Tout a commencé par une histoire de sang. Au fond, tout tourne autour de cela... Celui qui m'a donné la vie me parle de mon sang. Il le nomme "Honneur maudit". Car cela me prédestine à être le potentiel prochain commandant. Malheureusement maudit car les dirigeants de notre peuple ne vivent pas longtemps. Il a peur pour ma vie. Ma mère aussi, elle me protège. Elle m'entraîne à survivre. Ils me disent que je ne pourrai pas toujours compter sur eux. Et si je venais à être découverte, il fallait que je sois forte pour ne pas mourir. C'est pour cela qu'ils m'entraînent, à me battre, à survivre, à être plus maligne que l'ennemi et à le tuer, s'il le fallait... Je ne devais pas mourir, en aucun cas. Ils ne sauraient accepter la perte de leur enfant. Je dois être forte et survivre. Mais malgré leur enseignement et mes compétences, je dois rester discrète, faire profil bas. Je ne dois pas devenir le commandant, bien que mon sang ébène me prédestine à cela... Ils sont lâches. C'est un honneur de devenir commandant. Mourir pour son peuple, c'est honorable. Malgré cela, je ne dis rien. Je pourrai dire, dire aux gardes que je suis une Bloodnight. Que je dois être formée pour devenir le commandant mais... Cela les tuerait. Cela reste mes parents. Ma loyauté va à mes parents avant d'aller à mon peuple. A ce moment-là, en tous les cas.


Je crois... Je crois qu'ils m'aimaient... ? Mais... Une certaine partie de moi n'accorde pas beaucoup d'importance à cette pensée. Si je l'accepte... Je trahirai... ? Je trahirai... Une partie de moi-même. Je la renierai. Je ne comprends pas pourquoi... Ce sont mes parents. Je leur dois la vie. Ils m'ont donné la vie... Mais l'envie de la vivre, je la dois à d'autres... Le pire est que je ne me souviens pas de leur visage. Ce ne sont que des ombres... Je n'entends que leur voix, une parole. Mais toi, toi qui n'es pas une ombre... Toi qui n'existe pas dans ma mémoire, as-tu existé ou est-ce ma solitude qui me pousse à t'inventer ? Toi qui me fais trahir mon propre sang, pour le tien qui m'est inconnu. Je te déteste... Et en même temps, j'en suis incapable. Je ne peux pas détester l'inexistant... Pourtant je le fais avec toi. Je me torture. Pour une chimère, pour l'impossible. Ma mémoire m'explique en long et en large que j'ai toutes les informations... Mais ce pincement à mon cœur me dit le contraire... Je n'ai jamais rien ressenti qui s'apparente à cela. Il y a de la tristesse... Il y a... Quelque chose d'autre, de plus fort, qui est agréable mais tellement douloureux...

Ensuite, il y a eu Praimfaya... Ce moment marque mon passage à l'âge adulte. Les insectes sont tous morts. Les poissons flottent sur l'eau. Les chevaux tombent malades. Les humains aussi... Mais que pouvons-nous faire contre les lois de la nature ? La pluie a déjà décimé la majorité d'entre nous, pour ceux qui ont survécu. Nous étions 38. Depuis la pluie acide, nous ne sommes plus que 25. Si nous devons mourir, nous mourrons. Telle sera la volonté de la première commandante, Bekka Pramheda. Quelle ironie, passer ma vie à me cacher afin de fuir la mort pour finalement être retrouvée par elle. Le chef du village nous a tous réunis, sentant que c'était notre dernière heure. Un dernier repas, tous ensemble, unis comme nous l'avons toujours été. Comment se fait-il que notre chef ne savait rien de la tragédie qui allait se produire ? Impossible. Je suis certain qu'ils les ont condamnés à mourir. J'ai compris que si nous avions été livré à la mort, c'est parce que notre village ne pouvait pas être sauvé. Que ce sacrifice a permis à d'autres de vivre. Il a fait cela pour le bien de notre peuple, je le respecterai. Même s'il y a des images qu'il m'a condamnée à voir pour le restant de mes jours. Nous étions sacrifiables, mais ceux qui ont été sauvés ne l'étaient pas. C'est tout ce qu'il y a à retenir.

Je ne ne vais pas y aller à cette réunion de la fin. Je sais que nous allons mourir mais si c'est le cas, je veux faire, du haut de mes 6 ans, quelque chose de plus important encore. Je désire emmener mes parents voir une de mes découvertes. C'est l'occasion rêvée pour leur montrer ce lac, dont les poissons ne semblaient pas se soucier de ce qui arrivait. Ils ne mourraient pas. Cela fait plaisir de voir que des animaux sont encore en vie ici. Je les ai emmenés, ils l'ont vu. Ils m'ont souri, et ils ont hoché la tête. Je sais qu'ils se sont dit que cela ne servait à rien. Mais moi, je pense le contraire. Si la vie est possible ici, il y aura des survivants...  

