(Terminé) Oh, je vous connais ! ⊹ Oksana

Si Anna avait passé la matinée à suivre ses cours, elle avait son après-midi de libre. Après être rapidement repassée chez elle pour y déposer ses affaires et manger un petit quelque chose, elle avait décidé de sortir prendre l'air. Si elle avait longuement hésité, Anna se rendit finalement dans le parc, non loin de chez elle. Son programme pour l'après-midi était simple : se promener, se promener encore et se promener toujours. Éventuellement, ou certainement en réalité, elle s'arrêterait pour acheter quelque chose à manger. Mais aujourd'hui, elle ne ferait rien d'autres : elle oubliait les cours et elle oubliait, pour une après-midi, les recherches sur cette ville et sa famille. Elle avait besoin de se changer les idées, de se vider l'esprit et de simplement profiter pour mieux recommencer le lendemain.

Après quelques minutes à se promener, Anna posa les yeux sur un visage qui lui était familier. Aussitôt, elle se mit à réfléchir pour tenter de se souvenir. Où avait-elle déjà vu ce visage ? Ce n'était pas quelqu'un de son monde, ça elle en était certaine. C'était une évidence, même. Il ne lui fallut alors pas plus de quelques secondes pour se souvenir. Si elle la connaissait, c'était simplement parce qu'elle la voyait à la télé ou dans les magasines et qu'elle appréciait tout particulièrement son travail. Sans penser une seule seconde qu'elle pouvait déranger cette femme qui ne faisait que se balader tranquillement, la jeune femme se précipita dans sa direction, se plantant devant elle pour la stopper. « Oh je suis contente de vous voir ! Vous n'imaginez pas comme je suis heureuse de vous rencontrer ! » Commença-t-elle, sautillant presque sur place, ne se rendant pas compte qu'il était peut-être surprenant de se faire aborder de la sorte. Si Anna la connaissait, elle, elle ne connaissait pas Anna. Elle reprit aussitôt ne la laissant par placer un mot. « J'aime beaucoup votre travail, mais... » elle fit une toute petite pause, ses yeux se baissant vers le sol, réfléchissant à toute vitesse. « Votre nom... Il ne me revient pas. Attendez ! Ne dîtes rien, ça va me revenir ! » pourquoi fallait-il qu'elle oublie ce nom qu'elle avait en tête quelques secondes plus tôt ? « Je suis certaine qu'il commence par A quelque chose, non ? » dit-elle, finissant par se gratter le sommet du crane, toujours en train de réfléchir. « Non, ce n'est pas ça... Mais ça se termine comme ça, c'est ça ? » elle se stoppa enfin, gênée en se rendant compte qu'elle avait tant parlé. Elle devait passer pour une idiote à aborder les gens comme ça sans se souvenir de leur nom. Et pour une impolie à ne pas laisser les gens en placer une tandis qu'elle ne faisait que parler et encore parler.

Anna se sentait idiote. Idiote d'aborder une inconnue qu'elle n'avait vu que sur un écran et en photo. Idiote de la déranger, se plantant devant elle, et de gêner sa promenade. Idiote d'avoir oublié son nom. Pourtant, elle appréciait vraiment ce que cette personne dégageait lorsqu'elle l'observait à travers sa télévision. Elle aimait sa façon de jouer, elle aimait ce qu'elle était capable de transmettre chaque fois qu'elle l'avait vu. Alors comment pouvait-elle oublier son nom ? Elle bafouillait, elle parlait beaucoup trop et toute seule et ne laissait même pas le temps à l'inconnu d'en placer une. Après avoir tenté de retrouver son prénom, évoquant ses hypothèses, elle s'était arrêtée de parler. Anna avait, de toute façon, déjà bien trop parlé. C'était autour de cette femme de le faire. Ou de partir bien loin, en ignorant totalement Anna qui venait de se ridiculiser.  

Heureusement pour la jeune femme, la comédienne avait choisi la première solution, celle où elle lui répondait. Elle ne lui répondait pas tout à fait ce à quoi s'attendait Anna, mais au moins, elle lui répondait. Aux premiers mots de la jeune femme, Anna resta bêtement là à la fixer. Elle réfléchissait, en réalité, à si elle devait rire ou partir en courant. « Vous... Quoi ? » demanda-t-elle, la fixant étrangement. C'était forcément une blague, mais Anna était stressée. Et lorsqu'Anna était stressée, elle réfléchissait n'importe comment et disait n'importe quoi. « Une plaisanterie... Je le savais ! » commençait-elle sans comprendre sa réponse elle-même, reprenant aussitôt. « Villanelle ! » s'exclama-t-elle, répétant le nom prononcé par l'actrice. « ça aussi, je le savais. » marmonna-t-elle pour elle-même.

A la question suivante, Anna fut étonnée. Y avait-il un millier d'endroits où elle aurait pu la voir ? Si elle l'avait reconnu, elle l'avait forcément vu là où tout le monde la voyait, non ? « A la télé et dans des magazines ! » Lui demander des noms, c'était s'exposer à n'obtenir aucune réponse. Anna avait découvert la merveilleuse invention qu'était la télévision peu après son arrivée en ville. Elle adorait l'allumer et y regarder tout ce qui passait pendant des heures en se goinfrant de chocolat et de sucrerie en tout genre. Sauf qu'elle ne retenait que peu de titres parce que ça n'avait pas une grande importance à ses yeux. Et cette femme, elle l'avait vu plusieurs fois sans être capable de donner plus d'informations. « Comme tout le monde, j'imagine ! Je ne pourrais pas vous connaître autrement, si ? » Non pas que personne ne puisse la connaître d'une autre façon, mais puisqu'elles ne s'étaient jamais vues, la réponse était évidente. « Enfin si, j'imagine que je pourrais vous connaître de bien des façons, mais comme je vous ai dit que j'aimais votre travail, je vous connais forcément grâce à votre travail. » précisa Anna, partageant le fond confus de sa pensée, plutôt que de le garder pour elle.

