En arrivant de bonne heure à l’université, Sorrento s’est retrouvé assiégé par sa secrétaire officielle. Lorsqu’elle se met à brailler et à gesticuler dans tous les sens, c’est toujours pour lui annoncer de mauvaises nouvelles. Sorrento ne fait malheureusement pas erreur, son emploi du temps est booké pour toute la journée. Nolan est encore surpris des inconvénients de son contrat. Une liste de convocations aussi longue que le bras l’attend de pied ferme depuis 8h. Encore une sainte journée interminable à l’université. Une journée parfaite, en somme. Quant à son après-midi, elle s’annonce toute autant épuisante. Quelque chose semble toutefois faire sourire le doyen Sorrento alors qu’il ingurgite un café bien noir en regardant la page sportive du journal local, tout en gardant un œil sur le planning de la matinée. Il manque même de se brûler en avalant un peu trop vite, une brève douleur enserre sa trachée. Ce café est infect, un goût inqualifiable, comme les anchois, le gingembre ou bien encore les rondelles de foie de veau à la moelle. Il peste intérieurement en réalisant que sa secrétaire fait encore une fois abstraction de ses saintes consignes. Nolan manque de s’étrangler de colère. Lorsqu’il repose les yeux sur son planning, un nom attire son attention, celui d’un élève qui se démarque davantage pour ses notes que pour ses frasques. Peter Parker. C’est la première fois que Parker est convoqué dans le bureau du doyen Sorrento. Il faut bien une première à tout, ma foi. Nolan se lasse toutefois de ces tête-à-tête avec ses étudiants, cela le fatigue grandement de s’efforcer à prendre de leurs nouvelles, à trouver des solutions ou bien encore à faire preuve d’autorité dans le cas des plus récalcitrants. Sur cette dernière pensée, un visage s’impose à son esprit, celui de Jones. Il est alors pris d’un frisson d’effroi. Jones hante les couloirs de son université depuis des années avec la désinvolture et la dégaine d’un chef de gang. Fort heureusement pour l’ancien homme d’affaires de Colombus, Peter Parker n’a absolument rien avoir avec le fils Jones. Dieu merci(*siffle*). Pour une fois que le nom d’Henry « Mutt » Jones ne se trouve pas dans son planning de la journée, Nolan se sent presque reconnaissant envers les forces extérieures qui régissent notre monde. On lui a épargné une journée de frustrations vaines et inutiles avec cet animal.

« Monsieur Parker. » dit-il en découvrant le jeune étudiant sur le pas de son bureau. Sa voix est calme, posée et traînante. Comme à son habitude. Pas une trace de frustration, de colère ou d’agacement. Une pointe de curiosité se trouve même en arrière-fond, ce qui prouve que le jeune Parker n’est pas n’importe quel étudiant lambda. Peter Parker est bien plus qu’un étudiant pour Nolan Sorrento. Il est son étoile montante, celui en qui tous ses espoirs se placent inévitablement dans la course à la réussite et au rayonnement de son université. Nolan se surprend même à vouloir convoquer un étudiant pour autre chose que des remontrances moralisatrices. Parker ne se trouve pas dans son bureau pour subir ses foudres. Nolan l’a convoqué avec des arrière-pensées. Ce qui lui arrive souvent finalement. Cela fait quelques mois déjà que les exploits scolaires de Peter Parker lui parviennent aux oreilles, quelle ne fut pas alors sa surprise d’apprendre sa première vraie bourde. Nolan a été bien contrarié d’apprendre que l’une de ses cibles privilégiées a manqué à ses devoirs. Parker fait partie de panthéon des meilleurs éléments de son université. Une liste soigneusement et jalousement gardée par Sorrento, quelque part dans l’un de ses tiroirs. Cela fait même des années que Nolan garde des dossiers d’étudiants près de lui, ce sont des noms qui méritent amplement sa reconnaissance. Peter Parker est en tête du classement. Ce qui le distingue de certains de ses camarades, ce n’est pas sa capacité à courber l’échine devant l’autorité comme d’autres, mais de cumuler diverses activités extra-universitaires tout en conservant l’une des meilleures moyennes de sa classe. Nolan Sorrento est particulièrement sensible au génie intellectuel et à la détermination mentale. Il idolâtre toute forme de persévérance, de courage et d’ambition. Le jeune Peter Parker démontre des aspirations qui méritent que Sorrento lui porte à la fois une oreille bienveillante et un œil admiratif.

« Je vous en prie, prenez donc place en face de moi. » D’un mouvement de la main, Nolan fait signifier au jeune étudiant de prendre place sur le siège se trouvant devant son imposant bureau en chêne massif sculpté. Pendant que Peter Parker s’installe face à lui, Nolan en profite pour La décoration du bureau de Nolan est loin d’être sobre, mais elle est élégante. Elle en impose, tout comme lui. Des bibelots hors de prix, un mobilier en chêne vernis, des tableaux, des tapis et même une petite cheminée constituent ce qu’il qualifie comme son havre de paix. « Vous êtes pile à l’heure. » note-t-il en souriant furtivement. Nolan ne prend pas la peine de préciser sa pensée, mais Parker vient de marquer un très bon point. Nolan Sorrento accorde une importance non négligeable à la ponctualité. Nolan écoute soigneusement le jeune Parker dérouler ses justifications, visiblement mal à l’aise et honteux de son propre comportement. Cela suffit amplement à achever les restes de sensibilité de Sorrento. « Je suis ravi que vous ayez conscience de vos erreurs. » répond-il avec l’ombre d’un sourire au coin de ses lèvres. « C’est un signe de maturité, d’autant plus à votre jeune âge, monsieur Parker. » Parker est loin d’être bête, il est bien conscient d’avoir commis une imprudence, et c’est ce qui l’amène devant lui, dans le bureau du doyen. Nolan est satisfait du fait que Parker ne cherche même pas à le nier, contrairement à d’autres étudiants, c’est un véritable bonus. Nolan prend quelques secondes de silence pour juger son interlocuteur de haut en bas. Ce qui le traverse à cet instant précis, c’est un mélange de sentiments contradictoires. Peter Parker est le stéréotype de l’étudiant hyperactif, mais doué, réellement doué de facultés intellectuelles innées. Nolan a bien eu vent des activités de Parker. Du moins, seulement celles que le jeune homme accepte de partager auprès de la scolarité de l’établissement. Il ignore par exemple que sous les traits de Peter Parker se dissimule en réalité le super-héros Spiderman.

Les supplications de l’étudiant sonnent aux oreilles de Nolan Sorrento comme une douce et agréable musique. Il n’y a rien d’autre au monde qui l’excite autant que le fait de sentir la crainte dans les yeux de ses interlocuteurs. Cette musique est exquise, elle flatte ton égo surdimensionné comme aucune autre. Il s’en délecte quelques secondes, qui lui paraissent alors délicieusement interminables. Une pensée saugrenue caresse même son esprit pendant un instant, Peter Parker mérite bien plus que des remontrances de la part d’un doyen intransigeant. Il dégage quelque chose de puissant, mais d’inachevé. C’est ce qui fait curieusement tiquer Nolan. Parker a l’air d’être la perle rare parmi une foule d’adolescents ignorants. Il mérite sans doute même son aide. Parker est loin d’être un étudiant fêtard, paresseux ou incompétent. C’est un très bon élément pour son université, un élément que Sorrento souhaite grandement valoriser. Un élément que Nolan est susceptible de promouvoir auprès d’investisseurs dans le cadre de soirées particulièrement hypes.  « Je suis bien embêté, monsieur Parker. » avoue-t-il en jouant avec l’un des stylos plumes de grande marque constituant sa collection personnelle. Un stylo au prix relativement exorbitant, en raison de la présence d’or fin véritable et de pierres précieuses. Nolan s’amuse à le faire tourner entre ses doigts, lentement mais sûrement, tout en pesant le pour et le contre. « Je me sens obligé de vous réprimander, au vu des circonstances désastreuses dans lesquelles vous vous êtes engagé… » Pure tactique rhétorique. Nolan ne compte pas sanctionner cette fois-ci. Il décide simplement d’apporter un peu de théâtralité à sa démarche pour faire mine qu’il se trouve tiraillé entre deux feux. « Vous n’êtes pas n’importe qui dans cette université et c’est ce qui me déçois. » soupire-t-il en levant les yeux vers son étudiant. Nolan plonge alors ses deux orbes bleu océan dans les siens. Il l’observe avec intensité et d’une manière presque déstabilisante, en voulant percer tous les secrets du jeune Parker.

La situation de Peter Parker n’est complexe qu’en apparence, elle est en réalité facile à gérer pour un homme aussi puissant que Sorrento. En tant que doyen de l’université, Nolan dispose de tous les droits, bien qu’il ne s’agisse pas encore des droits de vie ou de mort. Du moins, pas officiellement. Nolan sanctionne ou de pardonne selon ses humeurs. En règle générale, ses humeurs sont toujours exécrables, sans doute parce qu’être doyen d’un établissement rempli de gosses est sa propre version du purgatoire. Les gosses… Aussi loin qu’il s’en souvienne, Sorrento a toujours méprisé fortement les enfants et les adolescents. Quant aux nouveau-nés, n’en parlons même pas. Nolan a une sainte horreur de leurs cris, qui s’apparentent à ceux de personnes possédées. Dans son véritable monde, Nolan a perdu son poste et s’est fait incarcérer à cause d’une flopée d’adolescents pré-pubères. Une grimace déforme durant quelques secondes son visage apparemment impassible, ce qui ne manque certainement pas d’échapper à Peter Parker. Toutefois, si Nolan avait un enfant, il aurait convoité un enfant comme Peter Parker. Travailleur, ambitieux, doué de capacités intellectuelles extraordinaires, rigoureux et discipliné. Peter Parker comprend parfaitement sa philosophie de vie. Un enfant parfait. Un fils parfait, obéissant au droit et à l’œil, capable de choses spectaculaires. Comme lui. Un mini-lui. Une extension de sa propre personne. En certains aspects, Nolan se retrouve en Peter Parker. Il a même parfois l’impression de se revoir lui-même à son jeune âge, plein de bonne volonté, courant les activités et les honneurs avec des rêves de grandeur en tête et des étoiles dans les yeux. Peter Parker reste encore bien jeune et innocent. Comme Nolan l’a été dans son adolescence. Il admet qu’il aurait aimé recevoir l’aide d’une personne plus âgée et plus expérimentée, ce qui lui aurait évité certains mauvais choix de vie.