Mais pour moi, je crois que c'est la fin. Je vais m'éteindre devant ce lac que je connais si bien, étant donné que j'ai grandi ici. Cela commence doucement. J'entends au loin un grondement. Puis je la vois. Cette vague de feu, de flamme. Ma mort est proche, et je l'accepte. Je sens mes parents se mettre devant moi. Eux aussi, ils veulent croire, croire que leur corps sera suffisant pour faire barrage et me sauver. Je ne peux pas leur en vouloir. Mais alors, la vague est passée au dessus de nous. Malgré cela, ses conséquences, je les ai senties. J'ai senti quelque chose me brûler le corps, me déchirer la peau à m'en dépecer, réduire en charpie mes entrailles, me vider de mon sang, dans l'agonie la plus terrible que je n'ai jamais connu. J'ai terriblement mal. Le pire, cela reste mes parents qui souffrent, j'entends leur cri. Ils ont mis du temps avant de mourir. Moi, par contre, j'ai enduré cette douleur pendant quelques minutes, quelques heures ? Je ne saurai le dire. Tout ce que je sais, c'est que j'ai été guérie. La vague était passée au dessus de nous mais je n'ai appris que plus tard que malgré cela, les radiations se sont quand même installées sur les lieux, dans mon village. Mes parents meurent. Leur peau semble disloquée, leur peau fissurée et brûlée. Je n'ai su que plus tard également que j'ai été sauvé par mon sang maudit alors que je croyais qu'il serait la raison de ma mort. Quelle ironie. Je les regarde mourir, impuissante. Je ne peux rien faire pour abréger leur souffrance... Enfin si... Mais... Mon père me demande de le tuer. J'ai du mal à le comprendre, ils convulsent tellement. Qu'est-ce qui est pire ? Faire ou ne rien faire ? Si je fais cela, je deviendrai une meurtrière. Si je ne le fais pas... Je deviendrai une lâche. Il m'a préparé pour ce moment. Juste un coup... Et la mort viendra l’accueillir, elle qui m'a ratée... "Yu gonplei ste odon". Notre peuple a pour habitude de dire cette phrase, elle signifie "Ton combat est terminé", c'est ce que nous disons quand il est l'heure de quitter quelqu'un qui ne reviendra jamais. C'est la dernière phrase que j'ai dite à mes parents avant qu'ils ne meurent. Et dans un dernier soupir, ils m'ont répondu "Ste yuj" et "Ai hod yu in". "Sois forte" et "Je t'aime"... Le premier vient de mon père, le deuxième de ma mère. Et malgré que je sois témoin de leur mort, que j'en suis même la cause... Ma mère entre mes bras, mourant, j'ai vu la flamme s'éteindre dans son regard. Il y a cette part de moi qui a cessé de les considérer comme ma famille. Pourtant, je n'en ai aucune autre. Elle était la seule famille que j'avais et elle est morte. Je n'ai jamais laissé personne prendre cette position. A croire que je suis incapable d'aimer. Il n'y a pas assez de place... Sans doute n'y en a-t-il jamais eu.

Cela a duré 6 ans. 6 ans de solitude. J'ai passé ma première journée en étant l'unique rescapée de la Terre à contempler le cadavre de mes parents, sans rien dire, sans rien faire, pas même pleurer. "Pleurer est un aveu de faiblesse, tu n'en as pas le droit" me disaient mes parents. Le jour suivant, je leur ai préparé un endroit digne d'eux. Puisse leur âme rejoindre toutes celles qui furent perdues... Ensuite, j'ai enfin le courage nécessaire pour revenir au camp, à mon chez moi. Je veux espérer qu'il y ait encore des rescapés... Des survivants, comme moi. Je les savais tous morts mais malgré cela, l'espoir persiste tel un parasite. Et le désespoir l'a emporté. Plus grandes sont les attentes, plus brutale est la déception. Je me suis permise de m'écrouler, de poser les genoux à terre et de regarder ce spectacle qui s'offre à moi. Qui pourrait me regarder et venir me disputer pour cette preuve de faiblesse ? Que quelqu'un le fasse, justement... Que quelqu'un vienne. Un spectacle effroyable se trouve devant moi. Tout mon village réunit dans l'église du village, mort... Ngotso est mort, c'était mon ami d'enfance. Il est l'avertissement... L'avertissement que derrière cette porte qu'il garde, il y a bien pire que sa triste fin. Son corps repose devant la porte qui mène à ce lieu. Pourquoi le traumatisme ne se déchaîne-t-il qu'une fois que nos yeux l'a rencontré ? L'odeur est nauséabonde. J'ai des relents. Je sors précipitamment, retirant rageusement la seule larme qui glisse sur ma joue. Pleurer ne me fera pas retrouver mes morts. "Pleure les morts seulement quand la guerre est finie". Et une guerre est en train de se profiler. Je suis en guerre contre le monde. Car je suis seule face à celui-ci. Livrée à moi-même dans un monde réduit en cendres. Je vais devoir faire la guerre contre ce monde... Mais que se passera-t-il si je fais partie de lui ? Je peux livrer bataille contre bien des êtres, mais pas contre moi-même. Car au fond, c'est la seule personne qu'il me reste.

Je pense que j'ai bien survécu. Cela fait deux mois. J'ai chassé, pêché, je survis, non sans avoir eu faim pendant deux semaines. Je parle aux cadavres. J'en ai une vingtaine tout près de moi qui ne risquent pas de s'en aller ! Au début, c'était difficile de les voir. Mais au final, je m'y suis faite. Je parle avec Ngotso. Enfin moi, je parle. Lui, il ne répond jamais rien... Cela me permet d'être saine d'esprit. Enfin aussi saine d'esprit que quelqu'un qui parle avec les cadavres pourrait l'être. Je suppose. Il y a eu "l'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux" mais à ce moment-là, il ne restait plus que "la fille qui murmure à l'oreille des morts". Je trouve cela plus poétique que "cadavres".

2289 jours après le Praimfaya. Je vis seule depuis quelques années déjà. Les jours s'écoulent mais chaque jour se ressemble. Je ne sais pas trop combien de temps cela fait. Je n'ai pas pensé à compter les jours qui filaient. A 6 ans, je n'y ai pas pensé et maintenant, je ne sais plus quel âge j'ai. Je ne parle plus aux cadavres. Principalement parce qu'il n'y a plus assez de peau sur leurs os pour faire illusion. Ils sont morts. Ils sont tous morts. J'ai essayé de voyager un peu, mais tout était sans vie, hostile. Où que j'aille, la Terre me ramène à l'endroit où je suis née. Et ce n'est pas faute d'avoir essayé. J'ai appris à conduire cette chose étrange à 4 roues. Un moyen de transport très pratique, mais je n'y serai jamais arriver sans... Mon ami imaginaire ! Je ne sais si c'est la folie ou la jeunesse qui l'a amenée jusqu'à moi mais s'il n'avait pas été là, j'aurai renoncé à ma vie bien avant. Je me souviens de lui... Enfin, je me souviens que j'ai eu un ami imaginaire. Bien sûr, si non, comment aurais-je survécu ? Mais comme tous les enfants qui ont fini de grandir ou tous les fous qui ont moins de raison de l'être, il m'a quittée et j'ai fini par oublier son apparence, le nom que je lui avais donné. Tout. Peut-être qu'en vérité, c'était sa disparition qui a marqué la fin de ma vie de jeune fille pour devenir adulte. Je croyais être adulte, mais j'étais une adulte simplement parce qu'il n'y avait plus personne pour jouer ce rôle... Quand mon ami imaginaire est parti... Mon enfance l'a accompagnée.