« Je vous dérange ? » S'inquiéta-t-elle soudainement. « Personne ne vous aborde jamais comme ça, c'est ça ? » peut-être était-elle la seule et peut-être qu'ici, ça ne se faisait absolument pas. « Ou tout le monde le fait tout le temps et vous vouliez vous balader en toute discrétion et je viens de tout gâcher ? Oh non, je suis certaine que c'est ça... je suis désolée ! » Encore une fois, elle parlait beaucoup trop et beaucoup trop vite. Parce qu'elle avait conclu elle-même que c'était ça, sans même attendre la réponse de l'autre personne, après avoir énuméré toutes ses hypothèses et s'étant fait son propre scénario, sans laisser son interlocutrice en placer une ou bien trop difficilement, comme toujours.

Lorsqu'Anna avait reconnu cette femme, elle ne s'était pas imaginée se retrouver aussi bête devant elle. Il avait fallu, évidemment, qu'elle oublie son nom et qu'elle soit incapable de lui citer la moindre oeuvre à laquelle elle avait participé. Elle se sentait bête. Ce n'était pas du tout comme ça qu'elle s'était imaginée cette scène. Puis, elle avait l'impression de déranger la comédienne. Elle ne semblait pas heureuse de l'intervention d'Anna, sans doute dérangé une énième fois pendant l'une de ses promenades. Anna s'excusait, parlant beaucoup trop, s’emmêlant les pinceaux et faisant les questions et les réponses elle-même. Cela devait être insupportable pour ceux qui ne la connaissaient pas et qui n'avaient rien demandé, comme Villanelle. « Il est vrai que jusqu'à présent, je n'ai rien dit de très intéressant... » Même pas de mais pour se justifier ? Juste une confirmation idiote qui n'avait aucun intérêt. En même temps, elles se parlaient depuis quoi ? Deux minutes ? Trois minutes ? Peu était capable de lancer des choses intéressantes en si peu de temps, si ? « Vous voulez un café ? Je vous offre un café ! Ça me fait plaisir, pour m'excuser de vous avoir dérangé. » C'était tout ce que son interlocutrice attendait certainement, mais Anna n'avait pas pris ça comme ça, elle s'était juste imaginée qu'il s'agissait d'une plainte de la part de Villanelle, non d'une demande cachée.

Anna, bien que plus habituée qu'il y a quelques années, était toujours aussi maladroite dans ses relations. Elle ne se débrouillait pas toujours bien avec les autres, ne savait pas toujours se comporter ou agir comme il le fallait. Grandir enfermée, loin du monde extérieur, n'avait pas aidé, c'était certain. Lorsque la comédienne lui demanda son nom, elle s'imaginait avoir éveillé sa curiosité ou l'envie de passer un peu de temps en sa compagnie. Après tout, elle aurait très bien pu continuer son chemin aussitôt ou l'envoyer balader, mais elle ne l'avait pas fait. Il y avait forcément une raison à ça. Elle cherchait à la connaître ou, au moins, à connaître son identité. C'était déjà beaucoup, non ? C'était une bonne façon d'engager une conversation. « Anna d'Arendelle. Et vous ? » elle se rendit compte de sa bêtise aussitôt, elle reprit donc, aussi gênée qu'elle pouvait l'être depuis le début. « Non. Désolée. Oubliez ce et vous. » tenta-t-elle de dire clairement, bien qu'elle s'emmêlait les pinceaux dans ses excuses. « Vous devez vous dire que je suis stupide de vous aborder comme ça et que je suis maladroite aussi, mais ce n'est pas tout à fait vrai... Enfin, si. C'est simplement que je n'ai pas l'habitude de m'adresser à une inconnue et je suis... je suis un peu intimidée, je crois. Oh et je parle beaucoup trop, je le sais. » tenta-t-elle de se justifier, s'enfonçant plus qu'elle ne s'expliquait. « Et si on allait boire ce café ? » se reprit-elle finalement, souriante et se calmant un peu pour ne pas effrayer l'inconnue à trop parler.

Anna se perdait dans ce qu'elle disait et la pauvre Villanelle avait le droit à la version maladroite et bavarde d'Anna. Ce n'était sans doute pas la meilleure première rencontre et Anna ne laisserait sans doute pas une bonne impression à la comédienne. Au fond d'elle, quelque part, elle s'étonnait même de ne pas la voir s'enfuir.

Anna avait fini par se présenter, redemandant au passage le nom de la jeune femme. Chose qu'elle rectifia aussitôt. Son nom, elle le connaissait. Elle l'avait déjà oublié une première fois, pas une seconde. Anna se confondit alors en excuses et en explications, justifiant sa maladresse et s'excusant de parler beaucoup trop. Parce qu'elle parlait vraiment beaucoup trop et elle le savait. Et parce que sa maladresse se justifiait par le fait qu'elle n'avait pas tellement l'habitude d'aborder une inconnue, moins encore une inconnue qu'elle connaissait et qu'elle appréciait réellement. Moins encore, une inconnue qui ne la connaissait pas. Non, décidément, cette situation était vraiment inhabituelle pour la rousse.