Peter Parker a bien de la chance, Nolan est d’excellente humeur aujourd’hui. Il se sent curieusement d’humeur paternelle vis-à-vis de l’étudiant, au point de considérer sérieusement le fait de conseiller certains de ses choix avec la meilleure volonté du monde, ce qui n’est clairement pas dans ses habitudes. Les ressemblances qu’il a identifiées entre eux dégèlent progressivement le cœur glacé de Nolan Sorrento. Il est pris d’un élan de générosité comme on n’en voit qu’un tous les dix ans. Dans un autre contexte, Nolan n’aurait pas hésité une seule seconde à se montrer impitoyable, mais pas devant quelqu’un qui lui rappelle… tellement de choses personnelles. Parker lui ressemble, avec le compte en banque en moins. « Vous vous illustrez par votre dossier universitaire d’une rare exemplarité, une assiduité à chacun de vos enseignements, y compris dans le cadre de vos options facultatives, notamment dans l’une de mes matières… » Sur ce dernier point, Nolan dodelina gentiment de la tête en signe d’approbation. Si vous désirez réellement vous attirer, non pas les foudres de Nolan Sorrento, mais ses compliments et son respect… Il ne vous reste qu’à honorer ses enseignements avec assiduité et respect. « Certes, votre principal souci est votre ponctualité, mais vous faites malgré cela toujours acte de présence, en dépit de vos nombreuses activités extra-universitaires… » poursuivit Sorrento en débouchant presque un peu trop brutalement le capuchon de son stylo plume. Il vint le récupérer quelques millimètres plus loin et sembla se perdre dans sa contemplation. « Tout le monde commet des erreurs, monsieur Parker. » souffle-t-il d’une voix étonnamment compréhensive. « Qui suis-je pour juger vos activités ? » Et c’est lui qui vient de dire ça ? N’importe qui connaissant Sorrento s’en serait étranglé avec un verre d’eau. Ce n’est en réalité qu’à moitié surprenant. Sorrento est capable d’être extrêmement charmant lorsque les circonstances l’exigent. Il peut se montrer clément jusqu’à un certain niveau, principalement lorsque ses intérêts convergent avec ceux de son interlocuteur. « Lorsque j’avais votre âge, j’ai également brillé par un parcours universitaire exemplaire. J’étais sur tous les fronts. Je décrochais des mentions à mes diplômes en plus de mes nombreuses activités extrascolaires. Les clubs d’informatique, de débat, de jeu de rôle, les concours d’éloquence, les petits boulots d’étudiant, les stages dans de grosses entreprises… » dit-il avec une intense lueur dans le fond des yeux. Nolan est d’une forme olympique ce matin. Leurs échanges provoquent en lui un sentiment partagé entre la fierté et la nostalgie. Il est loin d’être gêné de vanter ses propres diplômes avec condescendance. « Je comprends mieux que vous ne le pensez les difficultés d’une vie partagée entre plusieurs devoirs. Votre mental résiste à toutes les épreuves, mais les faiblesses de votre corps finissent un jour ou l’autre par vous faire défaut, et souvent, cela arrive dans le cadre d’un événement important. » Il soupire en repensant à ses propres expériences. Nolan tient à mettre en confiance le jeune Parker. Il lui confie alors une petite anecdote en espérant faire écho aux siennes. Une stratégie bien pensée, un peu comme une formule mathématique qui ne laisse aucune place aux aléas. « Pour ma part, c’est arrivé au cours de ma première année de doctorat. Je participais en équipe au championnat régional des jeunes inventions high-tech. Nous sommes arrivés deuxième au classement par ma faute. Ils ne m’ont pas fait de reproches, parce que cette deuxième place leur suffisait… Ce n’était pas mon cas. Cette deuxième place ne m’a jamais suffi. Je visais la première place. Notre conception était parfaite sur le papier. Je ne me le suis jamais pardonné. Il ne peut y avoir de faille dans le système pour des personnes aussi ambitieuses et courageuses comme nous, monsieur Parker. »

Nolan ne l’avouera jamais, même sous la torture, mais l’idée d’avoir un semblant de progéniture l’obnubile dans ses moments les plus noirs. Cela le pèse de n’avoir personne à qui dispenser son savoir ou avec qui partager son expérience. C’est un terrible échec dans la vie du quadragénaire. Peter Parker semble alors une option. Un moyen comme un autre de s’attacher un adolescent en mesure d’être le sien. C’est un sentiment qu’il n’a ressenti pour personne d’autre avant lui. Pas d’une manière aussi forte, en tout cas. Cette idée bourgeonne progressivement dans son esprit depuis quelques temps déjà.

« Relaxez-vous, monsieur Parker. Je ne compte pas vous renvoyer aujourd'hui ! » s'exclame-t-il en agitant ses mains avec énergie. Le jeune Parker semble crispé, cela le conforte dans son idée de le prendre en main. Nolan se déride quelque peu, fier de son petit effet théâtral. Il appuie ses mains sur les accoudoirs de son fauteuil avant de se lever d'un bond. Il se dirige ensuite d'un pas nonchalant jusqu'à son armoire à liqueurs. « J’ai d’autres projets pour vous. Laissez-moi vous dispenser mon enseignement. Je suis en mesure de vous apporter mon aide. Sur tous les plans. » dit-il en insistant sur ses derniers mots. Nolan s'empare d'un verre à whisky et se verse un fond de liquide ambré. En faisant volte-face, Nolan savoure l'incrédulité du jeune homme tout en avalant une gorgée de son précieux nectar. Il sent immédiatement ses joues se réchauffer à mesure que le liquide glisse dans sa gorge en lui donnant la sensation d'une vive brûlure. « Aimez-vous les belles choses, monsieur Parker ? » D'un geste, Nolan agite un second verre en cristal en sa direction, une manière comme une autre de l'inviter à se joindre à lui.

Défi week-end:

Quel était donc le problème ? Lorsque le jeune homme vint le confronter à ses erreurs passées, le visage de Nolan Sorrento se renferma comme une huître. « Eh bien… » murmure-t-il en cherchant dans ses souvenirs. C’est un leurre, car Sorrento se souvient pertinemment bien des raisons exactes qui lui ont coûté la première place. « C’était une époque où je jonglais entre plusieurs activités afin d’impressionner à la fois mes recruteurs et mes professeurs. J’étais sur tous les fronts. J’espérais décrocher une bourse de fin d’études, parce que mes parents n’avaient pas les moyens de me permettre de financer ma thèse. » Nolan se sent soudainement submergé par des vagues brûlantes à mesure que ses souvenirs s’imposent clairement en lui. Reparler de sa jeunesse et de ses études le rend nostalgique. « Je viens d’une famille très modeste, vous savez. Peu de gens de l’université sont au courant… J’espère que vous garderez cette confidence pour vous, monsieur Parker. C’est quelque chose entre vous et moi. Je vous fais suffisamment confiance pour vous en parler. » Nolan semble gêné par cette confidence, puisqu’il détourne presque immédiatement les yeux de son interlocuteur pour les poser sur le fond de sa bouteille de whisky. « Je n’ai pas toujours été un homme aussi puissant et riche. J’ai souvent admiré ces hommes d’affaires lorsque j’avais votre âge. » confie-t-il en soupirant longuement. « J’en suis devenu un en travaillant très dur au prix d’énormes sacrifices. » Ses yeux s’assombrissent progressivement, alors que les détails de ces sacrifices lui reviennent en mémoire. « Cela ne signifie pas que je n’ai jamais fait d’erreurs au cours de mon parcours. J’en ai fait, comme je viens de vous raconter, une fois arrivé en thèse. J’ai obtenu une bourse grâce à mes notes excellentes, mais elle ne me permettait pas de subvenir complètement à mes besoins. Je devais travailler en parallèle. J’enseignais des travaux dirigés à l’université et je travaillais à temps partiel au sein d’une entreprise conceptrice de jeux vidéo. Dans mon vrai monde… Oui, parce que nous sommes tous les deux conscients d’une chose, monsieur Parker, c’est que nous ne venons pas de cette île. » dit-il sombrement. Un éclair traverse le bleu de ses yeux, quelque chose d’indéchiffrable. C’est la première fois qu’il aborde la réalité de leur vie au sein de cette mystérieuse île, et cela lui procure un effet étonnamment libérateur d’enfin mettre les mots sur ses tourments. « Donc… dans mon vrai monde, j’étais un homme d’affaires impitoyable. Dans les deux cas, j’ai bien fait une thèse. Quelle ironie, n’est-ce-pas ? J’enseigne aujourd’hui le droit du numérique alors que j’ai travaillé dans les nouvelles technologies pendant des décennies. J’étais même PDG d’une puissante entreprise, la plus grande de tout Colombus. » s’enthousiasme-t-il en regrettant quelque part le poste qu’il a longtemps occupé avant d’arriver sur l’île. « C’est le nom de ma ville. » précise-t-il en devinant l’étonnement dans le regard du jeune homme. « J'ai été un jeune doctorant ambitieux et un peu gauche. Je pensais pouvoir cumuler toutes ces activités sans conséquences. Je ne pensais qu’à moi sans me soucier du mal que j’occasionnais à mes partenaires au concours. Nous avions dessiné les plans d’un drone. High-tech, efficace et novateur, tout le monde l’a adoré. Vraiment, nous en étions très fiers. Il était capable de projeter des hologrammes et de nous permettre de faire dialoguer deux personnes à des kilomètres à la ronde. Sauf que nous devions… Enfin, je devais terminer une ligne de code pour faire fonctionner l’appel holographique à la perfection. Mes camarades étaient conscients de mon rythme de vie effréné, eux n’avaient pas les mêmes responsabilités. C’étaient des thésards, tout comme moi, sauf qu’ils avaient leurs parents derrière eux. Des gosses de riches. Ils ne travaillaient pas pour vivre, ils n’avaient que leurs travaux de recherches et un temps libre qu’ils passaient dans les jeux vidéo. Ils jouaient tous à un super jeu qui faisait fureur dans mon monde, l’OASIS… J’y jouais aussi et j’étais d’ailleurs plutôt excellent. C’était même mon sujet de thèse. Je me suis spécialisé dans les jeux vidéo. J’en ai même programmé quelques-uns à la fin de mon doctorat. » Tout en racontant quelques anecdotes de son véritable passé, Nolan Sorrento entreprend de mettre de l’ordre dans son minibar. Il range sa carafe à whisky, une fois l’avoir rebouchée, et referme la porte en bois vernis lentement. C’est étrange de ressasser le passé ainsi, presque naturellement, et cela le met dans un état de mélancolie rare. « J’étais le seul de ma promotion à avoir désespérément besoin de finances. Ils m’ont proposé de m’aider à terminer la programmation, mais j’ai refusé par fierté. J’avais promis de la terminer, c’était mon devoir, et je ne voulais pas déléguer cette responsabilité. J’étais persuadé d’avoir la capacité de remplir toutes mes obligations. Je ne voulais pas être encore une fois le pauvre du groupe, celui qui est forcé de travailler pour se construire un empire, alors que tous les autres ont déjà absolument tout. » Nolan fait volte-face. « Vous vous doutez bien du résultat ? Je n’ai pas eu le temps de terminer ma programmation et le capteur holographique n’a pas fonctionné correctement, alors que je leur avais tous certifiés l’avoir fait… mon orgueil… me semblait à cette époque beaucoup plus important que la vérité. Nous avons terminé deuxième au classement, ce qui est en soi une bonne place, mais nous aurions pu finir premier si j’avais simplement accepté leur main tendue. » C’est une belle leçon de morale. Nolan a beaucoup appris à la suite de cette expérience malheureuse. Il avait été persuadé qu’accepter la main tendue par ses camarades aurait été une humiliation cuisante, un rappel de ses origines sociales médiocres. Nolan avait simplement honte de ses origines au point de considérer quiconque comme son adversaire. Ils n’avaient pas voulu se moquer de lui, tout ce qu’ils voulaient, c’était lui venir en aide. Nolan n’a jamais été doué dans les rapports humains. Il n’a jamais accepté l’aide de qui que ce soit en pensant être capable de grandes choses par lui-même. « Voilà pourquoi vous ne devez pas refuser la main que je vous tends, monsieur Parker. » murmure-t-il en plongeant ses yeux bleu océan dans ceux du jeune homme afin d’apporter un certain aspect dramatique à sa phrase.

