[Terminé] Votre mission, si vous l'acceptez... [Lilith]

S’il est bien une conclusion, sordide, que Villanelle tire de son expérience sur cet îlot maudit qui ne vous rend les choses que pour vous en prendre encore davantage, c’est que son passé la poursuivra toujours tant qu’elle ne l’affrontera pas frontalement. A son arrivée ici, sans nouvelle des Douze et convaincue qu’ils ne l’avaient pas suivie jusqu’ici, elle s’était sentie libre, plus libre que jamais. De ses choix, de ses opinions, de ses… non, pour être libre de ses émotions, encore faudrait-il qu’elle sache en éprouver, et c’est encore bien loin d’être le, cas à l’heure actuelle, mais du moins, elle pensait enfin avoir réussi à se soustraire à cette autorité qui avait trop longtemps guidé et dominé sa vie. Puis Konstantin avait retrouvé sa trace, et Villanelle avait retrouvé Eve.

Si elle n’échangerait pour rien au monde ses retrouvailles avec cette dernière, qui avaient dépassé ses espérances de très, très loin, elle devait se rendre à l’évidence : dès l’instant où les Douze avaient compris que le meilleur moyen de faire pression sur elle avait fait son grand retour dans sa vie, ils en avaient joué. Et c’était pas loin d’avoir fonctionné. Hors de question de retrouver une nouvelle fois une Eve passée à tabac en guise de message d’avertissement, une fois lui avait largement suffi. Si ça doit être la seule solution pour qu’ils la laissent tranquille, elle était prête à reprendre du service, même si ce n’était pas de gaieté de cœur. C’est toujours mieux à ses yeux que de suivre l’absurde suggestion d’Eve : leur laisser croire qu’elle n’est pas sa faiblesse, hein ? Villanelle sait beaucoup trop bien ce que ça implique, et c’est évidemment hors de question. Alors en attendant, elle cherche des situations intermédiaires. Dont elle ne parle évidemment pas à Eve. Parce que Eve ne serait évidemment pas d’accord. Oui, c’est pas l’idéal d’agir dans son dos comme elle le fait, mais pour sa défense, les options commencent à lui manquer.

Elle a fini par entendre parler d’une espionne, le genre qui offre ses services au plus offrants et s’enquiert de missions d’espionnage, mercenaire à ses heures aussi. Pile le profil qu’il lui faut. Si elle reste déterminée à régler son compte elle-même à Hélène et au reste des Douze, elle aura besoin d’une personne extérieur, le genre qu’on soupçonnera pas, pour entamer le travail, et il y a de quoi faire. Une entreprise qui devrait plaire à celle qu’elle attend à présent de pied ferme, d’autant qu’elle sera payée grassement.

Attablée à la terrasse d’un restaurant, vêtue de sa tenue la plus tape-à-l’œil (Villanelle et la mode, une grande histoire d’amour), elle attend tranquillement tout en savourant le contenu d’une glace absolument contre-indiquée au vu du régime de mannequin qu’elle est supposée s’imposer. Pas de rencontre clandestine dans un lieu top secret, Villanelle a appris de longue date que les rendez-vous les moins clandestins passaient pour les rendez-vous les plus anodins. C’est ce qu’on appelle se cacher en pleine lumière. Et donc, patiente, tout en savourant sa glace, elle attend l’arrivée de Lilith Firehawk.

Elle attend une moto se garer non loin. Si Villanelle soupçonne que ce peut être son rendez-vous, elle ne tourne pas pour autant le regard vers la concernée pour déterminer s'il s'agit d'elle ou non. Il n'y aurait rien de plus suspect que de commencer à tourner le regard au moindre bruit. Certes, donner le sentiment d'attendre quelqu'un quand on attend vraiment quelqu'un, c'est plutôt logique, mais il faut savoir... faire dans la demi-mesure. Et oui, c'est la reine absolue de la démesure qui pense ça. Elle sait adopter les bons comportements dans les bonnes circonstances, c'est l'avantage quand on a pour réflexe d'imiter les émotions humaines depuis... sa plus tendre enfance ou presque.