Lorsque Villanelle lui avoua ne pas la trouver particulièrement stupide, Anna fut rassurée. Une demi-seconde à peu près, le temps que son interlocutrice reprenne la parole pour lui affirmer qu'elle ne la trouvait pas tellement intelligente non plus. Ça la vexait un peu, mais elle ne montra rien, elle mettait ça sur le compte de son comportement étrange depuis le début de cette rencontre. « C'est parce que vous ne me connaissez pas ! Non pas que je prétende être particulièrement intelligente, mais... » se stoppa-t-elle, s'agitant de nouveau alors qu'elle avait prévu de se calmer. « Oubliez ça, vous voulez bien ? » lança-t-elle, si elle le pouvait, elle oublierait toute la conversation depuis le début. « C'est juste parce que je suis mal à l'aise, alors ça me fait parler beaucoup trop. Ce n'est pas vous qui me mettez mal à l'aise, je ne voulais pas dire ça... » précisa-t-elle pour ne pas la vexer, ayant peur de s'être mal exprimée. « C'est la situation. C'est moi. Je suis toujours comme ça. » tenta-t-elle de préciser, une fois encore, ne voulant pas blesser son interlocutrice. « J'arrête. Promis. » reprit-elle en levant une main comme pour jurer que cette fois-ci, elle se calmait vraiment, d'autant que la comédienne avait accepté le café. « Oh, je suis heureuse que vous ayez accepté ! Allons-y, alors ! » avant que l'autre ne change d'avis, d'autant qu'Anna sautillait sur place comme une enfant avec un peu trop d'énergie.

Anna se mit donc en marche, écoutant la question de l'autre jeune femme. Si elle s'intéressait à elle, elle n'était sans doute pas si ennuyante, si ? « Avant d'arriver ici, parce que je suis arrivée ici il y a peu en fait, deux ans à peine... » Se rendant compte qu'elle repartait dans une explication que personne ne lui avait demandé, elle se stoppa, et reprit : « Je suis étudiante. » Simple. Clair. « En histoire. » précisa-t-elle tout de même. « Vous avez toujours été comédienne ? » interrogea finalement la rousse à son tour, voulant en apprendre plus sur elle.

Comme depuis le début de cette rencontre, qui semblait être une véritable catastrophe, Anna parlait beaucoup. Elle parlait toujours beaucoup. Plus encore lorsqu'elle avait peur ou qu'une situation la rendait mal à l'aise. Et cette situation la rendait mal à l'aise. Alors elle parlait encore et encore. S'excusait de parler trop, en parlant trop. Promettant d'arrêter de parler trop, en parlant toujours trop. Ce que son interlocutrice confirmait en lui disant qu'elle parlait vraiment trop, le tout accompagné d'un long soupir. Si Anna comprenait parfaitement qu'on puisse la trouver bavarde et si elle ne cherchait aucunement à être rassurée, elle trouvait la comédienne bien peu agréable. Mais qu'importe ! Elle mettait cela sur le compte de la fatigue ou sur celui d'être lassée d'être toujours abordée de la sorte. Enfin, elle lui trouvait bien des excuses potentielles et valables pour justifier ce comportement.

Les deux femmes se mirent alors en route vers ce café. Anna était heureuse de voir que l'autre femme avait accepté, d'une part, et heureuse de voir que désormais, elle semblait s'intéresser un minimum à sa vie. La jeune femme, comme à chaque fois, repartit dans de trop longues explications. Elle se reprit alors à temps, répondant simplement à ce qu'on lui avait demandé, sans détailler tout son parcours. Anna ne devait pas être inintéressante ou agaçante, sinon jamais cette femme n'aurait accepté de partager plus de temps en sa compagnie et jamais elle ne s'intéresserait à sa vie. Alors Anna continuait de parler et de poser des questions, demandant à Villanelle si elle avait toujours été comédienne. Elle s'attendait à deux réponses, mais aucune n'était celle donnée par la jeune femme. Enfin si. Elle avait bien répondu non, mais avait précisé quelque chose d'étrange. Aux réponses et aux questions étranges, Anna se contenta, dans un premier temps, de froncer les sourcils. Humour de comédienne ? Certainement. Personne n'avouerait cela s'il s'agissait de la vérité. Anna n'était pas complètement stupide. « Non. » répondit-elle donc à la comédienne, hésitante, les sourcils toujours froncés face à cette réponse inattendue. Sans doute aurait-elle dû rire et elle se sentait presque bête de ne pas l'avoir fait. Elle était rarement aussi silencieuse, Villanelle avait au moins réussi à la faire taire un instant.

Puis cette dernière reprit sur les études d'Anna, lui posant une question qu'elle ne s'était jamais vraiment posée. « Je l'ignore. » répondit-elle en haussant les épaules. Avant qu'elle ne puisse reprendre, la jeune femme lui désigna un café. « Bien sûr, si vous voulez ! » répondit-elle alors, se dirigeant vers le café en question et reprenant sur sa précédente réponse : « A vrai dire, je n'ai pas vraiment choisi l'histoire. C'est un peu compliqué et sans doute trop long à expliquer, mais on va dire qu'on a choisi pour moi. » Elle était arrivée dans ce monde, inscrite à l'université, sans jamais en avoir fait le choix. Autrefois, princesse puis reine, elle n'avait pas vraiment eu à réfléchir à ses études.

Tout en franchissant la porte du café et en s'installant à une table, la rousse continuait ses explications. « Je suis arrivée ici il y a deux ans environ, mais ça je vous l'ai déjà dit... Et avant ça, jamais je n'avais eu à réfléchir à des études... C'est un peu comme si je m'étais réveillée un matin, étudiante en histoire. Alors je suis devenue étudiante en histoire. Sans jamais chercher ce que j'allais faire après. » Elle avait de l'argent, suffisamment pour prendre le temps de réfléchir à son avenir et ne pas faire quelque chose qui ne lui plaisait pas. « Prenez ce que vous voulez. » glissa-t-elle entre deux explications, déballant tout un tas d'informations sans importance. « Je ne viens pas d'ici, mais j'espère retourner chez moi un jour, alors je ne pense pas trop au futur que je pourrais avoir dans cette ville. C'est inutile. » elle espérait rentrer, retrouver les siens et ne pas avoir à créer une vie dans ce monde. Alors elle ne pensait pas au futur, ne le prévoyait pas. C'était une façon de refuser l'idée qu'il puisse exister un futur pour elle dans ce monde. « Et vous alors, que faisiez réellement autrefois ? » parce qu'elle n'avait pas obtenu sa réponse et qu'elle n'avait pas oublié sa question.

