(terminé) Une seconde famille || Aelita

Aelita se frotte les yeux du plat des mains. Cela fait des heures, maintenant, qu'elle a les yeux collés à l'écran de son ordinateur, et elle commence à voir double. Si elle insiste encore davantage, elle va se choper une migraine carabinée. De toute façon, il va bientôt falloir qu'elle rende l'ordinateur portable à la camarade qui a bien voulu le lui prêter, n'ayant pas les moyens d'avoir le sien... Comme toujours, elle a essayé de trouver une trace de ses proches. Elle sait, bien sûr, que l'entreprise est vaine, mais elle a du mal à renoncer à cet objectif, si absurde soit-il... Sans cela, elle ne sait pas comment elle va tenir le coup, ici. Oui, elle s'est fait de nouveaux amis, oui, elle n'est pas seule... mais une part d'enne se sentira tout de même toujours isolée en l'absence de Jérémie, Odd, Yumi et Ulrich, et ça quoi qu'elle fasse. Sa conversation avec Betty l'a convaincue de mettre les bouchées doubles et de ne pas renoncer, et c'est ce qu'elle va faire, donc... même si ces heures passées devant son écran, donc, n'ont absolument mené nulle part.

C'est un second écran qui finit par distraire Aelita du premier, alors qu'elle entend son téléphone portable, posé sur sa table de chevet, vibrer. Elle s'en saisit et découvre un message de Sabrina. Elle n'y dit pas grand-chose, lui propose seulement de la rejoindre dans sa chambre. Aelita affiche un sourire. Elle a clairement besoin de compagnie. Passer du temps avec son amie lui sera bien plus profitable que de poursuivre vainement ses recherches jusqu'à se donner un mal de crâne carabiné. Elle referme l'ordinateur et l'abandonne sur son lit avant de se redresser. Pas la peine de répondre au message de son amie, elle sait que son SMS a valeur d'invitation immédiate. C'est comme ça qu'elles ont pris l'habitude de procéder toutes les deux.

Alors, à peine quelques minutes, non quelques secondes après que l'invitation de Sabrina soit lancée, elle entre dans sa chambre. Elle a pris la peine de frapper, certes, mais assez inutilement puisqu'elle rentre dans la chambre avant même que son amie l'ait invitée à entrer.

"Aelita, toujours fidèle au poste, meilleur remède à l'ennui depuis 2019, pour vous servir", décrète-t-elle avant de refermer la porte derrière elle et de s'installer sans spécialement de gêne sur le lit de Sabrina.

Elle ne sait pas, ceci dit, si Sabrina a voulu la voir parce qu'elle s'ennuie ou parce qu'elle a quelque chose à lui dire. Dans tous les cas, quand un ami fait appel à elle, elle débarque aussitôt, c'est dans sa manière de faire, toujours.

"Comment tu vas ? Quoi de neuf ?"

Aelita adresse à Sabrina un grand sourire qui signifie "de rien", et pour cause, son amie n'a vraiment pas la moindre raison de la remercier en quoi que ce soit. Bien au contraire, le moindre moment qu'elle peut grapiller en compagnie de son amie est toujours apprécié, et elle sent bien que son amie avait besoin autant qu'elle de juste bavarder, de passer un petit moment entre filles, à juste se vider la tête et à se raconter tout et n'importe quoi, même si ce devait être pour s'arrêter sur des sujets de conversation pas du tout palpitants et pas spécialement intéressants. Ce qui est intéressant, c'est la compagnie l'une de l'autre, le soutien qu'elles s'apportent mutuellement dans une situation à laquelle elles s'habituent du mieux qu'elles peuvent, mais qui ne sera jamais totalement confortable ou idéale pour elles. Quoi qu'elles fassent, leurs familles et leurs amis continueront de leur manquer, et ça, il y a peu de chances pour que ça change. A moins d'un miracle de moins en moins espéré à mesure que le temps passe et s'étire.

Aelita est ravie de savoir que sa présence aide Sabrina à se sentir mieux, même si au final elle voudrait qu'elle n'ait pas besoin de ça et qu'elle n'ait pas le moindre coup au moral (ce qui serait beaucoup demandé, en même temps). L'adolescente fera ce qu'il faut pour que, au moment de quitter cette chambre, Sabrina ait le sourire jusqu'aux oreilles, elle s'en fait la promesse en son for intérieur. Et elle est toujours très respectueuse des promesses qu'elle se fait à elle-même, presque autant que de celles qu'elle articule à voix haute.

"C'est parfait", décrète Aelita en se jetant d'autorité sur le paquet de biscuits pour en saisir un et l'avaler presque en une bouchée, toujours aussi gourmande.

