Elizabeth s'était senti revivre lorsqu'elle avait parlé avec tant de passion de politique et de cette ville. Après trois années à se terrer chez elle, elle avait eu l'impression de pouvoir se projeter dans un futur différent. Elle avait eu l'impression de pouvoir faire quelque chose de réellement utile. Son impression était peut-être totalement faussée par les beaux mots qu'utilisait Alexander, mais elle s'en moquait. Elle s'en moquait parce que ce soir, elle avait envie d'y croire. Ce soir, elle avait envie de se laisser convaincre qu'elle avait le droit à autre chose. Ce soir, elle avait envie d'être une autre femme. Le lendemain, au réveil, peut-être prendrait-elle peur de tout ce qu'elle avait dit aujourd'hui, de tout ce qu'elle s'était imaginé, de tout ce qu'elle avait voulu... Mais le lendemain n'était pas encore là. Elle ne voulait alors pas encore y penser. Il arriverait déjà suffisamment vite pour la ramener violemment à la réalité qui était la sienne.

Mais la réalité, Elizabeth l'oubliait, ce soir, en lui promettant qu'elle serait une alliée pour lui et qu'elle resterait à ses côtés. Il était prêt à braver les dangers pour la protéger d'une ennemie dont il ne savait rien. Elle voulait être prête à l'aider dans ses projets. Elle voulait être là, à sa façon. S'il savait ce qu'elle était réellement, sans doute verrait-il davantage en elle une ennemie à ses idées plutôt qu'une alliée. Royaliste et ancienne reine, elle trouvait pourtant du sens à ce qu'il proposait comme gouvernement, même si elle se questionnait sur de nombreux points. Être à la tête d'un royaume l'avait détruite. C'était un fardeau bien lourd à porter, un poids qu'il n'était pas stupide de vouloir partager. Si elle avait apprécié posséder un certain pouvoir, elle n'était plus certaine que ce type de gouvernement soit à préférer dans ce monde.

Aux mots d'Alexander, elle trouvait une certaine maladresse attachante et elle ne pouvait plus s'empêcher de garder ce sourire, discret, aux coins des lèvres. Pour la première fois, depuis une éternité, elle pouvait le dire : elle se sentait bien. Aussi bien qu'il était possible de l'être dans sa situation. Elle se sentait presque en sécurité. La peur ne l'obnubilait pas. Le malaise du début de cette rencontre avait même complètement disparu pour laisser place à un sentiment plus agréable. « Je dois vous confier un secret, alors. C'est, sans aucun doute, la meilleure chose qui pouvait vous arriver. Je suis plus mauvaise thérapeute encore que je ne suis mauvaise amie. » Elle n'excellait dans aucun des deux domaines. Plutôt mauvaise dans le premier domaine et, malheureusement, dangereuse dans le deuxième. Alors, il ne gagnait rien à ce changement et n'avait de chance dans aucun des cas. « Je crois que je suis impatiente de voir à quel point vous êtes tenace en amitié. » Admettait-elle, laissant, pour la première fois, paraître ce sentiment, celui qu'elle s'attachait à cette amitié qu'il lui faisait espérer, en toute sincérité. « Si j'ai su vous supporter à chacune de nos séances, je suppose que je devrais pouvoir le faire en dehors, même gratuitement. Vous, en revanche, allez devoir vous habituer à me supporter. Et j'ai un nombre important de défauts, vous vous en rendrez rapidement compte. » Évidemment, il parlait plus qu'elle ne parlait lors de leurs séances. Si elle n'avait aucunement l'intention de raconter son passé ou sa vie, il allait devoir apprendre à gérer avec son comportement et son caractère qui n'étaient pas tout à fait les mêmes que ceux qu'ils connaissaient. Impulsive, passionnée, têtue, égoïste... Elle cumulait des défauts qu'il n'était peut-être pas prêt à supporter. Enfin, elle supposait être comme ça. Elle n'était plus, elle-même, certaine de pouvoir se décrire. Après tant de temps à être seule, il lui était difficile de savoir qui elle était désormais. « Je n'ai aucun besoin d'argent pour être votre alliée. Ce que vous m'offrez vaut bien plus et c'est déjà plus que suffisant. » La possibilité de goûter à une vie presque normale. La possibilité de goûter à autre chose que la solitude. Son soutien. Sa protection. Il avait réussi là où d'autres avaient essayé à plusieurs reprises, sans succès. Elle ignorait quelles ruses il avait été capable d'utiliser pour la convaincre de le laisser entrer dans sa vie si rapidement, mais il avait réussi. Puis, et surtout, il prenait des risques qu'il ne soupçonnait sans doute même pas, en réalité. Lorsqu'il verrait Mary débarquer pour le faire parler des relations qu'il entretenait avec Elizabeth, il comprendrait à quel point il lui donnait bien plus que ce qu'elle ne pourrait jamais lui donner en le soutenant.