Anna trouvait cette conversation de plus en plus particulière. Villanelle était... particulière. Elle disait les choses clairement, se moquant bien de prendre des pincettes. Elle blaguait aussi, mais Anna n'adhérait pas à son humour. Elle ne riait pas et s'en trouvait même gênée, de ne pas rire. Elle ne comprenait pas ce qu'il y avait de drôle à ce que la femme racontait, mais peut-être qu'Anna manquait d'humour, tout simplement ? Peu importe, les deux femmes continuèrent leur route vers un café, en silence. Finalement, ce fut l'autre femme qui reprit la parole, s'intéressant à ce qu'Anna faisait dans la vie.  

Anna répondit alors en toute franchise qu'elle n'avait pas choisi ses études. Elles lui avaient été imposées. Ou plutôt, le jour où elle s'était réveillée dans cette ville, elle s'était réveillée étudiante en histoire. Terminé Arendelle, terminé d'être reine de son propre royaume... De reine, elle était passée étudiante. La changement était brutal, mais elle s'était plutôt bien habituée à ça. A la question de la comédienne, Anna se contenta d'abord de hausser les épaules. « Ce n'était pas la première fois qu'on décidait de la voie que je devais suivre. » Après tout, jamais elle n'avait demandé à être princesse puis reine d'Arendelle. Quelque part, c'était la voie qu'on avait choisi pour elle. Alors lorsqu'elle s'était réveillée dans ce monde et qu'elle avait vu qu'on avait de nouveau choisi pour elle, elle n'avait pas bronché. Ça avait sans doute été plus simple comme ça. « Puis, je n'aurais pas su quoi faire d'autre de toute façon. » avoua-t-elle. La vie ici était bien trop différente pour qu'elle puisse trouver quoi faire. Ce n'était pas son monde et elle ne s'était habituée qu'un minimum, juste assez pour ne pas attirer l'attention.

Finalement, les deux femmes s'installèrent dans un café désigné par la comédienne. Puis Anna lui lança de prendre ce qu'elle voulait. Elle lui proposait surtout de prendre le café qu'elle voulait et d'y ajouter quelque chose si elle le voulait, mais elle ne le comprit pas ainsi et fut surprise d'entendre cette longue liste. Comptait-elle vraiment tout manger ? Quant à elle, pourtant gourmande, elle ne prit qu'un chocolat chaud et une pâtisserie. C'était bien assez, dans un premier temps du moins. « Vous êtes vraiment capable de manger tout ça ? » demanda la rousse, curieuse de voir quelqu'un avec autant d’appétit.

La jeune femme reprit finalement la parole, expliquant qu'elle ne pensait pas réellement au futur dans ce monde puisqu'elle espérait retourner chez elle. Elle voulait retourner à Arendelle et y reprendre sa vie là où elle l'avait laissé. La réponse de son interlocutrice fut brutale, lancée sans penser à ce que cela pouvait faire à Anna d'entendre de tels mots. Bien sûr, elle avait déjà envisagé cette possibilité : ne jamais retourner chez elle. Elle ne voulait simplement pas y penser et admettre qu'il s'agissait de la vérité. Personne ne connaissait rien à leur avenir ici, à leur futur. Elle avait le droit d'espérer comme d'autres avaient fait le choix de ne plus y croire. « Pourquoi dîtes-vous ça ? Sauf si vous savez des choses sur cet endroit, vous n'êtes pas en mesure d'affirmer quoi que ce soit. » répondit-elle, un peu plus froidement. Finalement, après un soupir, Anna retrouva son sourire et reprit la parole. Elle questionnait, cette fois-ci, l'inconnue à propos de sa vie d'avant. Elle lui avait déjà demandé, mais n'avait eu pour réponse qu'une plaisanterie. « Les services secrets ? Tu étais une sorte... d'espionne ? » demanda alors la rousse, oubliant qu'elle venait de lui dire qu'elle n'avait pas vraiment le droit d'en parler. « Pourquoi est-ce que tu ne fais plus ça, aujourd'hui ? Ça doit être bien différent de ton métier actuel ! » répondit la jeune femme. Après tout, ce n'était pas faux. Travailler pour les services secrets et être comédienne, il n'y avait pas plus différent, si ? Ou peut-être pas tant que ça finalement... Elle n'en savait rien.

Si Anna n'avait pas choisi sa vie ici, elle ne lui déplaisait pas plus que ça. Bien sûr, elle donnerait tout pour retourner chez elle et retrouver les siens, mais elle aurait pu vivre dans un endroit pire que celui-ci, elle en était certaine. Alors, elle acceptait son sort sans discuter, elle faisait ce que l'on attendait d'elle et elle cherchait un moyen de s'enfuir, de rentrer. Ses études n'étaient pas grand chose à côté de sa mystérieuse arrivée dans cette ville. C'était le moindre de ses problèmes, d'autant que ce n'était pas la première fois qu'on décidait à sa place de son avenir. Puis, jamais elle n'aurait su quoi faire dans ce monde si différent du sien. Alors elle avait suivi ces cours qu'on lui avait imposé et elle y avait même pris goût. L'histoire, ce n'était pas si mal. Villanelle semblait penser que l'excuse n'était pas suffisante, qu'elle pouvait toujours découvrir autre chose. Ce n'était pas faux, alors elle haussa les épaules pour seule réponse. Aurait-elle réellement l'énergie de chercher un autre endroit où s'épanouir alors qu'elle la mettait déjà dans ses recherches ? Elle n'avait ni le temps, ni l'envie de chercher un autre domaine où elle pourrait se plaire. Même si elle se sentait bien ici, elle ne comptait même pas y rester. Dès que l'occasion se présenterait, elle rentrerait chez elle et retrouverait sa place à Arendelle, auprès de Kristoff et Elsa.

