tu comprends, pour ne pas éveiller les soupçons. Un adultère risque fortement de compromettre toutes nos chances de récupérer ses parts au moment du divorce. » s’enthousiasme-t-il, les yeux brillants d’une étrange humidité pouvant s’apparenter à une émotion pure et vive, alors qu’il s’agit de larmes naissantes de rire qu’il comprime si difficilement en lui.  

« J’étais opposé à cette idée, car je voulais une rupture brutale entre eux, mais finalement… Son idée est bien meilleure. Les relations extraconjugales ont quelque chose de terriblement excitant… De dangereux… » Il le provoque, tout en faisant mine d’être parfaitement sincère. Krennic rit alors. Chaudement. « Je sais que ce ne sont que des bagatelles pour toi, tu n'as ni femme ni enfant, mais, avoir quelqu’un dans sa vie qui nous aime profondément, au point de tout risquer… C’est un atout. Je t’assure. Même pour un homme politique. Trouve-toi une quelqu’un, Wilhuff. Pour tes campagnes politiques, ce sera déjà un immense atout. Les citoyens aiment le cliché du politicien bien rangé. » Wilhuff ne lui a jamais dit avoir une femme, ou qui que ce soit dans sa vie. Il ne peut finalement que s’en prendre à lui-même, pour être l’objet d’un pareil complot. Krennic est confiant, du point de vue de Thalassa. Elle niera leur liaison – qui est le seul détail vrai dans toute cette comédie. Elle niera pour protéger leur couple. Elle ne pourra que s’enfoncer dans leurs mensonges étroitement liés, sans même s’en rendre compte.

« Je te le confie, parce que j’ai confiance en toi. Tu ne nous trahiras pas. Tu es mon ami, Wilhuff. » ajoute-t-il en posant sa main sur sa cuisse, en voulant lui transmettre son bonheur par l’expression d’un geste d’amitié sincère. Une fausse preuve d’amitié. Il tapote doucement, paume en avant. Là est un coup de bluff habilement maîtrisé. Afin d’achever de convaincre l’ancien Grand Moff, Krennic donne l’impression d’exposer un secret, qu’il lui demande de garder. Un geste de confiance immense, vu sous cet angle. Une confiance qu’Orson, non amnésique, est bien incapable de donner à quelqu’un comme lui. Krennic sait que dans son histoire inventée de toutes pièces, il risque très gros. De faire perdre le divorce de sa future compagne. Un risque inexistant que Tarkin ignore encore.

« Je ne pouvais pas te cacher mon bonheur plus longtemps. Tu es le seul à le savoir. Tu es heureux pour moi, n’est-ce pas ? » souffle Orson sur un ton joyeux, sincèrement heureux. Presque béat. C’est fou comme il doit avoir l’air d’un parfait idiot, là, maintenant. C’est à ce moment que la barmaid dépose son verre devant lui. Orson le prend de sa main vacante, sans rompre le contact physique entre eux pour savourer le plus longtemps possible cette situation des plus grotesques. (je meurs il m’a tuée, c’est le combo quoi ; l’histoire de merde et en plus il le touche et l’appelle par son prénom, c’est le pompom du lapin)  Il boit une gorgée. Quelque chose l’intrigue dans celle-ci, et il lui faut bien quelques secondes en dévisageant son verre pour le comprendre. Ce qui est étrange, c’est que cette gorgée prend une saveur bien particulière. Un goût de victoire. « Enfin... Assez parlé de ma vie sentimentale. Quel est donc ce projet intéressant dont tu voulais me parler ? » reprend-il sur un ton joyeux en retirant immédiatement sa main pour prendre son verre de vin rouge et en savourer une gorgée. Fier comme un coq. Finalement, sa carrière d'écrivain fantasque n'est peut-être pas morte et enterrée ?

“Here comes the darkness, it's eating at my soul. Now that the spark has gone out of control. This fire is raging, I can't find the door. I just want to die here, but you wanted more. You want me to burn. Want me to burn. Want me to hurt. And maybe I'll finally learn. Here comes the darkness, it's eating at my brain. Now that the light has driven me insane. This fire is blazing, and I'm still inside. I just want to die here, you won't let me out alive.” (BURN •• THE PRETTY RECKLESS)