« Mais tout cela, c’est désormais du passé ! » Nolan agite sa main droite dans tous les sens comme pour chasser un insecte invisible. Il désire plus que tout faire table rase du passé, notamment parce que la fin de son ascension s’est illustrée par une incarcération pénitentiaire et une disgrâce sociale et financière, ce qu’il ne désire pas avouer encore à son protégé. Nolan tient à captiver le jeune Parker et non pas le confronter à ses échecs. « Nous vivons une nouvelle vie sur cette île. Trinquons à cette amitié naissante ! » plaisante-t-il en levant son verre au-dessus de ses yeux, se trouvant à quelques millimètres de celui de son étudiant. D’un simple tintement de cristal, les deux hommes trinquèrent avant de porter le bord de leurs verres à leurs lèvres. Nolan le fit presque spontanément, contrairement au jeune Peter. Le doyen fronça les sourcils en découvrant les réticences de son futur apprenti. Il ressent alors une furieuse envie de le pousser dans ses vices. Quel plaisir cela peut-être de pervertir une âme aussi pure ? « Allons. Faites-moi confiance, monsieur Parker. Vous allez le trouver peu iodé la première fois, mais on s’habitue assez vite. » Nolan agite nonchalamment la main en direction de Peter avec l'intention de se faire rassurant. Il lui montre alors la manière de faire en prenant une bonne gorgée de son précieux whisky. Nolan savoure la sensation brûlante parcourant gorge sous le contact du liquide ambré. Ses lèvres se courbent ensuite en un sourire satisfait. Il marqua une pause, et cette fois-ci, leva enfin ses yeux vers les siens pour croiser son regard. Il y mit toute l’intensité qu’il put, pour ne pas trahir ses intentions. « Je peux vous emmener dans de beaux endroits. » précise-t-il en levant son verre avec fierté. « Vous savez, je suis propriétaire et président d’un club d’hommes très fortunés et puissants dans cette ville… Une place s’est récemment libérée, à la suite du décès de l’un de nos honorables membres. » explique-t-il non sans une arrière-pensée en tête. Il s’amuse à faire tournoyer le contenu de son verre de droite à gauche, méticuleusement, tout en déroulant l’arsenal bien rodé de ses propositions. « Je serais particulièrement enchanté à l’idée que vous preniez sa place. Nous avons besoin de visages nouveaux et d’un peu de sang jeune. » Nolan est fier de mentionner l’existence de ce club pour gentlemen, notamment parce qu’il est sous sa présidence depuis sa création. Il ne peut imaginer son apprenti ne pas faire partie de son club d’hommes d’affaires. « Vous rencontrerez des gens importants susceptibles de booster votre carrière. » Nolan baisse ensuite les yeux vers le verre de whisky qui se trouve entre les doigts du jeune Parker. « Il va falloir vous habituer ! C’est un peu… le ticket d’entrée. » Nolan a bien conscience que son futur apprenti n’est pas familier au goût des alcools forts. Ce n’est visiblement pas quelque chose qu’il semble apprécier non plus, mais Nolan est quelqu’un de buté, il est persuadé de transformer ce jeune adulte un peu gauche en un véritable beau gosse impitoyable et plein d’assurance.

Devant la maladresse du jeune homme, le doyen ne peut que se sentir honoré. Elle le touche comme très peu d’étudiants sont capables de le faire avec quelques courbettes et des sourires gênés. Nolan ignore clairement pourquoi, mais la candeur du jeune homme le rend plus coulant. Peter Parker est d’une franchise déconcertante. Son honnêteté a quelque chose de rafraîchissant pour Nolan, elle le renvoie bien des années en arrière, lorsque lui-même n’était qu’un étudiant un peu gauche. J’ai encore raté le test, c’est ça ? Nolan est incapable de réprimer un éclat de rire. C’est peu donné d’assister à cela. Peu d’élus ont eu l’immense plaisir de rire simplement avec lui, mais Peter Parker est un cas exceptionnel. Nolan se retrouve beaucoup trop en lui pour ne pas dévoiler inconsciemment certaines parts de son intimité. Et les voilà qui rient comme deux bons vieux amis. C’est risible lorsqu’on connait un tant soi peu la réputation du doyen Sorrento. « Le fait que vous semblez vous en inquiétez m’impressionne encore plus, monsieur Parker. » répond-il avec un étrange sourire. Nolan est flatté que son étudiant semble accorder de l’importance à ses opinions, tous ces gamins ne sont pas capables du même degré d’admiration. Parker est différent des autres, c’est bien une pépite d’or enfouie dans une meule de foin. Nolan le sait, il le sent au fond de lui. Peter Parker mérite plus qu’un autre de bénéficier de toute son expertise, de ses conseils et de son enseignement, mais plus encore, ce jeune homme mérite sa sympathie, et pourquoi pas, son amitié. « Vous savez, j’ai passé ma vie à construire ma carrière. Je n’ai pas eu de vie de famille… » débute-t-il presque machinalement. « Je n’en ai jamais trouvé l’intérêt. » Nolan grimace en confessant cette vérité. Il est vrai qu’une vie de famille est difficilement conciliable avec des ambitions démesurées. Nolan Sorrento aime le pouvoir et l’argent plus que tout au monde. Quelle aurait été la place d’une femme ou bien encore d’enfants dans tous ses projets ? « Lorsque je vous regarde, et que nous discutons de votre avenir… Je ne peux m’empêcher de regretter cette décision. » Une demi-vérité. Nolan ne regrette pas d’en être arrivé là où il est au prix de lourds sacrifices, cela a lui a permis de se forger un mental d’acier. Il regrette simplement de ne pas avoir suffisamment pris le temps de se faire des alliés. Etre tout puissant et immensément riche a ses avantages, mais le soir en rentrant, il se retrouve désespérément seul avec ses propres pensées. Une baignoire remplie de billets ne vaut pas le soutien indéfectible d’une personne de confiance. Les jolies filles viennent et repartent, elles ne restent pas. Personne ne reste. Et lorsqu’il se trouve en difficulté, personne ne lui apporte son aide. Nolan s’est construit seul, et peut-être bien qu’il mourra seul aussi.

« Quelqu’un comme vous, digne de ma sympathie, aurait été une belle récompense. » Nolan joue sur la corde sensible, c’est quelque chose qui lui est familier. « Je ne dis pas cela à tous mes étudiants, vous êtes unique en votre genre. » C’est un beau-parleur, quelqu’un qui aime enivrer ses interlocuteurs par des paroles mielleuses afin de se les attacher. Manipuler les sensibilités de son entourage, c’est un peu sa marque de fabrique. Nolan est particulièrement doué dans l’art de la négociation, son parcours en est la preuve. Nolan s’est toujours illustré comme un homme d’affaires aguerri et sans pitié. « On se ressemble plus que vous ne l’imaginez, monsieur Parker. » Contrairement à toutes les autres fois, il ne ment pas, c’est sincèrement ce qu’il pense à cet instant précis. Pas de fausse hypocrisie. Il désire rallier le jeune Parker à sa cause, sans quoi jamais il ne lui aurait proposé un verre de son meilleur whisky, mais il espère surtout lui apporter une aide inestimable. Pour une fois, ses négociations prennent une tournure plus personnelle et moins agressive. Nolan sait qu’il peut tirer parti de cette alliance, mais finalement, c’est Peter qui gagne le plus au change. Qu’est ce qu’un étudiant, même aussi brillant que Peter Parker, est susceptible d’apporter au doyen Sorrento ? Tout lui est déjà dû, tout lui est déjà acquis. Une groupie de plus au rang des membres de son précieux fan-club ? Il est vrai que Nolan sent ses chevilles gonfler à chaque fois qu’il entend parler de ses fanatiques au détour d’un couloir ou sous un tweet sur les réseaux sociaux. Il aime être admiré, envié et tant fantasmé. Il adore qu’on prenne sa défense, que ce soit dans la réalité ou entre les pages d’un navigateur internet. Peter Parker est sa recrue parfaite. Mais son intérêt dans cette histoire n’est que superficiel, malgré toute la bonne volonté du meilleur étudiant de son université, Peter Parker ne lui apporte rien sur un plan financier ou professionnel. Il est par contre en mesure de lui apporter quelque chose affectivement, et cela, c’est bien une raison qui dépasse notre doyen. Nolan se moque généralement de promouvoir l’affectif, ce n’est pas ce qui contribue à son épanouissement. Pour une fois, cela lui convient parfaitement qu’on vienne lui apporter autre chose qu’un bien matériel. Nolan ne recherche finalement pas tant que cela quelque chose. Il estime posséder déjà énormément. Ses intentions sont certes toujours intéressées, mais elles sont cette fois-ci empreintes d’une certaine noblesse d’âme. Nolan ne désire pas manipuler son étudiant, pas de cette manière-là. Peter Parker est comme un diamant brut qui nécessite des heures de travail afin de lui faire prendre sa plus belle forme. Plus son regard se perd dans celui de Peter et plus Nolan se sent frappé par une impression de déjà-vu. Sorrento essaie de prendre sa revanche en se donnant les moyens d’être le mentor de quelqu’un qui en a réellement besoin, alors que lui, a été forcé de se construire sans l’aide de personne. Quelqu’un avec un fort potentiel, quelqu’un de suffisamment exceptionnel pour toucher le doyen de plein fouet. Quelqu’un comme Peter Parker.

Nolan pose une main sur son épaule dans un geste paternaliste. « Parlez-moi un peu de vous. » souffle-t-il en buvant une nouvelle gorgée de son whisky sans la moindre difficulté. Nolan est maintenant habitué des brûlures que ce genre d’alcool occasionne à sa trachée. « Comment se passe votre stage ? » Peter doit en voir des choses à la police scientifique. D’une certaine manière, cela assure à Nolan d’avoir des yeux et des oreilles dans toutes les structures de la ville. Peter a très bien choisi son activité extra universitaire. Sorrento ne pouvait espérer mieux de la part de celui qu’il aspire voir devenir son protégé. « Avez-vous des ennuis ? Je peux m’en occuper, vous savez. » Il fronce un sourcil en penchant légèrement sa tête sur le côté, apparemment curieux. « Ne soyez pas gêné de m’en parler. Je suis votre doyen. Je suis là pour vous aider. » C’est ironique en sachant que Nolan Sorrento n’aime pas nécessairement mettre son nez dans les affaires de ses étudiants. C’est parce qu’ils n’en valent pas la peine, voilà tout. Ils ne sont pas aussi brillants que le jeune Parker. Lui, au moins, mérite toute son attention. Nolan a le bras long, il est conscient que tous les problèmes de Peter peuvent être solutionnés en un claquement de doigt, d’un simple coup de téléphone, à vrai dire. Parfois, cela nécessite un bon gros chèque ou une liasse de billets de banque. Nolan ne lésine pas à sortir son pognon. « Un étudiant aussi brillant doit avoir plusieurs cordes à son arc. » Nolan ignore encore à quel point c’est le cas. « Une petite copine ? » Nolan est vieux-jeu, cela ne lui vient pas spontanément à l’esprit. Il semble attiré par une étrange lueur dans le regard de son étudiant et comprend ainsi qu’il fait fausse-route. « Un petit copain, probablement ? » Un rictus se niche au coin de ses lèvres, alors qu’il se met doucement à rire. Il réaffirme son emprise sur l’épaule du garçon, presque possessivement. « Bien sûr que vous avez quelqu’un à chérir, tout comme tous les jeunes de votre âge. Vous n’avez pas le temps de vous encombrer de quelques ennuis, alors que vous avez tant à faire. Vous êtes jeune, profitez-en. Vous avez la vie devant vous. Ne perdez pas une seconde dans des choses qui peuvent être réglées par le coup de pouce d’une personne qui vous veut du bien. » En l’occurrence… Une personne comme lui.