La commande passée, Anna s'étonna de voir la jeune femme commander autant. Comptait-elle réellement tout manger ? L'interrogeant à ce sujet, Anna la fixa bêtement un instant après sa réponse. Un deuxième café ? S'il ne fallait que ça pour ne pas gaspiller tout le reste, alors elle lui payerait un deuxième café. Cette femme avait le droit d'avoir un gros appétit après tout, ce n'était pas Anna qui allait le lui reprocher. Elle ne s'attendait simplement pas à ce que la jeune femme commande autant alors qu'elles ne devaient boire qu'un café. Elle avait tant commandé sans même se soucier de savoir si Anna avait de quoi payer, mais étrangement elle commençait à cerner Villanelle - ou une partie d'elle, et elle se disait que c'était tout à fait le genre de cette femme de se fiche de ça.

Et comme pour confirmer que Villanelle n'était pas vraiment le genre à faire attention aux autres, la comédienne insistait sur le fait qu'elles ne partiraient jamais d'ici, sans prendre de gants. Elle était directe. Trop directe. Ça ne la dérangeait vraiment pas de, peut-être, briser les rêves de la rousse et ses espoirs ? Heureusement qu'il en fallait plus à Anna pour abandonner. Jusqu'à présent, elle avait souvent eu envie d'abandonner, parfois elle avait perdu espoir, mais à chaque fois l'envie et l'espoir revenaient avec plus de force encore. Il ne s'agissait, à chaque fois, que de courts moments de faiblesse. « Peut-être que vous, vous méritez l'Enfer, mais pas moi. » Il n'y avait aucune méchanceté dans sa voix, juste une constatation. Si elle parlait d'Enfer, peut-être pensait-elle le mériter ? Elle, elle ne le méritait pas. Elle n'avait jamais rien fait qui lui valait l'Enfer, si ? Évidemment, elle n'était pas parfaite et elle faisait des fautes, mais pas à ce point-là. « Sauf que moi, contrairement à vous et à d'autres, je n'abandonnerai jamais. Je suis lucide moi-aussi. Si nous avons pu arriver ici, nous pouvons en ressortir. » Une porte d'entrée était forcément une porte de sortie aussi, non ? Pourquoi leur voyage ne fonctionnerait que dans un sens ? « Et peut-être n'avez-vous personne à retrouver, mais ce n'est pas le cas de tout le monde. J'ai un fiancé, une soeur et des amis à retrouver. Et c'est mal me connaître qu'imaginer que je ne les retrouverai pas. » Si Anna pouvait bien parler d'une qualité, c'était celle-ci : la détermination. Il lui arrivait de perdre tout espoir, mais l'espoir renaissait toujours. Elle n'abandonnerait pas. Jamais. Parce qu'elle refusait d'abandonner tant qu'elle n'avait pas la preuve formelle que ses recherches étaient vaines.

Ils avaient tous été quelqu'un avant d'arriver ici. Parce qu'Anna avait fini par comprendre que beaucoup - si ce n'était tous - ne venaient pas d'ici. Ils étaient arrivés ici, comme par magie. Alors elle s'intéressait à ce que son interlocutrice faisait avant. Qui était-elle ? Avait-elle toujours été comédienne ? N'ayant pas obtenu de réponse sincère la première fois, la rousse avait insisté. Villanelle lui avait alors avoué être une espionne, travailler pour les services secrets. Cet aveu rendit curieuse Anna, comme souvent. Alors elle se demandait pourquoi avoir changé, d'autant que les deux métiers n'avaient rien en commun, à première vue. « Peut-être. » répondit simplement Anna en haussant les épaules. Peut-être qu'elle la manipulait depuis le début, qu'elle jouait un rôle. Ce n'était pas impossible. Anna était naïve, on lui avait suffisamment dit, sauf que dans ces circonstances, ça n'avait aucune importance. « Parait-il que je suis naïve, alors vous pourriez parfaitement jouer un rôle, être quelqu'un d'autre... » elle haussa les épaules, reprenant : « Sauf que je ne vois pas bien ce que ça vous apporterait... » quitte à jouer un rôle, autant en jouer un autre, quelqu'un de plus sympathique peut-être, de plus agréable. « Et pourquoi ne voudriez-vous pas qu'on vous voit comme vous êtes vraiment ? » Après tout, n'était-ce pas mieux d'être aimée ou appréciée pour ce que l'on était vraiment ? Décidément, elle ne comprenait vraiment pas cette femme, elle avait vraiment beaucoup de mal à la cerner.

Si Anna tentait de garder son calme, elle n'appréciait pas vraiment la discussion qu'elle tenait avec la comédienne. Elle semblait pessimiste, convaincue qu'ils étaient tous condamnés à rester dans cet endroit... Et elle prenait un malin plaisir à le signaler à la rousse, tentant de briser ses espoirs ou par simple franchise. Peu importe la véritable raison, elle ne réussirait, de toute façon, pas à décourager Anna. Il lui arrivait parfois de perdre espoir, de désespérer, mais ça ne durait jamais longtemps. Non, elle voulait rester optimiste. Anna était déterminée, elle n'abandonnait pas facilement. Alors si elle y croyait suffisamment, si elle faisait tout pour réussir, elle réussira. Combien de fois avait-elle cru que tout était fini dans son ancien monde ? Combien de fois, malgré tout, avec de la volonté et du courage, elle avait pu arranger les choses avec l'aide de sa famille ? Alors lorsque la femme en face lui répondit qu'elle était libre d'essayer, elle n'ajouta rien. Elle ne faisait pas qu'essayer, elle retrouverait les gens qu'elle aimait. Elle en était certaine. Il le fallait.