Un vaisseau est descendu sur Terre. J'étais heureuse. S'il y a un vaisseau, alors il y a peut-être d'autres survivants, d'autres personnes comme moi ? Mais au fond, j'ai peur. Je me suis cachée dans une trappe que j'avais découverte il y a quelque temps afin de comprendre les intentions de ces individus. J'entends le bruit de leur pas, ils parlent l'anglais. Autrefois, mon village aussi, bien qu'il utilise le Trigedasleng s'ils ont le choix. Je n'ai pas oublié ce que j'ai appris, l'anglais et le Trigedasleng... Je parle continuellement. Et mon ami imaginaire m'apprend d'autres choses encore. Une partie de moi pense que c'est faux, que c'était la folie qui parlait. Mais il n'y avait aucun mal à écouter. Finalement, ils m'ont trouvé. Ils m'ont sorti de mon trou et ils ont crié de me dire qui j'étais. J'ai essayé de trouver mes mots en anglais, mais la panique, le manque d'entraînement en termes de pratique de leur langue, puis parler à des êtres humains... Depuis quand n'avais-je pas parlé à de véritables personnes faites de chair et d'os ? Je ne parviens pas à formuler mes mots. J'essaye, j'essaye vraiment. Je désire leur prouver que je ne suis pas quelqu'un de dangereux. Mais un homme pointe son arme sur moi, j'ai vécu 6 ans seule pour finalement être tuée lorsque je découvre qu'il y a encore des êtres vivants ? Je ne sais si je dois rire ou pleurer... Mais pour ma survie, je n'ai pas le choix. Son tir ne m'atteint pas. Puis je tire à mon tour. Être tuée ou tuer. C'est à ce moment-là que mon ami imaginaire est parti. Je ne l'ai plus revu après cela. J'avais tué, non pas par altruisme mais par égoïsme. Est-ce donc cela, être adulte ?

Ils m'ont tiré dessus ! Leurs hommes sont morts à cause de moi. Si seulement je ne m'étais pas faite prendre... Je ne sais pas ce qu'ils ont tiré mais j'ai compris que je ne faisais pas le poids. Je cours pour ma vie. Ils m'ont vu car ils me suivent. Je me cache dans un trou creusé au sol, recouverte de feuilles qui se fond dans le décor. Ils passent à côté de moi. Je crois que je les ai semées... Je retournerai bien à mon village. Dedans, il n'y a que des morts mais ce sont mes seuls souvenirs... Non, je dois retourner dans ma cachette ! Ils ont pris mon village, ils en ont fait leur quartier général... Je ne peux plus retourner chez moi. Ces veneurs du Ciel...

Ils me tirent dessus ! Je cours vite mais ils me rattrapent, jusqu'à ce que je comprenne qu'ils ont eu l'ordre de rentrer et de ne pas me tuer. Je ne sais pas ce qui leur prend mais je n'ai pas le temps de me poser la question. Je cours. Je vais prendre mon moyen de transport. Je ne sais pas où je vais, mais loin de ces Skaikru -peuple du ciel-, c'est certain. En parlant du peuple du ciel... Qu'est-ce que c'est que cette blague ? D'autres viennent ! Pourtant, ceux-là, je sais que ce sont des alliés. Dès leur arrivée, ils sont attaqués par les Skaikru -peuple du ciel- premier du nom. Ils vont exécuter Bellamy ! D'un geste de mon bras, je projette une lance qui tue un Skykru -peuple du ciel-, j’enchaîne en tirant sur eux, tuant une nouvelle fois... Il ne faudrait pas que cela devienne une habitude. J'ai cru que je n'aurais jamais plus à le refaire mais là, en quelques heures, j'ai déjà contribué à la mort de quatre personnes. Ils sont tous morts. Je n'ai pas hésité. S'il y avait une autre solution, je l'aurai prise mais je manque de temps. Si je dois tuer, je le ferai. Pour autant, je n'aime pas cela. Personne ne devrait avoir le droit de vie ou de mort sur quelqu'un d'autre. Pourtant ces armes à feu ont été créées pour cela. J'emmène Bellamy et ses amis près de mon village. Ils veulent retrouver une amie, apparemment. Je les conduis avec mon Rover. Bellamy sort de la voiture. Moi, je fais marche-arrière. Il faut que je sorte de là. Ce n'est pas mon combat...

Finalement, je vais y être mêlée, que je le veuille ou non. J'ai suivi les autres, les amis de Bellamy. Il y a Emori, Raven -bien qu'elle ne soit pas avec les autres-, John -pareil pour lui-, Echo, Monty et Harper. Echo siffle, c'est un signal. Je m'approche du son et je vois Murphy. Il faut que je conduise les Skaikru -peuple du ciel- deuxième du nom, pour qui j'ai une confiance que je n'explique pas d'ailleurs. Rejoindre Bellamy pour prévenir qu'il y a des missiles qui les attendent. "Des gros trucs qui volent et qui font boum" a dit Murphy. Je sais ce que c'est, et c'est une mauvaise nouvelle. Pas de temps à perdre ! Je les amène au Rover et je roule jusqu'à ce que Murphy convulse. Son collier lui envoie une décharge qui le fait souffrir. Je n'ai d'autre choix que de reculer et laisser Murphy seul. Emori ne le laisse pas sans compagnie. Je ne sais pas pourquoi mais je m'attendais à ce qu'il soit plus... Drôle. J'ai une image très nette de ce qu'ils sont, du portrait que je me fais d'eux en tout cas. Finalement, nous sommes arrivés auprès de tous les autres. J'ai rencontré Octavia. Je la trouve forte.

