(terminé) Je crois que j'ai fait une bêtise ⊹ Aelita.

Sophie se faufilait en douce dans l'orphelinat pour ne pas être vue. En réalité, elle avait été grillée dès le départ, mais elle trouvait ça amusant de faire comme si elle devait restée discrète à la manière d'une espionne. Camille était absente, elle s'en était déjà assurée et c'était d'ailleurs comme ça qu'elle avait été découverte dès le départ. De toute façon, ce n'était pas elle que Sophie était venue voir. Oh ça non ! Cette fois-ci, elle n'était pas venue ennuyer sa soeur, mais Aelita. C'était une des orphelines qui vivaient ici, avec Camille, et à force de venir rendre visite à Camille, les deux filles s'étaient rencontrées et avaient appris à s'apprécier. La différence d'âge importait peu, tant Sophie avait l'habitude de se comporter comme une enfant, aux yeux des autres. C'était bien plus intéressant selon elle, bien moins ennuyant.

Si Sophie rendait visite à Aelita, ce n'était pas simplement parce qu'elle en avait envie ou pour discuter. En réalité, Sophie avait fait une bêtise qu'elle voulait cacher à sa soeur. Lorsqu'elle avait voulu utiliser son téléphone le matin même pour travailler, il ne s'était pas allumé. La jeune femme avait tenté de faire tout ce que sa soeur lui avait appris dans ces cas-là, mais rien n'avait fonctionné. Sauf que Sophie devait appeler quelqu'un et que c'était plutôt important. Sophie était un paradoxe à elle seule. Si elle était parfois pire qu'une enfant, irresponsable, capricieuse et toujours prête à faire une bêtise, elle pouvait également se montrer totalement adulte et responsable en gérant sa fortune et en investissant dans certaines entreprises en ville. Elle s'amusait elle-même de ces deux facettes, trouvant amusant qu'elle puisse se montrer si sérieuse et investie. Mais après tout, qui avait décidé qu'une fois adulte, il fallait oublier les rires et les bêtises ? Qui avait décidé qu'une fois adulte, il fallait être responsable en toute circonstance ? Qui avait décidé qu'une fois adulte, il fallait oublier son âme d'enfant pour paraître bien comme il fallait devant les autres ? C'était stupide !

Son portable ne fonctionnant toujours pas après avoir tenté différentes choses, elle voulut tenter une chose qu'elle avait entendu un jour, elle ne savait plus où. Quelqu'un avait dit qu'en le claquant, ça fonctionnait mieux. Ce n'était rien d'autre qu'une plaisanterie, mais Sophie ne se l'était même pas imaginée une seule seconde, tant elle voulait trouver une solution. Voulant éviter de devoir expliquer à Camille que son portable était cassée, mais qu'elle n'y était pour rien, elle avait donc voulu tenter cette méthode magique. D'une part, cela n'avait en rien arrangé le problème, d'autre part son portable avait désormais une sale tête. Peut-être y était-elle allée trop fort ? Sans doute, même ! Aussitôt, elle s'était dit que demander à Aelita pouvait être une solution, comme si elle allait pouvoir le lui réparer par magie. Quoi que pour la magie, elle aurait plutôt dû s'adresser à Sabrina, mais elle n'y avait pas pensé.

Après avoir cherché Aelita un peu partout, elle la trouva enfin et ne perdit pas de temps pour sortir son portable de sa poche et lui expliquer, sans même penser à la saluer d'abord. « Je crois que j'ai fait une bêtise, mais tu ne dois rien dire à Camille ! » Elle ne voulait pas que Camille la prenne pour une incapable, pour quelqu'un qui ne pouvait pas se débrouiller sans faire une bêtise par heure. « Tu crois que tu peux le réparer ou essayer de le rallumer ? » demanda-t-elle, en tendant l'appareil. Sophie ne s'intéressait pas à la technologie. C'était d'ailleurs le seul appareil de ce genre qu'elle avait chez elle. Alors elle se disait qu'il suffisait peut-être de changer une pièce ou deux, de faire une manipulation qu'elle ignorait ou qu'avec toute la technologie d'aujourd'hui, il existait un appareil miracle pouvant le réparer. La technique, au final, lui importait peu du moment où il était réparé.

Sophie n'avait qu'une hâte : trouver Aelita pour que cette dernière lui répare son téléphone. Ou qu'elle trouve une solution miracle pour cacher cette nouvelle bêtise à Camille. Heureusement pour elle, Aelita était à l'orphelinat d'une part et elle était dans sa chambre, d'autre part. Elle n'avait pas eu à fouiller tout le bâtiment à la recherche de son amie. Pressée de régler son problème, Sophie n'avait même pas pensé à saluer son amie ou à lui demander si elle était occupée avant de lui déballer son problème, lui tendant en même temps le fameux téléphone. A la première réflexion de son amie, Sophie comprit qu'elle avait bel et bien fait une bêtise en claquant ce téléphone contre la table. « Je ne suis pas stupide, je sais bien que jeter un portable sous un camion ne peut pas le réparer ! » Oui, elle se sent presque vexée, mais elle est toujours susceptible au point où on ne lui en tient plus rigueur, généralement. D'autant que ça ne durait jamais plus de trois secondes. Puis après réflexion, elle s'était dit qu'il ne s'agissait que d'une plaisanterie, pas d'une question sérieuse. Sauf qu'elle était trop embêtée pour le remarquer immédiatemment. « Je l'ai claqué contre la table... » souffla Sophie, peu fière de son idée et d'avouer sa bêtise, comme toujours. « Il ne voulait pas s'allumer et j'ai entendu quelqu'un qui disait, une fois, que les appareils de ce genre fonctionnaient mieux une fois qu'on les avait claqués. Je me suis dit que c'était peut-être vrai, même si ça me semblait étrange... Alors j'ai essayé, mais je crois que j'ai claqué un peu trop fort. » Bavarde, elle déballait toute sa bêtise pour qu'Aelita sache tout. Peut-être que les informations pouvaient l'aider à savoir comment réparer le portable, et puis elle en profitait pour justifier son geste, en expliquant bien que si elle l'avait fait, c'était parce qu'elle avait entendu quelqu'un en parler.

Sophie avait fini par rester silencieuse, observant Aelita qui tentait d'abord d'allumer le téléphone puis de sortir un câble pour le brancher sur un autre appareil. Curieuse, elle tentait de lire ce qui se trouvait sur la machine, mais elle fut interrompue par Aelita. « Oui, oui, je vais bien. » répondit-elle d'abord, « et toi ? » demanda-t-elle d'abord, reprenant aussitôt, « Tu faisais quoi ? Tu crois que ça peut réparer mon téléphone ? » Deux questions qui n'avaient rien à voir, mais avec Sophie, il fallait suivre plusieurs conversations à la fois. D'une part, elle était curieuse de connaître ce que son amie était en train de faire avant son arrivée. D'autre part, elle se demandait en quoi relier son portable à cet ordinateur pouvait le réparer. Elle imaginait bêtement que la machine d'Aelita réparerait un peu comme par magie son téléphone, parce que l'idée l'amusait. Enfin, elle se doutait bien que ça n'allait pas être le cas, mais il y avait sans doute des raisons, Aelita se débrouillait bien mieux que Sophie avec ces appareils.

