paciencia y fe ─ ft. Aelita Schaeffer

Rien de mieux, après une matinée éreintante, que de se réconforter avec un bon milkshake. Depuis qu'Aelita a découvert le Pop's, elle y vient bien plus qu'elle ne le devrait, avec en tête de goûter à absolument toutes leurs sortes de boissons lactées (ce qui pourra donc prendre un certain temps, il faut le reconnaître), un challenge personnel qui n'aurait sans doute pas déplu à Odd - s'il était là, elle est convaincue qu'ils seraient déjà lancés tous deux dans un concours du plus grand buveur de milkshake - et qu'elle foirerait lamentablement. Elle dépense sans doute beaucoup trop de son argent de poche dans ces boissons tout sauf saines pour la santé, mais après tout, on a qu'une vie - ou pas, parce que cet endroit tendrait à prouver qu'en vérité, on en a plusieurs.

Elle a passé une matinée épuisante, et est bien contente d'avoir son après-midi de libre. Son été, elle ne le passe pas à flâner comme la plupart des ados de son âge (qui ont au passage bien raison de le faire), elle, elle le consacre au stage qu'elle a obtenu chez Obsidian North. Elle se sent comme un poisson dans l'eau dans cette entreprise consacrée aux nouvelles technologies, et qui ne se contente pas de lui confier des missions basiques et peu honorifiques de type préparer le café et faire des photocopies. Oui, elle s'y sent bien, mais elle n'a pas le temps de se poser cinq minutes (ce qui est plutôt une chance quand on est stagiaire), alors elle est bien contente de faire ce tour chez Pop's.

Elle a déjà son programme de l'après-midi bien en tête pour sa part. Elle va acheter son milkshake, s'installer à une table et profiter du wifi public avec son ordinateur portable pour faire son tour d'horizon de tous les sites possibles et imaginables qui seraient susceptibles de l'aider à remonter la trace de ses amis. C'est presque un rituel à ce stade, auquel elle s'adonne quotidiennement et qui ne donne jamais - ou presque - de résultat. Mais Aelita est du genre persévérante. Et récemment, le fait d'avoir permis les retrouvailles entre Anna et Elsa lui a donné un regain d'espoir. Si ça a été possible pour les deux soeurs, alors pourquoi ça ne le serait pas pour elle ?

Elle se trouve donc au comptoir, prête à payer sa boisson, le nez dans son portefeuille quand une jeune femme qu'elle ne pense pas connaître s'adresse à elle et prend naturellement la décision de payer sa commande. Aelita l'observe et lui répond par un sourire. Elle sait que la couleur de ses cheveux interroge beaucoup. Elle n'est pas la première, ni la dernière à lui poser la question à ce sujet. Elle a bien vite compris que si d'où elle vient, personne ne se posait vraiment de questions quant à la couleur de ses cheveux (quand bien même elle n'a jamais rencontré qui que ce soit qui ait eu la même - en dehors de sa mère, évidemment), ce n'est pas la même chose ou non.

"Tu ne vas peut-être pas le croire, mais c'est ma couleur naturelle", répond-elle avec douceur avant de suivre son interlocutrice. C'est une drôle de manière d'être abordée, mais Aelita apprécie faire de nouvelles connaissances, et son interlocutrice l'intrigue. "Merci pour le milkshake, t'étais vraiment pas obligée", ajoute-t-elle avant de boire une première gorgée de sa boisson. "Moi c'est Aelita. Et toi ?"

Aelita répond par un grand sourire à Jo quand cette dernière lui fait remarquer que les circonstances l'ont incitée à croire dans bien plus étrange que sa couleur naturelle de cheveux. Oh, ça, elle le croit sans aucun problème, vraiment. L'adolescente aussi n'a de cesse que de remettre en question sa perception de la réalité.

Quand on arrive ici, on ne peut plus se contenter de ses croyances passées, elles ne suffisent pas à expliquer notre présence ni celle de ceux qui nous entourent. Il faut accepter que la situation prenne un autre tournant, il faut accepter qu'elle nous échappe et ne cesse jamais de nous échapper. Alors au final, oui, il fallait accepter de croire en tout et n'importe quoi. Le plus compliqué à encaisser jusqu'ici pour Aelita avait été l'histoire de Rey, qui est à peine vraisemblable, mais à force, elle s'est fait une raison : cet endroit pousse à croire à l'incroyable, tout simplement.

