[Terminé] The non-mother and the fool || Villanelle
Invité
Jeu 15 Juil - 13:37
❝Rey & Villanelle❞ The non-mother and the fool
Combien de temps me suis-je perdue dans la contemplation de cette affiche publicitaire qui vantait les mérites d'un parfum quelconque (j'ai du mal à comprendre en quoi la photographie d'une femme légèrement vêtue en gros plan a quoi que ce soit à voir avec le concept même de parfum, mais on va dire que les publicitaires savent ce qu'ils font) ? Sans doute un peu trop longtemps, moi qui n'en ai pourtant généralement rien à faire. Dans un premier temps, à mon arrivée sur cette île, l'abondance systématique de la publicité, impossible à éviter, m'a déplu et dérangée, mais comme pour bien des choses, il a suffi que le temps passe, et je m'y suis habituée. Si je ne prends pas la peine d'y faire gaffe, je ne réalise plus vraiment combien la publicité est partout. C'est en cela, bien sûr, qu'elle fait le mieux son oeuvre et qu'elle est traître, et je suppose qu'elle m'influence au même titre que tous les autres... mais cette fois, ce n'est pas tant le produit qui m'est vanté qui attire mon attention que ce visage de papier glacé.
Ces traits... ce regard... Au moment de croiser ces yeux figés par la pellicule, j'ai eu comme une sensation de vertige. Je n'ai pas immédiatement compris, et au lieu de tracer ma route, j'a pris le temps de rendre à la photographie ce regard. Ces yeux familiers... La dernière fois que je les ai croisés, ou des presque aussi similaires, il y avait des larmes dans ces yeux. Et les derniers mots qu'elle a prononcés... "Sois courageuse." Gravés dans mon esprit, Je vois ce visage, à côté duquel les passants passent sans le voir, et je la reconnais, une bonne fois pour toutes, je la reconnais.
C'est insensé, mais je dois savoir, je dois comprendre. Est-ce entièrement insensé, après tout ? Ben a retrouvé son père et ses grands-parents, Poe a retrouvé sa mère... Alors... Moi qui les ai tant attendus, tant espérés ? Puis-je croire retrouve moi aussi mes parents à cet endroit ? Toutes ces journées passées à errer sur Jakku, le regard levé vers le ciel, pour les revoir ici et maintenant ? Ou en tout cas la revoir... ?
Je dois savoir. Alors je fais mes recherches, et au gré de mes recherches, j'apprends deux-trois informations intéressantes. La première, c'est que l'égérie se fait appeler Villanelle. C'est du moins son nom de scène. Son vrai nom est Oksana Astankova... Mais peut-être que ce n'est pas son vrai nom non plus... ? Je finis par dénicher son adresse quoi qu'il en soit... et me voilà, à attendre sur le pas de sa porte, le coeur transporté d'angoisse. Et si je faisais fausse route ? Est-ce que je ne vais pas avoir l'air complètement idiote ? Je finis par sonner, et après un moment, on vient m'ouvrir. Et c'est bien elle. Le même sentiment de frappante familiarité, plus puissant encore quand je la vois d'aussi près.
❝Bonjour... Je... je suis désolée de venir vous déranger chez vous mais... Mais je crois que nous connaissons. J'ai vu votre photo sur Hogwarts Place et...❞ Elle marque une légère pause. ❝C'est moi... Rey.❞
Aucune trace de Konstantin où que ce soit... c'est avec un agacement certain que Villanelle se doit d'admettre que son ancien chaperon a eu plusieurs bonnes longueurs d'avance sur elle sur ce coup-là. Se rendre à l'adresse attachée à son numéro n'a mené nulle part, une impasse, quant au numéro... plus attribué, évidemment. Il avait bien prévu son coup. Quelque part, elle aime mieux ça, il ne l'a pas non plus sous-estimé au point de ne pas envisager qu'elle puisse survivre au tueur qu'il avait engagé pour la tuer... ou peut-être juste pour la tester ? C'est une autre possibilité qu'elle n'exclut pas. Mais donc non, aucun résultat à partir des maigres informations qu'elle possède.
Elle a bien cherché à en passer par d'autres méthodes, par exemple en recherchant directement la gamine insupportable, mais aucune trace d'Irina non plus. Quelque part, tant mieux. Ses recherches l'accaparent, elles ont ce mérite, elles lui occupent l'esprit, et pendant ce temps, elle ne s'autorise pas à penser à Eve où à cette sensation prégnante, qui la ronge. Cette petite chasse à l'homme trompe son ennui, même si ce ne sera jamais que temporaire, elle le sait bien. Et elle ne saurait même vraiment dire si elle s'impatiente ou non de ses retrouvailles avec Konstantin. Elle sait seulement qu'elles doivent avoir lieu, c'est tout.