Elle ne jette donc un regard à sa droite qu'au moment de constater qu'une jeune femme s'y est installée. Un premier regard pour sa tenue, un second pour son faciès - plutôt mignonne. Elle est à peu près convaincue de bel et buen se retrouver en présence, en cet instant, de Lilith Firehawk, qui montre d'entrée de jeun un certain tempérament, qui n'est pas pour lui déplaire. Quitte à faire appel à quelqu'un, autant que cette personne ait de la poigne et un minimum de charisme. Peut-être une tare, pour un espion, ceci dit, d'être trop charismatique, ça veut dire qu'on court le risque de ne pas passer inaperçu (un comble pour un espion), mais Villanelle sait ce que c'est. Elle a toujours, pour sa part, privilégié le panache à la discrétion.

"C'est pour ça que vous avez choisi le nom de Lilith ? C'est pas votre vrai nom, pas vrai ?" demande Villanelle tout en observant son interlocutrice avec la plus grande des attentions. "Vous êtes presque en retard", ajoute-t-elle avec un léger sourire. "Mais vous êtes venue."

Ce n'est pas son genre de faire des reproches, et encore moins son genre de commencer à blâmer les personnes qui manqueraient de civisme quand elle-même saisit toutes les occasions à sa portée de jouer les irrévérenscieuses.

"On mange d'abord ou on parle tout de suite ?" demande-t-elle avant de fourrer une nouvelle cuillerée de glace dans sa bouche.

Même si l'affaire est urgente, ça ne la dérange pas de ne pas se presser. Ce ne sont pas quelques minutes qui feront une grande différence dans tous les cas. Et puis, ça va lui donner l'occasion de la connaître un peu mieux, peut-être. C'est qu'elle a pas forcément l'habitude que les choses se passent dans ce sens en particulier. D'habitude, ce n'est pas elle qui donne les directives, c'est elle qui effectue les tâches ingrates. Elle ressent un plaisant sentiment de pouvoir, que de se trouver de ce côté de la barrière, même si elle veut la mort de tous ceux qui composent l'autre côté.
Qu'est-ce qu'elle ne ferait pas pour Eve.

Pleine de surprise, Villanelle veut bien croire que son interlocutrice l’est, elle a l’air, en tout cas, de posséder une certaine propension à se donner en spectacle qui ne déplaît pas forcément à la jeune femme, qui aurait elle aussi tendance à posséder la même – encore faut-il tout de même éviter de lui voler la vedette, et ça c’est une autre affaire. Elles vont collaborer pour l’occasion, mais la rivalité entre alliés n’est pas impossible, et Villanelle le sait tout à fait. Dans tous les cas, l’ancienne tueuse à gages n’insiste pas pour en savoir plus. Savoir si Lilith est le vrai nom de son interlocutrice ou pas l’intéresse, au final, très peu. Elle veut simplement manger sa glace, entrer dans le vif de l’action et démanteler les Douze, et ce peu importe l’ordre dans lequel cela devrait se faire. Les deux en même temps, donc. Ce n’est pas plus mal. Sinon, la glace va fondre. Ce serait dommage, quand même.

« Villanelle », se présente simplement la concernée quand Lilith lui demande son prénom.

Peut-être devrait-elle jouer franc jeu et lui dévoiler sa véritable identité, mais pour quoi faire, au bout du compte ? C’est elle la commanditaire, après tout, et elle n’est définitivement pas convaincue que son interlocutrice lui ait donné son véritable prénom de son côté. Par ailleurs, si jamais quoi que ce soit devait arrivé, elle estime que cela aura plus d’impact auprès des Douze que le coup vienne de Villanelle plutôt que d’Oksana Astankova. Et non, elle préfère qu’on ne l’appelle pas « madame », même si, selon le contexte, elle peut éventuellement ne pas trouver cela déplaisant. Ceci dit, si elle doit demander à quelqu’un (ou plus probablement quelqu’une) de l’appeler « madame, ce n’est pas vers son interlocutrice qu’elle se tournera, toute charmante puisse-t-elle être, en tout cas physiquement.