J'hésite s'il faut que je lui dise la nature de mon sang ou si je dois garder cela au silence. Mais d'une certaine manière, je veux l'impressionner, lui plaire. Je l'admire. Elle est un modèle sur lequel je me repose. Finalement, je lui dis mon secret, celui que j'ai dû cacher toute ma vie. Je lui révèle que je suis une Bloodnight. Elle me dit qu'elle m'accepte comme un membre à part entière de son peuple. Je suis une Wonkru. Elle me comprend rajoute-t-elle, elle connait la souffrance que d'être cachée, ou de cacher une partie de soi-même. C'est officiel, mon entraînement commencera demain. Je souris, fière.

Je commence l'entraînement. Je me suis faite battre par un jeune Wonkru, un garçon de mon âge, peut-être un peu plus âgé. Gaïa remarque que je ne suis pas attentive. A la fin de l'entraînement, elle demande à tous de partir sauf à moi. Elle me montre la "flamme", ce qu'il faut avoir pour être considéré comme le chef. Enfin, ça, c'était avant. Maintenant Blodreina, qui n'a jamais eu la flamme, est la véritable commandante des Wonkru. J'avoue que j'ai un mouvement de recul quand je vois la flamme, de peur, de honte, de culpabilité, d'éprouver de l'attirance pour cet objet. Je n'ai aucune envie de devenir le commandant des Wonkru mais Gaïa me fait bien comprendre qu'elle me protégera car le sang ébène de celle qu'elle a servi d'antan coule dans mes veines... 

Je me retrouve bien vite dans une arène, à combattre sous le regard d'Octavia. Cette dernière m'ordonne de me battre face à un jeune garçon, malgré que je n'ai pu m’entraîner qu'une seule fois avec les autres. Au début, je contiens mes coups mais il y a cette part en moi qui désire bien faire, qui désire être considérée par Blodreina. Sans que je fasse attention, je bats mon adversaire. Obtenant, de la part de Blodreina, un intérêt non dissimulé. Elle m'accorde sa protection. Elle me nomme second, ce que j'accepte. Une guerre va avoir lieu pour reconquérir la Vallée prise par les Skaikru -peuple du ciel- premier du nom, et j'y serai. De plus, je connais bien mieux les lieux que l'armée réunie, après tout... C'est ma maison.

Un conseil de guerre a lieu en ce moment même. Je suis à côté. J'ai même un rôle à jouer dans la bataille, minime, mais d'une certaine manière, je me suis hissée à la même échelle que tous les hommes de Blodreina. Je suis comme eux. Cela me rend fier et pourtant, je ressens une pointe de culpabilité... Cela passera. Je le fais dans le but de la me protéger.

Blodreina est malade... Je ne sais pas si elle va s'en sortir. Je l'espère. Un successeur devra être nommé. Des gens sont réunis pour parler de cela. Je fais partie de ces "gens". Indra dit que c'est elle qui, au nom de la volonté de Blodreina, sera la prochaine cheffe des Wonkru. Mais un homme, Miller, s'y oppose farouchement. Il est le chef du premier bataillon, cet honneur lui revient de droit, proclame-t-il. Ils ont deux pensées différentes. La première pense à la reddition, le deuxième pense à la guerre. Deux idéologies, deux politiques, deux gestions différentes. Deux points de vue également... Pourtant le peuple ne suivra que le commandant légitime. Et même si je désire croire que c'est Octavia, maintenant que Bellamy et Gaïa me mettent sous le fait accompli... Je me rends compte que ça n'a jamais véritablement été elle. Pour moi, si, pour d'autres aussi, mais la vérité est que sa position ne peut qu'être remise en doute. Il leur faut l'authentique, un qui ne peut être remis en question pour la nature de son sang... Une personne comme... Moi.

Je veux refuser. Ils m'expliquent pourtant que cela sauverait les Wonkru de leur propre destruction. Ils m'expliquent tout ce dont j'ai besoin de savoir mais je ne veux pas être commandant. Je n'ai pas envie... J'ai été sans personne pendant six ans et maintenant qu'ils ont besoin de moi, ils veulent que je commande une armée entière qui me prêtera allégeance pour cause de mon sang ? Je n'en suis pas capable. Mais je n'ai pas le choix. Je dois le faire. Je dois le faire. Car si je ne le fais pas, je te perdrai. J'ai accepté la cérémonie d'ascension. La "flamme" qui est une puce s'injecte en moi, elle s'enracine dans chaque fibre de ma nuque puis dans chaque neurone qui parcourt mon corps. Puis plus rien. Qu'un vide immense. Un noir profond. C'est si douloureux, mourir vif. Je transpire, je me retourne dans tous les sens. Puis je me réveille brutalement. Je suis morte vive. Enfin, pas moi, mais la première commandante. Mais elle, c'est devenu moi. Et tous ceux qui l'ont succédé également...

Je dois empêcher une guerre pour le petit bout de terre qu'il reste sur notre planète. Je meurs empalée. Je rencontre quelqu'un. Je suis en guerre. Je deviens commandant. J'aime un enfant comme une mère aime son fils. Je perds mon mentor. Je motive des troupes. Je combats pour ma vie. Je tue un garde sans hésiter avec un couteau, c'est moins bruyant que l'arme à feu. Je perds un combat, je suis morte. Je rencontre l'amour de ma vie, elle est finalement torturée par un clan rival. Elle est morte. Quand je suis arrivée, il n'y avait qu'une femme, elle était médecin. Je ne peux plus les sauver... Mon peuple compte sur moi. L'amour est une faiblesse. Elle a été sauvée. Je vois mon peuple mourir. Ils me protègent de leur corps parce que je leur ai dit de le faire. Je désire la paix. Que le troisième clan puisse naître. Puissions-nous nous retrouver. Elle a subi une désintox.  Je ne suis plus une enfant. Je suis le commandant et mon peuple est en train de mourir. Un courant électrique parcourt mon corps et je crie tellement que j'en oublie que la personne qui crie, c'est moi. Je n'entends plus ma voix. L'amour n'est pas une faiblesse. Je souffre, pas physiquement, mais je viens d'être trahi... Je... Dans tous ces souvenirs... Lesquels sont les miens ? Lesquels appartiennent à d'autres ? Je ne comprends plus... La frontière entre moi et eux est fine, les images que je vois en rêve, j'agis mais parfois, j'oublie si j'agis en leur nom ou au mien, si c'est réel ou si c'est un souvenir. 