Au fur et à mesure de leur discussion, Nolan épie les moindres faits et gestes de son jeune étudiant et protégé. Il remarque avec une facilité déconcertante que le palet du jeune homme s’accommode progressivement à la sensation de brûlure due à la puissance de la liqueur ambrée. Un mince rictus se dessine sur ses lèvres fines, au niveau de leur commissure. L’idée qu’il puisse apprécier le goût du whisky vieux de vingt ans est une preuve que le jeune Peter est bien « l’élu ». Le seul et unique étudiant qui mérite tout son enseignement, sa compassion et son amitié. Nolan ricane doucement tout en gigotant ses épaules, apparemment satisfait par la tournure des évènements. « C’est de plus en plus agréable, n'est-ce pas ? » murmure-t-il en désignant le verre de whisky du jeune homme en levant le sien dans sa direction. L’euphorie des premières minutes s’estompe furieusement à la première question de Peter Parker. Elle évoque en lui comme en un orage grondant. Une contracture au niveau de sa poitrine lui rappelle qu’il n’a pas encore définitivement tourné la page de son douloureux passé. Colombus est encore dans sa mémoire, dans son cœur, dans ses pensées, dans son âme. « Est-ce que vous désirez retourner chez vous (…) à Colombus ? » Bonne question, manque-t-il de rétorquer spontanément, mais en se retenant par réserve. Nolan pèse le pour et le contre dans sa tête, c’est un oui et un non. D’un côté, Colombus lui manque atrocement. Son époque futuriste lui manque. De l’autre côté, retourner à Colombus signifie également de passer par la case prison, qui est un aveu que Nolan refuse de partager, même à son protégé. « Vous connaissez le dicton, l’eau a bien coulé sous les ponts. Je suis un autre homme aujourd’hui, bien différent de la personne que j'étais à Colombus. Je ne pense pas que ce serait une idée très judicieuse d’y retourner, d’autant plus que… des choses sont restées en suspens. » Un demi-aveu. Nolan confie d’une certaine manière au jeune Parker son anxiété à l’idée de se confronter à ce qu’il a laissé derrière lui en quittant sa ville natale. Que de mauvaises choses, des désillusions, des déceptions parmi ses proches alliés, des ennemis. Tout le mal qu’il a causé par ses actions égoïstes et vénales ont eu des répercussions catastrophiques. Sorrento repense aux barreaux d’acier de la prison d’état de Colombus, à la couleur criarde de sa combinaison orange, ainsi qu’aux avocats qui l’ont entouré pendant la préparation de son procès. « Cette fameuse lune rouge n’a pas eu que des inconvénients. » Cette phrase résume à elle seule ce que Nolan pense franchement de son arrivée sur cette mystérieuse île. C’est une bénédiction pour quelqu’un comme Sorrento, qui a beaucoup plus à perdre en restant dans son monde qu’en le quittant pour un endroit apparemment paradisiaque, mais angoissant. Le phénomène de la lune rouge est venu l’emporter dans son tourbillon, quelques jours avant son procès, ce qui a laissé un gros point d’interrogation sur la nature de la sanction qui lui aurait été infligée pour l’ensemble de ses crimes. Nolan Sorrento est toutefois persuadé que la sanction aurait été à la hauteur de son égocentrisme et de son patrimoine financier. Une condamnation d’au moins trente ans de prison, autant dire, qu’il aurait terminé ses jours sous les barreaux, dans cette combinaison hideuse en fibres synthétiques. « C'est une nouvelle chance. » Tout dépend pour qui…

« Je suis désolé pour votre ami. » Tant de naïveté venant du jeune homme frappe le cœur glacé de Nolan Sorrento. Peter Parker semble persuadé que Nolan est profondément impacté par la perte de l’un de ses plus vieux membres du Boss Men Club ; Nolan n’ayant de compassion que pour un très faible nombre de personnes. « Oh ! Ne vous inquiétez pas ! » s’exclame-t-il en reculant de deux pas, tout en agitant énergiquement sa main. « Nous n’étions pas très proches. » précise-t-il en souriant largement. Ce que Nolan n’avoue pas, c’est qu’il ne portait pas ce vieux financier dans son cœur. Il espérait depuis quelques années pouvoir le remplacer, mais ce vieux bougre avait la sympathie de la majorité des membres de son club. « Vous me voyez vraiment dans ce genre d’endroit ? » Nolan répond à la question de son interlocuteur par l’affirmative. Un hochement de tête dédaigneux pour quiconque, mais affectueux pour Peter Parker. « Vous semblez surpris. » dit-il en penchant légèrement sa tête sur le côté. Ah, l’innocence de la jeunesse… songe-t-il pendant que ses lèvres se retroussent en un sourire narquois. L’incrédulité de son étudiant lui procure la sensation d’une bouffée de fraîcheur. « Bien sûr que vous avez le profil, cher Peter. » Cher Peter. Sans s’en rendre compte, une certaine familiarité s’installe entre eux. Un climat de confiance et de proximité désiré et pleinement calculé par Sorrento. Cher Peter… Ses manières paternalistes et désinvoltes favorisent l’émergence d’une emprise émotionnelle sur le jeune Parker. Nolan Sorrento espère modeler chaque parcelle de sa personne à son image. « Je ne me trompe jamais. » affirme-t-il en levant légèrement le menton, avec condescendance. Sorrento ne se trompe en effet qu’assez rarement, mais les rares témoins de ces échecs ne cessent de lui rappeler quotidiennement. Nolan porte une nouvelle gorgée de sa boisson à ses lèvres, terminant d’une traite son premier verre de whisky, avant de commencer à s’en servir un deuxième. Du coin de l’œil, le doyen surveille les gestes de son étudiant en espérant avoir le grand plaisir de le resservir à son tour. Lorsque Parker se met à émettre des doutes sur le futur, un sourire narquois prend place sur les lèvres du doyen, ses pupilles se mettent alors à briller d’amusement.  « Vous saurez. » roucoule-t-il, en le couvant avec intensité de ses beaux yeux glaciers. Nolan est plein de confiance, de certitudes que s’en est insolent. Le doyen hausse les épaules, comme si les doutes de l’étudiant n’avaient finalement pas lieu d’être. Il souhaite partager ses certitudes avec le jeune Parker. « Vous trouverez votre voie, lorsque vous serez inspiré. Il vous faut pour cela côtoyer les plus grands de ce monde. Si je peux vous aider à vous aider à trouver votre place dans ce nouveau monde… J’en serais particulièrement honoré. » confesse-t-il avec sincérité, tout en proposant un second verre à son protégé.


Aussi troublant cela puisse être, Nolan Sorrento et Peter Parker se ressemblent comme les deux faces d’une même pièce. Nolan est le Yang et Peter le Ying. Nolan est la face cachée de la lune et Peter son apparente luminescence. Nolan est certes âgé du plus du double, Peter incarne le reflet de son adolescence troublée, pleine d’incertitudes. Nolan affirme cette théorie comme un fait scientifique irréfutable, persuadé que leurs similitudes doivent être confortées et soignées. Lorsque Peter évoque à son tour leurs ressemblances comme la preuve indiscutable d’une amitié naissante, le doyen Sorrento ne peut qu’être agréablement surpris. Cette réciprocité émeut le doyen Sorrento à un point inimaginable, lui-même ne pensait pas cela possible. Lui, l’exécrable Nolan Sorrento, qui a toujours méprisé les enfants et les adolescents pendant des années se trouve maintenant fébrile et fasciné par l’un d’entre eux. Lorsque Peter Parker évoque l’existence d’un mentor charismatique originaire de son ancien monde, c’est le début de la fin. « Il y avait un homme qui vous ressemblait beaucoup (…) brillant, charismatique, il avait un humour bien à lui et un tempérament d’acier. » Les chevilles de Nolan Sorrento passent difficilement la porte, mais cette fois-ci, elles risquent de ne même plus rentrer dans ses chaussures italiennes en cuir vernis de luxe. Nolan savoure ses anecdotes tout en sirotant son verre de whisky iodé. Un rictus au coin de ses lèvres, dodelinant gentiment à chaque fin de tirade. « C’était un héros. » Peter est en train de nourrir son égo surdimensionné, et ces quelques mots achèvent les scrupules de Sorrento. S’il avait pu jouir sous ces mots, sans doute l’aurait-il fait. Peter Parker l’emmène au septième ciel. Ces quelques mots lui font l’effet d’un prodigieux et foudroyant orgasme. « J’avais pas un poster de mon groupe préféré dans ma chambre mais plutôt un tableau périodique des éléments… » Sorrento grogne doucement. C’est fou comme les explications du jeune Parker renvoie de manière brutale à ses propres passions et déboires, lorsqu’il avait son âge ; à la seule différence est qu’il n’était non pas fasciné par la chimie, mais par les jeux vidéo, les ordinateurs, le codage, mais surtout par la recherche scientifique. « J’aime aussi le football. » confesse-t-il un instant d’inattention, emporté dans le flot de souvenirs mélancoliques de sa jeunesse perdue. « Ma passion, c’était le codage. » Nolan marque une courte pause. « J’étais en marge de mes camarades, tout comme vous. Je sais exactement ce que vous ressentez, mieux que personne, sans doute. » Nolan pose son verre de whisky sur un coin du meuble de la cheminée, et plonge ses mains dans les poches de son pantalon de costume gris anthracite. « Je pense que… ce monsieur Stark vous comprenait également. Sans doute devait-il se retrouver en vous. Vous êtes un garçon exceptionnel, cher Peter, ce n’est pas étonnant qu’un homme aussi puissant que Tony Stark ait jeté son dévolu sur vous. Vous dégagez une aura, une haute intelligence et une soif d’apprentissage. Vous donnez envie que l’on vous vienne sincèrement en aide, que l’on vous épanouisse, parce que vous êtes un jeune homme déterminé et ambitieux. Un jeune homme qui est prêt à se battre pour réaliser ses rêves, et ce, à n’importe quel prix. » dit-il avec la force de ses convictions profondes. Nolan appuie élégamment son flanc contre le coin du minibar, avant de croiser l’une de ses jambes au-dessus de l’autre, légèrement en avant, tout en gardant les mains dans ses poches.  « Vous voyez, monsieur Parker, ce que vous me dites me prouve que vous êtes quelqu’un de passionné. Vous avez un objectif et vous vous sacrifiez pour le caresser du bout des doigts. » Pas un seul moment, Nolan ne rompt le contact visuel entre eux. Ses deux orbes bleu océan scrutent chaque détail des pupilles marrons de Peter Parker. « Vous vous sacrifiez pour les autres, c’est une qualité humaine d’une très grande force, elle démontre un certain courage. Vous pouvez être fier de vous, Peter Parker, vous êtes quelqu’un d’exceptionnel. » Nolan pense chacun de ses mots. Il n’y a pas d’hypocrisie, pas de moquerie, pas non plus de tentative de travestir la vérité en mensonge. L’affection qu’il éprouve et se met à développer pour le jeune Parker est d’une rare sincérité. Cette affection ne fait que grandir au fil des secondes, au rythme des confessions personnelles entre les deux hommes. Comme il s’en est douté, l’étudiant vient d’un milieu social similaire au sien. Une grimace se dessine sur son visage en repensant à ses origines. Les plis aux coins de sa bouche et ses rides s’accentuent pendant quelques secondes sous l’effort. « New York… » marmonne-t-il, plus pour lui-même qu’à l’intention de Peter. Une pointe de nostalgie dans le son de sa voix. Qui ne connaît pas cette ville extravagante, un véritable bouillon de culture ? Bien qu’originaire du Midwest des États-Unis, Sorrento a eu le plaisir de voyager dans un certain nombre de villes américaines, dont New York. « Hm. Je vois tout à fait. Vous vous êtes trouvé toute votre enfance aux portes de l’Upper East Side, venant du Queens, ou même de Brooklyn. Des quartiers moins argentés, qui ont des choses à se prouver. » Soupirant longuement, Nolan se détache du minibar lascivement, puis vient récupérer son verre de whisky entre ses doigts épais. « Je suis enchanté d’apprendre que votre stage se déroule comme vous le souhaitez. N’hésitez pas à me déranger, en cas de difficulté. Je peux toujours passer quelques coups de fil. » Un clin d’œil ponctue ses promesses enjôleuses. Nolan fronce les sourcils une fraction de seconde en découvrant une certaine rougeur poindre sur les joues du jeune homme. Il est apparemment embarrassé par les interrogations personnelles du doyen Sorrento. Pendant un instant, il se demande si ce léger pique de couleur est dû à l’alcool ou à la tournure plus intime de leur conversation. Nolan opte pour le second choix. Lui-même, avec vingt ans de moins, aurait sans doute été plutôt gêné de discuter de sa vie personnelle avec l’un de ses vénérables professeurs à l’université. « Oh, ne me dites pas que mes questions sont un peu trop intrusives ? » s’exclame-t-il en souriant étrangement, une lueur de malice scintillant même dans ses yeux. Nolan est fortement amusé par la pudeur du jeune homme. S’en est presque rafraîchissant. « Oh… Je vois. » souffle-t-il sur un ton perplexe. « C’est un étudiant, un ami à vous, je suppose. Un proche ami. » Nolan suppose très bien, il est relativement perspicace et doué pour lire comme dans un livre ouvert dans l’esprit de ses interlocuteurs. Fin psychologue, mettant malheureusement à profit ses talents pour mieux les manipuler. « Il ». Peter Parker a donc quelqu’un en vue, un jeune homme de surcroît, c’est une information intéressante pour Nolan, qui espère faire du jeune homme la meilleure version de lui-même. « Mmh… Vous voulez mon avis ? » Une question purement rhétorique, puisque Sorrento compte lui imposer son avis de toute manière. « Prenez les devants. » Franchement et sans filtre. Sorrento s’exprime avec une facilité déconcertante sur les choses sentimentales et intimes. « N’attendez pas qu’il vienne à vous. Vous le voulez ? Obtenez-le. Trouvez ce qu’il désire le plus, son point faible, et exploitez-le. Il ne pourra que vous suivre après coup. » Nolan a l’habitude de prendre les devants dans sa vie sentimentale. Il faut dire qu’il dispose d’une sacrée réputation de coureur et d’homme à femmes à l’université, il s’est pourtant évertué de rester confidentiel sur ses romances. Les oreilles des étudiants sont très affutées. « L’amour et la guerre sont deux choses très similaires, cher Peter. Ce sont deux arts qui s’emboitent merveilleusement bien, ne prenez jamais une relation pour acquise, malgré tout ce que l’autre personne vous dira. » La proximité entre eux est si grande que Nolan se permet des familiarités avec son étudiant, et réciproquement, ce dernier s’exprime sans retenue sur ses déboires amoureux. Nolan s’étrangle dans un léger rire, lorsque son étudiant suggère qu’il ne souffre pas de difficultés dans le cadre de sa vie privée. « Ne pensez pas que parce que je suis plus expérimenté, les choses sont moins délicates. » maugréa-t-il gravement en reprenant une gorgée de son whisky. Nolan entretient une liaison tortueuse avec la sulfureuse Qi’ra Duskstar depuis la fin du mois de janvier. Parker est-il au courant de son union récente ? Quelques jours à peine après la Saint Valentin, sa liaison a pris un tournant magistral sous la forme d’un échange de vœux et d’alliances en or véritable. Toute l’université est au courant, mais ce que ses étudiants ignorent, c’est que les deux jeunes mariés n’ont jamais souhaité convoler l’un avec l’autre. Ce ne devait être qu’une liaison purement sexuelle, un divertissement sauvage, sans engagement quelconque, sans affection. « Avec ma… compagne, nous nous sommes mariés pour la Saint Valentin. » Nolan grimace en prononçant le nom de la Saint Valentin. Ce qu’il peut détester cette fête idiote et commerciale. Nolan n’est pas quelqu’un de romantique. Compagne, compagne… Ce n’est pas une compagne, Qi’ra est plus une conquête sexuelle, mais Sorrento préfère garder un voile de mystère sur la nature de sa relation avec sa jeune et ravissante épouse. Il éprouve le besoin de créer une histoire derrière son mariage, afin de justifier cette union aussi insolite que précipitée. Quelle honte que d’avouer à l’un de ses étudiants qu’il vient d’épouser, sous l’emprise d’une substance quelconque, l’un de ses plans sexuels ? « Notre relation est compliquée. Qi’ra a une personnalité très forte, sauvage et féline. Elle est indépendante. Je n’ai pas l’habitude de cette catégorie de femme. » Clairement, non. Sorrento est toujours sorti avec des femmes superficielles, dociles et en adoration pour sa personne ; facilement manipulables et facilement jetables. Tout le contraire de Qi’ra Duskstar, mais sans doute est-ce la raison pour laquelle elle est si spéciale à ses yeux. « On peut dire qu’elle aime me tenir tête. » avoue-t-il, non sans difficulté, c’est même une prouesse pour un homme qui prône le culte du secret sur sa vie personnelle. « Ce n’est pas amusant tous les jours. » Un rictus s’installe sur ses lèvres. Qi’ra lui résiste, et bien que cela le rend complètement cinglé, cela lui plaît tout autant. Elle l’excite de toutes les manières imaginables. Nolan se sent étrangement à l’aise avec l’idée de confier des détails croustillants de sa vie intime avec le jeune étudiant. « Nous nous accordons plutôt bien sur un certain nombre de choses… » Plus qu’il ne le croyait en la rencontrant, plus que n’importe quelle autre femme. « Je n’avais jamais rencontré une femme aussi exceptionnelle comme elle. » C’est un aveu qu’il ne compte pas (BIEN SUR QUE SI) formuler devant la principale intéressée. « Ne lui dites surtout pas, si vous êtes un jour amené à la rencontrer, c’est un secret entre nous deux. » s’empresse-t-il de dire, apparemment nerveux avec la dualité de ses propres sentiments. Ses mots sonnent étrangement comme une menace, bien qu'ils soient prononcés avec calme et panache. Nolan Sorrento est un homme particulièrement pudique sur ses émotions, ce qui est encore une fois un point commun évident avec le jeune Parker. Le doyen se montre réservé sur ses véritables émotions, et non pas celles préfabriquées ou calculées de sa part. Nolan craint la faiblesse comme la peste, les sentiments humains sont, à ses yeux, des armes dévastatrices.