Alors, Anna lui expliqua comme les siens étaient importants, qu'elle les rechercherait quoi qu'il arrive et en avait conclu que Villanelle n'avait personne à rechercher, personne à retrouver, aucun monde qui l'attendait... Ou alors se moquait-elle réellement de tout ? Pouvait-elle être aussi insensible, détachée de tout ? Ou peut-être y avait-il des raisons à ce comportement, peut-être que sa vie d'avant était particulièrement horrible pour qu'elle ne veuille pas la retrouver ? « Je n'aimerai pas être à la place de ceux que vous avez perdu, alors. » répondit calmement, mais sincèrement Anna. Avec ce qu'elle venait de dire, elle supposait qu'elle aussi avait perdu quelqu'un. Et si ce quelqu'un la cherchait, elle serait sans doute bien déçue d'apprendre qu'elle n'avait pas la même importance pour ne même pas mériter d'être recherchée et espérée. « D'abord je les retrouve, ensuite je trouve un moyen de quitter cet endroit. »  Ou elle s'assurerait par tous les moyens qu'ils n'étaient pas là d'abord... En réalité, il était compliqué de s'en assurer alors peut-être qu'un jour elle quitterait cet endroit pour se rendre compte qu'il n'y avait plus personne à Arendelle et elle regretterait cette décision, mais elle aurait alors déjà tout fait, tout tenté pour retrouver les siens.  

A la suite, Anna ne préfèrait rien répondre. Être déterminée, ce n'était pas seulement s'occuper. C'était se donner toutes les chances de réussir. Simplement.

La comédienne en vint alors à expliquer qu'elle aimait jouer un rôle et qu'elle était peut-être en train de jouer la comédie depuis le début. Anna n'y voyait aucun intérêt parce qu'actuellement, elle n'avait aucun intérêt à faire ça et elle supposait que quitte à jouer un rôle, elle se montrerait davantage sympathique pour se faire apprécier, mais elle pouvait se tromper. « Si vous ne vous trouvez pas suffisamment intéressante pour rester vous-même ou si vous ne trouvez pas intéressant de montrer aux gens celle que vous êtes réellement, je vous plains sincèrement. » Anna avait perdu de sa bonne humeur et de son calme. Son interlocutrice avait éveillé en elle de l'agacement. Au fond, elle pouvait comprendre l'envie d'être quelqu'un d'autre pour s'amuser, pour plaisanter, mais de là à ne pas trouver cela intéressant d'être soi-même, il y avait une grande différence aux yeux de la rousse. « Pour quoi faire ? Pour jouer un rôle, pour mentir à ceux que je rencontre en prétendant être celle que je ne suis pas ? On m'a déjà fait ce coup-là et je n'aimerai pas le faire à qui que ce soit, même pour m'amuser. » Hans avait joué un rôle, il lui avait fait croire ce qu'elle voulait entendre et voir avant de la trahir, alors non, jouer un rôle, ça ne l'intéressait pas le moins du monde. « Vous ne pensez jamais à ceux qui vous font confiance, qui pensent vous connaître alors qu'en réalité, ils ne savent rien de vous ? Vous ne pensez jamais au fait qu'ils puissent se sentir trahis ? Ou à leur déception ? » demanda-t-elle alors essayant de comprendre à quel point elle jouait un rôle, à quel point elle se moquait de tout.

Il ne semblait pas y avoir plus différentes que ces deux femmes. C'était, en tout cas, ce que ressentait Anna à cet instant. Villanelle ne semblait pas tellement se soucier des autres, pas même de ses proches. Ou alors, ça aussi, c'était un rôle ? A vrai dire, elle n'en savait rien ! Elle n'était pas capable de deviner si son interlocutrice avait été sincère avec elle depuis le début ou si tout ça n'avait été qu'un rôle. Anna se disait simplement que quitte à endosser un rôle, autant jouer celui d'une personne agréable et sympathique. Si Anna n'avait rien contre le fait de jouer un rôle temporairement pour s'amuser - du moment où ce n'était pas aux dépens des autres - elle ne voulait pas les blesser en prétendant être celle qu'elle n'était pas. En effet, elle avait été trahi elle-même et elle savait la déception, la désillusion, la douleur que ce sentiment pouvait provoquer. En aucun cas, elle ne souhaitait faire la même chose à quelqu'un. Mais quelque chose lui disait que oui, son interlocutrice s'en fichait pas mal de ce que les autres pouvaient ressentir en découvrant qu'ils ne la connaissaient pas vraiment. Et Villanelle confirma sa pensée, affirmant qu'elle n'avait pas le moindre scrupule.

Si Anna appréciait les talents de comédienne de la jeune femme, elle pouvait désormais affirmer qu'elle n'aimait pas la personne qu'elle était. Leur commande déposée, Anna ne toucha à rien dans un premier temps, écoutant avec attention la suite. Elle n'en revenait pas de tout ce qu'elle entendait. Elle n'en revenait pas de la femme qu'elle avait face à elle. « Vous n'êtes jamais responsable de rien, c'est ça ? » demanda-t-elle sans attendre réellement de réponse lorsque la mannequin lui affirma que les autres étaient responsables s'ils lui avaient fait confiance. Les victimes étaient responsables, tandis que la coupable, non. Belle façon de pensée. Tout comme cette idée de ne faire confiance à personne. Quelle triste vie devait-elle avoir ! « Votre vie doit être si triste et ennuyante ! » Il n'y avait pas de jugement, juste une constatation. « Vous n'aimez personne, vous ne vivez qu'à travers vos rôles, vous n'avez confiance en personne. Vous devez vous sentir si seule. » Si Anna aimait les gens en règle générale, elle se surprenait à ne pas se sentir triste à l'idée que Villanelle soit si seule. Elle trouvait ça juste, mérité. « Vous vous débrouillez toujours seule ? Vous n'avez jamais besoin d'aide ? Jamais besoin de quelqu'un ? » Si elle ne faisait confiance à personne, elle ne pouvait compter sur personne. Ou alors, elle se servait des gens lorsqu'elle en avait besoin. Cela correspondrait bien au personnage qu'elle avait devant elle. « Je gagne un temps précieux en accordant ma confiance à ceux qui le méritent. Je sais que je peux compter sur eux, je sais vers qui me tourner lorsque j'en ai besoin... » Il était là le temps gagné. Elle n'était pas seule, elle avait des amis sur qui compter et en cas de problème, elle n'était pas seule pour les résoudre. Tout comme ses amis pouvaient compter sur elle en retour.