« Vous faites ça souvent ? C’est quoi votre expérience ? »

Elle la jauge du regard, quand elle n’est pas trop occupée à baisser le nez sur sa glace, dont il ne reste d’ores et déjà pas grand-chose. Elle pourrait immédiatement rentrer dans le vif du sujet, lui parler des Douze et de ce qu’elle attend d’elle exactement, mais elle ne le fera pas, pas immédiatement du moins. Avant cela, elle veut déterminer plus précisément à qui elle a affaire. C’est qu’on ne la lui fera pas comme Lilith peut peut-être la faire à d’autre. Villanelle connaît le métier, elle connaît le milieu, et par conséquent, elle n’a pas la moindre intention de se faire avoir, certainement pas. Elle a bien l’intention d’en apprendre plus sur son interlocutrice et sur ses méthodes. Dans tous les cas, elle estime que c’est la moindre des choses – elles risquent de se voir beaucoup dans les temps à venir, autant s’assurer qu’elle fasse bien son travail, pas vrai ? Et puis, elle est assez curieuse de ce que Lilith peut être capable de faire… ça a même de bonnes chances de la rendre un peu nostalgique, même si elle ne veut pas – totalement – regretter son choix de se détourner de la voie du crime (qui ne va pas durer bien longtemps).

En quelques mots, et sans s’en rendre compte peut-être, Lilith vient de remporter toute l’attention de son interlocutrice. Villanelle aurait peut-être été vaguement moins vulgaire dans son discours (encore qu’il peut lui arriver de l’être), mais en quelques mots, elle s’identifie à la pensée de son interlocutrice : l’ennui qu’elle exprime, c’est une problématique si forte chez Villanelle qu’elle la dévore entièrement. Depuis qu’elle a retrouvé Eve, cela s’est légèrement apaisé, certes, mais ne s’est pas complètement calmé, loin de là. Pas qu’elle voudrait reprendre ses contrats avec les Douze comme elle en avait eu l’habitude, mais parfois, c’est vrai, elle a la nostalgie du crime délicieusement exécuté. Pas parce que tuer est un besoin réel, mais parce que tuer lui donnait le sentiment, même une fracion de seconde, de ressentir quelque chose, de combler un vide si puissant, qu’Eve est autrement la seule à pouvoir remplir.

Ici, les contrats sont bien moins nombreux, qu’elle lui apprend, Villanelle n’aurait pas forcément parié là-dessus tant les codes ont en cet endroit changé, si bien que certains qui ne se seraient peut-être jamais permis d’arranger ce genre de contrats se sentent pousser des ailes, d’un seul coup… mais il doit être plus complexe de démarcher sa clientèle, surtout si l’on est affilié à aucune organisation particulière.

Lilith lui apprend que dans le monde où elle vivait, elle était une pillarde. Elle ne sait pas qui est ce connard de Jack mais elle ne s’en soucie pas vraiment tout en laissant poursuivre. Tuer ou être tué. Villanelle ne prétendra pas avoir fait face à un tel dilemme. Non, les Douze étaient venus la cueillir dans sa cellule de prison parce qu’ils savaient qu’elle serait capable de remplir toutes leurs missions une fois bien formée, sans ciller. Un « monstre magnifique », comme disait Hélène… Bien sûr, s’arrêter serait peut-être revenu à se faire tuer, mais sa vie n’avait pas exactement été une question de vie ou de mort, c’était quelque chose de bien plus… protocolaire, au fond, qui fait qu’elle envierait presque le chaos du monde où Lilith a évolué.