Nolan fronce les sourcils en semblant lire quelque chose dans le regard du jeune Parker qui le dépasse. Il semble vouloir s’étendre sur un sujet précisément mais s’en abstient mystérieusement. Le doyen Sorrento baisse lentement les yeux vers son propre verre, hésitant deux secondes, avant de planter ses deux orbes dans les siens en espérant l’ouvrir aux confidences en jouant avec l’intensité de son regard. « Vous disiez, cher Peter ? » renchérit Nolan en agitant doucement ses mains vers lui, pour l’encourager à cracher le morceau. Nolan se fait doucereux et rassurant. Il tient à prendre Peter sous son aile et lui apprendre la vie, telle qu’il la conçoit à sa manière. Il le sonde sans l’ombre d’une difficulté et c’est un vrai plaisir, sans toutefois représenter de réel challenge pour lui. Il n’y en a pas besoin, Nolan ne projette pas de détruire le jeune homme comme tant d’autres avant lui. Son affection naissante est certes malsaine, mais elle est sincère. D’une certaine manière, elle est aussi nombriliste, vu le nombre de similitudes qu’ils se découvrent mutuellement. Nolan opère alors un parallèle entre lui et Peter assez dérangeant. Peter pourrait être son héritier, un jour, s’il s’en montre suffisamment digne. Héritier de son empire. Lorsque Peter évoque certains de ses talents, dont une capacité manifeste à préparer des cocktails, cela l’amuse doucement. Il raffole de la candeur du jeune homme. C’est rafraîchissant pour un homme aussi puissant et critiqué que lui. Pour une fois, il sent qu’il est apprécié à sa juste valeur, admiré par quelqu’un de plus jeune au point d’être pris comme modèle. En plus d’être flatteur, c’est un fantasme qui se réalise enfin sous ses yeux.

« Oh, très bien. Faisons ça. Je me languis, vraiment… de découvrir tous vos talents. » dit-il en resservant un second verre au jeune Parker, et un troisième pour lui, avant de trinquer élégamment avec un rictus sur le visage. « J’aime le whisky. Surprenez-moi au club. » le défie-t-il en ponctuant ses mots d’un clin d’œil enjoué. Nolan agite sa tête quelques secondes, puis se fond en un rire d’amusement devant ses propres sous-entendus. Sorrento est certes machiavélique, mais il pense toujours agir pour le mieux de ses intérêts et de ceux qui lui sont chers. Peter lui fait prendre conscience d’une autre face de sa personnalité, plus intime et plus nostalgique d’une jeunesse perdue. C’était perturbant au début, un peu déplaisant, mais il en est maintenant fasciné. Pour une fois, nulle stratégie en tête. Simplement une discussion intragénérationnelle, des confidences sincères avec la promesse d’être glorifié par quelqu’un qu’il considère assez vite comme une extension de sa propre personne. Un lui avec plus de vingt ans de mois. Un lui qui accomplira sûrement des choses encore plus grandioses. Un sentiment d’appartenance s’insuffle en lui, ce qui est déraisonnable, mais Nolan éprouve tellement de satisfaction de rencontrer quelqu’un capable d’être son égal d’ici quelques années.

Quand Peter appuie ses propos sur son envie de prendre un nouveau départ, Nolan retient un commentaire en préférant s’étrangler avec son verre dans un grognement. Il se contente d’un simple hochement de tête en allongeant son sourire. Nolan aime être approuvé. C’est très prétentieux, mais c’est pour ses défauts qu’il reste dans la mémoire des gens qui le rencontrent. « Peter… » soupire-t-il en marquant une pause. Une expression grave prend place sur son visage. Cette proximité entre eux est presque surnaturelle pour lui. Cela fait des années qu’il ne s’est pas retrouvé dans un rapport humain aussi désintéressé. Nolan est un solitaire. Ses contacts ont toujours été conduits par des envies de possession, de pouvoir et d’argent. Des rapports intéressés, rien d’autre. Pas d’affection, pas de pitié, pas de compassion, pas de générosité. C’est un homme ayant passé sa vie à évoluer dans des cercles d’affairistes, écrasant son entourage et considérant les gens comme des pions destinés à servir ses propres intérêts, notamment son besoin infantile de domination. « Bien sûr que vous l’êtes. Buvez un peu et vous comprendrez. C’est l’alcool des gagnants. » soupire-t-il en prenant une gorgée de son verre, conforté dans son intuition que Peter Parker est comme une immense toile vierge. « Ne soyez pas gêné. Jamais avec moi. » précise-t-il. Quelle plus belle marque de confiance mutuelle que de confier des détails de sa vie privée ? Peter est certes beaucoup plus jeune que lui, mais c’est encore un enfant. Nolan sent que son étudiant a désespérément besoin d’une figure paternelle, d’un mentor, sur lequel appuyer ses craintes et ses aspirations. Il estime avoir clairement les épaules pour ce genre de travail.