Contrairement à lui, Elizabeth savait depuis longtemps qu'ils venaient tous les deux d'une époque éloignée de celle-ci. Elle se reconnaissait souvent en lui, en ce qu'il disait, en ce qu'il connaissait ou ne connaissait pas. D'où elle venait, il n'existait pas, non plus, de métier de ce genre - encore une nouveauté qu'ils partageaient. Elizabeth était arrivée dans ce nouveau monde avec ce métier. Il lui avait été assigné. Imposé. Elle n'avait rien choisi et elle avait supposé que ce n'était qu'une juste punition d'écouter le malheur des autres après en avoir tant été responsable. Depuis trois ans, elle aurait pu tout quitter. L'argent ne lui manquait pas et elle ne pratiquait donc pas pour ça. En réalité, si elle devait se montrer tout à fait franche, elle gardait cette place pour ne pas rester enfermée définitivement chez elle. Sans elle, elle n'aurait alors plus aucune excuse pour quitter cette maison. Sans elle, cette maison deviendrait sa prison, celle où elle se cacherait de Mary éternellement. Alors, elle avait besoin de garder ce métier. Pas pour survivre financièrement. Juste pour survivre.

Puisque, comme il le disait, il n'avait aucun élément de comparaison, Elizabeth prenait sa réflexion davantage pour de la politesse que pour la vérité. Elle n'avait pas fait un bon travail avec lui. Elle l'avait écouté. Elle avait tenté de conseiller, mais il aurait sans doute trouvé plus auprès d'un véritable psy. C'était certain. « Je n'ai pas choisi ce métier. » Confessa-t-elle, sans savoir pourquoi il pouvait bénéficier de tous ces petits aveux. « Il s'est imposé à moi. » Souffla Elizabeth sans donner davantage de détails, le laissant interpréter cet aveu comme il l'entendait. De toute façon, elle n'en dirait pas plus.

Elizabeth se devait d'être franche avec elle-même, elle se sentait bien. Mieux que jamais, en réalité. La peur n'avait pas totalement disparu, évidemment. La méfiance était toujours là, quelque part. Pourtant, l'idée d'avoir trouvé quelqu'un qui pouvait la sortir de cette solitude et qui acceptait les dangers qu'elle représentait - parce qu'il ne les connaissait pas, continuait-elle de se convaincre - la rendait si heureuse. Ce sentiment n'était que temporaire, elle avait bien conscience que, dès le lendemain sans doute, elle remettrait tout en doute, mais elle voulait profiter de cet état - sans doute amplifié par les quelques verres qu'elle avait bu, elle qui n'était plus habituée à boire. Elle, qui ne pensait qu'à le repousser, se retrouvait désormais impatiente de le découvrir en tant qu'ami un peu trop envahissant. Elle se laissait tomber dans ce qu'il lui proposait malgré cette petite voix qui hurlait en elle qu'elle n'avait pas changé, qu'elle continuait de mettre des innocents en danger pour son propre plaisir. Mais, à cet instant, cette petite voix, elle n'avait plus envie de l'écouter. Moins encore lorsqu'il lui assurait qu'elle découvrirait bien vite cette facette de lui. C'était tout ce qu'elle espérait désormais. Parce qu'il lui donnait de l'espoir. Et s'il lui permettait réellement de rompre avec cette solitude qui la détruisait chaque jour un peu plus ? S'il lui permettait de goûter à cette vie normale qu'elle avait tant souhaité à découvrant cette ville ? S'il pouvait la garder en sécurité et la protéger de ses ennemis ? Non, à chaque fois qu'elle avait cet espoir au fond d'elle, l'image de Mary s'imposait à Elizabeth. Jamais, elle ne la laisserait faire. Jamais. Sa vie serait un enfer jusqu'au bout, qu'importe les espoirs qu'elle s'autorisait ou les rêves qu'elle avait. Croire le contraire était stupide.

