Elizabeth Tudor ⊹ titre.

De son passé, elle a perdu beaucoup. Elle se souvient de la difficulté d'être une femme. Elle se souvient de la peur qui l'habitait en permanence. Elle se souvient des atrocités qu'elle avait dû commettre pour être respectée. Elle se souvient avoir été reine, contestée et appréciée. Elizabeth, reine d'Angleterre. Voilà qui elle se souvient avoir été.

Des atrocités, elle en a connu depuis toujours. De la mort de sa mère, tuée sur ordres de son père, au destin tragique de sa cousine, la reine d’Écosse, décapitée par sa faute. Elle les a vécu et elle en a été à l'origine. Si sa naissance avait été différente, elle aurait été différente. Bien sûr, elle n'aurait pas été reine, mais surtout, elle n'aurait pas été cette femme. Certainement plus douce, plus libre, plus passionnée, plus impulsive, plus amusante... C'est ce qu'elle aurait aimé être. Elizabeth aime être forte et avoir du pouvoir, mais comment aimer ce que l'on a lorsque l'on a peur. Peur en permanence pour sa vie et sa place. Femme au pouvoir, elle a souvent dû faire preuve de plus de fermeté, de dureté et d'autorité pour que sa place ne soit pas contestée. Elle a dû lutter de toute part. Protestante dans un monde catholique. Femme dans un monde d'homme. Bâtarde dans un monde de légitimité. Reine contestée face à une reine légitime. Elizabeth aurait aimé être une femme libre. Libre d'aimer qui elle voulait. Libre de faire ses choix. Et libre de ne plus avoir peur. Elle aurait aimé ne pas connaître les conspirations et les choix qui s'imposaient à elle. Elle aurait aimé avoir des amis sincères sur qui compter. De ceux-là, elle ne peut en compter aucun. Ou presque. Lola avait été une amie sincère, mais elle avait aussi été la source d'une trahison. Elizabeth était reine et n'était pas libre de ses décisions. Pas autant qu'on pourrait le croire. Elle avait dû la faire décapiter. De la faiblesse, elle ne devait rien montrer ou ses ennemis s'en serviraient pour la faire tomber. D'hommes, elle n'en avait aimé que deux. D'abord, il y eut Dudley. Elle l'avait tant aimé et avait même voulu l'épouser. Sa passion la poussait à toujours revenir vers lui, à lui promettre mille choses impossible et à se mettre en danger. Le destin avait choisi pour eux, lorsque Dudley se remaria, laissant Elizabeth à son chagrin. Des prétendants, elle en avait eu beaucoup. Mais elle n'en avait aimé aucun et aucun ne l'avait aimé, certainement. Aucun comme elle avait aimé Gideon Blackburn. Elle l'avait aimé au-delà de ce qu'elle aurait dû. D'une passion était né un véritable amour. Un amour qui avait failli les perdre. Un amour qui n'aurait jamais dû exister. Entre-eux les choses avaient pourtant tellement mal commencé. Elle l'avait privé de sa fille. Il avait essayé de la séduire pour la détruire, un ennemi, un de plus, obéissant aveuglement à sa reine, la demi-soeur d'Elizabeth. Il avait été fait prisonnier. Elle l'avait envoyé en France et il avait aimé Mary, sa cousine, la reine d'Ecosse, celle qui avait tant de fois essayé de lui prendre son trône. Pourtant, cet homme avait su voir qui elle était réellement. La petite fille malade et mourante de Gideon les avait rapproché. Elle l'avait sincèrement aimé. S'il n'y avait pas toutes ces considérations politiques, tous ses arrangements pour protéger sa vie et son trône, elle l'aurait épousé. Quelque part, dans le plus grand des secrets, tous les deux dans cette vieille chapelle, c'est ce qu'ils ont fait. Ils l'ont fait avant qu'il ne meure dans ses bras. Empoisonné par vengeance par l'époux de Lola. Assassiné alors qu'il avait toujours été un homme bon, loyal et innocent. Assassiné alors qu'il était celui qu'elle aimait plus que tout. Sa peine, elle ne pouvait la montrer. Son amour, elle ne pouvait le pleurer. C'était en silence qu'elle devait faire le deuil de cet époux secret, de cet homme qu'elle aimait et en qui elle avait toute confiance. Il avait été l'un des rares à être sincère, à la protéger de toute part. S'il était mort, c'était à cause de tous ces conflits et de toutes ces guerres.

