Searching For Answers ||Ft. Darlene

Elliot n'avait jamais été une personne sur laquelle il était facile de mettre la main et quiconque l'ayant fréquenté s'accorderait à le dire. En plus d'être un véritable fantôme informatiquement parlant capable de couvrir ses marques comme quiconque grâce à un savant mélange de précautions et de paranoïa, sa tendance naturelle à se fondre dans le décor partout où il passait ne faisait que de l'aider à davantage passer incognito. Affublé de son éternel et traditionnel sweat à capuche et souvent bien plus occupé à observer pour pouvoir agir dans l'ombre plutôt que de réagir au quart de tour, il pouvait passer pour la plus lambda des personnes aux yeux de tous sans que quiconque n'imagine l'étendue réelle de ses capacités. En quelques clics et commandes effectués par ses soins, le moindre de leurs plus honteux petits secrets pouvait se retrouver agité sous leur nez sans qu'ils ne se doutent un seul instant que la manière dont leur vie venait de basculer était liée à une banale rencontre avec un inconnu dans leur cybercafé fétiche. Connaissant ses méthodes fétiches, elle avait d'abord commencé à chercher des signes d'activité pouvant trahir une intervention de sa part mais, si la technique restait fondamentalement la même, ce monde et ses mystères ne l'avaient pas aidée.

Durant l'entièreté du dernier mois écoulé, tout son temps avait été dédié à des recherches qui ne l'avaient conduite qu'à une impasse. La nécessité primaire de travailler afin de pouvoir simplement payer le strict nécessaire à sa survie était ce qui l'avait finalement convaincue de déléguer. Au bout de quelques recherches, son choix s'était orienté sur une femme en particulier. Et, après avoir prit le temps de fouiner en sous-marin à son sujet et tout en priant pour ne pas être en train de commettre une monumentale erreur, Darlene s'était finalement décidée. Aussi audacieuse que pressée, la décision de passer directement par la boîte mail personnelle de l'ancienne inspectrice s'était rapidement imposée à elle : ce serait une manière infaillible d'attirer son attention sans passer pour une simple cliente parmi tant d'autres qu'elle pourrait se permettre de laisser sur le carreau avant d'éventuellement penser à la recontacter une fois un peu de temps libre lui étant accordé.

Concise, la brune n'avait expliqué le cas de figure auquel elle était confrontée que dans les grandes lignes jusqu'à présent : dans une situation telle que celle-ci et pour éviter de laisser trop de traces de son passage — déformation professionnelle —, s'expliquer de vive voix avec celle représentant son atout clé lui semblait vivement préférable. Il y avait cependant un risque non négligeable que la rousse ne décide de lui poser un lapin : tout pouvait sembler suspect dans une invitation telle que celle-là et un instinct de survie surdéveloppé pourrait la pousser à simplement ignorer son invitation. Toutefois, la hackeuse partait du principe que la curiosité était l'un des défauts humains les plus puissants et influents. Par déduction, la quarantenaire devait certainement en être tout particulièrement affublée pour s'être dirigée vers une voie professionnelle telle que celle-ci, ce qui était théoriquement sa meilleure chance et suffisait à la rendre un tant soit peu confiante.

Pour être un peu plus réaliste, cette déduction avait suffit à la rendre confiante jusqu'à se retrouver installée à cette table, désormais seule et pour seules distractions l'ongle de son pouce qu'elle mordillait nerveusement et sa tasse de café encore brûlante tout en scannant régulièrement la pièce à la recherche de cette personne dont elle ne connaissait finalement que bien peu de choses. Naturellement, ce ne fut que lorsqu'elle se décida à plonger la main dans sa poche pour en sortir son téléphone et vérifier l'heure y étant affichée pour au moins la vingtième fois qu'une voix inconnue raisonna à ses oreilles, la forçant aussitôt à relever les yeux. Bingo. « J'espérais que vous honoreriez mon invitation. » Elle qui aurait souhaité paraître impassible regretta aussitôt l'étincelle de soulagement aisément audible dans le ton de sa voix : première impression souhaitée ratée. Ce n'était pourtant pas comme si elle n'avait pas l'habitude de soigner et maîtriser ses entrées, encore moins avec les messages de propagande régulièrement diffusés par la Fsociety. Cette fois, toutefois, le contexte la dépassait et la touchait trop personnellement que pour réussir à rester de marbre. « Merci d'être venue en dépit du peu d'informations vous ayant été fournies jusqu'à présent, détective. » Autant directement commencer par les politesses de base, d'autant plus que rien n'était encore joué. Peu importe où cela finissait par aboutir, Darlene pouvait en tout cas affirmer une chose : le style visiblement très cash de la détective lui plaisait tout particulièrement. « Je cherche à retrouver la trace de mon frère. » Lui répondit t-elle donc, ses mains se positionnant toutes deux autour de sa tasse lorsqu'elle se rendit compte que la chaleur irradiant de celle-ci lui apportait une étrange forme de réconfort. « Nous n'avons jamais franchement été séparés jusqu'au mois passé. Mon arrivée ici quelque peu contre mon gré m'a fait perdre sa trace. » Commença t-elle à détailler, sa gorge se nouant plus promptement et douloureusement qu'elle ne l'aurait souhaité à la simple mention d'Elliot. Il avait toujours été son point faible, le grand frère inadapté à ce monde sur lequel elle se devait de veiller. « C'est urgent. Il est malade et j'ignore où il se trouve désormais en dépit de tous mes efforts pour réussir à lui mettre la main dessus. » En admettant qu'il soit également présent dans cette ville, s'empêcha t-elle de rajouter, voulant pour une fois tenter l'optimisme et surtout éviter de donner à l'inconnue une raison de lui faire fausse-route. « Ce n'est pas quelqu'un qui peut... véritablement évoluer seul sur le long terme. Il n'est pas dangereux pour les autres mais il lui faudrait très peu de temps pour s'auto-détruire. » Avec les conséquences désastreuses qu'il en résulterait et n'affecteraient certainement pas que lui, par ailleurs. Mais ça, elle devrait trouver une autre manière de le formuler — pour des raisons évidentes.