Aujourd'hui, Blodraina s'est agenouillé devant moi. Elle m'a reconnue comme étant Heda -le commandant-. Elle a prouvé à tous qui devait être reconnu comme étant le chef... Père, mère... Aujourd'hui, voici ma dernière pensée pour vous. Vous qui avez caché ce que j'étais, une Bloodnight, désespérément. Je n'ai pu échapper à ce destin que vous vouliez repousser malgré qu'il soit mien, mais l’inexorable revient toujours. Finalement, il est venu à moi et à fait de mon corps sa maison. Mais ne vous en faites pas, maintenant, il s'agit de mon combat, celui que j'ai décidé de mener parce que c'était ce qu'il y avait de plus juste à faire. Parce que mon peuple se meurt. Je mourrai également, peut-être jeune, mais... Maintenant, vous ne risquez pas de me perdre puisque aujourd'hui, c'est moi qui ai tout perdu et qui a tout à perdre. Car aujourd'hui... J'ai la vie de 301 âmes entre mes mains.

Blodreina s'est agenouillé devant moi. Et maintenant, tous les autres suivent. Je suis perdue. Que dois-je faire ? Je suis devenue Heda mais... La guerre, je ne peux pas la gagner. Comment contrôler des vies quand moi-même, j'ai du mal à contrôler la mienne ? Ce n'est pas pour moi. Je dois unifier mon peuple mais est-ce la seule solution ?

J'ai fait appel aux esprits des autres commandants pour m'aider. Je pensais qu'ils me torturaient, pour être honnête. Mais en fait, je peux leur parler, leur demander... J'ai fini par fermer les yeux et obtenir la réponse que je souhaitais. Comment gagner ? J'ai un plan. 

C'est effrayant, à quel point ils suivent mes ordres sans discuter. Je les amène peut-être vers leur mort imminente mais malgré cela... Ils me suivent aveuglément. Je dois sauver mon peuple. Il faut que cela fonctionne. Si non... Nous sommes tous morts.

Mes ennemis sont là, devant moi. Je ne veux qu'une seule chose, les tuer. Prouver ma supériorité, ce qu'il en coûte de s'en prendre au Wonkru. Est-ce que je le pense ou est-ce que les Heda passés le font pour moi ? Je ne sais pas. Je n'ai rien contre tuer pour la survie. Mais nous avons gagné, cela n'a rien de légitime. Ils sont tous à genoux... Ce serait une exécution. Dois-je franchir la limite ? J'ai déjà franchi celle du droit de vie et de mort aujourd'hui... Est-ce que je supporterai de les franchir toutes ? Non... Bellamy a raison. Il faut briser ce cercle vicieux. Répondre à la haine par la haine ne changera rien. Il n'y aura que plus d'effusion de sang, de violence et de mort à la fin. Je sais ce qu'ils me disent, les commandants dont je partage mon âme, mais je m'y refuse.

Finalement, moi qui ait droit de vie ou de mort sur eux... Je décide de leur accorder la vie. La mort n'a eu que trop d'importance. Laissons place aux vivants pour pouvoir pleurer nos morts.

Ma maison va être détruite, à cause du second chef des Skaikru premier du nom. Pour sauver la race humaine, je décide de nous cryogéniser. Cela ne devait durer que 10 ans, pour que la Vallée -là où je suis née- soit de nouveau habitable... Mais en fin de compte, même après 125 ans, elle ne l'est toujours pas. La Terre est morte. Aujourd'hui, je dois faire le deuil de ma maison, de mon village, de ma planète... Mais je n'ai pas le temps pour cela. Lorsque je me réveille, Raven et Diyoza m'expliquent que notre vaisseau est attaqué, que tous les autres sorties de leur sommeil sont emprisonnés ou partis sur une nouvelle planète. Elles ont besoin de moi, pour aller dans les conduits d’aération et prendre en revers l'ennemi. Cela fait 125 ans et rien n'a changé... J'accepte tout de même. Je n'ai pas le temps de leur parler ou de contester, il s'agit de survie.

Je sors de la grille d'évacuation et tue une femme qui apparaîtrait à en faire de même sur Diyoza. Si j'avais attendue, peut-être n'aurait-elle pas appuyé sur la gâchette. Mais je n'ai pas attendu. Elle est morte. Y'a-t-il une humanité à retrouver quand le fait de tuer en devient un détail insignifiant ? Avant, je n'aimais pas tuer. Et encore maintenant, ce n'est pas parce que je le fais que j'éprouve du plaisir. Mais je n'en éprouve pas de remords non plus. C'était la chose à faire. Même si je sais que si j'avais attendu, j'aurai pu négocier. C'était la chose à faire. Du moins, j'aime à le croire. 

Finalement, nous arrivons à récupérer le contrôle du vaisseau... Je crois que Jasper avait raison, le problème... C'est nous.

Nous nous amarrons au sol, sur Sanctum. Je veux rejoindre les autres mais je suis trop "importante" pour risquer ma vie dans cette expédition doublée d'un sauvetage. Tss. Je n'ai d'autres choix que de m'entraîner avec Gaïa, à contrôler la flamme. Le vaisseau est ouvert et je suis à la fois dehors et dedans. Malheureusement, la quiétude est finalement brisée. Sans crier gare, des flèches nous paralysent, Diyoza, Gaïa et moi. Je vois mais je ne sais plus bouger...

C'est seulement quand il fait noir qu'ils comptent partir. Je reste consciente tout du long. Puis Octavia est là, elle les attaque, elle les tue... Finalement, Octavia est morte depuis longtemps. Blodreina l'a suivi peu après... De la femme que j'admirais, que reste-t-il ?

Les autres membres de son groupe nous ont sauvés... Ils nous ont conduit auprès des personnes de la première et deuxième expéditions qui sont restés là bas. Dans une sorte de petite ville, avec un château en son milieu et des champs tout autour.