Puis, réalistement, cette amitié avait-elle des chances de fonctionner ? Elle le connaissait tellement. Il ne connaissait rien d'elle. Elle l'avait écouté se confier pendant des heures. Il ne la connaissait que comme sa thérapeute, que comme l'image qu'elle laissait paraître. Il ne connaissait rien de ses nombreux défauts, il ne connaissait rien de la vie qu'elle avait menée, des décisions terribles qu'elle avait prises, de ce qu'elle était avant - et ce simple fait suffirait à faire qu'il la déteste. Lorsqu'il lui affirma pourtant qu'il était impatient de connaître ses défauts, Elizabeth ne put retenir un sourire amusé. Il regretterait bien vite ces quelques mots, ça, elle en était certaine. « Vous n’aurez pas besoin d’attendre bien longtemps avant de les connaître. » Affirma-t-elle, en reprenant volontairement les mots qu'il avait utilisés lorsqu'elle avait assuré avoir hâte de le connaître comme cet ami tenace qu'il promettait d'être. Alors, ils en étaient là ? A avoir hâte de découvrir les pires facettes de l'un et de l'autre ? C'était peut-être la meilleure chose à espérer, en fin de compte, pour le voir fuir au plus vite et être en sécurité plus rapidement, loin d'elle.

Si elle perdait un patient, elle gagnait bien plus - même si ce n'était que pour un temps limité. Cette soirée, qu'il lui offrait, représentait déjà bien plus que tout ce à quoi elle avait eu le droit ces dernières années. Maintenant, il lui offrait sa protection, son amitié. L'argent et la perte d'un patient n'étaient rien du tout à côté de ce qu'il lui donnait. En réalité, sans le savoir, il lui donnait sans doute bien plus que ce qu'elle ne pourrait jamais lui donner. Il ne devait pas avoir conscience de l'impact qu'il avait sur Elizabeth. A sa proposition, qui était censée lui prouver sa ténacité, Elizabeth se mit à réfléchir, heureuse d'entendre qu'il voulait la revoir rapidement. Elle se privait de tellement de choses par crainte de recevoir, encore, la visite des hommes de Mary. Que s'était-elle privée de faire durant toutes ces années pour se protéger ? Il y avait tellement de choses qu'il était difficile de choisir. « Vous trouverez ça ridicule, mais depuis que je suis ici, je... Je passe régulièrement devant le cinéma et je n'ai jamais osé y entrer. » Elle avait appris ce que c'était très rapidement après son arrivée, mais n'avait jamais osé y mettre les pieds. Se retrouver dans une salle, plongée dans le noir, entourée de potentiels ennemis, l'idée seule suffisait à la faire frissonner de peur. Elle serait bien trop vulnérable. « Peut-être pourrions-nous y passer avant d'aller manger quelque chose, à l'extérieur ? » Une véritable sortie comme elle en rêvait depuis tout ce temps. Un ami, conscient du danger, pour l'accompagner. Peut-être la trouvait-il pitoyable à souhaiter ce que presque n'importe qui faisait naturellement ou peut-être qu'il était temps qu'elle se laisse vivre sans se poser de questions ? Peut-être qu'elle avait le droit, finalement, de mener cette vie simple qu'elle croyait souhaiter ou peut-être qu'il lui faisait espérer ce qu'elle n'aurait jamais ? « C'est le genre de choses que font des amis, non ? » A son époque, et avec son rang, les amitiés étaient d'un autre genre. Alors, elle apprendrait au contact d'Alexander. Elle apprendrait à être une amie. « Ou simplement se promener quelque part. Juste marcher, discuter, profiter de l'extérieur. Ça fait une éternité que je ne l'ai pas fait. »

Y trouvait-elle son compte, dans ce qu'on lui avait imposé comme métier ? Elle l'ignorait. Elle y voyait surtout un moyen de conserver une vie en dehors de cette maison. Un moyen de ne pas rester enfermée chez elle, seule, sans jamais avoir quelqu'un à qui parler. Puis, elle s'était convaincue que c'était une punition. Sa punition. Pour avoir fait tellement de mal autour d'elle. Pour avoir été une personne monstrueuse. Écouter le malheur des autres après l'avoir tant causé. « Peut-être. » Se contenta-t-elle de répondre, en haussant les épaules, lorsqu'il avait affirmé que, finalement, peut-être que ce métier lui convenait. Peut-être. Peut-être pas. Avait-ce une importance ? On le lui avait imposé et elle l'avait fait. Elle l'avait fait par lâcheté et par peur de se retrouver entièrement seule. Et, peut-être que, quelque part, ce métier lui convenait. Peut-être qu'elle y trouvait un certain plaisir ou une certaine passion. Elle n'y croyait pas beaucoup, mais c'était une plus jolie façon de voir les choses. Une façon plus agréable, en tout cas.  