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Frayer Elliot aussi étroitement qu'en étant sa sœur avait ses avantages et donnait lieu à plusieurs comportements qui n'auraient certainement pas été aussi instinctifs chez un autre individu. Parmi eux, analyser plus que nécessaire chacun de ses interlocuteurs était devenu un véritable réflexe — et voir que l'actuelle faisait de même lui accordait davantage de légitimité pour pouvoir le faire sans une once de retenue. Bien que la vie lui ait apprit à ne pas se fier aux stéréotypes véhiculés par le quotidien, il fallait reconnaître que la femme présente en face d’elle ne collait nullement à l’image que l’imaginaire de Darlene avait pu s’en faire. Ayant l’habitude de se tenir autant à distance que nécessaire de tous ceux qui représentaient vaguement la justice exception faite de Dominique, la seule référence qu’elle pouvait avoir concernant un quelconque détective se résumait à un dessin animé pour enfants. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que Sierra ne ressemblait pas le moins du monde à l’Inspecteur Gadget ou à n’importe quelle image vaguement similaire créée de toutes pièces par son esprit. Il y avait quelque chose de réconfortant dans son aura qui, objectivement, était certainement en grande partie causé par le fait qu’elle était sa dernière option en plus d’être différente de tout ce qu’elle avait pu fabuler.

Ses yeux détaillaient chaque détail de son visage avec minutie, ne rencontrant aucune difficulté à simplement lire dans son regard que la vie n’avait pas dû être tendre avec elle non plus. En dehors de la beauté évidente de ses traits qu’elle ne put que noter en dépit de sa fausse indifférence à ce sujet, il y avait quelque chose de plus profond, de plus touchant également. Une souffrance dissimulée, peut-être noyée dans le travail ou tout autre moyen de se voiler la face qu’elle ne pouvait que comprendre. Rationnellement, peut-être aurait-elle dû se résoudre à agir d’une manière vaguement similaire, pour son propre bien. Son arrivée mystérieuse dans ce monde était peut-être une manière du destin de lui dire de se soucier de sa propre vie plutôt que d’éternellement vouloir revenir vers son frère. Plus d’une fois, l’envie de préserver sa santé mentale s’était initiée dans ses pensées, tentant de la convaincre que ce serait vraisemblablement aussi positif pour elle que pour lui. Plus encore que l’amour qu’elle portait à Cisco, c’était par-dessus tout cette envie d’ériger des barrières entre eux qui l’avait autrefois convaincue de quitter New-York. Durant un très court laps de temps, cela avait fonctionné : la benjamine des Alderson avait réellement eu l’impression d’avoir réussi à se défaire du lien bien souvent incompris qui les unissaient pour mener sa vie comme elle l’entendait sans se sentir coupable ou responsable vis-à-vis de qui que ce soit. Cette auto conviction s’était pourtant soldée de la même manière que toutes ses autres tentatives en la matière : en revenant en ville, auprès de son aîné, en faisant très rapidement péricliter le semblant de normalité entretemps établi avec son malheureux ex petit copain. Pourtant, sa présence ici prouvait qu’elle était prête à refaire les mêmes erreurs qu’autrefois bien qu’elle ne le perçoive pas de cette manière : la vérité était que son frère avait besoin d’elle au moins autant que l’inverse. Par conséquent, cela ne faisait après tout que quelques semaines qu’elle était arrivée et, en dehors des moments passés à travailler pour subvenir à ses propres besoins, la majorité de son temps avait été investie dans ses recherches pour réussir à lui remettre la main dessus. Une bonne partie de ses économies allait également y passer, compte tenu des paiements qu’elle allait devoir prévoir pour la rouquine – mais si son aide lui permettait d’enfin le revoir... ce serait un investissement qu’elle estimerait rentable.  

