Un serpent peut en cacher un autre

feat. Heracles

Elle est un danger. Un danger manifeste. Un danger incontrôlable. Cette fois ne sera pas différente de la fois précédente. Pourquoi cette vie la gratifierait-elle de chances que l’autre n’a pas voulu lui offrir… Qu’importe le soutien sincère et inconditionnel que quelques rares âmes daignent lui adresser, et qui lui font le cœur un peu plus léger quand elle se trouve à leurs côtés. Le moment venu, elle n’en sera pas moins seule. Le moment venu, elle n’en sera pas moins désoeuvrée et monstrueuse. Son mal n’est pas de ceux qui s’apaisent ou se guérissent… Il n’y a pas de remède à sa malédiction, et chaque jour qui passe le lui prouve davantage.

A quel point fallait-il qu’elle soit présomptueuse pour s’imaginer autre chose ? Elle l’avait pourtant cru, dans les premiers temps de son arrivée dans ce monde étrange, et qui ne lui avait pas semblé si hostile que cela. Elle ne ressentait plus la présence oppressante d’une autre âme que la sienne en son sein, ses transformations avaient disparu… Elle avait regagné un second souffle, qui presque aussitôt lui avait été repris… On l’avait moquée, c’est comme ça qu’elle le ressentait. Le destin, déjà peu enclin à lui être favorable, avait décidé de se jouer d’elle dans des proportions monstrueuses et indignes… Le bonheur devait être connu d’elle pour lui être seulement arraché. Voilà la vérité. Cette pensée la fait frissonner, elle n’en est pas moins réelle.

Elle le sait à présent. Elle sait qu’elle est condamnée. Elle sait qu’il n’y a rien qu’elle puisse faire. Peu importe ses choix, ils aboutiront toujours à sa détresse émotionnelle. Peu importe la beauté de ses rencontres, ils finiront tôt ou tard par l’abandonner. Peu importe sa nature… à la fin, elle ne sera plus rien d’autre qu’un monstre, et il n’y aura plus que lui pour la tolérer encore.

Ses transformations sont de plus en plus régulières, son état de plus en plus instable. A la moindre émotion forte, elle est susceptible de se métamorphoser. Et la nuit, dans son sommeil, quand elle n’est pas un contrôle, c’est bien le serpent qui prend sa place. Et ce matin, à son réveil, contrairement à tous les autres matins, elle n’avait pas retrouvé, malgré tous ses efforts, sa forme originelle.

Elle ne sait pas depuis combien de temps elle se trouve là, paniquée, à errer sous sa forme reptilienne dans les rues de la ville. Elle ne parvient tout simplement pas à se retransformer. Et alors que, angoissée, elle progresse aussi rapidement qu’elle le peut vers nulle part, dans un sifflement angoissée, la voilà qui fait face à un homme, un homme qui ne la fuit pas comme tous les autres mais, à la place, se précipite vers elle et serre son cou si fort qu’elle se sent suffoquer.

Nagini se tortille désespérément, sans succès, l’homme est trop fort pour elle… Et c’est finalement la panique la plus absolu, alors que ses crocs fendent agressivement l’air sans atteindre aucune cible, qui la fait reprendre figure humaine. Ce n’est plus son corps serpentin, mais ses bras et ses jambes qu’elle agite, suffocante.

« Lâchez-moi… », siffle-t-elle, horrifiée.

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Elle a la gorge en feu et peine à reprendre son souffle, terrifiée, quand finalement le jeune homme la laisse enfin. Elle masse son cou d’une main tremblante, incapable de comprendre ce qui vient de se passer. Sa forme de serpent a de quoi impressionner. Avec ses trois mètres de long, elle est habituée à inspirer la rage et la peur, quand elle se retrouve sous sa forme maudite, mais généralement… le commun des mortels prend ses jambes à son cou.