Sophie avait expliqué toute la vérité à son amie, chose qu'elle n'aurait sans doute pas faite si face à elle se trouvait Camille. Elle aurait trouvé n'importe quelle excuse, valable ou non. Face à Aelita, elle se permettait la vérité, bien qu'elle en avait un peu honte et qu'elle n'en était pas fière du tout. Il fallait être drôlement stupide pour croire que claquer son téléphone contre une table pouvait le réparer. Stupide, mais elle n'avait fait que suivre ce qu'elle avait entendu un jour. Les gens parfois racontaient n'importe quoi, dans un monde qu'elle ne connaissait pas encore bien malgré les années passés, il était difficile de distinguer le vrai du faux.

Pendant qu'Aelita tentait tant bien que mal de réparer ce malheureux téléphone, Sophie s'intéressait à ce qu'elle faisait et prenait de ses nouvelles. Comme d'habitude, elle posait toutes ses questions d'un coup, sans attendre de réponses au fur et à mesure. « Tu veux que je fasse ton devoir en échange ? » proposa la rousse, ne voulant pas que son amie ait des problèmes en prenant du retard. Ce n'était peut-être pas une bonne idée, distraite et rêveuse comme elle était, elle n'était certainement pas la mieux placée pour ça, pour se concentrer sur un devoir. De plus, à aucun moment elle ne lui avait demandé de quel type de devoirs il s'agissait, difficile de dire alors si Sophie en avait les capacités. Pourtant, elle était sincère et ne voyait pas le problème à faire les devoirs de quelqu'un d'autre. Elle-même, lorsqu'elle était enfant, avait l'habitude d'en faire le moins possible et d'attendre que Paul lui souffle les réponses. Par la suite, elle avait appris à travailler plus sérieusement, mais ça n'avait pas toujours été le cas.

Aelita, qui s'attelait toujours à sa tâche, semblait craindre de ne pas pouvoir rallumer le téléphone. Sophie sentait déjà qu'elle allait devoir tout raconter à Camille et ça ne l'enchantait pas le moins du monde. Elle avait déjà la sensation d'entendre la leçon de morale de cette dernière. « La prochaine fois, je n'écouterai plus ce qu'on dit... » soupira-t-elle, agacée d'avoir bêtement suivi quelque chose sans s'assurer d'abord que ça avait une chance de fonctionner. La jeune fille reprit la parole, précisant qu'elle pourrait néanmoins récupérer ses données. Sophie la regarda bêtement un instant, cherchant de quoi elle pouvait parler. « Mes données ? Tu veux dire les numéros qu'il y a dedans ? » Principalement ceux de sa soeur, de l'orphelinat et ceux dont elle avait besoin pour travailler. Si ce n'était que ça, déjà, Sophie lui en serait grandement reconnaissante. Elle ignorait comment elle allait faire si cette dernière ne réussissait pas. « Si tu y arrives, et même si tu n'y arrives pas, je t'offre ce que tu veux pour te remercier. » elle la dépannait et c'était déjà très gentil, alors Sophie lui devait bien quelque chose en retour.

« hum... » souffla-t-elle, se jetant au passage dans le lit d'Aelita, se retrouvant ainsi allongée sur le ventre, la tête relevée vers Aelita,  tenue par ses deux mains. « Il faut que je trouve une excuse pour Camille... Elle va se demander pourquoi je n'ai pas mon téléphone, mais celui de quelqu'un d'autre. » Sophie fixait le vide, son esprit cherchant activement la meilleure excuse. « Je pourrais lui dire que j'ai prêté mon téléphone à quelqu'un, mais... » Sophie secoua la tête, reprenant : « ce serait étrange ! Elle ne me croira pas ! » Ce n'était pas si facile de trouver des excuses, surtout lorsqu'on les avait à peu près toutes utilisées. « Je pourrais dire qu'on me l'a volé, mais elle va sans doute angoisser et je ne veux pas qu'elle angoisse à cause d'un mensonge... Sinon, je lui raconte que je l'ai perdu, mais elle va être déçue de voir que je ne prends pas suffisamment soin de mes affaires... » Soudain, Sophie eut la bonne idée, selon elle, et elle s'exclama un peu trop fort : « Je sais ! Je vais dire que quelqu'un l'a cassé et qu'il est en train de le réparer ! Comme ça, ce n'est pas totalement un mensonge ! » elle était plutôt fière de ce qu'elle venait de trouver. Bien sûr, c'était un mensonge, mais pas totalement.  

Sophie haussa les épaules lorsque son amie refusa son aide, comme une façon de dire que c'était comme elle voulait. Elle n'avait proposé ça que pour rendre service et pour éviter à Aelita d'avoir des ennuis. Puis Aelita venait sans doute de s'éviter une mauvaise note. Sophie était trop distraite pour travailler correctement et se concentrer. « Au fond, c'est peut-être mieux pour toi ! J'te garantis pas que tu aurais eu un bon devoir. » d'autant qu'à aucun moment elle n'avait demandé de quel type de devoir il s'agissait ou de la matière afin de s'assurer en être capable. Alors Sophie aurait réellement tout fait pour bien faire, mais il suffisait de la connaître pour savoir qu'elle n'aurait pas pu se concentrer plus de quelques minutes. Un rien détournait son attention.

Sophie observait attentivement Aelita. Elle savait ce qu'elle était en train de faire, c'était évident. Pour Sophie, tout cela paraissait plus que compliqué. Aucun de ces appareils ne lui était familier. Même le temps passé dans ce monde n'aidait pas. Il fallait dire aussi qu'elle n'y mettait pas du sien. Son amie sembla heureuse de l'informer qu'elle pourrait récupérer des données. Sophie n'avait pas la moindre idée de ce que c'était. Alors elle supposait qu'il pouvait s'agir des numéros de téléphone qui étaient enregistrés dans son appareil. « Et comment tu peux récupérer tout ça s'il est cassé ? Je ne comprends rien à comment tout cela peut tenir dans un appareil aussi petit et continuer à y être même une fois l'appareil détruit ! » répliqua Sophie complètement perdue. Pour elle, la logique voudrait qu'appareil détruit signifie informations détruites. Elle n'avait déjà jamais compris comment un appareil comme celui-là pouvait contenir tant de choses alors il ne fallait pas trop lui en demander.