9 SEPTEMBRE 2022 ▴ BAR, HOGWARTS PLACE


Orson Krennic est contrarié. Les choses ne se passent pas exactement comme il le désire. Wilhuff Tarkin lui semble bien trop calme et indifférent au sort de sa femme ou de leur supposée liaison pour combler ses attentes. Krennic est un bouffon arrogant pour Wilhuff Tarkin. Rien de plus. Sans doute ne croit-il même pas ses histoires un seul instant. Le projet brûlant et destructeur de briser le cœur de Wilhuff Tarkin s’effondre en mille éclats. Tarkin s’agace, en mettant en doute la véracité de ses propos, ce à quoi, Krennic se contente de hausser les épaules, en feignant un air innocent. « Oui. » répond-il avec un petit sourire gêné, lorsque Tarkin le confronte à ses incohérences en lui rapportant qu’il ose prétendre que Thalassa ne lui a jamais dévoilé certains détails de son passé ou de sa vie. Il lui répond oui avec un panache légendaire, une arrogance insupportable, un sourire provoquant et cruel. L’amusement que l’on distingue dans le fond de ses yeux est clairement malsain. Il soupire, jouant encore une fois sa meilleure prestation ce soir, tout en portant le reste de son whisky entre ses lèvres humides. « Motti. » ajoute-t-il, las. « Elle m’a dit s’appeler Thalassa Motti, et non pas Thalassa Tarkin. » Orson n’ose plus contempler son « ami » dans le fond des yeux. Il ne faut pas. S’il le fait, il sera bien incapable de s’empêcher d’éclater de rire. « Je l’ignorais, Wilhuff. Sincèrement… Elle ne m’a jamais donné ton prénom. Elle ne voulait pas que je l’apprenne et j’en ignore les raisons… Comme si je pouvais te connaître, comme si cela pouvait changer quoi que ce soit entre elle et moi… Ce qui était vrai, finalement… Si j’avais su, je n’aurais pas continué. » Il apporte de la douleur à ses propos, tout en déglutissant en manquant de s’étrangler avec le contenu de son verre. Cet alcool ambré si fort qui coule dans sa trachée. Krennic n’a pas à feindre bien longtemps l’amertume ou la déception, puisque c’est exactement ce qu’il ressent à cet instant précis. Tarkin ne réagit pas comme il le veut. Tarkin est indifférent. Tarkin est vraiment un homme cruel, un bâtard de la pire espèce. Thalassa mérite mieux, tellement mieux. S’il n’y avait Galen, elle aurait mérité un homme comme Orson Krennic. (non plus, entre la peste et le choléra…) Il trouve l’idée brillante de disséminer quelques indices sur son amnésie, en laissant croire à Tarkin que Thalassa n’a pas désiré lui dire la vérité pour s’assurer que jamais ses vrais souvenirs ne refassent surface. « Je ne le savais pas… Je n’en avais aucune idée, je… » balbutie-t-il, faussement gêné de découvrir la vérité sur le passé de son « amante ». « Pardonne-moi pour ce qu’il s’est passé avec elle. En sachant cela et tenant plus que tout à ton amitié… » renchérit Krennic, mentant comme il respire, « … il est bien évident que je vais mettre un terme à cette relation. » Après cette courte pause, il inspire une profonde bouffée d’air, avant de se fondre en un rire nerveux. Douloureux, lancinant. (non, il se fout juste de sa gueule) « Ton amitié m’importe plus que tout, Wilhuff. Pardonne-moi. Pardonne-nous. » marmonne-t-il, le nez devant son verre, de profil à Tarkin. Il refuse toujours de le regarder, se sentant médiocre, indiscipliné, et honteusement triste. Ce qui est loin d’être le cas, mais Orson doit continuer à jouer le jeu pour duper encore un peu Tarkin sur la vérité. Le fait de ne pas le regarder et d’éviter le plus de lui dévoiler ses moindres tics et réflexes faciaux lui permet surtout de garder un contrôle sur lui-même. Orson doit soudainement se mordre la lèvre jusqu’au sang pour ne pas exploser une fois encore de rire. Tout dans cette conversation lui donne envie de rire, de se moquer ouvertement et de lui balancer la vérité de la manière la plus glaçante qui soit. Il a bien envie de lui claquer un « Je sais tout, Gouverneur. » ou une toute autre phrase dans le même genre. Il ne le fait pas, ce n’est pas encore le moment opportun.

Orson poursuit son petit manège consciencieusement, en donnant l’air d’être un pauvre malheureux, un écrivain raté, un homme esclave de ses besoins primaires, qui ne cesse de commettre les mêmes erreurs. Toujours les mêmes. L’homme qu’il a été sur cette île durant trois ans, en réalité. Lorsque Tarkin, froid et indifférent, change de sujet, l’ex-impérial en cape le suit sans un mot. Apparemment trop « heureux » de détourner le sujet de conversation principal. Il ne l’est pas, il est même profondément révulsé par la réaction de Tarkin. Si peu de fureur, si peu de passion… Que signifie réellement Thalassa à ses yeux ? Il est quelque part heurté pour elle, en s’étant attendu à un déferlement de rage et de jalousie. Un coup de poing, une insulte, n’importe. Il a échoué. (non pas du tout il a gagné) Orson n’est pas parvenu à détruire le cœur de Wilhuff Tarkin. (si) « Merci. » rétorque Krennic lorsque son « ami » évoque la potentialité d’une proposition d’embauche au sein de Mordor Industries. Est-ce qu’il en a déjà entendu parler ? Oui… « En effet, c’est bien une entreprise spécialisée dans l’armement de haute technologie ? » soupire-t-il, quelque peu perplexe. Il fait mine de s’intéresser au projet, alors qu’il n’en a en réalité que faire, maintenant que ses souvenirs sont revenus. Tarkin est dangereux, très dangereux. Il ne lui fait plus confiance. Il se méfie de lui comme de la peste… Tarkin prépare un mauvais coup, mais lequel ? Afin de le percer à jour, Orson doit aller au bout de ses projets fantasques. Le suivre dans tous ses projets sans sourciller, sans émettre le moindre doute, sinon… Il doit réprimer sa révulsion, le dégoût amer qui le transperce à chaque fois qu’il tapote son dos dans un geste soi-disant amical. Comme maintenant. « Tu n'étais pas obligé. » Un sourire ironique s’installe sur son visage. « J’apprécie cette preuve de confiance. Si je comprends bien, tu m’as décroché un entretien d’embauche ? » Pour faire quoi ? Quel est l’intérêt de Tarkin ? Cela le rend fou, il lui faut découvrir le fin fond de cette histoire. Quitte à plonger tête la première dans le piège. « Pour quel poste ? » Probablement quelque chose en lien avec sa formation véritable. Celle qu’il n’occupe pas sur cette île. Celle que Tarkin et lui partagent dans le plus grand secret. Architecte. Designer. Concepteur. Qu’importe les appellations… Une question lui brûle les lèvres, et il ne se retient que quelques secondes seulement avant de la lui poser, un coude négligemment posé sur un coin du comptoir : « Qu’attends-tu de moi ? »