[abandonné] ((ft. luke skywalker)) ❘ pv ⁂ now in the morning I sleep alone, sweep the streets I used to own;

“I guess it's time I run far, far away, find comfort in pain. All pleasure's the same, it just keeps me from trouble. Hides my true shape, like Dorian Gray. I've heard what they say, but I'm not here for trouble. Far, far away, find comfort in pain.” (tears and rain – james blunt)

« Encore là, Orson ? » s’exclama l’un des barmans de l’établissement de nuit ; un bar plutôt hypé, situé en plein cœur de Baker Street Avenue : l’Amnesia. « Tu veux que je t’appelle encore un taxi ? » Encore. Deux fois de suite. Orson bute sur cette répétition, puisqu’elle laisse sous-entendre que l’écrivain est un ivrogne notoire. Loin d’être enthousiasmé par ces sous-entendus scabreux, Krennic n’adresse ni mot ni regard en réponse. Bien qu’il existe une part de vérité dans ses affirmations, elles ne lui conviennent pas. Cet homme semble familier des habitudes d’Orson Krennic, écrivain et alcoolique à ses heures perdues. « Tu m’entends, Orson ? » Frappé par une insistance qui frôle même le harcèlement, Krennic hoche négativement la tête. Il refuse toujours d’accorder le moindre regard à son interlocuteur. Krennic ne se rend pas compte que le barman essaie simplement d’être son ami. Il s’inquiète sincèrement pour son bien-être physique et mental. Depuis le temps que l’écrivain fréquente son bar, c’est une réaction naturelle à ses yeux, même si ce n’est pas le cas d’Orson Krennic, qui reste un solitaire incompris et antipathique.

Orson est plongé dans l’écriture de son prochain chapitre, il tapote sur les touches de son MacBook Pro gris anthracite. Tout va bien. Il n’est pas encore complètement alcoolisé, en réalité, il est simplement d’humeur dépressive. Orson rétorque avec un regard glaçant, empli d’un profond mépris pour les personnes qui le jugent au simple fait qu’il en est à son deuxième verre de bière. Pourquoi tout le monde se persuade qu’il est alcoolique ? Comme s’il était constamment ivre mort sur la banquette arrière d’un taxi ou complètement écroulé dans le fauteuil en velours du bar. Orson est un client habitué, ce n’est finalement pas étonnant que son entourage soit persuadé de son alcoolisme, au vu du nombre de fois où il est rentré en titubant ou en déblatérant des absurdités sur une certaine Jyn Erso. Jyn… Jyn Erso est comme son vilain petit secret, un secret honteux et fascinant à la fois. Orson ne se vante clairement pas de coucher avec son éditrice, aussi jeune et sexy puisse-t-elle être, même si c’est ce qu’elle est. Si Galen apprenait la vérité sur les dessous de sa relation avec sa fille, cela aurait des répercussions terribles sur leur amitié. Orson est persuadé que Galen ne comprendrait jamais. Comment comprendre une relation aussi dysfonctionnelle, une différence d’âge avoisinant presque la vingtaine, un rapport de subordination évident. Orson est sujet à une forte tendance à la fuite en avant de ses responsabilités, ainsi qu’à prendre régulièrement des cuites pour se noyer dans ses ténèbres sous prétexte que la pratique de son art exige qu’il donne aveuglément de sa personne. Est-ce qu’il se vante en revanche de ses sentiments pour elle ? Loin de là, c’est même encore pire. C’est une vérité qu’il refuse d’avouer à qui que ce soit, mais bon dieu, ce qu’elle l’obsède. Il se persuade qu’entre eux, ce n’est qu’une affaire scabreuse afin de soulager leurs tensions professionnelles respectives. Orson Krennic n'est pas un gars romantique. Il n'a et n'aura toujours qu'un seul amour : son travail. Mensonges. Bien sûr qu’il l’aime, c’est tellement risible. C'est une vérité qui lui file la nausée. Krennic est fou d’elle depuis des années, au premier jour où son regard bleu océan s’est planté avec une force insoupçonnée dans le sien. Jyn Erso est la fille de son ex-patron, de son ex-éditeur, de son meilleur ami. Elle pourrait très bien être sa propre fille. Est-ce mal pour autant ? Dans ses livres, il existe une certaine tension sexuelle entre son héros et la nouvelle figure de proue de l’alliance rebelle. Elle est jeune, brune aux yeux vert émeraude, et incroyablement forte et courageuse. Une héroïne qui ne sort toutefois pas de nulle part, puisqu’elle est fortement inspirée par la personnalité et le physique Jyn Erso. Elle est Jyn Erso, mais Krennic n’en a pas encore conscience, comme il est dépossédé des souvenirs de sa vraie vie.