Par certains aspects, cela pouvait se révéler dangereux, ce n'était pas bien différent que de s'exposer naïvement à toutes les manigances qui puissent exister. Enfin, Aelita, même si elle n'est pas d'une naïveté sans borne (mais peut tout de même l'être), préfère ne pas trop y penser pour le moment. Dans tous les cas, elle n'a que la meilleure impression au sujet de son interlocutrice, même si elle ne sait encore rien d'elle, et elle veut croire que leur conversation ne saura être que plaisante dans tous les cas.

"Enchantée, Jo", dit-elle avec un grand sourire.

Cela ne la dérange pas de poser aux questions de son interlocutrice. Au contraire, elle apprécie la curiosité des autres, à plus forte raison que cette dernière l'autorise à se montrer curieuse en retour, quand elle a parfois des scrupules à poser mille et une questions, bien consciente du fait que cela pourrait bien incommoder ses interlocuteurs.

"J'ai quinze ans, je suis encore au lycée. Et toi ? Enfin, je me doute que t'es plus au lycée, enfin j'imagine. Je voulais dire, tu as quel âge ? Tu fais quoi dans la vie ?" Elle marque une pause. "Tu as parlé de ta soeur... je veux pas... remuer des choses ou quoi, mais je suppose que tu ne l'as pas retrouvée ici, n'est-ce pas ?"

Elle tente de poser la question avec autant de délicatesse qu'elle le peut. Son but n'est vraiment pas de se montrer indiscrète, mais tout comme elle-même n'a de cesse que de vouloir retrouver ses amis, elle sait que beaucoup d'autres recherchent leurs proches, et elle le comprend sans mal. Et elle veut aider si elle le peut. Après tout, si elle a pu permettre à Elsa et Anna de se réunir, pourquoi ne pourrait-elle pas permettre à un tel miracle de se réitérer ? Elle l'espère, en tout cas.

Jo apprend à Aelita qu’elle est autrice, et aussitôt, l’adolescente trouve cela tout bonnement fascinant. Elle a bien envie de lui poser des dizaines et des dizaines de question sur sa manière d’écrire, sur son parcours littéraire, sur les livres qu’elle aura écrits, mais elle garde ces questions pour elle au moment d’entendre son interlocutrice lui apprendre que sa sœur, Beth, est décédée… Aussitôt, le cœur d’Aelita se serre.

C’est pire, bien pire que tout ce qu’elle s’était imaginée, et elle a bien du mal à se dire que son interlocutrice portait le deuil de sa sœur. Jo semble bien le vivre, au sens où elle ne laisse pas le chagrin et la douleur prendre le pas sur ses émotions à l’évocation de Beth, mais tout de même, Aelita s’en veut d’avoir abordé si légèrement le sujet. Du fait que Jo soit si jeune sans doute, elle n’avait pas imaginé une telle chose possible. Ce qui est bête, bien sûr que la jeunesse ne nous préserve pas du drame, c’est malheureusement un fait connu.

« Si elles sont toutes aussi sympathiques et intelligentes que toi, moi je dirais que tes parents ont eu de la chance, au contraire », répond Aelita avec un fin sourire.

Une certaine curiosité malsaine la pousserait à demander comment Beth est morte, mais elle s’abstient de faire un tel affront à son interlocutrice, ce serait d’une remarquable indélicatesse, elle en a tout de même conscience. Par ailleurs, elle s’abstient aussi d’apprendre à son interlocutrice qu’elle a déjà croisé des personnes qui lui ont appris revenir d’entre les morts. Lui donner l’espoir – très probablement vain – que sa sœur pourrait lui revenir ici ne serait rien d’autre que cruel, même formulé avec la meilleure des intentions. Et qui serait-elle d’ailleurs pour communiquer un quelconque espoir sous ce motif.

