Quand Xavier lui a proposé de se rendre au cinéma avec elle, Aelita a eu un moment d'hésitation, qui l'a décontenancée elle-même. Pourquoi serait-elle à ce point hésitante à passer la soirée avec un ami, après tout ? Eh bien c'est ça, le hic, une part d'elle se demande si ce rendez-vous ne ressemblerait pas plutôt à un rencard, et une autre part d'elle se sent absolument stupide d'envisager la chose de cette manière. De manière générale, quand il est question de Xavier, Aelita se sent paumée, purement et simplement paumée.

Voilà un moment qu'ils parlent ensemble. Il ne s'écoule pas une journée sans qu'ils ne se donnent des nouvelles l'un de l'autre, et voilà un moment à présent que leurs discussions ne se restreignent pas seulement à leurs recherches respectives sur comment s'en aller d'ici ou retrouver les proches d'Aelita. Il leur arrive parfois de discuter longuement sans qu'aucun de ces sujets n'arrive sur le tapis. Xavier comble un sentiment de solitude qui se fait soudainement plus insignifiant quand il est à ses côtés. Et c'est perturbant. C'est perturbant parce que ce sentiment de bien-être qu'elle ressent chaque fois qu'elle reçoit un message de sa part, c'est un sentiment qu'elle a déjà ressenti... avec Jérémie.

Et dans sa tête, ça remet tout en question. Jérémie est le premier garçon, le premier être humain, avec qui elle avait été en contact depuis une bonne éternité, quand elle était sur Lyoko, et privée de sa mémoire, elle avait même cru qu'il avait été le premier humain avec qui elle avait été en contact tout court. Il était la première personne à laquelle elle s'était attachée, la personne qu'elle avait appris à connaître et à aimer. Elle lui devait son retour sur Terre, elle lui devait... tellement... et alors qu'elle s'attache de plus en plus à Xavier, elle a le désagréable sentiment de le trahir. D'aucun diraient qu'elle n'a que quinze ans (bientôt seize), qu'elle n'est qu'une adolescente et que ce qui serait aberrant serait qu'elle entretienne une flamme avec un garçon qu'elle n'a pas vu depuis trois ans, alors qu'elle n'avait que treize ans. Mais c'est compliqué, tout est compliqué, ici.

Et, à présent, elle est partagée entre l'envie qu'il s'agisse bel et bien d'un rencard, et la peur que ce soit le cas. Dans tous les cas, oui, elle a répondu par la positive, et la voilà donc, devant le cinéma, à rougir un peu trop quand il l'étreint en guise de salutation.

"Oui, ça va, enfin rien de spécial, une journée de cours comme les autres, tu sais", répond-elle avec une esquisse de sourire aux lèvres. "Et toi, ta journée ?" lui demande-t-elle tandis qu'ils entrent dans le cinéma. "Tu sais que je ne suis pas allée une seule fois au cinéma, depuis que je suis ici. Je n'ai même pas regardé de quoi le film parlait." Elle essaie d'être détendue mais à le sentiment de ne pas l'être tout à fait. "Oh, est-ce que tu veux qu'on achète du pop-corn ? Odd disait toujours qu'on ne peut décemment pas aller au cinéma sans acheter de pop-corn. Sauf que ce n'est pas exactement comme ça qu'il le disait..."

Aelita écoute avec attention Xavier lui parler de sa journée. Quelque part, c’est presque un luxe, dans un endroit comme celui-ci, de réussir à se construire une routine en dépit des circonstances. C’est rassurant, quelque part… et part d’autres aspects, c’est aussi assez angoissant, parce que ça prouve bien qu’on peut se faire à cet endroit au point d’en oublier, peut-être, celui d’où l’on vient. Faute de réussir à partir, il faut s’adapter, sans doute, mais s’adapter loin de tous ceux qu’elle aime ? C’est une perspective définitivement trop difficile pour elle. Elle chasse cependant cette pensée de son esprit tout en écoutant son interlocuteur lui parler de ce client qui avait fait tomber son téléphone et des difficultés relatives à cette maladresse, mais en soi, rien de pire, rien de mieux. Ce n’est sans doute pas plus mal, dans le fond.

Il lui apprend ensuite n’être encore jamais allé au cinéma depuis qu’il est ici, elle essaie de ne pas sembler davantage embarrassée quand il ajoute que c’est une grande première qu’il pourra savourer en bonne compagnie, le tout avec un clin d’œil, qui plus est… Bon sang, pourquoi elle a l’impression qu’elle ne parvient plus à contrôler son visage, en cet instant ! Ni ses regards à la dérobée, ni ses sourires, ni le feu qui lui brûle les joues, c’est ridicule. Mais ce ne sont pas des réactions qu’elle contrôle du tout.

« Oui, ne me spoile surtout pas ! Les bandes-annonces ont toujours tendance à trop en dire sur le film dont elles parlent. Et comme ça, si je n’aime pas le film, je pourrais dire que c’est entièrement ta faute », ajoute-t-elle sur le ton de la plaisanterie, bien sûr. « Va pour le pop-corn. Sucré, hein ? »[/b] Elle sourit. « Je te le fais pas dire, ces conneries, ça change la vie. Quand j’ai redécouvert le goût du sucre, j’ai failli me faire une overdose de sucreries. »

C’est Xavier qui achète directement leur seau de pop-corn, sans lui laisser le temps de discuter, de même pour les tickets de cinéma. Eh bien… C’est certainement pas son portefeuille qui va s’en plaindre, certes, mais elle un peu plus, pour la forme.

« Eh bien la prochaine fois c’est moi qui paye, je veux rien entendre. »

Et voilà, elle vient vraiment de le dire, « la prochaine fois ». Bon d’accord, ça n’engage à rien, en soi, et il y a tout un tas de prochaines fois, en amitié. Mais bref, ce n’était clairement pas anodin ou innocent, comme formulation. Et alors qu’ils se dirigent vers la salle, et tandis qu’Aelita plonge sa main dans les pop-corns, elle lui répond.

« Je suis pas sûre d’avoir un film préféré. J’ai pas une grosse culture ciné, faut dire. La plupart du temps, j’allais au ciné avec Odd, et son truc c’est le films de zombie… » Elle se laisse le temps de la réflexion. « J’aime bien les films d’action. Peter, un ami à moi, m’a fait faire un marathon Star Wars, je dois dire que j’ai bien adhéré. » Elle observe un instant Xana.  « Et toi alors ? Ton film préféré ? »