Anna ne savait pas quoi penser de cette femme. Elle semblait ne rien éprouver ou éprouver du plaisir en blessant les autres, elle n'en savait rien. Ce qu'Anna ne supportait pas. Elle ne supportait pas cette idée de manipuler, de blesser en jouant à être quelqu'un d'autre. Et elle était bien placée pour savoir ce que l'on ressentait lorsque quelqu'un jouait un rôle pour se moquer de vous ou pour vous manipuler. Alors Anna ne pouvait s'empêcher de trouver la vie de son interlocutrice ennuyante et de trouver son interlocutrice mauvaise. Chose qu'elle partageait avec elle lorsque sa patience arriva à son maximum. Ce n'était pas tant ça qu'elle souhaitait reprocher à cette femme que sa capacité à pousser Anna à s'agacer de ses réflexions ou de sa façon de se comporter. Anna pensait passer un moment agréable en compagnie d'une personne qu'elle semblait apprécier à travers un écran ou en la voyant en couverture de magazine. Finalement, elle avait été déçue de découvrir une personne fausse, plutôt désagréable et ne se souciant aucunement des autres. Et si Anna était généralement plutôt sociable, elle regrettait presque d'avoir fait cette rencontre.

Alors Anna perdait son sourire et sa patience, s'agaçant et n'imaginant pas une seconde pouvoir blesser cette femme. Elle semblait fermée à tout, elle semblait n'être atteinte par rien. Alors aux mots et à l'attitude de Villanelle, Anna se sentit presque coupable de s'être emportée et d'avoir dit tout ça. Elle imaginait sincèrement l'avoir blessé et elle ne voulait pas être ce genre de personne. Elle ne voulait pas blesser les gens, être mauvaise ou leur faire le moindre mal sans s'en soucier. « Je suis désolée. Je ne voulais ni vous vexer, ni que vous vous sentiez coupable ou responsable de quoi que ce soit... Enfin, si vous n'y pouvez rien, ce n'est pas de votre faute, je ne veux surtout pas vous vexer ou vous blesser. Je n'aurais jamais dû dire ça. C'était terriblement maladroit et déplacé de ma part. » Elle s’emmêlait les pinceaux, se confondait en excuses parce qu'elle se sentait coupable. A aucun moment elle n'avait voulu qu'elle se sente mal d'être ce qu'elle était si elle n'y pouvait rien. Alors elle avait l'impression de l'avoir accusé de quelque chose pour laquelle elle ne pouvait rien changer et elle culpabilisait.

La suite l'interpella, imaginant qu'il s'agissait d'une sorte de début de confidence, de quelque chose qu'elle avait sur le coeur et qu'elle avait besoin de confier - et qui de mieux qu'une inconnue pour ça ? « Pourquoi dites-vous ça ? » Questionna la rousse, curieuse de comprendre ce qu'elle sous-entendait, surtout après avoir entraperçu une partie de son caractère qui ne laissait, en effet, pas penser qu'elle pouvait aimer quelqu'un. « Je n'ai dit ça que parce que c'est l'image que vous donnez de vous... » souffla-t-elle. Après tout, même si elle se sentait coupable de tout ce qu'elle avait dit, elle n'avait fait que relever ce qu'elle semblait être et ce qu'elle montrait d'elle. Anna n'avait rien inventé.

Si Anna avait été réellement et sincèrement agacée par le comportement de son interlocutrice, elle ne put s'empêcher de s'excuser en s'imaginant l'avoir vexée. Ce n'était pas son but et elle ne voulait en aucun cas être ce genre de personne. Elle s'était sans doute laissée emporter un peu trop vite et n'avait pas réussi à garder son calme. Ce n'était pas une raison pour que l'autre femme subisse ce qu'Anna avait à dire. Ses propos étaient déplacés - bien que peut-être mérités pour certains - alors elle devait s'excuser. Elle le fit donc, avec toute la maladresse du monde, comme toujours. Sans doute qu'un simple "je suis désolée" aurait été bien plus simple pour lui éviter de dire davantage de bêtises.

Après ses maladroites excuses, la rousse tenta de comprendre une chose que Villanelle avait dite. Contrairement à ce qu'elle avait laissé sous-entendre depuis le début de cette conversation, elle était capable d'aimer. Ce n'était clairement pas l'impression qu'elle donnait, c'était évident, mais Anna voulait bien la croire malgré tout. Après tout, les apparences pouvaient être trompeuses et la façon dont se comportait cette femme ou ce qu'elle disait ne voulait sans doute rien dire. Elle l'avait dit elle-même, elle aimait jouer un rôle. Rien ne pouvait assurer à Anna que depuis le début, elle n'avait pas eu à faire face à un quelconque rôle de cette Villanelle et peut-être pas à la véritable Villanelle - même si elle persistait et ne comprenait pas pourquoi, dans ce cas-là, elle ne jouait pas la meilleure version d'elle-même pour être appréciée. Sans lui avoir répondu quoi que ce soit à propos des excuses de la rousse, la comédienne lui répondit brièvement à propos de celle qu'elle semblait aimer. La réponse fut rapide, sans détail, mais elle ne s'attendait pas non plus à ce qu'elle déballe sa vie à une inconnue. « Vous devriez vous battre pour elle, peu importe si c'est compliqué ou non. Vous n'avez pas envie de la chercher ? De la retrouver ? » Parce que c'était l'impression qu'elle avait donnée plus tôt dans leur conversation, celle de n'attendre personne et de ne chercher personne. Même si la situation était compliquée, n'avait-elle pas envie de retrouver la personne qu'elle aimait par tous les moyens ?