Désormais, elle verrait un avantage à ne pas avoir quitté ce travail. Grâce à lui, elle avait trouvé Alexander. Ses proches étaient si rares, pour ne pas dire inexistants, que c'était un fait important à remarquer. Un détail qu'elle n'oublierait jamais tant elle sentait qu'il prendrait de l'importance dans sa vie - à condition qu'elle soit capable de surpasser sa peur et qu'elle ne lui fasse pas de mal, indirectement. Mais elle le sentait déterminé et, elle devait bien l'avouer, elle aimait ça. Elle aimait voir sa détermination à toute épreuve et cette impression que rien ne pouvait l'atteindre. Elle était réaliste et savait que Mary l'atteindrait sans le moindre mal, si elle le voulait. Ou qu'il finirait par fuir, de lui-même. Soit en voyant le danger qu'il était en train de courir pour une femme qu'il connaissait à peine, soit en apprenant à la connaître réellement. Elle parlait de ses défauts, pour plaisanter, mais il y avait bien des choses à apprendre d'elle. Des choses monstrueuses qu'elle aimerait qu'il ne connaisse jamais. Des choses qu'elle se permettait de mettre de côté, le temps de cette soirée, le temps d'imaginer qu'il y en aurait d'autres. Elizabeth se prenait au jeu, mais elle ne pouvait s'empêcher de penser aux dangers inutiles qu'elle lui faisait prendre. Peut-être que, déjà, le lendemain, elle le repousserait, consciente de toutes les bêtises qu'elle avait faites lors de ce rendez-vous. Peut-être le repousserait-elle dans quelques semaines, lorsque la peur aurait pris le pas sur tout le reste, au point où ça n'en deviendrait plus vivable. Ou peut-être tenterait-elle le diable au point d'attendre l'intervention de Mary. Elle se refusait à être cette femme de nouveau - celle qui met en danger les gens qu'elle aimait - mais pouvait-elle empêcher sa véritable nature de refaire surface ? Ses sentiments gagnaient toujours face à sa raison. Son égoïsme, aussi.

Ce soir encore, face à l'insistance de cet homme, ils avaient gagné. Elle acceptait un prochain rendez-vous et elle se prenait même au jeu de réfléchir à ce qui lui ferait réellement plaisir, comme si cette sortie allait réellement se faire. Comme si rien n'allait se mettre en travers de leur route. Elle se sentait presque stupide. Presque stupide de se montrer si enthousiaste à l'idée de faire ce que n'importe qui, ou presque, devait faire de façon régulière. Avait-il, en réalité, pitié d'elle et de la vie qu'elle menait ? Lui offrait-il une autre vie par pitié ou par envie ? En réalité, elle n'avait pas vraiment envie de le savoir. Inspirer la pitié n'avait rien de plaisant, mais si ça pouvait lui permettre d'obtenir quelques instants loin de ses craintes et de sa vie solitaire, elle était prête à l'accepter, aussi pitoyable que ça pouvait l'être.

Face à l'impatience qu'il manifestait, Elizabeth n'avait pas pu retenir un sourire. Tout faire, dès le lendemain. Il ne perdait pas de temps, il avait eu raison en disant cela. « Je vous contacterai pour fixer une date. » Parce qu'avec le peu de raison qu'il restait à Elizabeth, elle tentait de ne pas se faire trop vite à ce qu'il lui proposait. Elle se connaissait et elle craignait d'en prendre l'habitude. Elle craignait de ne plus pouvoir revenir en arrière. Elle craignait d'aimer la présence d'Alexander au point de l'exiger un peu trop pour sa sécurité. Non, elle devait lui laisser le temps de comprendre dans quoi il s'engageait et lui laisser le temps de fuir, avant de trop s'habituer à lui. Et elle s'offrait ce même temps, celui de changer d'avis avant de s'habituer. « Si ça ne nous plaît pas, nous n'aurons qu'à sortir et refaire le monde, comme ce soir. » Inconsciemment, en évoquant le cinéma et le fait qu'elle n'y était jamais allée, Elizabeth lui avait donné un indice supplémentaire quant à l'époque d'où elle venait, mais ça ne lui avait même pas traversé l'esprit. Elle pensait simplement à ce moment qu'ils passeraient et, comme elle le disait, à ce qu'ils feraient si, finalement, ce n'était pas une expérience agréable pour l'un ou l'autre. « Après tout ce que je viens d'accepter, je suppose que c'est une faveur à laquelle il est simple d'accéder, n'est-ce pas ? » Il était vrai que, désormais, il n'était plus question d'une relation patient/psy, alors ils pouvaient bien se permettre le tutoiement, même si ce n'était pas naturel entre eux, ça le deviendrait avec le temps. « Alors, nous pouvons essayer. » Acceptait-elle, en lui offrant un sourire plein de gratitude et de sincérité.