Les natifs de Sanctum... Ils acceptent que nous restions sur leur terre. Ils nous acceptent. Ma première envie, c'est d'aller à l'école. Mais mon rôle de commandant m'en empêche, c'est beaucoup de responsabilité. Je ne peux pas simplement adhérer à la coutume d'un autre peuple que le mien. Je suis leur guide, mon peuple pourrait se sentir... Abandonné par moi si je fais cela. L'école n'est donc qu'un fantasme que je ne pourrai jamais réaliser.

Finalement, j'y suis quand même allée. Le temps d'une journée. Le temps d'une journée, je peux me permettre d'être une enfant comme les autres. Ce n'est pas trop demander, j'espère, tss.

Ils cherchent des sangs d'ébène. Ils me cherchent, moi. Quand je disais que tout était une question de sang depuis ma venue au monde. Dès que j'ai rencontré le premier humain, tout n'a été question que de cela. Mon sang me définit. Je ne peux pas être plus. Je suis réduite à la couleur de mon sang. Ce sang que j'ai caché, ce sang qui m'a sauvé, ce sang qui m'a condamné à être une Heda que je n'ai jamais voulu être si ce n'est par patriotisme. Ce même patriotisme qui me refuse le droit d'être un enfant. Mais au final, j'ai cessé d'en être un depuis longtemps.

Un commandant commence à prendre le dessus plus que les autres dans mon esprit. Il a soif de sang, de vengeance, de pouvoir. J'essaie de l'exclure mais quand j'apprends qu'un membre de mon peuple est mort... Son corps a été utilisé pour ramener un membre de Sanctum en vie. La colère monte en moi, et ce commandant que j'essayais de rejeter, je l'ai finalement accepté. La "royauté" de Sanctum est immortel. Ce qu'ils font est immonde... Je dois tous les tuer, pour sauver mon peuple. Nous allons tuer les natifs et leur prendre leur terre ainsi je pourrai accueillir mon peuple et leur donner une planète viable.


J'ai un plan. Je tue la dénommée Miranda, les Sanctums vont penser que c'est l'œuvre des enfants de Gabriel et paniqueront. Ils se barricaderont dans le palais, sans doute dans le grand hall où on les attendra prêt à éliminer les autres. J'ai changé. J'étais contre la guerre, les morts, les tueries. Je ressentais quelque chose quand je tuais quelqu'un, jusqu'à ce que je ne ressente plus rien. Après tout, suis-je vraiment à une ou deux personnes tuées ? Non. De toute façon, le plus difficile, c'est la première victime. C'est une des nombreuses limites que j'ai franchi à l'âge de 12 ans. Décidément, ce chiffre ne me réussit vraiment pas. Jasper avait tort. Ce ne sont pas les Hommes le problème. Les fléaux, ce sont les monstres qu'ils engendrent. Et malheureusement pour Sanctum... J'en suis devenu un. Je tue l'amant de Miranda puis Miranda elle-même. Si mes hommes ne veulent pas me suivre, je le ferai toute seule.

Mon plan fonctionne. Ils se sont tous réfugiés là où je l'avais prédit. Je les attends, je suis habillée de manière à ne pas être prise pour une commandante qui désire leur mort. Ce serait légèrement révélateur en ce qui concerne mes motivations. Je m'approche de Freya. Je la poignarde. Ha... Comme c'est fâcheux, Jordan s'est pris la lame à sa place. L'amour est une faiblesse... Il est mort par amour pour une femme qui était déjà morte. Il est mort pour une poupée de chiffon. Mais Jordan... 


Bon, il n'était pas mort, les Sanctums l'ont sauvé mais je n'étais pas censée le savoir à ce moment-là. J'ai sans doute surestimé mes capacités. Tuer à moi seule les Sanctums, c'était trop ambitieux. Peut-être que finalement, il m'avait empêché de devenir le monstre que je croyais être.

Parce qu'un monstre, j'en étais un à ce moment-là. Et j'étais en prison. Tous ceux qui étaient emprisonnés avec moi, mon peuple, mes proches, un seul aurait dû mourir. Mais finalement, les plans ont changé. Ils vont tous être brûlés sur le bûcher. Et à cela, je souris. 

Enfin bon, s'ils me laissent la vie sauve, c'est surtout parce que j'ai du sang d'ébène en moi, et dire que mon cœur est devenu aussi noir que lui... Ils veulent utiliser ma moelle osseuse. J'aurai pu tuer Jackson et m'enfuir mais si je commence à tuer mon propre peuple, quelle sera ma raison de tuer ?

Ils m'utilisent comme monnaie d'échange pour monter et contrôler la navette. Je ne suis pas seule, il y a aussi Gaïa et Raven. Tss. Je voulais sauver mon peuple, pas être un fardeau pour lui. Raven aurait dû me laisser mourir, c'est elle la clef. Pas moi. Moi, j'ai accompli mon destin en sauvant tout le monde il y a 125 ans... Je suis fatiguée.

Ils nous mettent en prison de la navette. C'est cool de changer de décor pour une fois. Une prison par prison, faudrait pas que je me lasse de la décoration. Je dis à mon peuple qui est présent dans la prison d'attaquer dès que j'ai enlevé le bâillon. C'était une bataille qu'on ne pouvait pas gagner et malgré l'absurdité de ma commande... Ils m'ont suivi. Ils m'ont écouté. Et ils sont morts. 

Il y a cette entité dans ma tête qui me pousse à être violente, quand ils me prélevaient de la moelle osseuse... Je leur hurlais la fin qu'ils méritaient : dans d'atroces souffrances. Enfin bon, les seuls qui souffrent en attendant, c'est mon peuple et moi. Une des leurs s'est approchée de moi et m'a dit que c'était eux qui donnaient les ordres. Elle m'a assommée tout de suite après.

Je suis devant le chef des Sanctums et maintenant, je suis en train de pactiser avec l'ennemi. Ils veulent me tuer, je suis un moyen de pression. Mais, et après ? Madi est déjà morte. A quoi bon ? Il n'y a dès à présent que Sheidheda. Et tout ce que je désire... C'est le pouvoir absolu. C'est pour cela que je vais réveiller mon peuple. Je suis leur commandant, ils vont m'obéir. 
L'amour est une faiblesse.