La technologie n'était décidément pas son truc. Oubliant ça, Sophie se jeta finalement sur le lit de son amie, s'appuyant sur ses mains pour relever la tête. Elle promettait alors d'offrir quelque chose à Aelita en échange de son aide. C'était la moindre des choses après tout. « Tout le monde aime recevoir des cadeaux ! Et là, tu le mérites ! » Elle en tout cas, elle aimait ça. Et Aelita méritait d'obtenir quelque chose en échange de son travail. A cette histoire de cookies, Sophie se mit à sourire. Elle non plus ne disait jamais non à la nourriture. La gourmandise et Sophie, c'était une grande histoire d'amour. « Tu veux que je te les cuisine moi-même ? Il parait que ça a plus de valeur si on le fait soi-même ! » C'était là la pire idée du siècle. Laisser Sophie faire la cuisine, c'était s'exposer à être malade pendant des jours. Enfin, si les cookies étaient mangeables déjà. Il ne serait pas étonnant, venant d'elle, qu'elle les fasse brûler.

Bref, l'heure n'était plus aux plaisanteries ou aux cadeaux. La rousse devait absolument trouver l'excuse qu'elle donnerait à sa soeur concernant son portable. Elle évoqua à voix haute toutes les possibilités qui lui passaient par la tête, n'en trouvant aucune satisfaisante. Jusqu'à la dernière. Elle finissait toujours par trouver la bonne solution, malheureusement il s'agissait surtout de mentir dans ces cas-là. Elle ne savait réagir autrement, la plupart du temps. « Tu ne comprends pas Aelita, je veux montrer à Camille que je suis capable de ne pas faire de bêtises... Même si, ce n'est pas vraiment vrai. » Même si elle n'était pas vraiment responsable de cette bêtise, si ? Après tout, son téléphone ne fonctionnait déjà plus avant qu'elle ne le claque ! « Oh non, certainement pas ! » répondit la rousse en se redressant dans le lit pour s'asseoir. « Je ne veux pas t'accuser alors que tu m'aides ! Ça ne serait pas juste pour toi ! » Même si l'idée était bonne et que ça éviterait bien des problèmes à Sophie. La rousse se laissa finalement retomber dans le lit, sur le dos cette fois-ci, incapable de rester en place. Tout en observant le plafond, elle reprit : « Tu me fais penser à Paul... Il était toujours là pour cacher mes bêtises et empêcher que je sois punie. » Même si aujourd'hui, il n'était plus question que de cacher ses bêtises et de lui éviter une leçon de morale. Si Paul était là, elle lui aurait déjà raconté toute sa bêtise et il aurait trouvé la solution, sans vraiment mentir, comme toujours. Et finalement, c'était un peu ce qu'Aelita faisait. « Tu as raison, je vais dire la vérité à Camille. » soupira la rousse, se corrigeant aussitôt. « Enfin, presque la vérité ! Je vais utiliser ta version, elle sera moins en déçue de savoir que je l'ai fait tomber plutôt que de savoir que je l'ai claqué... » comme quoi parfois la solution n'était pas si compliquée à trouver, même si elle en revenait toujours à mentir. L'important était de ne pas décevoir Camille et de ne pas avouer sa bêtise.

Sophie ne comprenait rien à ces petits appareils. Cela n'avait rien d'étonnant. D'une part, elle n'avait pas grandi avec eux. D'autre part, depuis son arrivée dans cette ville, elle n'avait jamais cherché à comprendre, allant même jusqu'à refuser toutes les technologies. Toutes sauf le portable qui s'était rapidement révélé être une obligation pour travailler, à son plus malheur. Alors elle se demandait comment il était possible de récupérer ce qu'il y avait dedans maintenant qu'il était détruit. Déjà qu'elle ne comprenait pas comment un si petit appareil pouvait contenir tant de choses. Aelita tenta alors de lui expliquer et Sophie grimaça, ne comprenant pas un mot de ce qu'elle disait. « Une carte sim ? » répéta-t-elle bêtement. « Et comment cette carte peut... » quel était le mot correct à utiliser ? Elle n'en savait rien ! Pas la moindre idée, même. « Comment peut-elle garder ce que j'ai fait ? Comment tout peut rentrer dans un si petit appareil ? » comment une carte si petite, pouvait-elle enregistrer des numéros ou des données ? « Je ne comprends déjà pas comment il est possible d'entendre quelqu'un en parlant dans cette chose, alors j'imagine que je ne peux pas comprendre comment une carte est capable de se souvenir de tout ce que j'ai écrit. » Ce monde était décidément bien trop compliqué pour elle. Cette machine était capable de faire bien des choses alors qu'elle était minuscule. C'était incompréhensible aux yeux de Sophie.

Laissant de côté son téléphone, Sophie, qui ne cessait de s'agiter en s'allongeant et s'asseyant et en changeant de position toutes les deux secondes, cherchait ce qu'elle allait bien pouvoir dire à Camille. Elle ne voulait pas la décevoir et elle ne voulait pas se faire gronder, une fois encore. Aelita, comme aurait pu le faire Paul autrefois, se proposa pour se dénoncer à sa place. Sophie refusa. Elle avait appris qu'il était préférable de ne pas faire accuser les autres parce que ce n'était pas juste. Alors, elle évitait de le faire autant que possible, même si elle aimait bien ça. D'autant que son amie était en train de l'aider, il serait plus injuste encore de la dénoncer pour quelque chose qu'elle n'avait pas fait. Finalement, grâce à Aelita, Sophie en arriva à la conclusion qu'elle devait dire la vérité. La vérité... Elle n'aimait pas tellement ça d'habitude, mais elle allait le faire. Enfin, une version arrangée de la vérité. « Ce que je gagne toujours à dire la vérité, c'est de recevoir une leçon de morale... » soupira la rousse, même si Aelita n'avait pas tort. « Je vais dire que je l'ai fait tomber quand tu étais là, oui... Comme ça, tu pourras confirmer devant Camille et dire que je n'ai pas fait exprès... » c'était une bonne idée. Inutile de dire qu'elle avait été bousculée si Aelita était là pour affirmer qu'il était tombé tout seul, sans que Sophie ne puisse y faire quoi que ce soit. « Heureusement que tu es là ! » rétorqua-t-elle alors, parce que c'était vrai.

« Aelita... Pourquoi est-ce que tu es là ? » d'accord, ça n'avait absolument aucun lien avec leur conversation, mais Sophie s'était souvent posée la question, sans jamais la poser et là, elle était sortie un peu toute seule. Elle n'y avait pas vraiment réfléchi avant. « Dans cet orphelinat, je veux dire. » précisa-t-elle finalement, devenant sérieuse tout à coup.