« Le travail que je dois vous confier demande d’être plus discret que ça », remarque Villanelle en souriant de ses histoires de meurtre et d’arsenal… En vérité, elle s’identifie aussi à la flamboyance de la jeune femme, mais en l’occurrence, elle a besoin d’informations, pas d’un massacre en règles. La partie massacre, elle compte bien s’en charger par ses propres moyens. « Quoi comme pouvoirs élémentaires ? Vous les avez encore ? »

A ce stade, non, Villanelle ne s’étonne même pas d’entendre son interlocutrice lui dire qu’elle est une sirène. Après tout, il y a quelques mois de ça, elle a bien passé une nuit endiablée avec un vampire, alors, à partir de là, elle n’est clairement plus à ça près. Et elle préfère savoir très précisément à quoi s’en tenir. Si elle veut engager une espionne, c’est pour ne pas faire les vagues qu’elle ferait elle-même, et elle commence à se demander si cette Lilith ne lui ressemblerait pas un peu trop, même si en cet instant, Villanelle paraîtrait presque réservée, mais ce serait mal la connaître que de s’arrêter à son calme apparent.

Villanelle serait bien en peine de dire d’entrée de jeu si elle considère comme une bonne ou une mauvaise chose le fait que son interlocutrice possède des pouvoirs (si elle les a toujours) : cela peut éventuellement lui faciliter grandement la tâche, et elle ne peut négliger cela, mais il est possible aussi que cela complique ses affaires. Elle aime assez le caractère de Lilith à titre personnelle, mais elle a besoin dans le cadre de la mission qu’elle veut lui confier que sa collègue tueuse se montre d’une efficacité et d’une discrétion sans pareilles. Aussi, des pouvoirs trop extravagants pourraient naturellement attirer l’attention sur elle, et donc pour celle qui s’était appropriée de longue date son nom de code comme s’il s’agissait de son nom de naissance. Enfin, avant d’en déduire quoi que ce soit, le mieux est encore d’écouter ce que son interlocutrice a à en dire. C’est donc ce qu’elle fait, avec une vigilance qui sait lui ressembler, contrairement à ce que l’on pourrait penser. C’est qu’il n’est pas question que d’elle, il est aussi question d’Eve. Et pour la protéger elle, Villanelle se sent prête à absolument tout.

Au final, Villanelle a bien fait de lui poser la question. Elle ne comprend pas tout de suite ce que c’est que cette « phasewalk », mais la jeune femme l’explicite bien assez vite : elle a la possibilité de se faufiler partout à travers le monde (même si le monde ici est très restreint) en étant rapide, difficile à repérer… Très bien. Parfait. C’est pile ce dont elle a besoin. C’est ce qu’il lui faut. Elle est de plus en plus convaincue d’avoir frappé à la bonne porte, d’autant qu’il lui fallait quelqu’un d’au moins aussi fou qu’elle pour accepter de se mouiller dans une affaire qui pourrait avoir des répercussions absolument désastreuses sur lui, sur eux tous si les choses devaient ne pas se passer comme prévu.

« Je suis redoutable. Je n’ai pas besoin de pouvoir pour ça », répond-elle avec cette assurance insolente qui la caractérise, rejetant sa longue chevelure blonde en arrière, quand sa flamboyante interlocutrice (qui n’a sans doute pas volé le pseudonyme de Faucon ardent) lui demande si elle a un truc.

Villanelle n’estime pas être comme les autres. Déjà, elle considère être la plus redoutable tueuse qui puisse être, même si ici, elle s’est tenue à carreau, ensuite, elle s’est toujours dissociée du reste de l’humanité de par son incapacité quasi-totale (mais quasi seulement) à nourrir quelque émotion que ce soit à l’encontre de quoi que ce soit ou de qui que ce soit (qui ce soit qui ne soit pas Eve, somme toute). Donc non, elle n’a pas de pouvoir à proprement parler, mais elle n’estime pas avoir besoin d’en posséder le moindre pour que qui que ce soit d’un tant soit peu fasse le choix de ne pas se frotter à elle de trop près.

« Je suppose qu’infiltrer une organisation criminelle de grande ampleur, c’est une partie de plaisir pour toi, pas vrai ? »