"Je t'en supplie reviens".
"Je tiendrai pas si je te perds aussi".

"3".
Que croit-elle faire ? C'est grotesque, elle n'y arrivera pas. J'ai gagné, elle a perdu. Cela ne sert à rien de lutter !

"2".
Quoi ? Non ! Non, Madi, elle est sous mon contrôle, j'avais réussi, j'avais...~

Qu'on enferme les Princeps -royauté de Sanctum- ! Je ne collaborerai jamais avec l'ennemi dans le simple but d'assouvir le désir de pouvoir qui n'est pas mien... Ce n'était pas moi... Il refuse d'accepter que j'ai brisé ses règles. Il me le fait payer. S'il doit mourir, alors moi aussi, je mourrais. J'ai quand même l'impression d'avoir frôlé la mort beaucoup de fois, ces derniers temps. Mais ce n'est peut-être que cela, une impression. Pour me sauver, ils ont dû détruire la flamme. Mais je suis en vie. Et je ne suis plus le commandant, mais cela ne m'empêche pas d'avoir encore leur souvenir en moi. Leur esprit est mort, mais il ne cessera jamais de vivre à travers moi. Moi, dernière commandante de Wonkru acceptée par la flamme, je le jure.

Après les événements, j'ai eu droit à une vie tranquille, c'est la première fois que je fais la rencontre de la paix... Il y a Picasso devant, il court et moi, j'en fait de même. Nous avons adopté ce chien, et je crois qu'il m'a adopté en retour. Je vais à l'école et je n'ai pas le poids de 400 âmes, voire plus, sur mes épaules. Gaïa a avoué que je ne suis plus commandante, que la flamme a été détruite. D'une certaine manière, je suis soulagée. Je n'ai plus ce fardeau sur mes épaules. Je n'ai pas à ordonner à des hommes que je ne connais pas de mourir pour moi. Je n'ai pas à décider de ce qui est juste ou de ce qui ne l'est pas. Quoique au final, rien ne l'est. 

La paix fut de courte durée. Indra m'a demandé de reprendre le rôle de commandant. J'ai refusé. La peur de Sheidheda, la peur d'avoir des vies entre les mains alors que je ne sais même pas quoi faire de la mienne. La peur de ne pas être à la hauteur. La peur égoïste de ne jamais pouvoir jouer au football avec les autres enfants de mon âge... Cela peut paraître ridicule mais je crois que j'ai besoin d'amis qui me tiennent compagnie... Pas de sujets qui donneraient leur vie pour moi. La solitude, je l'ai connue pendant 6 ans et en étant Heda, j'ai fini par la retrouver plus forte encore.

Il a fini par me retrouver. Que je sois Heda ou non, cela ne changera rien. Je l'ai trahi. C'est un affront qu'il ne peut encaisser. Il m'a donné un ultimatum, il m'a fait du chantage. Sheidheda a fini par me retrouver. Je suis un ancien commandant qui pourrait reprendre le contrôle et proclamer mon droit de diriger les Wonkru et donc, prendre sa place. Il me dit que soit je m'agenouille devant lui, soit il tue tous ceux auxquels je tiens par un éventrement. Bellamy, Raven, Indra, Gaïa, Octavia, Murphy, Emori... Je sais qu'il le fera, je sais de quoi il est capable. Il fut un temps, j'étais lui. J'ai vu ce qu'il a fait, j'ai été témoin du carnage qu'il a provoqué et je n'ai rien pu faire car tout cela s'était déjà passé. Il compte reproduire un énième massacre... Le passé va se fondre dans le futur, et plus rien ne pourra l'empêcher de régner. Malgré que je sois contre lui, je pose un genoux un terre, regardant le sol... Je dois mettre ma fierté personnelle si je veux sauver mes proches.

Peu de temps après... Indra affronte en duel Sheidheda. Elle a perdu. Il tente de la tuer ! Je ne peux pas laisser faire cela. Je saute avec une lame et essaye de lui trancher la gorge. Malheureusement, je ne touche que son œil droit. Il me plaque contre le sol de suite après et il tend la lame vers moi. Il va me tuer. Je regarde Indra, et cette dernière arrête Sheidheda en disant qu'elle va se mettre à genoux, donc pas besoin de me tuer. Pendant que tous les Wonkru se mettent à genoux à leur tour, je m'enfuie. Sheidheda ne me laissera pas la vie sauve après ce que je viens de lui faire. Je me réfugie près de Murphy, Emori et d'autres personnes, dans un lieu sûr.

Il s'est passé quelques événements. Maintenant, je suis de nouveau sur Terre. Un téléporteur m'y a envoyé, moi et tous les autres. Finalement, nous sommes au bunker. Ils me cherchent parce que j'ai eu la flamme et que j'ai encore des souvenirs des commandants passés. C'est pour cela qu'ils me veulent mais... Sheidheda veut juste ma mort. Un des miens vient de mourir pour moi, il est mort en me protégeant... Il faut que vous compreniez que si je fais cela, c'est pour que plus personne n'ait à mourir. Pour que la mienne soit la dernière...

J'ai voulu prendre le liquide vert pour me téléporter vers Le grand berger -celui qui veut mes souvenirs- mais mon peuple m'en empêche. Ne comprennent-ils pas que si je ne fais rien, il y aura une nouvelle guerre ? Je ne peux pas... Ce n'est pas moi. Je ne laisserai plus personne se sacrifier pour moi. Je ne les ai pas tués mais c'est tout comme.