Personne ne prend le risque de s’attaquer à elle, au risque d’en accuser de sévères conséquences. Même les sorciers avaient tendance à la fuir, alors un simple humain… Mais est-il vraiment humain ? Nagini n’en sait rien, elle sait seulement qu’il faut immensément de courage et de force pour parvenir à une telle chose. Elle avait bien cru y passer, et si elle n’avait pas fini par se retransformer, Merlin sait ce qui aurait bien pu lui arriver.

« C’est moi, le serpent… », elle répond d’une voix éraillée, sans cesser de masser sa gorge douloureuse.

Elle tremble de tous ses membres, c’est plus fort qu’elle. Elle hésite à partir en courant, mais elle a bien trop peur de ce que cet homme pourrait décider de lui faire si elle prenait à la fuite. Elle ignore quelles peuvent bien être ses intentions, mais ce qui est quoi qu’il en soit certain, c’est qu’il ne lui a définitivement pas fait la meilleure des premières impressions.

Peut-être n’aurait-elle pas dû lui signaler qu’elle était le serpent, au risque de subir une nouvelle attaque, mais c’était sorti tout seule, sous l’effet d’un mélange réel de stupeur, de colère et d’angoisse. Elle ne sait toujours pas à quoi s’en tenir. Et il a beau affirmer qu’il ne sait pas ce qui lui a pris, ce n’est pas pour autant que la maledictus se sent franchement rassurée. Ce serait même tout l’inverse, en réalité. Cela signifie que ce jeune homme est pour le moins imprévisible, et qu’il pourrait bien décider de s’en prendre à elle de nouveau, sans qu’il soit en mesure de comprendre pourquoi.

« Je ne vais pas te faire de mal, ne m’attaque pas de nouveau, s’il te plait », ajoute-t-elle de crainte que, en découvrant qu’elle est le serpent, il s’en prenne de nouveau à elle. Certes, elle pourrait probablement s’en sortir en jouant l’effet de surprise – elle a déjà fait beaucoup de mal autour d’elle, après tout, et n’a toujours laissé à ses ennemis que très peu de chances de s’en sortir. Mais ce n’est pas pour autant qu’elle veut prendre des risques inconsidérés. « Vous m’avez vraiment fait très mal », ajoute-t-elle ensuite en tournant vers lui son regard le plus accusateur.

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Nagini adresse à son agresseur un regard des plus sceptiques quand ce dernier affirme qu’il ne cherchait pas à lui faire du mal. Pour quelqu’un qui n’en avait pas l’intention, on peut dire qu’il avait très mal réussi son cou, Nagini est encore terrifiée. Elle ne sait pas ce qui se serait passé si, de peur, elle était seulement restée figée dans son état de serpent sans parvenir à reprendre forme humaine… Peut-être que cet homme aurait pour de bon mis fin à ses inquiétudes et à ses appréhensions de l’avenir, car d’avenir, il n’y en aurait plus eu. Elle essaie de dépasser néanmoins cette angoisse pour se focaliser sur cet homme pas comme les autres qui, à présent, lui affirme qu’elle a la classe sous le prétexte de savoir se transformer en reptile… ce n’est définitivement pas l’adjectif que Nagini aurait utilisé de son côté, définitivement pas, mais elle l’accepte néanmoins.

« C’est ce que font la plupart des gens », rétorque la Malédictus quand son interlocuteur lui fait remarquer qu’il ne fallait pas s’attendre à ce qu’il la regarde passer en hurlant simplement. Après, elle n’ignore pas que sous l’effet de la peur, certains sont capables du pire, et de réactions absolument considérables et inconsidérées. « Je n’ai pas décidé de me transformer, d’accord ? Des fois, je le contrôle pas », résume-t-elle, gardant toujours une distance de sécurité entre lui et cet homme.