« Complètement fou ! » rétorqua la rousse aux mots de son amie. Elle ne comprendrait jamais comment un si petit appareil pouvait fonctionner et contenir tant de choses. Elle ne comprenait même pas comment ces choses pouvaient être contenues dans cet appareil, comment elles y entraient, comment elles y restaient. C'était bien trop compliqué pour elle, d'autant que la plupart du temps, elle ne cherchait pas vraiment à comprendre. Cette fois-ci, Sophie tentait de comprendre. Même si ça ne la passionnerait sans doute pas longtemps. Aussitôt qu'Aelita aurait abordé deux ou trois choses un peu trop technique, Sophie aurait eu l'esprit occupé ailleurs. Elle n'était pas la plus patiente et la plus attentive, malheureusement. Mais son amie lui évita cela, précisant qu'elle n'était pas suffisamment calée pour expliquer le fonctionnement précisément. Ou alors, peut-être trouvait-elle que Sophie était un cas trop désespéré pour tenter de faire entrer quoi que ce soit dans sa tête. Après tout, elle pouvait presque le croire elle-même. Combien de fois sa belle-mère lui avait dit qu'elle était incapable d'apprendre ou de retenir quelque chose ? Sans doute y avait-il eu un fond de vérité là-dedans, aux yeux de Sophie du moins.

Finalement, ce fut un autre sujet qui arriva, celui de raconter - ou non - la vérité à Camille. Sophie avait à coeur de ne pas décevoir sa grande soeur. Elle voulait qu'on soit fière d'elle et de ce qu'elle était capable de faire seule. Alors, dans un premier temps, elle voulait mentir. Bien vite, cette idée disparut, sur les bons conseils d'Aelita et Sophie se résigna à dire la vérité, en partie du moins. Son amie se proposa même d'être présente pour confirmer à Camille que ce n'était qu'un accident. Ce qui était, évidemment, complètement faux. Mais arranger la vérité, était-ce réellement un mensonge ?

Puis, sans raison réelle, si ce n'était la curiosité d'apprendre à mieux connaître son amie, Sophie se mit à poser une question sérieuse. Trop, peut-être. Et personnelle aussi. Trop, sans doute. Sophie était rarement aussi sérieuse, mais cette question elle avait eu envie de lui poser des milliers de fois. Aujourd'hui, elle s'était lancée. La jeune femme écouta alors attentivement la réponse d'Aelita, sérieuse comme jamais. Elle comprenait Aelita. Elle comprenait tous les autres enfants qui étaient ici. Elle avait eu la chance d'être recueillie par la mère de Camille, comme Camille aujourd'hui accueillait tous ces enfants. Elle partageait avec ces enfants la perte de leurs parents. L'absence et le vide que cela représentait. Avec d'autres, ce qu'elle ne souhaitait pas, elle partageait peut-être le malheur d'être recueillie par un monstre.

Dans un premier temps, à la question de son amie, Sophie acquiesça d'un signe de tête. Trouver une véritable famille était le plus important. Chaque famille ne ressemblait pas à ce modèle que beaucoup imaginaient. Chaque famille n'était pas composée de deux parents et des enfants. Parfois, la famille se trouvait ailleurs. Dans ce cas, elle se trouvait là, au milieu des autres orphelins et de Camille. « Tu sais comme je suis curieuse. » dit-elle, un sourire sincère aux lèvres, même si ce n'était pas toute la vérité. Elle avait aussi besoin de comprendre son amie avec qui elle partageait bien plus de choses qu'il n'y paraissait. Puis, elle reprit presque aussitôt, en baissant les yeux : « Qu'est-il arrivé à tes parents ? » c'était plus indiscret encore que la question précédente, mais elle devait le demander. Elle ne pouvait se contenter des maigres informations qu'elle avait obtenues. « Tu n'as plus aucune famille ? » Quitte à être indiscrète, autant l'être à fond, n'est-ce pas ?

Sophie n'était là que pour son téléphone à l'origine. Aelita ne s'attendait sans doute pas à subir un tel interrogatoire. Sophie était curieuse, tout le monde le savait. Sauf que cette fois-ci, d'apparence, ses questions ne partaient de rien. En réalité, elle se les étaient posées des dizaines de fois sans oser les poser à Aelita, et cette fois-ci, sans trop savoir pourquoi, elle s'était lancée. Bien sûr, il s'agissait de curiosité de la part de Sophie, mais ce n'était pas que ça. Quelque part, elle s'identifiait à tous ces enfants, ces adolescents qui avaient tout perdu comme elle. Elle cherchait des similitudes, des raisons de se dire qu'elle n'était pas seule. Camille était pour eux comme Madame de Fleurville avait été pour elle : une aide, un secours, une mère de substitution.

Aelita semblait accepter de raconter son histoire, en tout cas, elle n'envoyait pas balader Sophie qui, quelque part, l'aurait entièrement mérité. Au départ, la jeune fille semblait mettre en garde Sophie parce qu'elle risquait de ne pas la croire. La rousse haussa les épaules prête à entendre n'importe quoi, ou presque. Elle s'installa alors confortablement, plantant son regard dans celui de son interlocutrice et l'écouta attentivement. Il était d'ailleurs bien rare de la voir si attentive. Sophie ne comprenait pas tout, ne comprenait pas comment certaines choses étaient possibles, plus encore lorsqu'il s'agissait de monde virtuel ou de programme informatique. C'était un monde inconnu et un vocabulaire qu'elle maîtrisait plutôt mal, mais elle tentait tout de même d'imaginer et de suivre.

Sophie écoutait l'histoire comme celle d'un livre, peinait par ce qui arrivait à ses personnages, sauf que cette fois-ci il s'agissait de la vie d'Aelita, ce qui la peina plus encore. Des parents absents, disparus, une mémoire disparue, des gens - ou programmes, mais il était plus simple d'imaginer de véritables êtres vivants - malveillants. Sophie hésita un instant puis se leva sans un mot pour prendre son amie dans les bras, lorsque l'histoire fut terminée, parce qu'elle entendit ce rire triste et sentait les émotions dans la voix de son amie lorsqu'elle expliquait, elle comprenait la perte de ses parents et de sa famille, le fait de trouver une nouvelle famille et de la perdre de nouveau en arrivant ici. « Je suis désolée pour toi Aelita. » lança-t-elle en se reculant. « Je ne suis pas certaine d'avoir tout compris, en revanche. » précisa-t-elle avec un sourire pour détendre l'atmosphère. « mais je te crois. » parce qu'aujourd'hui, après avoir vu des voitures qui n'étaient pas tirées par des chevaux, des boites qui diffusaient des images, des objets qui permettaient de parler à quelqu'un qui n'était pas à côté, après avoir vécu tant de choses étranges ici, elle pouvait croire en presque tout. « Camille ne t'abandonnera jamais, je ne t'abandonnerai jamais, tu auras toujours une famille quoi qu'il se passe à partir de maintenant. » sauf s'ils étaient de nouveau tous séparés par elle ne sait quoi, une nouvelle lune rouge, un nouveau monde, le retour chez eux, mais dans ces cas-là, elle retrouverait les siens. « Et je suis certaine qu'un jour tu les retrouveras tous. Il ne faut pas perdre espoir. Il ne faut jamais perdre espoir. Les choses finissent toujours par s'arranger. » Elle avait perdu espoir parfois, mais les choses avaient fini par s'arranger pour elle lorsque tout semblait perdu. Sa vie avait été affreuse et un jour une nouvelle famille l'avait recueilli et tout avait changé. Aelita retrouverait les siens, Sophie voulait sincèrement y croire.