Un moment de silence de Sorrento accompagne les stratagèmes de l’étudiant afin de capturer le cœur de l’homme qu’il aime. Il est autant dépassé par cette situation que par le plan de Peter Parker. Dans la vie intime de Nolan, on ne s’embarrasse pas d’autant de choses. On prend et on demande après. Sauf que… Peter est encore jeune et candide. L’innocence incarnée. Nolan prend conscience de son degré extrême d’innocence. Il souhaite le conseiller, mais il ignore comment le faire sans heurter sa sensibilité. Mais… Quel plan foireux ? C’est un putain de plan foireux. Nolan pense avec force de lui confesser que c’est même la pire idée qui puisse exister. Qui drague d’une manière aussi détournée ? Comment… Ce n’est sûrement pas de cette manière qu’il va coucher avec lui. Nolan tique un instant et cligne des yeux au moins cinq fois. Il manque même de se pincer le bras pour vérifier qu’il n’est pas en plein rêve. Ce plan… En fait, il n’en revient toujours pas d’avoir une discussion aussi intime et absurde avec son étudiant. Une discussion tellement sereine et naïve. S’en est presque risible. Nolan garde une expression impassible, faisant même mine de réellement réfléchir à la question. Ce plan est… « Tiens, c’est un plan intéressant. » Enfin, non. Pas vraiment. Non, non, non. Pas du tout même. Quelle idée ? Il n’y a pas pire comme plan foireux, se retient-il de préciser de justesse. Il n’en revient même pas que ces mots soient sortis de sa bouche. Un plan intéressant, non mais c’est une blague ? Nolan se frappe mentalement le front. Ce n’est pas du tout un plan intéressant. C’est un plan grotesque, quelque chose que l’on fait quand on est au secondaire et non pas à l’âge de Peter. C’est exactement ce qui met la puce à l’oreille du doyen sur l’expérience sentimentale du jeune homme. Nolan est atterré par l’innocence du garçon, et se pose de sérieuses questions quant à sa sexualité. Ce n’est ni le lieu ni le moment, mais il ne peut s’en empêcher. Ce n'est pas de cette manière que Peter Parker perdra sa virginité, si ce n’est pas déjà fait. « Si vous voulez mon avis… » Nolan murmure sans comprendre ce qui se passe entre eux. Il décide de marquer une pause, afin d’assimiler correctement ce que Peter vient d’exposer avec panache. Nolan ignore comment révéler ses pensées sans paraître complètement obsédé devant l’un de ses étudiants. Ces confidences sont criantes de sincérité et d’innocence. Deux qualités qui le dépassent, mais qui chez Peter, évoquent en lui un besoin d’être clairement conseillé par un homme d’expérience comme lui.  Cette candeur désarme le doyen, le touche profondément, tout en l’atterrant. Un mélange complexe. Nolan déglutit en prenant une nouvelle gorgée de son whisky, en espérant noyer ses pensées dans l’alcool. Quoi conseiller exactement ? De le choper dans un coin, de l’embrasser et de le retourner avant de lui demander son avis ? Comme lui en fait. Mauvaise idée. En plus de passer pour un obsédé, il passera à ses yeux pour un agresseur sexuel. « Pourquoi passer par des moyens détournés ? Invitez-le carrément à cette soirée. » s’exclame-t-il, une fois avoir repris ses esprits. « C’est une mauvaise idée parce qu’il peut penser que vous essayez de le ranger avec quelqu’un d’autre tout en ne vous apportant pas la certitude qu’il comprendra que quelque chose doit se passer entre vous… Soyez clair dans votre jeu. Ne vous cachez pas. En amour, il faut jouer franc-jeu. » affirme le doyen. Quelle ironie, lui qui fonctionne comme un bulldozer pour aligner les conquêtes superficielles, mais se ferme comme une huître lorsque les sentiments amoureux émergent chez lui. Ce sont des conseils qu’il devrait sans doute s’appliquer également à lui-même. « Si vous êtes plein d’assurance, on ne pourra que vous dire oui. » Certes… Dans son monde à lui, les choses se passent ainsi. Dans son monde de riches et de puissants, lorsqu’on se montre en salopard arriviste, jetant des billets de 500 dollars sur les femmes et fumant le gros cigare, tout devient alors accessible. Tout est permis. Dans son monde, plus on est arrogant, plus on se montre avec de l’assurance, et plus on fait danser les filles sur des barres en acier. Nolan Sorrento est puant d’orgueil, persuadé intimement que la clé de la réussite est une bonne rhétorique persuasive. Dans la vraie vie, quand on est pauvre, les choses ne se passent pas exactement de cette manière-là. Nolan est quelque peu en-dehors des réalités. « Vous êtes beau garçon et intelligent, cette question ne se même pose pas. Vous ne devriez pas craindre qu’il vous rejette. C’est même impensable ! Et si c’est le cas, vous n’aurez pas perdu énormément au change. Prenez plus confiance en vos capacités de séduction. » Nolan part d’une très bonne intention, mais l’exprime certainement assez maladroitement. Cette timidité apparente, cette hésitation à séduire la cible de ses affections… Toutes ces choses sont touchantes, même pour un homme aussi impitoyable que Nolan. Elles le touchent parce qu’elles viennent de Peter. Dans d’autres circonstances, il s’en serait moqué sans ménagement. Il constate que le jeune Parker a grandement besoin d’un modèle, d’une ligne de conduite afin de s’épanouir dans la vie réelle. Nolan espère prendre cette place pour lui. Une place qu’il aurait bien voulu que quelqu’un prenne, pour lui-même à l’âge de Peter Parker. Cela lui aurait évité bien des déconvenues et des erreurs tragiques. « Vous savez, tout est une question d’apparence. Même si vous n’y croyez pas, essayez de vous convaincre que vous êtes irrésistible. Vous dégagerez cette irrésistibilité pour les autres. On est plus facilement séduit par quelqu’un qui sait ce qu’il veut. » murmure-t-il en pensant fortement à ses propre stratégies de séduction, lesquelles fonctionnent souvent de la manière qu’il vient de décrire. Tout n’est qu’une question d’apparence.

« Ça ne sortira pas d'ici, je vous le jure. » En réponse, ses lèvres se courbent en leur commissure en un fin sourire narquois. Nolan n’en doute pas un seul instant. Peter Parker lui semble d’une grande loyauté, au point d’en être fortement préjudiciable. « Je vous fais confiance, Peter. » dit-il sur un ton sincèrement paternaliste, avant de prendre l’une des épaules de son étudiant dans sa poigne pour la secouer légèrement, dans un geste qui se veut affectueux. La confiance est une notion compliquée pour Nolan Sorrento. Il a pour habitude de ne pas la confier au premier venu, parce qu’il est lui-même un redoutable manipulateur. Ce garçon lui semble différent, comme une immense page blanche encore vierge sur laquelle travailler et apposer sa marque. L’ancien homme d’affaires compte éduquer Peter et le modeler à son image, comme l’enfant qu’il n’a jamais eu ou qu’il n’a surtout jamais voulu avoir. « Nous sommes promis à faire de grandes choses ensemble. » précise-t-il d’une voix doucereuse. Nolan aime les personnes passionnées et loyales, tout comme son jeune étudiant. Ces personnes sont manipulables, mais elles surtout dignes d’une confiance absolue et totale. Jamais Nolan n’éprouvera le moindre doute sur les intentions de son futur apprenti, quoiqu’il fasse ou quoiqu’il dise. Cette sincérité transparaissant dans ses mots, ces rougeurs qui apparaissent au niveau de ses joues sont les indicateurs d’une certaine transparence. Nolan vagabonde quelques instants sur la potentialité d’une trahison, un jour prochain, avant de l’écarter rapidement de son esprit avec désinvolture. Peter est encore un être pur, nullement perverti par les choses de la vie comme les plaisirs, le pouvoir ou l’argent. Il est exactement comme lui à son jeune âge, avant que les épreuves et ses premières acquisitions ne le transforment en un véritable financier sans scrupules, capable de tirer les yeux fermés en plein cœur d’une âme innocente pour un simple jeu vidéo. Un simple jeu vidéo. Nolan grimace en repensant à ses désastreuses expériences dans son monde. Ce n’était pas qu’un simple jeu vidéo, c’était une quête pour le pouvoir. C’était contrôler le futur, pense-t-il fébrilement en jouant avec son verre de whisky quelques instants.

Lorsque Peter Parker l’interroge sur les circonstances de sa rencontre avec Qi’ra Duskstar, son souffle se coupe brutalement. Il lui semble même que son palpitant rate un ou deux battements. C’est étrange, mais son rythme cardiaque s’accélère dangereusement, et c’est quelque chose qu’il n’apprécie pas. Parce que cela le rend vulnérable. « Comment vous vous êtes connu ? Vous avez usé de cette stratégie pour la conquérir ? » répète-t-il dans sa tête comme une ritournelle, en semblant peser le pour et le contre avant de lui apporter une réponse digne de Nolan Sorrento. « Je l’ai vue, elle m’a séduit, et je l’ai eue. » Point final. Nolan s’exprime avec un panache déconcertant. C’est un homme qui aime donner l’impression d’avoir ce qu’il veut sans efforts. Il confesse-là un puissant désir d’obtenir ce qu’il veut, et à n’importe quel prix. « C’était fin janvier, une soirée somptueuse à l’université. En tant que doyen, j’avais invité un certain nombre d’investisseurs. Qi’ra était la plus belle de toutes les femmes présentes à cette soirée. Elle était… habillée dans cette robe magnifique de grand couturier. Je l’ai remarqué immédiatement. Elle était vraiment somptueuse, mais terriblement arrogante. Elle avait de quoi l’être. Une femme comme elle, cher Peter, on n’en croise qu’une seule fois dans sa vie. C’est son intelligence qui m’a séduit ensuite, passé le cap des premières coupes de champagne. Elle n’était pas comme toutes les autres. » raconte-t-il avec une facilité déconcertante, sans sourciller et sans honte. Nolan dégage une assurance qui désarçonne, d’autant plus qu’elle est en grande partie trafiquée. Il y a beaucoup de zones d’ombres, de non-dits dans son histoire d’amour, et cela le rend intérieurement nerveux. « Elle était supérieure et cruelle. » Nolan semble presque songeur en lui racontant ces détails qui ont pourtant de quoi horrifier n’importe quel courtisan, sauf un courtisan comme Nolan Sorrento. Ses yeux bleus brillent d’une lueur d’admiration en repensant à l’apparente supériorité de sa femme actuelle. Ils luisent d’un éclat presque malicieux, infiniment tendre et doux. Nolan est comme en transe en dévoilant une facette cachée de sa personnalité au jeune homme, celle d’un homme sincèrement amoureux qui n’en a pas encore réellement conscience. Il ne faut qu’un amour sincère et pur pour aimer tous les défauts, surtout les pires, d’une personne. « J’ai su qu’elle deviendrait ma femme à l’instant même où elle s’est présentée à moi. » confesse-t-il, emporté dans sa lancée. « Je la voulais, simplement. » Est-ce vraiment si facile ? Nolan omet de préciser toutes les péripéties ayant suivies leur rencontre et leur première nuit ensemble, dans son bureau à l’université, au cours de cette même soirée. Il omet surtout de mentionner qu’elle s’est refusée à lui par la suite, le snobant comme personne ne l’avait encore jamais snobé, jusqu’à finalement lui céder. Nolan dodeline de la tête pour dissimuler une certaine nervosité. Les choses ont été bien plus compliquées, mais Sorrento tient à conserver un voile de mystère, et surtout de fantasme auprès de son jeune étudiant. Il aime l’idée que Qi’ra lui est tombée toute crue dans la bouche sans fournir le moindre effort. Comme si c’était écrit dans les astres et dans les cartes. Comme si elle l’avait voulu de son plein gré tellement fort, qu’elle ne pouvait résister à l’irrésistibilité de son charme.