La vérité, c’est que depuis quelque temps, Nagini contrôle de moins en moins son état, pour ne pas dire qu’elle ne le contrôle vraiment plus du tout. Mais elle ne veut pas rentrer dans les détails de son affliction avec cet homme qu’elle ne connaît ni d’Eve, ni d’Adam, et qui – on peut le dire sans redouter de se tromper – ne lui aura pas fait la meilleure des impressions pour commencer. Elle a du mal à renoncer à son regard noir, mais elle accepte tout de même de reprendre les choses de zéro, ne serait-ce que pour comprendre à qui elle a affaire. Le jeune homme dit s’appeler Héraclès, soit. Ce n’est pas encore assez pour totalement assouvir sa curiosité, mais chaque chose en son temps.

« Tu n’as pas dû avoir un passé très heureux », remarque Nagini toujours sur la réserve. Pourtant, elle accepte d’entendre ce qu’il lui dit, parce que des flash de vie qui lui reviennent par bribes et qui lui font perdre pied avec la réalité, elle en est aussi… c’est de cette manière que lui parviennent tous ses souvenirs qui succèdent à sa transformation. « Et non, je préfère que tu m’appelles par mon nom. » Elle prend une grande inspiration, tentant de calmer ses nerfs encore à vif. La dernière chose qu’elle veuille, c’est de se transformer une seconde fois. « Nagini, je m’appelle Nagini. »

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« La plupart des gens ne sont pas comme la plupart des gens », répond Nagini du tac-au-tac, quand son interlocuteur lui fait valoir cet argument, dans lequel elle veut bien croire néanmoins… difficile de penser différemment au vu de la façon dont s’est déroulée leur première interaction… Ceci dit, elle est d’avis également qu’il serait trop hasardeux de se penser unique dans un monde où tout le monde semble l’être, et où les personnes les plus uniques se révèlent peut-être être, en fin de compte, les plus banales. Ceci dit, ce n’est pas vraiment un reproche… elle veut bien croire que cet homme soit exceptionnel, mais Nagini reste… farouche, sur ses gardes, elle estime que ça vaut mieux.

Elle apprécie, néanmoins, au moment d’essayer d’expliquer sa situation à son interlocuteur, de constater que ce dernier cherche véritablement à comprendre  ce qu’elle traverse au cours de ses transformations. Beaucoup d’autres, pour ceux qui connaissent sa véritable nature, ont bien trop peur pour oser lui poser la moindre question une fois qu’elle se retransforme.

« Un peu des deux… je peux décider de me transformer, mais parfois… si j’ai peur ou si… je suis en colère… je me transforme sans le vouloir. Ou bien quand je dors… en fait, de plus en plus, ces derniers temps. » Elle force un sourire. « Parce que bientôt, je ne serais plus humaine du tout… et à ce moment-là, oui, je pense qu’on peut dire que le serpent prendra le contrôle. »

Nagini en parlerait presque comme une sorte de dédoublement de la personnalité. C’est en réalité plus complexe et alambiqué que cela, mais Nagini n’aime pas mettre de mots sur tout ceci… Cela l’oblige à se remettre en question d’une manière qui bien souvent lui procure une sensation atrocement vertigineuse, et qu’elle se sent à peine capable d’endurer.

Plutôt que de se concentrer sur elle-même, la Maledictus décide de s’intéresser à son interlocuteur, qui admet en effet ne conserver que très peu de souvenirs heureux, du moins parmi ceux qu’il aura retrouvés… C’est… pas commun, comme conversation, mais le moins que l’on puisse dire, c’est que ça a le mérite de briser la glace entre eux, et ça, ce n’est vraiment pas plus mal.

« Hmmm… d’accord pour prendre un thé quelque part », elle accepte finalement, surtout parce qu’elle a besoin de se changer les idées. « Et évidemment, c’est toi qui payes », ajoute-t-elle cette fois avec davantage de malice, et un sourire sincère accroché aux lèvres.

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« Je ne suis pas si jolie. Et c’est un très mauvais argument », elle répond, tout de même un peu défiante, bien trop sur la défensive, alors que son interlocuteur affirme qu’il ne laissera certainement pas une si jolie demoiselle régler quoi que ce soit. Ce n’est définitivement pas ce qu’elle estime être pour commencer, et d’autre part, elle n’a certainement pas pour habitude d’obtenir la faveur de ses pairs sous le prétexte d’être attirante. Son comportement craintif au possible n’y est pas pour rien, il faut bien le dire. De manière générale, on aura plutôt tendance à la fuir.