Puis Villanelle reprit la parole pour lui expliquer quelque chose, une chose sortit d'elle ne savait où, mais peu importe. Anna était toujours ravie d'en apprendre plus sur elle, aussi désagréable ait pu être ce moment jusqu'à présent. Elle allait répondre quelque chose à la première partie de sa phrase, mais fut stoppée nette par la suite. Etait-ce encore l'une de ses plaisanteries étranges ? Elle n'arrêtait pas avec ce genre d'allusions depuis le début de la conversation. « C'est une plaisanterie, n'est-ce pas ? » demanda-t-elle bêtement, à voix basse comme si quelqu'un pouvait les entendre. Elle devait bien avouer qu'elle n'arrivait pas à la croire parce que qui annoncerait ça comme ça ? Et en même temps, elle se sentait effrayée par cette femme étrange et froide qui semblait dire toutes ces choses avec conviction et certitude, comme si elle ne mentait pas. « Pourquoi racontez-vous toutes ces choses ? » Se pouvait-il qu'il s'agisse de la vérité ? Etait-ce simplement ce rôle dont elle parlait ? Une façon de se rendre plus intéressante ? Anna n'en savait rien, mais elle ne trouvait pas ça drôle, vraiment pas. « Vous savez quoi ? Je ne trouve pas ça amusant du tout ! » souffla-t-elle, agacée de voir son interlocutrice se moquer d'elle depuis le début de cette conversation. La patience d'Anna arrivait vraiment à ses limites.

Anna ne comprenait rien au mystère qu'était cette femme. Soit elle jouait réellement un rôle en permanence, soit elle avait un caractère bien particulier, assez difficile à supporter. La rousse tentait de faire des efforts, de s'adapter, d'être agréable, mais sa patience avait des limites comme pour tout le monde. Ce moment qu'elle pensait agréable se transformait en un moment où elle aimerait fuir et oublier. Villanelle semblait détachée de tout, n'accordait aucune importance à quoi que ce soit. Elle ne semblait même pas accorder une réelle importance aux gens qui lui semblaient proches. Vouloir les revoir et les retrouver, sans faire le moindre effort pour ça... Qu'attendait-elle ? Que ces gens tombent du ciel comme par miracle ? Anna restait persuadée que, malgré les difficultés, il fallait faire un minimum d'efforts pour être récompensée, chose que son interlocutrice ne semblait pas être prête à faire. Alors lorsqu'elle assura avoir envie de retrouver cette femme dont elle parlait, Anna n'ajouta rien pour ne pas être désagréable. Elle ne donnait pas du tout l'impression d'avoir cette envie. Au mieux, on pouvait supposer qu'elle lui manquait, et encore. Alors autant ne rien ajouter, se taire et continuer.

Sans la moindre raison ou la moindre explication, Villanelle changea complètement de sujet. Elle lui lança, comme si de rien n'était, qu'elle avait connu une autre Anna par le passé, une Anna dont elle avait tué le mari. Son comportement était inexplicable. Pourquoi balancer de telles choses ? Que cherchait-elle à faire ? Évidemment qu'elle mentait - parce que pas une seule seconde Anna ne pouvait supposer qu'une meurtrière annoncerait un crime au détour d'une conversation, sans raison - mais pourquoi ? Anna perdit alors définitivement patience et lui répondit, agacée, qu'elle n'était pas du tout amusée par ce genre de réflexion. Le sourire provocateur qu'elle avait sur le visage et ces quelques mots... Tout donnait envie à Anna de l'envoyer balader ! Elle voulait bien être gentille et faire des efforts, mais il ne fallait pas abuser de sa patience, non plus. « Tu me racontes mensonge sur mensonge depuis le début simplement pour... » Elle fit une pause, réfléchissant à la suite, ne se rendant pas compte du tutoiement qu'elle utilisait pour la première fois. « Pour je ne sais quoi d'ailleurs ! T'amuser ? » Elle ne voyait pas bien en quoi ça pouvait être drôle, mais supposons que ça pouvait l'être aux yeux de cette étrange Villanelle. « Tu sais quoi ? Tu as gagné, j'en ai assez de te parler ! » Elle se mit alors debout, reculant sa chaise un peu trop brutalement, ce qui la fit tomber au sol. Elle avait l'impression de perdre toute crédibilité, plus encore lorsqu'elle se retourna, gênée, pour la ramasser et qu'elle emporta alors la nappe et son contenu, n'ayant pas remarqué son bracelet accroché à la nappe. Elle avait l'air ridicule et sentit ses joues devenir rouges de honte. « Ce n'est pas possible... » souffla-t-elle, tout en se baissant alors pour ramasser ses bêtises. Elle voulut rattraper sa bêtise en ramassant le tout, mais elle s'ouvrit légèrement la main avec l'une des tasses brisées. Parfait, il était clair désormais que ce n'était pas sa journée ! « Ça t'embêterait de m'aider ? » souffla-t-elle à la femme qu'elle voulait laisser quelques secondes plus tôt. « S'il te plaît... » ajouta-t-elle en fixant Villanelle, même si une partie d'elle lui soufflait qu'elle attendait un miracle en lui demandant une telle chose.