Qu’est-ce qu’on va faire de toi ? Il le lui répétait souvent, d’un ton tantôt désespéré, quand il la découvrait sur le point de faire le mur pour la nième fois ou la récupérait au poste de police après qu’elle ait cherché, comme de coutume, à fuguer, tantôt colérique, quand il accompagnait son discours du cliquetis métallique d’une ceinture qui fendait l’air et la chair quelques instants plus tard… D’un ton lubrique, souvent, quand son regard embrassait les lignes de sa silhouette juvénile avec un appétit pervers. Très tôt, F’nale a compris qu’elle deviendrait tout ce que son père n’avait pas voulu qu’elle soit, tout ce que sa mère indifférente, l’esprit ravagé par l’alcool, se moquait qu’elle devienne… Pour cela, il fallait seulement qu’elle prenne la fuite. Loin, le plus loin possible de son père violent et de sa mère démissionnaire. Elle n’avait que quinze ans quand elle a quitté le domicile familial pour de bon. De sa jeunesse et de ses errances dans les bas quartiers de Colombus, nul ne sait rien, car F’nale s’est toujours épargné le fait d’en dire quoi que ce soit. F’nale ne parle jamais d’elle-même quoi qu’il en soit. Les épanchements sentimentaux à outrance, ce n’est définitivement pas sa tasse de thé. Chaque information concernant son passé est une arme dont on pourrait choisir de se servir contre elle. F’nale a tout effacé, réduit à néant. C’est elle, l’arme que l’on pointe contre autrui, jamais l’inverse. F’nale n’est pas son vrai nom, bien sûr – ses parents la détestaient, mais pas à ce point – mais c’est le nom qu’elle s’est choisi, à la fois pour la curiosité et l’inquiétude qu’il inspire. F’nale est la fin de tout. De quiconque déciderait de s’en prendre à elle, en tout cas.

Quand la rue n’a plus rien eu à lui offrir, F’nale s’est engagée dans l’armée. La bonne planque. Un toit au-dessus de la tête et de quoi manger tous les jours : ses exigences n’étaient pas bien grandes, alors. C’est là qu’elle a perfectionné son art du combat et du maniement des armes, c’est là également qu’elle a appris à appliquer à la lettre une discipline stricte et rigoureuse, qu’elle n’a de cesse d’imposer aux autres à présent… Son expérience de l’armée n’a été ni heureuse ni malheureuse. Cela l’a forgée, voilà tout, jusqu’à ce qu’elle se lasse, notamment du sexisme galopant qui rendait insupportable toute interaction avec quiconque, elle qui quoi qu’il en soit les recherchait très peu. F’nale sait quel regard les hommes portent sur elles, elle en a joué à sa manière, secondée d’une volonté de fer et d’une poigne incomparable. Elle quittera l’Armée de terre après cinq ans de bons et loyaux services et se fera alors engager comme agent de sécurité pour une entreprise sans envergure avant de finalement être engagée au sein d’IOI, d’abord en tant que simple agent de sécurité, avant que ses talents ne soient repérés par Nolan Sorrento, PDG de l’entreprise, qui reconnaît en elle un potentiel que personne n’avait su pleinement révéler chez elle avant lui. Peut-être est-ce pour cette raison, parce que Nolan était capable de se reconnaître en elle, du moins en partie, dans leur volonté de fer, leur soif de domination et de pouvoir, qu’il a bientôt fait d’elle son bras droit mais pas seulement… sa confidente, celle de toutes ses manigances et malversations, auxquelles elle a largement en retour contribuées (notamment en se chargeant en personne de l’installation d’un grand nombre de centres de Fidélité dans tout Colombus, centres – pour ne pas dire prisons – destinés à racheter les dettes des joueurs de l’OASIS en échange de leur travail pour IOI), son amante, également… F’nale entretient avec Nolan un rapport…. Particulier. Il est le premier homme au monde auquel elle ait entièrement accordé sa confiance, en même temps que sa loyauté. Pleinement, aveuglément. Quand elle aurait été capable de trahir absolument n’importe qui sans le moindre pincement au cœur, sa fidélité envers Nolan Sorrento, elle, a été indéfectible. Pour lui, elle a menti, triché, trahi, trompé, tué… sans l’ombre du moindre scrupule.

Quand après le décès de James Halliday, le créateur de l’OASIS (immense plateforme virtuelle où avait pris pour habitude de se rejoindre le commun des mortels, cherchant à échapper à leur sinistre quotidien – mais pas F’nale – en ce qui la concerne, elle se contente parfaitement du monde réel, elle a mieux à faire de son temps que d’escalader le mont Everest avec Batman ou elle ne sait quelle autre connerie), s’engage une course à l’Easter Egg, un artefact dissimulé dans le jeu, qui permettra à celui qui l’obtiendra de contrôler l’OASIS, IOI se place évidemment en pole position afin de l’obtenir. F’nale est nommée à la tête des Sixers, un groupe d’agents surentraînés qui travaille dans la quête à l’Easter Egg. Elle contrôle ses équipes d’une main de maître en même temps qu’elle gère la sécurité de l’entreprise en interne. Redoutable combattante, n’hésitant jamais à partir au front, toujours déterminée à se battre au nom de ses intérêts et de ceux de Nolan, elle verra progressivement ce dernier sombrer dans une sorte de folie douce, alors qu’un groupe de fichus gamins, mené par un certain Parzival, se rapproche dangereusement de l’Easter Egg. Faisant fin de ses conseils (pour ne pas dire de ses ordres, Nolan se lancera à la poursuite de ces adolescents sans envergure, arme au poing... Naturellement qu’il devait se faire prendre. Naturellement que F’nale lui en veut. Arrêtée au même titre que lui, alors qu’elle n’a eu de cesse de lui demander de ne surtout pas interférer, elle est convaincue du fait qu’elle aurait pu leur garantir un sort bien différent…

C’est de l’amertume qu’elle ressent pour Nolan au moment de se faire passer les menottes aux poignets, sans réaliser qu’en un clignement d’yeux, tout ce qu’elle a connu devait disparaître, remplacé par le paysage d’une ville certes moderne, mais diablement en retard sur le temps qu’elle a connu. Plongée dans les années 2020, loin de tout ce qu’elle a connu, F’nale a décidé de faire ce qu’elle a toujours fait le mieux. Elle a relevé la tête, elle s’est battue, et elle s’est imposée, sans se douter encore du fait que loin d’être derrière elle, son passé l’attend au tournant.