Elle préfère malgré tout ne pas s’épancher plus longuement sur la question, et pour cause, ce ne pourrait aboutir qu’à un débat stérile, et qui en plus du reste la mettrait particulièrement mal à l’aise. Alors elle laisse couler, tandis que le sujet dévie sur quelque chose d’autrement plus complexe et sérieux, à savoir ses transformations.

« Oui, c’est un bon résumé », elle commente le regard baissé tandis qu’Heracles parvient plutôt bien à faire l’état des lieux de sa situation. « C’est pas vraiment quelque chose qui a changé dans ma eie, c’est plus… quelque chose d’inévitable. Je veux dire… Je vais finir par n’être plus que ça, et plus le temps passe, plus le monstre veut prendre le dessus sur moi. »

Le terme est fort mais c’est effectivement ainsi qu’elle l’envisage – le monstre. C’est ce qu’elle est, un monstre, ni plus ni moins. Et non, ce n’est pas cool d’être un serpent. Enfin… Elle ne l’a pas si mal vécu, à l’époque, mais c’est justement ça le problème… Elle n’a pas le sentient de l’avoir véritablement vécu. Tout ceci est plus complexe encore qu’il n’y paraît à première vue.

« Quand j’étais un serpent, je n’étais plus moi, plus vraiment. Je n’ai pas envie de perdre ce que je suis maintenant… Mais en même temps, parfois je me dis que ce serait tellement plus simple… tellement plus confortable, tu vois ? »

Elle pense qu’il voit, en effet. Pas parce qu’elle est forcément très claire, mais parce qu’il prend la peine de l’écouter et de la comprendre, et c’est là une chose qui, très clairement, la touche énormément. Certains se contentent de faits bruts qu’ils ne remettent pas en question ni n’essaient de contempler sous un angle un peu différent. Pas lui.

« C’est ce que je dois faire, oui. Mais honnêtement… Je ne sais pas comment. »

Profiter de son humanité, ce n’est pas réellement quelque chose qui a un jour fait partie de ses attributions, elle ne sait pas vraiment de quelle manière l’on est supposé ne serait-ce que procéder à ce sujet.

« Et arrête de dire ça… que je suis mignonne, jolie, ou je ne sais pas quoi… »

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Agir selon ses instincts avait l’air d’être une perspective séduisante pour beaucoup de monde. Ce n’est pas la première fois que la Maledictus entend un tel discours, pourtant elle, de son côté, est bien capable de l’entendre et de le cautionner totalement. C’est même tout l’inverse, d’ailleurs. Non, elle ne voit pas du tout les choses sous cet angle, elle est bien incapable de les envisager de cette manière bien spécifique. Non, pour elle, la chose n’a aucun sens et ne peut pas être compris de cette manière. Ne plus réfléchir du tout, perdre sa capacité de penser, peut-être bien que ça vous évite des nœuds au cerveau – dont certains dont elle se passerait très clairement, mais la jeune femme ne veut absolument pas ça pour autant… Elle a peur de ne plus être elle-même, et ce qui fait qu’elle est elle repose, à ses yeux, en très grande majorité sur sa capacité de réflexion… Elle n’est pas capable de s’en passer, elle ne s’imagine pas passer outre… ça lui paraît tout bonnement impossible et invraisemblable.

« C’est vrai que j’aimerais ne plus me poser autant de question, mais ça fait de moi qui je suis, tu vois ce que je veux dire ? » tente-t-elle de se justifier du mieux qu’elle le peut, ce qui reste, il est vrai, plutôt laborieux, au fond.