Sophie ne comprenait pas tout à l'histoire d'Aelita, mais elle la croyait. Il y a quelques mois encore - années ? - peut-être ne l'aurait-elle pas cru ! Peut-être aurait-elle cru à une mauvaise blague ? Aujourd'hui, tout était différent. Dans cette ville, elle avait rencontré bien des gens avec des histoires différentes, étranges, nouvelles. Dans cette ville, elle avait appris à côtoyer une technologique évoluée, nouvelle et différente. Dans cette ville, elle avait appris à vivre une vie totalement nouvelle loin de chez elle et des siens, alors ne pouvait-elle pas croire à tout désormais ? Sans oublier qu'Aelita était son amie et elle ne voulait pas l'imaginer en train de lui mentir. Sophie n'était pas la dernière pour mentir, mais pas à ce point-là. Les mensonges de Sophie étaient souvent de petits mensonges, majoritairement pour cacher ses bêtises. Rien de plus. Jamais elle n'allait jusqu'à s'imaginer une vie, alors elle s'imaginait qu'Aelita n'en était pas capable, elle non plus.

Sophie expliqua alors à son amie qu'elle la croyait, qu'elle la comprenait et qu'elle la soutenait. Elle la serra contre elle, voyant un geste rassurant et protecteur, comme la grande soeur qu'elle aurait aimé être, prenant exemple sur ses propres soeurs, rassurantes et protectrices. Parce qu'Aelita était seule dans ce monde et que Sophie avait été seule par le passé. Parce qu'elle connaissait ce sentiment et qu'elle savait l'importance de garder espoir, d'avoir des gens sur qui compter. Et des gens sur qui compter, ici, elle en a. A commencer par Camille, mais aussi Sophie. Jamais elles ne l'abandonneraient. Aelita était une amie et jamais Sophie n'abandonnait ses amis, c'était bien l'une des rares qualités qu'elle pouvait se donner. « C'est difficile de ne pas douter, parfois. » confirma la rousse, comprenant les doutes de son amie. Personne ne pouvait vivre ce qu'ils vivaient tous sans douter une seule seconde. La peur de l'abandon, Sophie pouvait la comprendre. La peur de la solitude également. « Mais comme tu le dis, j'ai bien retrouvé Camille, alors tu retrouveras les tiens aussi. » Même si Jean, Paul, Madeleine et tous les autres manquaient toujours à l'appel malgré deux années d'intenses recherches.

Puis Aelita reprit la parole, évoquant l'histoire de Sophie, ou l'histoire de Camille et Sophie. Sophie ne cachait pas son histoire, simplement elle n'en parlait pas si on ne lui demandait pas. C'était bien la seule chose sur laquelle elle était si peu bavarde. « Je peux te la raconter, ce n'est pas un secret. » commença Sophie, précisant que si elle n'en avait jamais parlé, elle pouvait parfaitement le faire si Aelita en avait envie. Camille n'y verrait aucun inconvénient, Sophie en était persuadée. Sans vraiment attendre, puisqu'elle considérait ce qu'Aelita avait dit précédemment comme une question, Sophie reprit, le regard dans le vide, sérieuse comme jamais elle ne l'était. Si ce n'était pas un secret, comme pour Aelita sans doute, ça ne restait pas une partie de plaisir à raconter. « Je suis née en France et je suis fille unique, mais j'ai grandi avec mon cousin, Paul. Ses parents n'ont jamais trouvé le temps de s'occuper de lui, alors il a grandi avec moi, à Réan. Il était un peu comme mon frère. » Dès le départ, Sophie pouvait perdre Aelita. Elle donnait des noms, sans vraiment se soucier de savoir si Aelita connaissait. Elle évoquait le fait qu'elle était fille unique alors qu'elle parlait sans cesse de Camille, sa soeur. Mais ce n'était que le début de ses explications et Aelita pouvait déduire elle-même les quelques possibilités qui existaient avant que Sophie ne développe davantage. « Comme tu peux imaginer, j'étais une petite fille très sage, qui ne faisait jamais de bêtises. » plaisanta-t-elle, un sourire aux lèvres avant de retrouver son sérieux. « Paul était toujours là pour rattraper mes bêtises ou pour s'accuser à ma place. Mais malgré les bêtises, les remontrances, c'était une période... agréable de ma vie. Enfin... Un jour, lorsque j'avais sept ans, nous sommes partis pour l'Amérique, Paul, ses parents, mes parents et moi. Nos parents devaient régler une question d'héritage. Mais sur la route, le bateau a fait naufrage. Les parents de Paul et ma mère sont morts dans ce naufrage. Et j'ai perdu Paul. » évoqua-t-elle, revivant la scène tout en la racontant. « Je suis arrivée en Amérique avec mon père et il a rencontré Fichini. Au début, elle était gentille et elle s'occupait de nous. Un jour, mon père a fini par se marier avec elle et à partir de ce moment, elle a montré qui elle était réellement. Elle n'avait plus besoin de faire semblant. Depuis le naufrage mon père était malade, il allait mieux, mais un jour, après avoir compris ce que ma belle-mère me faisait subir, il est mort et je suis restée seule avec elle. Je n'étais pas une enfant facile et elle ne m'aimait pas alors... Alors elle me battait dès que l'occasion se présentait. » C'était sans doute ce qui la dérangeait le plus dans son histoire, parce que ces cauchemars la hantaient toujours.

Un soupir de courage plus tard, elle reprit : « Nous sommes rentrées en France et j'ai retrouvé Camille et Madeleine. Je ne t'ai pas dit, mais enfants nous étions amies et passions tout notre temps ensemble. Je n'étais enfin plus seule parce que c'était un sentiment horrible, je me sentais seule en Amérique avec ma belle-mère. Madame Fichini est partie et elle m'a confié temporairement à Madame de Fleurville, la mère de Camille. Grâce à elles, j'ai retrouvé confiance, j'ai retrouvé l'espoir et je m'en suis sortie. J'ai été très heureuse à partir de cet instant. Fichini n'est jamais revenue me rechercher. Je ne l'ai revu qu'une fois, lorsqu'elle était mourante. J'ai été officiellement adoptée par la mère de Camille. Paul est revenu et ça a été l'un des plus beaux jours de ma vie. Ensuite, mes souvenirs sont un peu confus... Je sais que j'ai grandi auprès d'eux, heureuse et en sécurité. Et je crois que je suis mariée, mais je ne m'en souviens pas vraiment. » confia-t-elle à son amie, jugeant qu'elle pouvait bien lui confier qu'elle ne se souvenait pas de tout après tout ce qu'elle venait de dire. Bavarde, comme toujours, elle avait néanmoins tenté d'être concise pour ne pas trop perdre Aelita. « Alors tu vois, tu peux me croire lorsque je te dis que Camille ne t'abandonnera pas. Elle ne m'a pas abandonné. Jamais. Et pourtant, j'ai été une enfant monstrueuse. Elle est comme sa mère. Comme notre mère. On peut compter sur elle. Je te le jure. » termina-t-elle avec un sourire rassurant.