Nolan Sorrento qui dispense des conseils d’amour à l’un de ses étudiants – le meilleur de ses étudiants, qui plus est – quelle blague. C’est pourtant ce qu’il est en train de faire depuis une bonne quinzaine de minutes et se surprend à adorer ce nouveau rôle. Celui de mentor, de professeur, de doyen, de maître d’école. Le jeune Peter Parker semble avoir besoin d’une figure paternelle dans sa vie. Nolan est prêt à remplir cette noble cause avec toute la sournoiserie dont il est capable. Un homme d’affaires puissant qui ne lésine pas sur les moyens pour arracher aux autres ce qu’il désire si ardemment. « Jouer franc-jeu » répète le jeune homme – ce qui n’échappe pas à la curiosité de Sorrento. Il comprend assez vite que cette répétition ne lui est pas adressée, et surtout que ses propres propos ont attisé sa curiosité. Sorrento se frotte intérieurement les mains. Lorsque le jeune Parker émet la possibilité d’inviter le garçon de ses rêves, le doyen se met à rire doucement. « C’est une excellente idée ! » s’enthousiasme-t-il, en appréciant que ses conseils soient finalement suivis à la lettre – c’est un gage de confiance pour Parker mais de narcissisme pour Sorrento. Il aime avoir l’impression d’être un guide spirituel, un exemple à suivre pour ses étudiants. Son égo est tel qu’il en est incompris. « Vous prenez des initiatives, c’est exactement de cette manière que vous aurez ce que vous voulez. » renchérit-il en hochant la tête pour approuver ses explications. Il sait de quoi il parle mieux que personne. Sans son esprit d’initiative ou ses ambitions, Nolan n’aurait jamais gravi les échelons. « Je peux vous apprendre énormément. » C’est ce qu’il espère pouvoir faire avec le jeune Parker. Les deux hommes sont destinés à accomplir de grandes choses ensemble. L’un comme l’autre étant lié par cette même soif d’ambition, ce besoin quasi viscéral d’apporter quelque chose au monde et de marquer l’Histoire avec un grand H. Plusieurs générations les séparent, mais Nolan et Peter sont en quelque sorte complémentaires. L’un incarne le début que symbolise la jeunesse et l’autre l’expérience que symbolise la maturité (NON PAS LA VIEILLESSE).

Nolan Sorrento dodeline fièrement de la tête, alors que les plis aux coins de ses lèvres s’étirent plus largement, lorsque Parker évoque la possibilité de se trouver de nouveaux vêtements. Une idée germe alors dans l’esprit calculateur du doyen. Quoi de mieux pour s’attacher l’affection d’un être jeune et innocent que de combler tous ses sens matériels ? Nolan dispose de moyens financiers conséquents qui lui permettent de s’acheter n’importe quel costume de haute couture. Sa garde-robe atteste quotidiennement de ses capacités financières. Elle est toujours choisie avec raffinement, différente, Nolan ne portant jamais deux fois le même costume. Quand bien même le fameux costume avoisine les 3 000 ou 4 000 dollars. « Laissez-moi pendre en charge certains… frais qui s’avèreront nécessaires à la poursuite de vos entreprises. » souffle-t-il en faisant tournoyer la liqueur ambrée dans son verre dans le sens des aiguilles d’une montre. Il entrevoit la possibilité de virées shopping avec son étudiant. Pour modeler un jeune esprit aussi brillant que celui de Peter Parker, cela passe nécessairement par le fait de soigner son apparence. Il se sent plein d’assurance, en préparant dans sa tête les prochains arguments pour convaincre le jeune homme de se laisser acheter. Bien entendu, il comprend la gêne éprouvée par ce dernier, mais ce n’est pas un problème d’argent pour le doyen. Pour une fois, il désire investir dans l’apparence et la proximité émotionnelle de Peter Parker, au lieu de penser encore et toujours à lui. « Ne soyez pas embarrassé ! Je peux me le permettre. Je désire vous faire plaisir, en toute honnêteté, pour vous donner un gage de mon appui futur. » Nolan sait ce qui est bon pour Peter. Ce qui le mettra en valeur et lui permettra d’avoir le monde à ses pieds. « Si vous désirez mon avis sur la question… N’attendez pas aussi longtemps. Invitez-le ce soir ou demain. Demain, peut-être. Si vous ne faites rien cette après-midi, je souhaiterais vous présenter à mes meilleurs conseillers en image. » Autrement dit, ses stylistes, personnal shopper, boutiques de luxe de toute l’île. « S’il vous faut des conseils autre que… sur le plan vestimentaire, comme un bon vin ou un traiteur, n’hésitez pas. » précise Nolan en renforçant sa prise sur l’épaule du jeune Parker. Ses doigts s’enroulent autour de ses muscles, dans un geste profondément paternel et protecteur.

Le sujet de conversation évolue assez rapidement vers sa relation personnelle avec Qi’ra. Il est soudainement pris d’une quinte de toux. « Vous êtes sacrément mordu… »  La confiance et l’assurance qu’il a dégagée se met à fondre comme neige au soleil. Peter Parker ne se trompe pas. Nolan est éperdument épris de cette femme incendiaire, autoritaire et capricieuse. Au point que lui-même n’aurait jamais cru possible dans son monde. « Elle a su percer un trou dans la glace. » répond Sorrento avec l’ombre d’un sourire en coin, fier de ses sous-entendus, avant de se délecter de son précieux whisky de vingt ans d’âge. Qi’ra a su capter toute l’attention qu’il n’a jamais été capable de donner à une autre femme. Nolan a toujours été profondément égocentrique. Entre ces deux enfants gâtés, une dynamique de couple est bien vite apparue. « Disons que nous étions si enthousiastes que nous nous sommes mariés dans la discrétion absolue de nos proches. Pour vous répondre, nous n’avons pas fait de grande fête. »Ce qui est plus juste de mentionner, c’est que ni Nolan ni Qi’ra avaient les idées claires le jour de leur mariage – dans un simple casino. Une décision impulsive, intempestive. Une décision qu’ils ont bien vite regrettée avant de réaliser le bonheur d’être à deux. Sorrento repose son verre sur le meuble en marbre légèrement veiné, et relâche son autre main de l’épaule du jeune Parker. Il entreprend de faire quelques pas, tout en restant à bonne distance de son interlocuteur. Peter n’a pas clairement évoqué la possibilité de fonder une famille, mais il sait lire parfaitement entre les lignes. « Je ne veux pas d'enfant. » confesse-t-il gravement, en sentant l’expression de son visage changer radicalement pour arborer une mine sinistre et agacée. Le timbre de sa voix, qui fut si chaleureux quelques minutes auparavant, se mue en un claquement froid. Il y a toutefois une pointe de douleur en arrière-fond. Je ne veux pas d'enfant. Nolan semble si catégorique sur ce point. Qu'est-ce que cela cache réellement ? Il ne se cache pas d'avoir de telles animosités. Nolan n’a jamais voulu de famille. Je ne serais pas un bon père. Il ne pense pas en vouloir une, encore à ce jour. Mes étudiants, mes cours, mes publications, mon train de vie mondain... J'ai déjà des enfants. Durant quelques minutes, son ton enjoué et séducteur se transforme en froideur et sécheresse. Il réalise être allé beaucoup trop loin. Sois plus explicite, Nolan. Il ne mérite pas ta froideur, c'est un gentil garçon. Son attention est de se racheter pour cette soudaine froideur. « Vous et vos camarades, cher Peter, sont ce qui se rapproche le plus -- à mon sens -- d'enfants. » Pour dire poliment qu'il en est hors de question. « Pardonnez moi, Peter. Disons que... Nous n’avons pas encore ce… genre de projets. » renchérit le doyen, plus neutre.

La conversation prend une tournure plus sympathique entre le doyen et son meilleur élève. Nolan y met particulièrement du sien. Il aime donner de sa personne, pour les quelques rares élus qui parviennent à se distinguer de la foule d’incapables ou de moutons braillards. Peter Parker est exceptionnellement similaire au garçon qu’il a été dans ses jeunes années. Peter est comme le reflet de sa propre adolescence. Quelque part, ce qu’il refusera d’admettre, Nolan espère pouvoir grapiller un peu de cette innocence juvénile pour retrouver une seconde vie. Plus simple, plus passionnée. Alors, il lui dispense ses meilleurs conseils sentimentaux, et l’invite à des journées pour refaire sa garde-robe, afin de le transformer peu à peu en sa copie conforme. Peter viendra. Nolan obtient toujours ce qu’il désire. Et là, maintenant, c’est l’amitié et l’admiration du jeune homme qu’il recherche avec cupidité. « Il n’est pas question de me rendre chacun de mes actes, cher Peter. » répond le doyen presque spontanément, lorsque le jeune Peter craint de ne pouvoir lui rendre la pareille. « Je le fais pour vous. » affirme-t-il en baissant la tête pour lui tendre un nouveau verre à moitié plein. Nolan l’invite à consommer pour mieux s’habituer au goût particulièrement piquant de son alcool. Cela l’amuse fortement de lire toute l’innocence du jeune homme, ce dernier se sent presque obligé de lui rendre la pareille. Il ne formulera jamais une telle demande, principalement parce qu’il n’est pas question d’échange financier entre eux. Nolan utilise son argent pour s’acheter l’affection ou l’admiration de son entourage. Par réflexe. C’est un homme profondément matérialiste. Nolan ignore simplement comment… les acheter autrement, comme avec ses émotions. « Je vous emmène dans les meilleures boutiques de la ville et vous pourrez séduire n’importe qui. Croyez-moi. » Par expérience, Sorrento sait comment transformer n’importe quel rendez-vous en un véritable feu d’artifices. « Il ne vous résistera plus. » Personne ne le pourra, avec cette nouvelle version de Peter qu’il échafaude secrètement dans un coin de sa tête. Une version plus séduisante, irrésistible. « Vous avez un réel potentiel. Je me permets de vous le dire. » Loin d’être en temps normal séduit par la gent masculine, Nolan Sorrento doit admettre que le jeune homme dégage quelque chose… de magnétique. Inconsciemment, bien entendu, et c’est en cela, qu’il attise tant la curiosité et l’envie de partage du doyen de l’université. « Je me permets aussi de ne pas vous recommander… la pizzeria. » Quel sacrilège. Sorrento ne dit rien, mais il en tombe intérieurement des nues – comment séduire dans un endroit pareil ? Miteux, dans la plupart des cas, loin d’être romantique, comme le pense son interlocuteur, et surtout… Certes, les pizzas sont italiennes et Sorrento, du fait de ses origines d’immigré italien, adore cette gastronomie spécifique de son pays. Il y a toutefois bien plus romantique qu’une pizza. « Si vous aimez la cuisine italienne, je peux vous recommander des restaurants haut de gamme… plus appropriés. » Nolan se sent même capable de payer la note salée avec sa propre carte bleue pour faire découvrir à son étudiant les plaisirs de la gastronomie de son pays d’origine.