Pour le reste, les suggestions d’Heracles lui paraissent autant… abstraites que vaines, pour elle. Elle n’a pas envie de se rendre en boîte, les endroits du genre lui ont toujours donné le tournis. Et elle ne voit pas l’intérêt non plus de draguer à tour de bras. Quant au faire de faire de l’escalade ou n’importe quelle activité à risque… déjà qu’elle n’a plus beaucoup de temps à vivre… Nagini estime qu’elle fait mieux de passer son tour. Oui, vous pouvez le dire puisque c’est effectivement le cas, Nagini est une véritable rabat-joie… Mais qui n’a pas l’intention de s’excuser de l’être.

« Tout le monde me demande ce que je rêverais de faire comme si c’était une chose évidente. »

C’est probablement évident quand on a pas vraiment de questions à se poser, qu’on peut vivre sa vie à fond, comme on l’entend, sans avoir la moindre restriction ni se laisser paralyser par une peur quelconque… Mais Nagini n’est pas comme ça. Elle n’a jamais pris le temps de se concentrer sur ses options ou sur ses envies. Elle n’est pas de ceux qui croquent la vie à pleines dents, essayer de vivre lui demande déjà beaucoup trop d’efforts.

« J’en sais rien, je me suis jamais posé la question. » Elle détourne le regard. « Et ça ne sert à rien que tu me trouves belle ou pas, je ne suis pas intéressée », claque-t-elle un peu trop agressivement, constamment sur la défensive.

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Son humanité et sa gentillesse… Nagini ne peut s’empêcher de trouver l’emploi de ces termes ironiques tant elle estime qu’ils ne lui correspondent que trop peu… Pourtant, il est vrai qu’elle est douce, calme… qu’elle peut se montrer attentive et généreuse… Mais comment faire preuve d’humanité pure quand on a le sentiment de ne pas être tout à fait humaine ? Comment avoir le sentiment de réussir véritablement quand la vie nous échappe à ce point ? Comment s’estimer gentille quand on se sait responsable d’actes absolument cruel ? Autant ne pas parler de tout ça, ou ne pas le dire à voix haute. Nagini se contente d’un sourire, qu’elle espère le moins ironique possible.

Nagini comprend, sincèrement, que son interlocuteur s’étonne qu’elle peine à trouver évidente la réponse aux questions qu’on lui pose sur ses aspirations et sur ses rêves. Elle voit bien qu’à la plupart, ça semble couler de sources mais pour elle… tout ressemble à un saut dans l’inconnu… Elle a l’impression de n’être qu’entourée de vide, constamment… et c’est une sensation aussi déplaisante que vertigineuse. Est-ce qu’il n’y a pas autre chose pour lui venir à l’esprit, des choses qu’elle aime, des choses toutes simples ? Si, sans doute, mais elle a trop peur que ces choses lui soient arrachées quand elle ne sera plus… tout à fait elle-même.

« C’est vrai ? Tu navigues ? » Est-ce qu’elle détourne le sujet pour ne pas répondre à sa question ? Oui, c’est tout à fait ce qu’elle est en train de faire. Qui sait, avec un peu de chances, ça fonctionera peut-être bel et bien, va savoir… Va savoir, ouais. « Les petits moments de vie… » Elle soupire. « J’y réfléchirai », se contente-t-elle de répondre avant d’être prise de cours quand il pose ses doigts sur son menton pour l’obliger à le regarder dans les yeux.

De nouveau, Nagini a envie de se dégager et de prendre la fuite, mais elle prend tout de même la peine d’entendre ce qu’il a à dire. Et elle reste déstabilisée par ses propos alors qu’il lui assure que quoi qu’elle en dise et quoi qu’elle fasse, il la trouve belle… Quelle drôle d’idée… Peu importe combien ils seront à lui souligner sa beauté, la Maledictus refusera probablement toujours d’y croire. C’est dommage, mais c’est à peu près certain.

« J’ai du mal à comprendre ce que ça peut te faire, que je sourie ou pas », commente-t-elle tout de même en s’écartant légèrement et en gardant une expression neutre… qui vaut toujours mieux de sa part qu’une mine sombre ou farouche.