Elles seraient au pain sec et à l'eau que ça irait très bien aussi, en vérité. Quoique... elle tirerait peut-être un peu la tronche, sur le principe, si elles étaient au pain sec et à l'eau, mais en l'occurrence, ces gâteaux seront très bien. Pour la prochaine fois, Aelita se promet de faire le plein de chocolat afin de s'assurer qu'elles ne manquent de rien.

"Moi ça va, j'ai eu un petit coup de mou, récemment, j'étais un peu nostalgique... j'imagine que c'est un peu ton cas aussi ?" Elle se ressaisit. "Mais ça va mieux, j'ai repris du poil de la bête. "Alors, dis-moi", ajoute-t-elle en se saisissant d'un nouveau biscuit. "Quoi de neuf ? C'est quoi les derniers potins ?"

Il n'y a pas forcément grand-chose de croustillant à raconter, mais tout ce qui sera susceptible de les divertir, de les changer un peu de leur quotidien, sera bon à prendre dans tous les cas, ça c'est sûr et certain.

S'il est bien une chose qui ne varie tristement pas d'une conversation à l'autre, c'est ce sentiment d'abandon et de solitude qu'elles gardent forcément au moins un peu en elle. La nostalgie d'une vie passée qu'elles ne parviennent pas à retrouver, et l'absence pesante de leurs proches, qui n'ont toujours pas donné signe de vie, qui ne le feront peut-être jamais... C'est malheureusement une constante avec laquelle il faut bien qu'elles apprennent à vivre. A certains moments, cela se révèle plus difficile qu'à d'autres. La période des fêtes, notamment, a été très difficile pour Aelita, mais c'est ainsi, et y revenir constamment ne pourra pas y faire grand-chose, c'est certain, si ce n'est éventuellement à les pousser à s'enfoncer mutuellement.

Alors qu'au contraire, elles peuvent se tirer vers le haut, aussi. Oui, elles se sentent seules, parfois, mais elles ne sont pas seules pour autant. Elles sont là l'une pour l'autre, et même si les Lyoko-guerriers gardent une place à part dans son coeur, à force, Sabrina est très clairement devenue la meilleure amie qu'elle possède à l'heure actuelle. Une soeur, en tout cas. A qui elle ne confie pas tout, pourtant. Et réciproquement. Car Aelita n'est pas totalement capable de comprendre ce que son amie veut dire quand elle affirme qu'elle n'est pas tout à fait elle, ici.

Non, c'est Sabrina qui a raison, il ne sert absolument à rien d'y revenir, encore et encore. La seule chose que ça pourrait avoir comme effet, c'est de retourner le couteau dans la plaie, et le fait est que cette plaie a déjà bien du mal à se refermer d'elle-même sans s'amuser à la torturer. Oui, mieux vaut qu'elles parlent toutes deux d'autre chose. Si elles sont l'une et l'autre démoralisées, eh bien qu'à cela ne tienne. Et c'est à Aelita d'ouvrir le bal. Dire quelque chose, n'importe quoi du moment que ça leur permette de s'évader un peu. Un sujet de conversation simple et agréable, ça doit bien se trouver, non ? Après tout, au-delà de leurs inquiétudes respectives, elles ont bien des occasions d'être heureuses et de sourire, après tout.

"Je sais pas trop", réfléchit Aelita en quête d'un sujet de discussion vraiment divertissant. Elle puise son inspiration dans la boîte de biscuits et en mord un à pleines dents avant de se décider finalement. "Ah si, l'autre soir, je m'ennuyais, alors j'ai essayé de pirater le site du lycée. C'était super simple, en fait", dit-elle en toute humilité. "Du coup, j'ai accès aux bulletins de tout le monde à l'avance. Je pourrais les modifier, si je voulais. Je l'ai pas fait bien sûr."

Parce qu'elle est trop honnête pour ça, et qu'elle n'en a pas spécialement besoin pour elle-même. N'empêche qu'elle pourrait, effectivement.

Aelita affiche un sourire qui n'est pas si humble quand Sabrina observe qu'elle la savait entièrement capable de faire ces prouesses, et donc de hacker le site de son lycée. Elle ne va pas prétendre que c'est un jeu d'enfant non plus (même si on peut arguer qu'elle est encore une enfant et que c'est un jeu pour elle), mais elle a des antécédents en matière de piratage informatique. Elle a grandi et évolué dans un contexte très particulier, il faut dire, qui fait qu'elle n'a pas exactement été éduquée de la même manière que la plupart. Donc pour elle, c'est sûr, ce simple exercice de style n'a rien eu d'une épreuve insurmontable. Ceci dit, elle estime que pour le coup, le site du lycée n'était définitivement pas le plus difficile à pirater. Certains lui laissent parfois du fil à retordre, mais là... pour leur propre bien, l'administration devrait clairement songer à revoir son système de pare-feu. Elle a connu des sites amateurs bien plus sécurisés que celui-là, c'est dire.