Nerveusement, l’ongle de son index vint tapoter avec bruit contre la céramique de sa tasse. Bruit qu’elle s’empressa d’interrompre lorsque les yeux de la rouquine se portèrent à nouveau sur son visage, visiblement revenue des pensées lointaines l’ayant momentanément éloignée de cette entrevue. Aussi compatissante qu’observatrice, ses lèvres eurent tout juste le temps de s’entrouvrir pour lui poser la fatidique question quant à son état que son langage corporel seul l’en dissuada. Pour cette fois, en tout cas : sa curiosité n’était plus à prouver et en admettant qu’elles soient appelées à se revoir un jour, cela ne faisait aucun doute que la percer à jour deviendrait l’une des missions secondaires qu’elle se fixerait. Dans l’immédiat, son aîné devait être la priorité. « Elliot Alderson, vingt-huit ans, corpulence normale. » Elle s’interrompit le temps de ponctuer le dernier détail énoncé qui pouvait potentiellement être erroné. « Il peut néanmoins avoir maigri d’une manière plus ou moins importante, ce ne serait pas la première fois. » Surtout lorsqu’elle n’était pas là pour s’assurer qu’il se nourrissait bel et bien convenablement — ou se nourrissait tout court, en réalité. « Le teint plutôt pâle, pour ne pas dire blafard la majorité du temps. Cheveux bruns, yeux bleus, toujours vêtu d’un sweat sombre. Il est plutôt doué pour passer incognito en société ce qui le rend… particulièrement pénible à traquer. » Autant la prévenir d’emblée : il ne serait probablement pas aisé de lui mettre la main dessus, Elliot ayant la fâcheuse tendance à être un véritable fantôme. La question quant à de potentielles maladies la força à s’humecter les lèvres, consciente de s’attaquer à un gros morceau. C’était là que tout pouvait se jouer : certains reculeraient face aux éléments qu’elle allait devoir apporter et, en toute transparence, Darlene pouvait le comprendre. « C’est… probablement le sujet le plus épineux le concernant. » Tempéra t-elle d’ailleurs, tentant à demi-mots de l’avertir de ce qui l’attendait avant de commencer à cracher le morceau. « Elliot… souffre d’un dédoublement de la personnalité. Moi-même j’ignore hélas beaucoup de choses sur le nombre de personnalités exactes qui l’habitent mais généralement, j’arrive assez aisément à reconnaître lorsqu’il s’agit de lui ou de l’un d’entre eux. Les dernières fois où je l’ai vu, par exemple, je savais qu’il ne s’agissait pas réellement de lui. » Un sourire amer étira ses lèvres à cette pensée, ne pouvant que se demander si l’occasion de revoir réellement son véritable frère lui serait offerte. En attendant, elle resterait toutefois présente, prête à récupérer les miettes de sa présence là où elle pouvait encore en trouver de temps à autre. Quelle tristesse d’être rendue à devoir se contenter de si peu dans le simple espoir de revoir un jour des bribes de son frère. « Celui qui fait front le plus souvent est surnommé Mr Robot. Il ne représente pas sa personnalité la plus avenante mais… je n’irai pas jusqu’à le qualifier de danger pour autant. » Pas dans le sens premier du terme, tout du moins : il ne s’en prendrait pas ouvertement à quelqu’un sans raison mais pouvait rester un véritable requin dans certains domaines. La détective en tant que telle ne rentrait toutefois pas dans la catégorie de ceux auxquels il avait un quelconque intérêt de s’en prendre, ce qui était déjà ça de gagné.

Le temps de lui laisser assimiler toutes ces informations et d’essayer de sonder l’expression faciale de la professionnelle, elle laissa ses lèvres tremper un instant dans le liquide brûlant contenu au fond de sa tasse avant d’en prendre une longue et apaisante gorgée. « Je comprendrai que cela puisse être quelque peu atypique, bien que je ne doute pas que vous ayez dû en voir d’autres. » Les scénarios de films et séries les plus tirés par les cheveux étaient hélas souvent dérivés du réel, ce qui lui laissait présager maintes situations bien plus difficiles à appréhender qu’un individu simplement malade et victime d’une condition qu’il n’avait nullement choisie. « Mais je vous assure que je n’aurai pas fait appel à vous si la situation n’était pas aussi critique. J’ai tendance à préférer gérer mes problèmes seules. » Particulièrement ceux attraits à son frère, d’ailleurs. « Sans offense aucune, évidemment. »

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