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S’intéresser aux autres a toujours été un exercice plus simple pour Nagini que de s’épancher sur son propre cas. L’on pourrait probablement en déduire qu’elle est quelqu’un de foncièrement altruiste, mais ce n’est définitivement pas de la sorte que se perçoit la Maledictus, loin s’en faut, même. C’est aussi par égoïsme qu’elle noie le poisson comme elle le fait. Le fait est qu’elle pense bien trop et trop souvent à elle-même pour prétendre n’avoir aucun fond égoïste. Même maintenant, alors qu’elle s’intéresse à la passion d’Heracles pour la navigation, elle veut certes en entendre plus, mais aussi et surtout éluder ce qui la concerne à des fins qui sont avant tout égoïste.

Il y a tout de même quelque chose de touchant dans le fait d’entendre son interlocuteur lui parler de ce qu’il ressent quand il navigue, le plaisir qu’il éprouve quand il se retrouve en mer, quelque chose qui le transcende et qui va au-delà de sa mémoire en berne… Nagini trouve ça admirable. Elle-même n’a que des souvenirs fragmentés de sa vie de serpent, mais rien à associer à ce sentiment de liberté… Quoique si… Quand elle se transforme, elle se sent libre, elle se sent bien… mais ce genre de choses ne se disent pas. Ce genre de choses ne doivent surtout pas se dire, au risque de le regretter amèrement.

« Je ne suis pas certaine que ça me plairait », dit-elle avec prudence. « Rester seule avec toi sur un voilier sans aucune possibilité de m’échapper », ajoute-t-elle, très directe.

Quand bien même il y a quelque chose de vraiment tentant dans la perspective de juste… Prendre la mer, se laisser porter par le courant au sens le plus strict du terme sans avoir à se poser plus de questions… Mais ne se poserait-elle pas plus de questions pour autant ? C’est tout le problème, avec Nagini. Elle est incapable de ne pas trop penser, de ne pas tout intellectualiser. La chose semblerait presque au-dessus de ses forces. Elle a beau quêter ces petits moments de vie qui sauraient la lui rendre plus précieuse, il ne parvient pas tout à fait à passer outre l’angoisse qu’elle éprouve, et qui ne la quittera probablement jamais.

Si sa mine sombre lui fait croire qu’elle n’apprécie pas sa compagnie… ce n’est pas entièrement vrai. C’est seulement qu’elle se méfie… Elle se méfie terriblement… Et pense le faire à juste titre. Quant à la vie qu’elle mène… oui, sur ce point, le doute n’est pas permis. Il est vrai qu’elle n’apprécie pas particulièrement cette vie… Maisi elle doute fort que l’intervention d’un inconnu, qu’il soit bien ou mal intentionné, puisse y changer quoi que ce soit.

« Je ne comprends pas ton obstination. Tu ne me connais pas. Et peut-être que si tu me connaissais, tu ne voudrais jamais me voir sourire. »

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Elle a comme le sentiment que son interlocuteur s’amuse terriblement de ses esquives et de son tempérament. De sa part, il n’y a guère de malveillance, mais cela ajoute définitivement à son sentiment de malaise. Autant le dire, il ne faut pas grand-chose à Nagini pour se sentir mal à l’aise pour commencer, alors la chose n’aide absolument pas. Quoi qu’il en soit, elle accepte de l’écouter, mais une part d’elle semble comme à la recherche constante d’une échappatoire. Juste comme ça. Juste au cas où.

Elle a peur, c’est vrai, il a pointé du doigt quelque chose de réel… qu’elle ne résumerait pas par un simple « juste » en ce qui la concerne. Elle a peur, elle a peur de tant de choses qu’elle ne saurait par quoi commencer. Depuis même sa naissance, Nagini vit dans la peur la plus constante, une peu qui a encore été alimentée par son histoire et par son entourage, qui n’a jamais manqué la moindre occasion de la faire passer pour le monstre qu’elle aurait voulu ne jamais être.