A la demande d'Aelita et après avoir entendu l'histoire de cette dernière, Sophie raconta sa propre histoire. Elle avait tenté d'en raconter une version allégée de tous les détails qui pouvaient paraître inutiles à cet instant, mais Sophie parlait beaucoup, malgré tout. Par d'autres, son histoire aurait sans doute pu être plus allégée encore. Sophie lui détailla alors son enfance, les malheurs qu'elle avait pu connaître, de la perte de ses parents à sa belle-mère qui la battait. Si Sophie n'avait aucun mal à détailler son histoire et sa vie, ce n'était jamais une partie de plaisir de détailler ces moments de sa vie. Aujourd'hui, ses souvenirs ne la faisaient plus autant souffrir qu'avant, mais ils réveillaient toujours quelque chose en elle, elle avait l'impression de revoir, à chaque fois, les événements qu'elle évoquait et c'était le plus difficile. D'autant que si elle avait vécu de nombreux malheurs, sa vie semblait s'être poursuivie sur des choses plus heureuses, en tout cas pour ce dont elle se souvenait. Elle avait été sauvée par la mère de Camille, par Camille elle-même, par Madeleine. Elles avaient été sa famille. Une nouvelle mère, deux nouvelles soeurs. Grâce à elles, Sophie avait pu grandir, apprendre à ne plus avoir peur, apprendre à vivre de nouveau. Sophie imaginait parfois la vie qu'elle aurait eu sans elles. Sans doute aurait-elle grandi malheureuse, sous les coups de sa belle-mère. Ou peut-être que cette dernière aurait cessé de s'en occuper. Elle n'en savait rien et heureusement la vie lui avait offert ce cadeau, celui d'avoir un avenir plus heureux et de ne pas connaître la vie sans Madame de Fleurville et ses filles. Même si aujourd'hui, elle avait l'impression de tout recommencer, seule avec Camille, loin de sa famille et des siens.

Sophie termina de raconter son histoire et observa les réactions de son amie. Sophie ne se trouvait pas particulièrement courageuse, elle n'avait simplement pas eu le choix. Elle avait dû accepter et continuer à vivre en attendant que les jours meilleurs arrivent. « Ne me dis pas ça, après je vais être insupportable ! » Plaisanta la rousse lorsque son amie lui confia que Camille et elle étaient ses nouvelles héroïnes. « Camille et sa famille sont les véritables héroïnes, elles ont eu beaucoup de patience, elles ne sont que gentillesse et amour. Depuis que je suis ici, j'ai compris à quel point il était parfois difficile de trouver des gens comme elles. » heureusement, Sophie s'était trouvée des amis sur qui elle pouvait compter, des gens grâce à qui elle était heureuse, comme Aelita.

Aelita revint alors sur les derniers mots prononcés par Sophie. Son mariage. Ou son potentiel mariage. A vrai dire, elle n'en savait plus rien. C'était assez compliqué à expliquer et à vivre. « Je sais que dans mon autre vie, j'ai grandi, j'ai été adulte... le problème, c'est que je ne m'en souviens pas vraiment. J'ai simplement des... sensations, des impressions. » commença-t-elle à expliquer.  « Et puis, j'ai cette alliance. » continua-t-elle en levant la main pour la montrer. « Je ne sais pas comment t'expliquer ça, mais... je sens que j'ai été mariée à Jean, parfois j'ai l'impression de me souvenir, mais... Je n'arrive à être certaine de rien. Parfois, je me dis que ce ne sont que des rêves, que j'imagine tout ça. » termina Sophie en haussant les épaules. C'était difficile de ne pas savoir, difficile de ne pas se souvenir. Elle aimait Jean, elle le savait, mais pour le reste, peut-être avait-elle tout inventé. « Si seulement il était ici, je pourrais lui poser la question. » ajouta-t-elle, en souriant, tentant de ne pas trop plomber l'ambiance.

Sophie s'était totalement confiée à son amie. Son histoire n'était pas un secret, loin de là, mais elle n'en parlait pas en permanence. Beaucoup de ses souvenirs - même s'ils l'avaient rendus plus forte - n'étaient pas des plus joyeux alors elle préférait ne pas les évoquer. Malgré tout, partager son histoire, c'était partager une partie d'elle. Quoi de plus normal avec une amie ? C'était une façon de mieux se connaître et mieux se comprendre. La réaction d'Aelita était plutôt amusante et touchante. Pour Sophie, sa vie n'avait rien de particulier ou d'extraordinaire, elle avait simplement subi un nombre incalculable de malheurs, comme beaucoup. A la différence que ses malheurs à elle s'étaient concentrés sur une très petite période de sa vie. En revanche, selon elle, Camille, Madeleine et Madame de Fleurville étaient les véritables héroïnes de cette histoire. Elles avaient fait preuve d'une patience exemplaire, d'une gentillesse incroyable. Sans elles, jamais Sophie n'aurait pu s'en sortir. « Heureusement que je les ai trouvées parce que sans elles, je ne pourrais pas être celle que je suis. » Que serait-elle devenue si elle était restée entre les mains de Fichini ? Elle ne préférait même pas l'imaginer. Tout ce qu'elle avait envie de retenir était la chance qu'elle avait eu.

Sophie avait également évoqué Jean. Jean qu'elle imaginait être son époux sans en avoir la certitude. Ses souvenirs adultes lui jouaient des tours et elle ne se souvenait pas de tout, malheureusement. Seules cette bague et quelques sensations ou impressions lui faisaient penser ça. Peut-être aussi n'était-ce que le fruit de son imagination ? Impossible, pour elle, de le savoir. « Comment tu as fait, toi, pour vivre avec une mémoire défaillante ? » se questionna alors Sophie. En règle générale, la jeune femme s'en sortait plutôt bien. Simplement, parfois, il était difficile de ne plus se souvenir de plusieurs années de sa vie. Ces oublis engendraient de nombreuses questions qui ne pouvaient pas trouver de réponses.