Elizabeth s'étonnait elle-même de se laisser prendre à ce jeu. Elle prenait un plaisir certain à imaginer leur prochaine rencontre et à la préparer. Jamais, depuis qu'elle était ici, elle n'avait eu l'occasion de faire ça. Ce rendez-vous, cette soirée, n'avait été qu'un événement exceptionnel et isolé, pour prouver à quelqu'un qu'il se trompait et qu'elle n'était pas totalement seule - pourtant, cette personne avait parfaitement raison, Elizabeth était seule. Par fierté, ou par envie de se prouver à elle-même qu'elle en était capable, Elizabeth avait voulu lui montrer qu'elle pouvait faire quelque chose en dehors de sa routine, qu'elle pouvait sortir de son enfermement si elle le voulait, malgré les risques qu'elle courrait en le faisant. Ce rendez-vous avait finalement donné beaucoup plus que ce qu'elle attendait au départ. Il avait été agréable. Plus que ça, même, elle l'avait apprécié. Cet homme, qu'elle avait choisi avec soin, n'était pas simplement ce qu'elle avait appris à connaître de lui au travers de leurs séances. De bien des façons, elle avait découvert un homme attachant, convaincant et passionné. Un homme capable de lui donner l'espoir fou d'avoir le droit de vivre. Un espoir auquel elle avait envie de croire et de se raccrocher, pour une fois, même si ce n'était que le temps d'une soirée.

La prochaine soirée était prévue. Le plan de secours aussi. Un cinéma ou refaire le monde. Le premier lui donnait envie parce qu'elle n'avait jamais eu l'occasion d'essayer. Le second, elle n'avait qu'une hâte, le retrouver après y avoir goûté toute la soirée. A travers leurs discussions, et même si elle ne pouvait pas le dire, elle avait eu l'impression de retrouver une partie de son ancienne vie. Des discussions passionnantes et intéressantes. La politique. Le gouvernement. Autant de choses qui avaient une importance capitale dans ce monde et qui lui rappelait, en même temps, ce qu'elle avait été autrefois. Ces projets semblaient lui plaire. Heureuse de l'entendre, la jeune femme s'était contentée de hocher la tête en lui renvoyant son sourire. Une part d'elle avait hâte d'y être alors qu'une autre part, plus discrète, se disait de ne pas espérer l'impossible. Mais n'était-ce pas ce qu'elle voulait, pour une fois ? Espérer l'impossible ?

La soirée touchait à sa fin. Après avoir décidé qu'ils essayeraient de se tutoyer, comme des amis, Alexander l'avait remerciée pour la soirée. A ces mots, il avait ajouté qu'il avait, sans doute, abusé du vin. Il n'avait pas tort, ils en avaient abusé tous les deux. « Nous serons plus raisonnables la prochaine fois. » Le but n'était pas d'abuser de l'alcool à chaque fois qu'ils se voyaient. Néanmoins, s'il fallait se montrer franc, Elizabeth devait avouer que ça avait eu le mérite de la déstresser et de la libérer, un peu, de la peur qui l'empêchait de vivre et de s'ouvrir, habituellement. « Tu n'es plus mon patient et, après ce qui a été dit ce soir, je n'accepterai plus que tu passes la porte de mon cabinet. » Ils l'avaient, de toute façon, déjà décidé. Il ne pouvait plus être son patient désormais. Il savait des choses sur elle, même s'il ne s'agissait que de détails, sans la moindre précision. C'était suffisant pour qu'elle ne puisse plus se sentir à l'aise avec lui, dans le cadre de son travail.

« Je tiendrai ma promesse. » Assurait-elle, en baissant les yeux, consciente qu'elle pouvait lui promettre tout ce qu'elle voulait, sa peur pouvait reprendre le dessus à n'importe quel moment. Dans ce cas, elle ne le reverrait plus. Pas par manque d'envie, mais simplement pour se protéger. Le protéger. Néanmoins, entendre qu'il avait envie de la revoir, lui donnait sincèrement envie de vaincre cette peur et de répondre à son invitation. Parce qu'elle aussi, elle avait envie de le revoir. Elle aussi, elle avait envie de se donner cette chance qui s'offrait à elle, celle d'une vie faite d'un peu moins de solitude. « Merci. » Avait-elle fini par souffler, avant qu'il ne franchisse le pas de la porte, pleine de reconnaissance pour la soirée qu'il lui avait permis de vivre.