« J’aurais de bonnes raisons d’avoir peur de toi », répond la Malédictus en ne répondant qu’à moitié à la question de son interlocuteur. « De préférence, j’aimerais bien ne pas avoir l’occasion de fuir en canot de sauvetage », ajoute-t-elle d’un ton qui réussit à être légèrement plus détendu, et qui s’accompagne d’un fin sourire sincère. Elle n’a pas envie de s’angoisser au-delà du raisonnable… Mais ce n’est pas toujours aussi simple… Elle aura toujours tendance à mettre des barrières entre elle et les autres, comme s’il s’agissait pour elle du seul moyen à sa disposition pour se protéger, comme s’il ne pouvait y en avoir aucun autre.

« Tu ne gagnerais rien à voir la vraie Nagini. En fait, si tu devais la connaître, je doute fort que tu serais encore si pressé de passer du temps avec elle. »

Il en a eu un aperçu d’entrée de jeu en la voyant sous sa forme de serpent, certes, mais, contradictoirement, ce n’est là que la partie émergée de l’iceberg… il y a bien plus à en dire encore… Plus encore qu’on ne pourrait le soupçonner de prime abord.

« C’est ce que je fais, c’est ce que je suis. Je fuis et je me cache. Si ça ne te plaît pas, ce n’est pas mon problème. Il faudra que tu fasses avec », affirme-t-elle en redressant la tête.

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La peur n’évite pas le danger. En effet, ce n’est pas quelque chose qu’il lui apprend, elle en a parfaitement conscience, puisque c’est justement l’inéluctabilité du danger qui l’empêche d’avancer, et qui la rend à ce point impuissante à quoi que ce soit. Elle ne peut pas adopter le point de vue de ceux qui vous encouragent à vivre votre vie à cent pour cent. Elle ne s’en sent tout bonnement pas capable. Et peu importe combien de fois on le lui répétera. Profiter de la vie serait une bonne option, mais elle ne sait pas le faire, elle ne parviendra pas à le faire. Elle gardera toujours la même inquiétude, les même réticences. Peut-être qu’avec certaines personnes de confiance, elle finira par y parvenir, mais avec Heracles, qu’elle vient tout juste de rencontrer. Autrement, avec quelqu’un d’autre, va savoir… Mais dans tous les cas, Nagini reste encore fermée et austère… Elle restera probablement farouche tout au long de sa vie humaine. C’est quelque chose qu’elle ne sait tout simplement pas gérer.

Nagini se répète, il est vrai, mais elle est fermée. Elle est incapable d’admettre qu’on pourrait l’apprécier et la supporter pour ce qu’elle est. Elle préfère rejeter cette pensée catégoriquement. Ce n’est pas lui qui la fera changer d’avis. Son discours frontal, catégorique, n’arrange absolument rien à l’affaire. Elle se sent vraiment perturbée, déstabilisée au plus haut point… Elle voudrait ne pas être ainsi, mais c’est un fait… Elle ne parvient pas à en faire autrement.

« Je pense… »

Elle hésite un instant. Elle sait que la proposition d’Heracles est au fond partie d’une sincère bonne intention. Il n’a pas l’air d’être une mauvaise personne, et il est plus que possible qu’il veuille en effet faire d’elle une amie… Mais elle n’est pas certaine d’être capable d’accuser un poids qui pourrait sembler anodin à bien d’autres, mais qui ne l’est pas pour elle. Elle n’est pas capable de fournir cet effort, même si ça devrait être simple… Même si elle devrait s’en moquer… et s’en moquer royalement, même.

« Je pense que je vais décliner ta main tendue », ajoute-t-elle alors, faute de savoir faire preuve de la bonne volonté qui serait plus que nécessaire à cette situation. « Mais… » Mais quoi ? Elle ne sait que dire elle-même. Le fait est que cette situation l’épuise et la fatigue plus que nécessaire. « Merci quand même », ajoute-t-elle, étrangement sincère.