Avec l’une de ses grandes mains, Orson redresse correctement l’écran de son ordinateur, afin de paraître suffisamment préoccupé par son travail pour ne pas s’étendre dans une fausse courtoisie. Une, puis deux minutes passent, mais l’homme du bar reste dans sa ligne de mire. Orson Krennic soupire d’agacement au plus profond de lui-même. Qu’est-ce qu’il fout encore là… L’écrivain persévère dans ses efforts, avant de boire une nouvelle gorgée de sa bière allemande. Orson aperçoit la mine inquiète du barman du coin de l’œil, et c’est ce qui le décide finalement à dire un mot. « Non merci, ça ira. » rétorque-t-il en faisant un brusque volte-face. Une violente tension au niveau de l’arrière de sa nuque le fait grimacer, ce qu’il s’empresse d’apaiser en bouger lentement son cou de droite à gauche en espérant s’en débarrasser. « Je veux juste qu’on me laisse écrire. » précise-t-il sèchement. Orson espère faire déguerpir au plus vite ce nuisible en s’adressant à lui avec peu de considération. « Puisque tu insistes, sers-moi une autre bière. » Krennic presse d’un mouvement brusque sur la touche « espace » de son clavier rétroéclairé aux touches noires. « T’as à peine terminé celle-là, Orson. » répond-il en croisant les bras, visiblement mécontent de la réaction de son meilleur client. « J’ignorais que le rôle d’un barman consistait à dissuader ses clients de consommer. C’est bien, tu m’apprends quelque chose pour changer. » Cynique, comme toujours. Krennic refuse de lever les yeux de l’écran aveuglant de son ordinateur. Il est bien trop préoccupé par la tournure de sa prochaine phrase pour accorder de l’importance aux humains qui se trouvent autour de lui. « T’es vraiment un sale con Orson, tu en as conscience ? C’est pas étonnant que tu sois toujours tout seul dans ce bar. » rétorque le barman vexé, au regard de la légère teinte rosée qui colore ses joues pleines. Orson décide finalement d’observer ses réactions du coin de l’œil, cela ne manque pas de le faire soupirer bruyamment cette fois-ci. Toujours les mêmes insultes, mais cela ne l’atteint plus. Orson Krennic est en pleine transe devant le projet de toute sa vie, ce manuscrit est le prochain best-seller de sa saga galactique. Orson ne se laissera pas détourner du fil conducteur de son histoire. C’est absolument vital pour lui de terminer ce chapitre ce soir, et lorsqu’il est dans cet état, il est bien inutile d’espérer obtenir quoi que ce soit de lui. Krennic est obsédé par ses tournures de phrases et par les synonymes qu’il emploie avec une précision redoutable. « Viens surtout pas te plaindre d’ici trois heures, quand tu seras trop ivre pour retrouver tes clés de voiture. » lance le barman avant de disparaître derrière son comptoir, après avoir haussé les épaules en signe de désapprobation. Krennic lève finalement les yeux vers lui en l’observant reprendre son travail et la concoction de cocktails à la demande des nouveaux clients. Quelque chose semble se contracter douloureusement au niveau de sa poitrine, son palpitant vient de prendre un sacré coup. Orson Krennic se mettrait-il à regretter ses paroles ? Certainement pas, pense-t-il presque immédiatement en reportant son attention sur une scène d’action de son chapitre. « La fille de l’ingénieur est persuadée que tout est perdu, mais ce n’est pas sans compter l’aide appuyée de son ami. Un autre rebelle qui n’est pas indifférent à sa cause, ou même à son charme stupéfiant. » Quelque chose le dérange férocement. Ses sourcils se froncent de contrariété, alors qu’il laisse le pouce appuyé sur l’une des touches de son clavier, afin d’effacer l’intégralité de cette phrase. C’est un cliché. Pourquoi le duo de gentils doit-il toujours finir le restant de leurs jours ensemble ? Les méchants n’ont-ils pas également droit à leur fin heureuse ? Krennic décide de sauter ce passage et de passer directement à la confrontation entre l’ennemie de l’Empire et l’infâme directeur : son héros en cape blanche. « Elle se retrouve enfin confrontée à l’homme qui a détruit sa vie entière : il a tué sa mère et son père, il a balayé son enfance du revers de l’un de ses gants en cuir noir. Cet homme, c’est un impérial de la pire espèce. Elle toise ses beaux yeux bleu océan en espérant lire une once de regret dans ses prunelles glacées, mais ce qu’elle y vit, c’est une intensité… » Krennic s’interrompt. Une intensité… Il bloque désespérément sur ce passage. « (…) ce qu’elle y vit, c’est un regard d’une intensité qui traduit toute la tension sexuelle s’étant accumulée à chacune de leurs rencontres. » C’est beau mais c’est laisser son livre tourner au roman érotique. Krennic refuse d’être catalogué d’écrivain à mi-chemin entre la science-fiction et le porno. En supprimant son passage une nouvelle fois, il laisse alors son dos retomber mollement contre la banquette, et vient placer ses coudes contre la table en bois. Krennic soupire en espérant être frappé par un éclair de génie. En fermant les yeux quelques instants, tout en savourant l’amertume de sa bière blonde, des flashs s’imposent à lui comme une révélation créatrice. « (…) ce qu’elle y vit, ce n’est pas seulement deux orbes glacés, mais une chaleur insoupçonnée chez cet homme rigoureux. Un éclat mystérieux brille dans le fond de ses prunelles. Quelque chose mêlant… de la curiosité et de l’admiration. Elle reste profondément troublée par cette apparition presque surnaturelle, au point que son cœur se met à s’emballer dangereusement pour lui. Il a détruit tout ce qu’elle aimait, mais elle n’aurait jamais imaginé qu’il puisse être la finalité de sa vie. » Cette phrase nourrit à elle seule l’espoir d’un meilleur destin au plus merveilleux de ses personnages. Krennic se frappe le front en réalisant qu’il vient de passer de l’allusion sexuelle à l’allusion romantique. Cela ne lui ressemble pas, lui qui aime les romans d’action et de suspense. Il n’arrive pas à effacer ce paragraphe, comme si celui-ci faisait écho à quelque chose profondément enfoui en lui. « Bon sang, ce chapitre me tue. » marmonne-t-il pour lui-même en terminant sa bière d’une traite. Une ombre masculine s’approche lentement de sa table, sans qu’il ne s’aperçoive dans un premier temps qu’il s’agit de celle de son étrange ami, Luke.