Les mots d'Aelita redonnèrent de l'espoir à Sophie. Elle s'imaginait toujours retrouver Paul, Jean ou Madeleine. Elle l'espérait de tout son coeur et de temps à autre quelque chose lui redonnait de l'espoir. Cette fois-ci, c'était les mots d'Aelita. « Tu crois vraiment qu'il peut être ici ? » lui demanda-t-elle, les yeux brillants d'espoir. « Tu crois que j'aurais la chance de le retrouver ? Tu crois qu'on me fera ce cadeau alors qu'on m'a déjà donné la chance de retrouver Camille ? » N'était-ce pas une question de mérite, quelque part ? La ville ne récompenserait-elle pas certaines personnes ? Sophie n'en savait rien, mais avait besoin d'émettre des hypothèses.

A la suite, Sophie se mit à rire lorsqu'Aelita complimenta la bague que Sophie portait. « Qu'est-ce que tu crois ? Jean a du goût et ne fais pas les choses à moitié ! » enfin, elle le supposait du moins. « Et toi, lorsque tu étais encore dans ton monde, tu savais déjà avec qui tu allais te marier ? Ou du moins, il y avait quelqu'un avec qui tu l'espérais ? » Sophie avait bien compris qu'ici, le mariage n'était pas une obligation. Elle avait bien compris que les mariages si jeunes n'étaient pas la majorité, mais elle ne pouvait s'empêcher, parfois, de raisonner comme autrefois. Pour Sophie, l'amour menait forcément au mariage. Et même si Aelita était encore jeune, peut-être avait-elle déjà trouvé la personne idéale ?

Les explications d'Aelita rendaient les choses encore plus difficiles à comprendre. Ou plutôt, elles n'aidaient pas Sophie à mieux vivre avec ses propres oublis. Elle, elle ne se souvenait de rien contrairement à Sophie. Ça devait être si horrible de ne se rappeler de rien du tout, de ne plus savoir qui l'on était, qui l'on aimait... Et en même temps, en ne se souvenant de rien, il n'y avait rien qui nous manquait, non ? C'était difficilement imaginable pour la jeune femme. Malgré les similitudes, leurs histoires étaient si différentes. Elles avaient toutes les deux déjà perdu la mémoire, mais pas de la même façon. Sophie avait, au moins, la chance de savoir qui elle était, la chance de se souvenir des gens qu'elle aimait, elle avait la chance de pouvoir penser à eux et aux bons souvenirs qu'ils lui avaient laissé. Le mauvais côté de la chose était que sa famille lui manquait, qu'elle pensait à eux sans cesse et qu'elle souffrait parfois de cet espoir de les retrouver. Mais quelque part, elle se disait que sa situation était, malgré tout, meilleure que celle qu'avait connue Aelita. Sophie avait eu de la chance. « Je n'arrive même pas à imaginer comment c'est d'avoir tout oublié. » souffla Sophie, perdue dans ses pensées à essayer d'imaginer.  

Puis Aelita lui redonna de l'espoir. Sophie n'en manquait pas en règle générale, même si parfois elle se fatiguait à espérer. Chaque jour elle priait pour retrouver les siens, en vain. Chaque jour, elle priait pour qu'ils soient tous réunis, en vain. Malgré tout, Sophie doutait parfois. Elle doutait que la ville lui offre autre chose. Elle lui avait déjà rendue Camille. Aurait-elle la chance d'en retrouver d'autres quand certains n'avaient encore retrouvé personne ? Ses yeux brillaient d'espoir. Entendre quelqu'un lui confirmer que Jean était sans doute là, que sa famille était sans doute là ne faisait que renforcer ce sentiment. Sophie avait l'impression, pourtant, d'avoir fouillé chaque recoin de cette ville, mais peut-être fallait-il simplement qu'elle se montre patiente et qu'elle laisse faire le hasard ? Ou la ville ? « Tu as raison Aelita. Je vais les retrouver. Et tu retrouveras ceux que tu aimes. On doit juste être patientes. » La patience n'avait jamais été la qualité première de la jeune femme, mais si elle n'avait pas le choix alors elle allait l'être. Sophie ne pouvait, de toute façon, pas vivre avec l'idée qu'elle ne reverrait jamais ceux qu'elle aimait. Cette idée lui était beaucoup trop insupportable.

Tout comme l'idée de ne jamais obtenir de réponses à ses trop nombreuses questions, notamment celles concernant sa vie avec Jean. Cette sensation d'avoir été mariée sans en avoir le moindre souvenir était difficile à vivre au quotidien. Les impressions, les sensations, les flous... Il était parfois difficile de démêler le vrai du faux. Peut-être même qu'elle n'avait jamais été mariée, peut-être que ce n'était qu'un rêve, un souvenir construit de toutes pièces. La seule chose dont elle était certaine, la seule chose qu'elle ne pouvait pas remettre en question était ce qu'elle ressentait pour Jean.

Puis Sophie laissa de nouveau sa curiosité parler. Est-ce qu'Aelita aussi avait déjà pensé au mariage ? Elle était bien plus jeune que Sophie donc peut-être pas, peut-être même n'avait-elle jamais aimé encore. Dans ce monde, tout était différent. Le mariage ne semblait plus être une obligation alors Sophie ne s'étonnait pas de ne pas l'entendre répondre qu'elle y avait déjà pensé. Il lui fallait bien s'habituer à ce qu'était ce monde, cette époque. Sophie ne put s'empêcher de sourire en voyant son amie rougir. Sa réponse éveilla néanmoins toute la curiosité de Sophie qui ne put s'empêcher d'ajouter - ne se retenant pas même si son amie rougissait et si elle se montrait indiscrète : « Parle-moi de lui ! » Se rendant compte qu'elle se montrait peut-être un peu trop autoritaire en ne lui demandant même pas si ça l'embêtait, elle se reprit : « Enfin... Si tu en as envie. » Ajouta-t-elle alors même qu'elle espérait qu'elle en avait envie parce que maintenant que la curiosité de Sophie était éveillée, il fallait bien la satisfaire.

Perdre une partie de sa vie n'était pas une chose facile à gérer. Aelita avait vécu les choses différemment parce qu'elle n'avait pas oublié les mêmes éléments. Sophie avait conscience d'avoir perdu tout un bout de sa vie, contrairement à Aelita pendant longtemps, et donc elle était constamment à la recherche du moindre souvenir. Il était compliqué pour elle de vivre une vie d'adulte - une vie où elle se croyait mariée, une vie où elle savait avoir des responsabilités - quand ses derniers souvenirs remontés au début de l'adolescence. Pourtant, avec le temps, elle s'était habituée à ses oublis. Elle cherchait toujours des réponses, évidemment, mais elle essayait de se mettre moins de pression pour les trouver.

Sophie n'avait jamais vraiment perdu espoir de retrouver les siens. Parfois, l'espoir s'affaiblissait, mais il ne disparaissait jamais complètement. Il restait toujours dans un coin de son esprit. Comment vivre sans espoir lorsque la majorité de ses proches avait disparu ? C'était impossible ! Alors l'une comme l'autre, elles avaient besoin de cet espoir, elles avaient besoin d'entendre ces mots. Il fallait néanmoins toujours resté prudent avec l'espoir parce qu'il pouvait faire souffrir.