Je trouve le moyen de me téléporter. Je collabore jusqu'à ce que je me rende compte que le grand berger fait une grave erreur. Je ne cède pas, je lutte. Ils me torturent. Ils me tuent. Enfin, pas vraiment. A croire que la solitude et moi, c'est une grande histoire d'amour... Et qu'à chaque étape, j'ai de moins en moins d'espoir de retrouver une raison de vivre. Je ne peux plus bouger, pas même mes yeux. Ils m'abandonnent là, après avoir obtenu ce qu'ils voulaient. Après m'avoir transformé en un être qui ne pourra plus jamais bouger. Je suis un légume vivant. Octavia m'a retrouvée. Juste trop tard. Mais elle pointe son arme sur moi et elle me dit "Yu gonplei ste odon". Je vais mourir. Mais au moins, ce sera de la main de la femme que j'ai tant admiré. Je pourrais reposer en paix. Mais tandis qu'elle s'apprête à me tirer dessus, elle arrête son mouvement. Ils -elle et l'homme qui m'a interrogé au départ- disent qu'ils reviendront me chercher. Mais pourquoi faire ? Je veux mourir... Une vie dans un corps qui ne me répond plus, ce n'est pas une vie. Tandis qu'ils s'en vont, une larme perle sur ma joue... Et une douce mélodie raisonne dans ma tête. La solitude et moi, une vraie histoire d'amour, mais tellement toxique. Elle repousse chaque fois un peu plus les limites. Je ne pensais pas pouvoir me sentir aussi seule que lorsque j'étais chez moi, sur Terre, ou lorsque j'étais commandante. Tant de personnes autour de soi mais personne à qui parler. J'avais tort. Avant, je pouvais bouger, parler... Maintenant, je ne peux plus rien faire, je suis prisonnière de mon propre corps tandis que je me bats intérieurement...

J'ouvre les yeux lentement, pris de sueur froide. Mon corps ne bouge plus. Je suis dans cette phase de pré-conscience. Cette phase normalement si douce qui berce les réveils. Tous rêvent de retarder l'inévitable, quelques secondes de cette léthargie... De cette torpeur qui ne fait aucun mal. Qui nous donne le sentiment d'être à notre place. Jusqu'à ce que le rappel douloureux de la réalité fasse écho en nous par cette simple question : Où suis-je ? Et la vérité est... Dans un monde qui n'est pas le sien. Mais moi, lorsque j'ouvre mes yeux, je ne ressens qu'un vide immense, un effroi terrible. Même dans cette semi-conscience, je le sais. Je ne suis pas là où je devrais être...

Aujourd'hui, j'ai fait un rêve qui a semblé demeurer une éternité... Comme tous les autres jours depuis que je suis ici. J'ai rêvé de ma vie passée. C'est une boucle infinie. Mon esprit se joue de moi. Et ma mémoire me ment... Je le sais. Je le sens. Il y a un détail dans mon âme qui est perturbé par mes souvenirs. Ma poitrine se serre en pensant à cette chose... Qui a existé, qui n'a pas existé ? Je ne sais pas. Est-ce que je m'imagine tout ? Est-ce que je me fourvoie simplement parce que je me demande si quelqu'un m'attend, là quelque part ? Est-ce que je manque à une personne... ?


J'ai l'impression d'être devenue folle, à la poursuite d'un être qui n'existe pas... Mais au fond de moi, il y a cette petite voix qui me murmure "Et si... ?". Et si j'avais raison ? J'ai tellement envie d'y croire, de croire qu'il y a quelque chose qui m'échappe. La pièce d'un puzzle que j'ai perdu sans le savoir. J'ai cette impression de jouer une partie d'échecs sans la Reine... Ou le Roi ? Mais dans ce cas-là, comment être en échec et mat ? Je joue une partie qui n'aura jamais de fin... Je joue une partie sans en connaître les règles, et je m'étonne de continuellement perdre...

Je me lève. Chaque jour, c'est un soulagement de savoir que je peux encore bouger. J'aime cela, bouger, courir, faire du sport comme le football. Je vais à l'école, j'aime apprendre. Tous les plaisirs simples de la vie... Cela fait 5 ans que je suis arrivée sur cette planète. J'ignore encore tout d'elle. J'ai été à l'orphelinat, et des familles ont bien voulu de moi. Moi et mes pots cassés. Moi et mes traumatismes. Moi et ma peur d'être seule pour toujours. Pour finalement les décevoir encore et encore. Si je reste auprès d'eux, si je m'attache, alors... Je le regretterai toute ma vie. Je le sais. Un ailleurs m'attend. Et il ne se trouve pas à l'orphelinat, ni dans une famille d’accueil, encore moins adoptive. Alors à 14 ans, je suis partie. J'ai fui, tout et tout le monde. Je vais à l'école et après, je vole, je vis de quelques larcins. Je ne vis pas dans la rue. Juste dans une voiture qui se trouve dans une rue. Et oui, cela fait toute la différence. Et oui, la voiture est une Rover volée. Et oui, bien sûr que je sais conduire. Cela va faire à peu près 4 ans que je vis par moi-même sans bousiller mes relations familiales parce que je n'en ai pas, c'est aussi simple que cela. Mais je ne suis pas seule... Il y a Chocapic, un chien que j'ai retrouvé dans la rue, mon chien. Il me fait du bien car je pense que je ne pourrai plus jamais vivre seule... J'ai peur de la solitude, dommage que cette dernière semble m'apprécier. Grâce à un membre de l'équipe professoral de l'école, je peux arriver plus tôt pour me laver dans les douches de l'école et me brosser les dents. Il m'aide aussi avec mes devoirs quand je ne comprends pas. J'ai eu beaucoup de retard à rattraper quand je suis arrivée. Heureusement qu'il était là... Je ne fais pas confiance à beaucoup de monde mais lui, j'ai confiance. Je joue aussi dans l'équipe de football de l'école, j'aime cela. C'est un sport d'équipe, c'est la première fois que je comprends réellement le sens du mot "équipe". Je jouais beaucoup en solitaire, je ne comprenais pas le problème. Tant que je gagnais, que ce soit seule ou avec l'aide de quelqu'un, quelle importance ? J'ai compris la différence dans ce monde. Je suis heureuse d'être ici, je le pense réellement mais... A quoi cela sert d'avoir vécu tout ce que nous avons vécu si c'est pour être envoyé dans le passé ? Si le futur me mène à mon présent, pourquoi avoir subi tout ce que j'ai subi ? Car au fond, cela mènera au même point...

Je me pose sans doute trop de questions. Je sors de ma voiture, je vais à l'école. D'ailleurs, j'ai un match aujourd'hui ! Nous allons gagner ! Et c'est la première fois que je dis cela sans penser à une effusion de sang. C'est un bon début, non ?