Elizabeth s'était toujours sentie seule. La confiance, elle ne pouvait l'accorder pleinement. Reine, elle pouvait se retrouver piégée, trahie. Sa servante, en qui elle avait placé sa confiance, l'avait trahi. Préférant se rallier à ce monstre qui avait prémédité la mort de Gideon et en le tuant, l'empoisonnant de ses mains. Par vengeance, impulsive, Elizabeth l'avait tué de ses propres mains. Elle aurait pu trouver du réconfort et de l'aide auprès de sa famille... mais quelle famille ? De sa famille, il ne restait personne ou presque. Celle qui pourrait le mieux la comprendre était aussi sa pire ennemie. Sa cousine. Mary Stuart. Pour elle, Elizabeth avait de la peine et de la compassion. Elle comprenait la douleur de celle qui était sa cousine. Une femme, une reine, cernée de tous les côtés par les hommes avides de pouvoir, pensant impossible pour une femme de gouverner, ne voyant rien d'autres en elle qu'un ventre pour porter le futur héritier. Elle savait que sa cousine avait aimé et avait perdu celui qu'elle aimait. Elle savait que sa cousine devait faire de sa vie, une lutte permanente, un combat pour son pouvoir et sa vie. Les deux femmes partageaient les mêmes combats et les mêmes souffrances. Mais sa cousine était aussi celle qui avait voulu à tant de reprises lui voler sa couronne, lui prendre sa place. Elizabeth aussi avait essayé d'attaquer l'Ecosse. Toute leur vie n'avait été qu'un long combat. Elizabeth n'était pas encore au pouvoir que déjà Mary réclamait la couronne anglaise comme légitime héritière. Et ce fut ainsi toute leur vie. Elles se comprenaient, mais se disputaient le pouvoir. Elles avaient essayé de vivre côte à côte, pacifiquement, mais ça n'avait pas fonctionné. Les événements extérieurs les en avaient toujours empêché. Si elles n'avaient pas été deux reines en plein combat, si elles n'avaient pas été deux reines que leur pays opposé, si elles n'avaient pas été deux reines aux religions différentes, alors elles auraient été amies. Ça, Elizabeth le sait. Elle en est certaine. Toutes ces guerres les avaient conduit bien loin toutes les deux. Elizabeth avait fini par emprisonner sa cousine alors qu'elle s'était réfugiée en Angleterre. Elles auraient pu se rapprocher. Le fils de Mary soulageait Elizabeth de bien des façons. Il permettait à Elizabeth de ne pas se marier si elle le déclarait héritier légitime et de régler toutes ces guerres entre l'Ecosse et l'Angleterre en les réunissant enfin. Mais les complots de Mary, alors qu'elle était emprisonnée, la peur d'Elizabeth de voir sa cousine réussir et la détrôner ou la tuer avait poussé cette dernière à garder sa cousine prisonnière. Jusqu'à ce jour où elle avait forcé le fils de Mary à prendre une décision. Il sauvait sa mère ou gardait la couronne des deux pays. Il avait choisi. Elle se rassurait et se consolait en se disant qu'elle n'était pas à l'origine de ce choix. Jamais elle n'avait voulu la mort de Mary, depuis le début, elle avait cherché à l'évincer sans la tuer, mais elle n'eut plus le choix.

De cette vie, elle ne se souvient plus de tout avec précision. Elle sait qui elle a aimé. Elle sait qui elle a perdu. Elle sait qui elle a été. Des détails, elle ne sait presque plus rien. Depuis sa mystérieuse arrivée ici, elle s'est posée mille questions. Elle a cherché à savoir comment elle était arrivée dans ce monde étrange. Ici, tout est différent, incroyable. De reine, elle n'en a plus que le souvenir. Ici, elle n'est personne. C'est aussi incroyable que perturbant. Elle a l'occasion de recommencer sa vie, d'aimer, d'être heureuse et passionnée, d'être celle qu'elle veut. Des choses lui manquent. Elle est loin de son château, du pouvoir qu'elle avait et du monde qui l'entourait. Elle vit dans une petite maison, enfin bien plus petite qu'avant. Elle semble avoir suffisamment d'argent pour vivre bien et longtemps dans ce nouveau monde, mais elle se fiche de tout ça. Tout ce qu'elle veut, c'est comprendre. Comprendre pourquoi et comment. Tout ce qu'elle veut, c'est se débarrasser de cette peur qui la guide et la contrôle toujours. Ce qu'elle veut réellement, c'est enfin être heureuse et libre de ses choix, rien de plus.