Et parce qu'elles parlaient de leurs proches, Sophie se montrait curieuse de la vie amoureuse de son amie. Sophie posait toujours tout un tas de questions personnelles et indiscrètes, mais c'était toujours plus fort qu'elle, elle ne pouvait pas s'en empêcher. Alors lorsqu'elle évoqua ce Jérémie, aussitôt Sophie voulut en savoir plus - mais parce qu'elle comprenait bien qu'elle se montrait peut-être un peu trop insistante, elle précisa qu'Aelita ne devait en parler que si ça ne la gênait pas. En réalité Sophie priait de toutes ses forces pour que ça ne la gêne pas, bien trop pressée d'en entendre davantage sur ce garçon dont Aelita parlait. Dès le premier mot d'Aelita, Sophie avait un sourire bête sur le visage. Elle écoutait son amie lui raconter qu'il lui avait sauvé la vie, qu'il lui manquait et bien d'autres détails que Sophie n'arrivait pas forcément à comprendre complètement. Mais à la fin, elle lui avoua qu'un autre garçon lui plaisait et qu'elle avait l'impression de le trahir. Sophie, sans trop réfléchir d'abord comme bien souvent, répondit aussitôt par un : « Oh, je vois... » A vrai dire, que pouvait-elle dire à ce propos ? A son époque, il était rare de connaître plus d'une personne. On se mariait et on vieillissait ensemble. La question des sentiments ne se posait même pas toujours. Malgré tout, Aelita était jeune et il était loin d'être question de mariage entre ce Jérémie et elle alors, elle avait bien le droit de changer d'avis. Un amour de jeunesse ne signifiait pas devoir passer sa vie avec, moins encore dans ce monde où il semblait normal de connaître plusieurs partenaires dans une vie. S'il ne venait pas à l'esprit de Sophie de faire sa vie avec quelqu'un d'autre que Jean, elle pouvait essayer de comprendre que ce n'était pas la même chose pour Aelita - ne serait-ce que parce que leur situation était différente. Mais comme son amie avait déjà l'impression de le trahir, Sophie ne précisait pas tout cela à Aelita. Elle préférait le garder pour elle et essayait de trouver quelque chose à dire après un silence peut-être un peu trop long. « Vous ne vous êtes pas vus depuis longtemps Aelita. Tu es jeune, tu as bien le droit de chercher à aimer de nouveau ou à vivre de nouvelles choses. » C'était le mieux qu'elle avait trouvé. « Si tu ne le retrouvais pas avant des années ? S'il tient à toi, il serait sans doute heureux de savoir que tu as rencontré quelqu'un, que tu as su avancer sans lui... » Pour quelqu'un qui prétendait quelques minutes plus tôt qu'elle retrouverait ses amis - donc Jérémie - rapidement, elle changeait bien vite d'avis, en fonction des besoins. Mais réalistement, ne pas le retrouver avant longtemps était aussi fort probable. « Tu crois qu'il préfèrerait savoir que tu l'as attendu pendant des années, sans chercher à être heureuse auprès de quelqu'un d'autre ? » Peut-être que ce garçon en question n'était même pas celui auprès de qui elle ferait sa vie, mais Sophie avait une vision de l'amour bien particulière. Bien qu'Aelita était encore jeune, elle imaginait forcément qu'elle pensait déjà au futur avec ce garçon parce qu'elle ne concevait pas d'avoir une relation avec quelqu'un sans imaginer un potentiel futur.

Sophie ne pouvait pas comprendre complètement les choix d'Aelita. Elle ne pouvait pas les comprendre parce qu'ils ne correspondaient pas à ses valeurs, à son éducation ou à son époque. Néanmoins, elle les acceptait et elle ne la jugeait pas - elle essayait, du moins. Depuis son arrivée dans ce nouveau monde, la jeune femme avait compris que cette époque n'avait plus rien avoir avec la sienne. Il fallait s'habituer à de nouvelles façons de vivre, à de nouvelles moeurs, à de nouvelles façons de penser. Connaître plusieurs relations avant de se marier, ne jamais se marier, divorcer... Autant de choses possibles ici qui ne l'étaient pas chez elle - ou n'étaient pas bien vues, en tout cas. Ce n'était sans doute pas un mal. Simplement c'était très différent de ce qu'elle avait connu. Trop. Malgré tout, Aelita ne pouvait pas s'en vouloir. Elle était très jeune et cette relation dont elle parlait ne pouvait s'apparenter qu'à une relation d'adolescent. Ils n'étaient ni promis l'un à l'autre, ni fiancés. Ils n'étaient que deux jeunes qui avaient appris à aimer l'un avec l'autre. Ils n'étaient tenus de respecter aucune promesse les liant à vie. Et surtout, ils étaient séparés depuis plus de deux ans. Deux longues années à attendre, à espérer. Aelita ne pouvait pas passer sa vie à attendre. Elle était jeune et elle avait le droit d'aimer à nouveau, de vivre à nouveau. Si ce Jérémie l'aimait, il devait le comprendre et l'accepter lors de leurs retrouvailles.

Alors Sophie tentait de faire comprendre tout ça à Aelita. Elle tentait de la conseiller, sans savoir si elle n'était pas maladroite dans ses propos, si elle ne faisait pas pire que mieux. Bien sûr, accepter ce n'était jamais une chose facile à faire, mais Aelita le devait - ou devait déjà, au moins, travailler sur ça, pour pouvoir avancer sereinement et espérer pouvoir vivre sa vie. Sophie lui souhaitait de retrouver Jérémie, évidemment, mais il était possible que ce moment n'arrive jamais ! Alors devait-elle vivre éternellement dans la culpabilité pour des retrouvailles qui n'auraient peut-être jamais lieu ? Pas selon Sophie. Ce n'était, en tout cas, pas ce qu'elle souhaitait pour son amie. Alors Aelita devait vivre sa vie et arrêter de culpabiliser. Il fallait qu'elle inverse les rôles pour comprendre qu'elle serait heureuse de savoir que Jérémie ne l'avait pas éternellement attendu et qu'il était resté malheureux et seul. Ce qui valait pour l'un, valait pour l'autre s'ils tenaient autant l'un à l'autre. Sophie l'espérait du moins. La jeune femme ignorait si elle avait réussi à convaincre son amie, mais elle l'espérait. Et après un certain temps où elles étaient restées silencieuses l'une et l'autre, Aelita sortit une réflexion qui amusa beaucoup Sophie. « Tu n'oublieras pas de le dire à Camille lorsque je ferai quelque chose qui ne lui plaira pas. » Au moins, elle pouvait prétendre avoir une qualité, même si elle doutait être réellement de bons conseils. Pour cela, fallait-il encore qu'Aelita les applique et confirme la théorie par la pratique.