Même en sachant cela, elle ne s’attend pas à voir ses parents surgir de nulle part. C’est la même chose, dans le fond. Donc non, elle préfère ne rien ajouter à ce sujet, et donc se concentrer sur le positif, cette famille à laquelle Jo semble tant tenir. Aelita sent que ça fait du bien à Jo de parler de ses sœurs, alors elle la laisse faire. C’est vrai, elle ne comprend pas tout, mais en même temps, elle se dit qu’elle-même, quand elle parlait de ses meilleurs amis, ne devait pas être beaucoup plus compréhensible en fin de compte, quand elle commençait à discuter de tout ce qu’elle voudrait partager avec eux, ou de tout ce qu’elle avait partagé avec eux.

« Alors, trois questions : qui est Amy, qui est Teddy, et qui est le sosie de Teddy ? » demande-t-elle avec humour.

Alors oui, elle se doute qu’Amy est une des sœurs évoquée plus tôt, mais elle se demande surtout comment elle est, si elle a vraiment une personnalité si explosive, et aussi et surtout, ce que tout ceci peut bien signifier exactement. Elle ne connaît pas son interlocutrice, ou à peine, mais elle se sent déjà prête à partager des anecdotes croustillantes avec elle.

Quand elle entend Jo parler, Aelita n’a aucun doute quant à l’affection que la jeune femme a pu avoir (et a encore) pour ses sœurs. L’adolescente songe souvent qu’elle aurait aimé avoir des frères et sœurs. Bien sûr, dans le fond, il a été préférable qu’elle soit fille unique : elle aura été la seule à connaître Lyoko, la perte de sa mémoire et la disparition de ses parents, mais dans d’autres circonstances, elle est convaincue qu’elle aurait vraiment été heureuse… Ses meilleurs amis sont un peu sa nouvelle famille, c’est vrai, mais ce n’est pas exactement pareil, bien sûr. Et elle n’est pas sûre qu’elle sera jamais capable de partager un jour un lien similaire à celui que Yumi partageait avec son petit frère, par exemple, même si les deux se prenaient aussi régulièrement la tête. Elle aurait bien des choses à en dire, mais elle ne veut pas s’appesantir sur le sujet, pas si cela doit déprimer Jo, ce qui risque de la déprimer tout autant, par ailleurs.

Jo accepte de répondre à ses différentes questions, et Aelita l’écoute, très attentive. Elle aime entendre les histoires des personnes qui l’entourent, elle les trouve toujours passionnantes, intéressantes, édifiantes. Elle sait aussi qu’elles peuvent être compliquées et douloureuses, mais tant que Jo accepte de lui en parler, elle se dit que ça ne doit pas être si éprouvant pour elle, et peut-être même que ça lui fait du bien, tout comme ça fait souvent du bien à Aelita de parler de ses meilleurs amis, même si elle sait qu’elle ne les retrouvera jamais ici.

Elle apprend donc qu’Amy est la plus jeune des sœurs de Jo, et la sœur de son meilleur ami… Elle en parle au passé, et Aelita fronce les sourcils. Est-ce parce qu’il n’est pas ici ? Parce qu’il lui est arrivé quelque chose ? Ou bien parce que son amitié s’est éteinte ? Elle n’en sait trop rien, en tout cas, ce jeune homme était amoureux d’elle, avant de jeter son dévolu sur sa sœur. Aelita aurait tendance à trouver ça… perturbant ? C’est comme si Odd avait eu des sentiments pour elle et décidait finalement de se rabattre sur sa sœur inexistante. L’adolescente ne sait vraiment pas comment elle aurait pris une chose pareille… mais sans doute pas très bien…

Mais donc, l’histoire ne s’arrête pas là : Teddy a un sosie, un sosie qui ressemble comme deux gouttes d’eau à son ami, et qu’elle aime peut-être, pour le coup, plus que comme un ami. Le regard d’Aelita se fait pétillant. Oui, elle aime ce genre d’histoires de cœur, et elle aurait tendance à s’y investir un peu trop, même, parce que ça la sort d’un quotidien qui n’est pas toujours passionnant et reluisant, il faut bien le dire, pour autre chose, de différent, de distinct… de divertissant.

« Et donc, c’est quoi son charme bien à lui ? Vous vous connaissez depuis longtemps ? Tu sais si tu lui plais ? »

Il n’en faut pas plus à Aelita pour partir au quart de tour, au final.