"Je sais pas", répond modestement Aelita, "peut-être", ajoute-t-elle évasivement avec un sourire en coin quand Sabrina suggère qu'elle pourrait être capable de faire la même chose avec le site de l'université.

Allez savoir pourquoi, elle se dit que la sécurité mise en place sur ce site est peut-être tout de même plus importante, mais l'adolescente aux cheveux roses en a vu d'autres, elle a quand même envie de croire qu'elle serait parfaitement capable de réussir ce genre de prouesses. Plus par satisfaction personnelle, ceci dit, que pour en faire quoi que ce soit de concluant. Elle n'a pas triché pour elle-même, elle n'irait certainement pas tricher pour Sabrina non plus.

"Mais tu n'as absolument pas besoin que je pirate leur site pour fabriquer tes notes, pas vrai ? Tu vaux beaucoup mieux que ça."

C'est une chose qu'elle formule sur le ton de la plaisanterie, mais ça reste une chose qu'elle pense. Bien sûr que Sabrina est bien assez douée et intelligente pour ne pas avoir besoin de tricher. De manière générale, Aelita estime qu'on ne peut tirer aucun bénéfice du fait de tricher (quoi que certaines situations ont pu l'exiger de manière presque impérieuse, en fin de compte). Il advient toujours un moment où cette situation nous retombera dessus. Ce n'est pas qu'Aelita croit dans le karma à proprement parler, mais elle croit dans le fait que chaque action engendre des conséquences, et chaque action négative a sur le principe plus de chances d'engendrer des conséquences négatives que positives, ça tombe sous le sens.

"D'ailleurs, comment ça se passe pour toi à l'université ? ça te plaît toujours ? L'ambiance ? Les cours ?"

Aelita est très curieuse des études supérieures. Elle a plutôt hâte d'en avoir fini avec ses années lycée, d'ailleurs, à vrai dire.

Aelita n'est pas totalement convaincue par la réponse de Sabrina quand cette dernière lui affirme qu'elle n'avait pas du tout l'intention de maquiller ses notes par son intermédiaire et n'avait émis cette suggestion que pour la forme, sans vraiment le penser. L'adolescente aux cheveux roses est prête à parier que si l'idée lui a traversé l'esprit, c'est qu'elle y a tout de même très sérieusement réfléchi. La jeune fille est tout de même soulagée de constatée que cette pensée la déserte presque au moment même où elle la formule. Elle-même doit savoir qu'elle n'a absolument pas besoin de ça pour briller par ses talents et par ses résultats. Elle est bien assez intelligente pour réussir par elle-même.

Ceci dit, Aelita peut tout à fait comprendre les inquiétudes de son interlocutrice, elle est même capable de les trouver normales au bout du compte. Les personnes les plus intelligentes ne sont pas épargnées par le doute et le stress, bien au contraire. Aelita elle-même est une excellente élève, ce qui ne l'empêche pas de se remettre très régulièrement en question et de manquer très rarement l'occasion de douter de ses compétences. Qu'elle sache pertinemment qu'elle ne le devrait pas n'y change pas grand-chose, en l'occurrence.

Alors autant noyer le poisson et ne pas revenir sur le sujet, ça ne sert à rien et Aelita n'a par ailleurs aucune envie de mettre son amie mal à l'aise. Alors, à la place, l'adolescente écoute avec attention Sabrina lui parler de l'université et de la façon dont elle apprécie ses cours.

"Qu'est-ce qui te dérange ?" demande Aelita, qui ne peut pas s'empêcher de se montrer indiscrète.

Certes, Sabrina lui assure que les cours l'intéresse, qu'elle se sent dans son élément, que ce qu'elle étudie lui plaît, que l'ambiance, globalement, lui plaît. Mais les hésitations de la jeune femme ne passent pas inaperçu pour autant, et l'adolescente a envie d'en comprendre l'origine. Sabrina est comme une soeur, pour elle, et surtout, elle est un de ses piliers. Alors si quelque chose ne doit pas aller pour elle, elle a envie de savoir de quoi il peut bien s'agir.

Elle n'est pas sûre qu'elle sera capable de faire grand-chose ou d'être de bon conseil, mais elle veut essayer, au moins. Pour elle, c'est quelque chose d'important, et sur ce point, elle est très sincère. Elle se sent concernée par ce qui peut préoccuper son amie, si bien qu'elle n'a pas trop envie de s'épancher elle-même quand vient le moment de parler de ses propres études.

"Moi ça va, ça se passe bien... mais j'ai hâte d'en avoir fini avec le lycée, honnêtement. J'ai hâte de pouvoir aller à la fac, moi aussi, de me spécialiser dans un domaine et de me donner à fond... enfin, j'ai encore le temps, je sais bien", répond-elle avec un fin sourire.