Sorrento s’est momentanément glacé, en évoquant certaines anecdotes et faits particulièrement gênantes. Non, il n’imagine pas une vie avec des enfants. Nolan déteste plus que tout les enfants, et encore plus les adolescents. Il tolère de temps à autres les jeunes adultes, lorsque ceux-ci se montrent aussi brillant que peut l’être le jeune Peter Parker. Le doyen réalise que le changement de ton, comme d’humeur, a porté un froid entre eux. Ce n’est pas ce qu’il a souhaité, voilà pourquoi, il se ressaisit presque immédiatement en forçant un sourire charmeur. Nolan aime séduire en toutes circonstances – ses partenaires en affaires, les femmes, ses étudiants, les personnes capables de servir ses intérêts d’une manière ou d’une autre, mais aussi ses ennemis, afin de mieux endormir leur méfiance. Ce qu’il offre au jeune Peter Parker, c’est une facette plus intimiste. Plus réelle, moins superficielle. Moins Sorrentoesque. (j’ai inventé un mot avec grotesque et sorrento) Il ne désire pas jouer complètement un rôle avec son étudiant, qui est clairement en passe de devenir le prochain chouchou du doyen de l’université. Il désire se montrer complètement transparent et honnête avec lui – et pourquoi pas, en faire un ami. Peter Parker est comme un diamant d’innocence qu’il doit tailler de ses propres mains pour le faire resplendir. « Ne vous inquiétez pas. Vous n’avez rien dit ou fait de mal. » souffle Sorrento d’une voix rauque, en venant poser délicatement la paume de sa main dans le creux de l’une des épaules de son étudiant. Nolan désire opérer un rapprochement amical entre eux, presque paternaliste. Il insiste alors, en frottant vigoureusement sa main contre le tissu de la veste du jeune homme. « Le Boss Men Club. » confirme Nolan avec fierté, sans jamais relâcher sa prise des épaules finement musclées de son étudiant. « C’est bien ça, Peter. » Un sourire amusé se dessine dans l’ombre du coin de sa bouche. Sorrento bombe alors le torse, presque furtivement. Ce club est toute sa vie, en-dehors de la faculté. « Vous me comblerez de joie, par votre visite. Venez n’importe quel soir de la semaine ou du week-end. Je vous présenterai aux membres du groupe. Mais… envoyez-moi un message avant, pour que je puisse prendre mes dispositions. D’ailleurs, vous me faites penser que… » Il semble chercher quelque chose dans la poche intérieure de sa veste de costume, durant quelques secondes seulement, avant de récupérer son smartphone avec un éclat victorieux dans le regard. « Je ne vous ai pas donné mon numéro de téléphone. Appelez-moi au besoin. N’hésitez pas. Mais, Peter… cela restera entre nous. Vous risqueriez d’être malheureusement brimé par vos camarades de classe. » chuchote-t-il sur un ton plaintif, en échangeant son numéro, tout en brisant les derniers centimètres qui séparent leurs corps, en voulant noter les chiffres de son numéro sur le téléphone de son interlocuteur. Sorrento instaure assez facilement un culte du secret entre eux. Ils partageront leurs numéros de téléphone respectifs. Personne d’autre ne saura. Personne ne saura donc que Peter Parker est le chouchou du doyen. « Dites-moi. » s’étonne Sorrento, en réalisant un changement dans l’air. Une certaine pesanteur, quelques moments d’absence pour l’un comme pour l’autre, une atmosphère plus gênante et intimiste qui les emportent tous les deux dans une bulle de protection, à l’abri des interférences extérieures. « Vous m’avez l’air anxieux… Comment vous sentez-vous ? » Une lueur d’inquiétude traverse le bleu océan profond, et intense des pupilles de Nolan Sorrento. Le doyen est pris d’un geste d’affection pour son interlocuteur, en réaffirmant sa prise au niveau de son épaule pour mieux le rassurer. Le doyen le secoue gentiment, tout en glissant ses doigts vers sa nuque. Nolan baisse instinctivement les yeux vers le verre de Peter Parker, alors qu’il se trouve à deux doigts d’imputer la faute à sa consommation d’alcool.

Nolan Sorrento est un marchand de sable, il est celui qui offre des fantasmes et du rêve aux plus méritants. Avec ses belles paroles, Sorrento donne envie de croire en lui, de rejoindre ses rangs, de le considérer comme un collaborateur, voire un ami. Nolan Sorrento ne dévoile pas cette facette-là au premier venu. Les confessions intimes qu’il a livré au jeune Parker sont particulières, tous les autres étudiants ne bénéficient pas de ce même traitement de faveur. Peter Parker se montre excessivement respectueux, et de ce fait, de ses offrandes. Le doyen apprécie cet excès de zèle, cela lui rappelle son propre comportement, à l’âge du jeune Peter. « Bien sûr. » répond-il sans réfléchir plus d’une minute à la question de son étudiant. Peter doute de la sincérité de ses compliments, à tort. « Je le pense, Peter. Je ne vous mens pas. Je pense tout ce que je vous ai dit, sans quoi, jamais je ne vous aurais confié ces détails très… personnels sur ma vie passée et actuelle. Si je l’ai fait, c’est que j’éprouve déjà beaucoup d’estime pour le jeune homme plein d’avenir que vous êtes. » confesse-t-il, un peu troublé par la facilité déconcertante avec laquelle il s’est livré, sans retenue et sans filet de sécurité. Il se sent à l’aise avec Peter Parker. Trop à l’aise. Sorrento pense chacun des mots qu’il vient de prononcer, sans la moindre duplicité ou duperie. Pour une fois. Autant en profiter, autant savourer le moment, autant se rendre compte que ce qui commence à lier le doyen à son étudiant dépasse toutes les frontières d’une relation saine et respectable entre un élève et son mentor. Nolan sourit doucement, un peu amusé par son constat. Ce n’est pas désagréable d’être proche de Peter Parker. Proche… Plus proche émotionnellement qu’il ne l’a été de quelqu’un depuis bien longtemps. Proche amicalement. Proche physiquement. Physiquement. Nolan percute brutalement, mais leurs verres se frôlent presque, tout comme leurs coudes. Encore une fois et étrangement, ce n’est pas désagréable. Nolan fait confiance à Peter. Ce qui est même surprenant, c’est la finesse des traits de son visage. Si lisse, au grain de peau parfait. Peter Parker est charismatique pour son âge. Nolan suppose innocemment qu’une beauté presque angélique telle que la sienne doit certainement faire des ravages sur le campus de l’université. Certains trouveront leurs manières dérangeantes, mais il ne cherche pas à changer quoi que ce soit. Nolan ne fait rien pour rompre cette proximité. Il ne recule pas, il ne retourne pas se resservir. Au lieu de cela, Nolan reste planté devant lui comme un soldat, ses deux orbes accrochés à ceux de son étudiant comme une bouée de sauvetage. Plus le temps passe, plus il apprend à découvrir Peter, plus ce qui se joue en lui est proche de l’affection sincère et apparemment réciproque. Peter Parker apprécie sa présence. Peter rit avec lui et se permet des confidences sur sa vie personnelle. Nolan déguste son whisky avec parcimonie, en trempant doucement ses lèvres dans la liqueur ambrée, pour conserver un minimum l’esprit clair. Perdre le contrôle n’est pas quelque chose qui lui ressemble. Qui sait dans quoi il peut s’embarquer avec son étudiant, une fois ses barrières mentales explosées. (moi je sais)

Peter Parker reprend, offusqué ou surpris de son opinion sur le choix d’une pizzeria comme premier rendez-vous amoureux. L’étudiant se permet alors une bien étrange question. Est-ce qu’il aime la pizza… C’est une bonne question. Nolan l’élude quelques secondes, en réfléchissant à l’intérêt de partir sur la gastronomie italienne, lorsqu’un voile de surprise traverse ses orbes glacés. Nolan se tend furieusement, au moment même où son étudiant s’octroie l’audace de lui taper le dos, dans un geste d’amitié et de confiance. Quelques spasmes saisissent soudainement le bas de son dos, jusqu’à longer le haut de sa colonne vertébrale, sans qu’il ne puisse ni les retenir ni les justifier de façon parfaitement rationnelle. Nolan retient sa respiration un peu trop spontanément, avant de relâcher la pression accumulée ces dernières secondes par un soupir las. Il est comme pris au dépourvu. Nolan ne s’est clairement pas attendu à être touché par surprise, par un étudiant à l’apparence si timide, bégayant par moments, aux joues écarlates. « Ne vous excusez pas, vous n’avez rien fait de mal. Nous devenons comme des amis. Nous ne réfléchissons plus vraiment à nos actes, ce qui est normal, entre amis. » l’avertit Sorrento avec une esquisse de rictus au coin de la bouche. Un fin sourire impressionné et comblé se dessine sur son visage, subitement éclairé par une lueur nouvelle. Du défi. Peter Parker n’a rien de plus que ce que lui-même a fait un peu plus tôt. Sorrento ne lui en veut pas, non, il est simplement surpris par son audace. Remarquablement et agréablement surpris. Nolan s’est senti en position de force. Voilà pourquoi il vit cette tape amicale comme une intrusion dans sa sphère intime, sans toutefois s’en plaindre. « Ce n’est pas que je… n'aime pas. Je pense qu’il y a un temps pour chaque chose. Lorsque vous désirez séduire un homme, cher Peter, sachez que ce n’est certainement pas dans une pizzeria que vous y parviendrez. » renchérit-il, lui-même n’ayant finalement aucune expérience en matière de séduction de la gent masculine. Nolan a toujours côtoyé des femmes. Il suppose que les hommes aiment tout autant les bonnes choses pour un dîner galant. Perplexe quant à ses préjugés, il cherche à détourner la conversation sur le thème de la séduction, avec une idée bien précise en tête. « Vous ne savez peut-être pas. Je peux vous aider. Vous conseiller, tout du moins. » L’aider, bien sûr. C’est ce qu’il désire. Nolan veut se rendre indispensable aux yeux du jeune Parker. Quelle meilleure idée que de lui donner des cours particuliers dans l’art de séduire et de faire plaisir. « Vous aurez tout le temps de manger une pizza dans votre appartement, une fois les choses concrétisées avec l’objet de vos fantasmes. » précise Nolan, sur un ton faussement pédagogue. « J’ai les moyens. Je peux vous emmener. Je peux tout financer. Si cela vous fait plaisir, Peter, cela me fait donc plaisir. » Il joint un clin d’œil à ses propos. Un peu trop paternaliste et pétri d’orgueil, le doyen se sent comme pousser des ailes. Il glisse une main sur celle de l’étudiant pour récupérer son précieux verre de whisky, – leurs doigts s’effleurent, mais l’homme d’affaires fait mine de ne pas être dérangé par ce contact peau contre peau. Presque vide, mais Sorrento a l’œil vif. Il s’empresse de lever le bras en direction du meuble afin de récupérer sa précieuse carafe en cristal, tout en profitant pour se resservir, quoique plus modérément s’agissant de son verre. Garder les idées claires est l’objectif. Quant à Peter… Il doit apprendre sur le tas. (ça va être beau) « Vous deviendrez un grand homme, probablement bien plus grand que moi, Peter. Vous en avez les compétences, il ne vous manque qu’à développer votre confiance en vous. Mais je peux vous aider là aussi. Vous ne me décevrez jamais. Ne doutez pas de vous. Vous êtes bien trop exceptionnel pour vous complaire dans la médiocrité, n’est-ce pas ? » reprend Nolan d’une voix faible, si faible. Comme un murmure. D’ailleurs, c’est ce qu’il fait. Nolan murmure, contre son visage. Son souffle chaud effleure les joues de son étudiant, de temps à autres. Nolan marque une pause, durant laquelle il observe les pupilles chaudes de celui qu’il compte prendre comme disciple. « Mais avant cela… Je me dois de faire quelque chose pour vous. » Quelques secondes de battement s’écoulent, avant que Nolan ne rende le verre plein d’un liquide ambré entre les doigts de son étudiant, sans toutefois lâcher ce dernier des siens. Nolan prend le temps d’imposer son regard bleu océan, électrique. Il use de l’intensité de son regard pour percer l’âme du jeune homme. « Je peux tout vous apprendre, Peter. Vous me… touchez, alors je prends très à cœur votre apprentissage. » Tout en parlant, il relâche doigt après doigt, dans une lente agonie, une fois assuré que la main de Peter tient assez fermement le verre. « Je peux vraiment vous aider. Faites-moi confiance. » souffle-t-il, en adoptant un timbre plus rauque à mesure qu’une bulle d’intimité et de confiance se forme entre eux. Nolan vient ensuite glisser ses doigts sur l’une des épaules de Peter, cette fois, sans l’enlever après l’avoir gentiment secouée dans un geste paternaliste. Il maintient sa prise avec possessivité, pour asseoir sa présence et pour apporter de l’impact à ses propositions. Il ignore si c’est la tendresse qu’il éprouve pour son étudiant ou la proximité de leurs visages, mais son cœur se serre par moments. De légers soubresauts. « A devenir quelqu’un de grand, comme vous en avez toujours rêvé. A parader dans de très beaux costumes et accessoires de luxe. A vous conduire dignement en société. A trouver l’amour, si c’est ce que vous attendez de mon aide. Je peux vous partager mon savoir et mon expérience. » conclut Nolan, avec une certaine condescendance propre à tous les hommes de son envergure, mais toutefois, une évidente bienveillance et une douceur insoupçonnée. Il peut lui offrir sa propre vie, une vie rêvée, en somme. Il peut le former et le rendre encore meilleur. Il doit le faire. Peter Parker est un diamant brut que Nolan Sorrento doit tailler de ses propres mains pour lui apporter l’éclat parfait.