Quand elle entend frapper à la porte, elle tend l'oreille et attend un peu avant d'ouvrir. Compte tenu du fait qu'elle n'attend personne et ne fréquente plus ou moins personne ici, il n'y a pas beaucoup d'options valables dans les circonstances présentes sur lesquelles s'appuyer. Soit il s'agit d'un nouveau tueur venu lui faire la peau, et qui serait terriblement poli - mais elle-même est d'avis qu'il est préférable de sonner avant de frapper, soit il s'agit de Konstantin lui-même ? Ou une visite surprise ? Pourvu que ce soit Med ! Elle se rapproche de la porte, observe par le judas et découvre une jeune femme, à peine moins âgée qu'elle, sans doute, et qu'elle n'a jamais vue. Elle a à peine le temps d'ouvrir que la miss, visiblement nerveuse, lui balance un incessant chapelet de paroles. L'inconnue est une bavarde, apparemment.
Elle leur dit qu'elles se connaissent ? Ah... Villanelle plisse les yeux. Non, vraiment, elle ne lui dit rien. Est-ce que ça pourrait être une ancienne camarade de cellule ? Ou bien quelqu'un qu'elle a tué ? Elle n'a pas l'air bien hostile, mais ça, ça ne veut pas forcément dire grand-chose. Elle l'a reconnue à sa photo : est-ce qu'elle est venue l'épier juste pour avoir un autographe ? Non, ce n'est pas ça. Au moment de prononcer son nom, elle s'attend apparemment à ce que Villanelle la reconnaisse. "Rey...", répète-t-elle en fixant la concernée presque sans ciller. Quel nom bizarre, Rey. Un instant, Villanelle est juste tentée de suggérer à ladite Rey de se trouver une vie avant de lui fermer la porte au nez, mais elle est intriguée. "Je suis désolée, je ne me souviens pas de toi", dit-elle en la regardant avec au creux des prunelles ce quelque chose qui laisse entendre qu'elle l'est vraiment, désolée. Elle a abandonné son accent russe pour se rapprocher d'une tonalité qui ressemble davantage à celle de son interlocutrice. Juste au cas où. "Mais..." C'est le "mais" qui fait toute la différence. "Je ne me souviens de presque rien." Le coup de l'amnésie, ça marche à tous les coups. "Tu veux rentrer ? Tu n'es pas obligée mais... j'attends que quelqu'un me reconnaisse depuis si longtemps."
Elle prononce mon nom et, l'espace d'un instant, mon souffle se brise. Je suis attentive à tout, au moindre détail, à la moindre fluctuation de voix, n'importe quel indice qui me permettrait de me faire une idée de ce qui traverse l'esprit de mon interlocutrice en cet instant. Malheureusement, j'ai bien du mal à me faire une idée véritable de ce qu'elle pense. Son regard est insondable. Puis le couperet tombe, et cette fois, c'est mon coeur qui se brise. A quoi est-ce que je m'attendais, en même temps ? Elle s'excuse, elle me dit qu'elle ne se souvient pas de moi : je suppose que c'est vrai, en effet, peut-être parce qu'elle ne m'a simplement jamais connue, et moi je me fait des idées, je m'imagine mille et une choses sous l'unique prétexte que son visage hante nombre de mes rêves et de mes pensées, le souvenir de cette mère que j'ai tant cherchée, espérée, un souvenir enfoui, enterrée, jusqu'à ce que Ben ne le ravive.
Je m'apprête à déclarer forfait. Comme ça, si facilement ? Oui. Trop facilement peut-être, je le reconnais. Mais que devrais-je attendre de cette situation ? J'ai bien conscience du fait qu'il faut que je me raisonne, que je ne dois pas me laisser dépasser, même si ce n'est pas ce qu'il y a de plus simple. Je dois reconnaître mon erreur avant qu'elle ne me fasse trop de mal. Alors c'est ce que je fais. J'admets mon erreur avant qu'elle ne me fasse trop de mal, tout compte fait, avant qu'elle ne devienne insupportable ou encore irrépressible. Je prends une grande inspiration et je compte m'excuser avant de tourner les talons, mais alors vient le "mais". Ce "Mais" qui change tout, ce "mais qui fait naturellement toute la différence. Ce "mais" qui altère profondément mes perspectives.
Elle ne se souvient de presque rien. Elle aurait perdu la mémoire de sa vie d'avant... J'ai beau être sur mes gardes, il est difficile pour moi de ne pas me laisser séduire par cette hypothèse, qui laisse suggérer, par conséquent, qu'elle sera tout à fait prête à recouvrer peut-être ces bribes de souvenirs disparues si la bonne personne venait à la trouver et à raviver sa mémoire.
❝Je veux bien❞, dis-je après une seconde d'hésitation quand elle m'invite à entrer. J'ai quelques doutes certes, mais je ne dois pas laisser ces doutes me faire passer à côté de ce qui pourrait bien être la rencontre la plus importante de mon existence, n'est-ce pas ? ❝Vous n'avez vraiment plus le moindre souvenir ? Aucun ?❞ je demande, toujours prudente.
Les mots veulent s'échapper de mes lèvres : je pense que je suis votre fille", mais je me montre la plus prudente possible. Je ne veux pas commettre de ces impairs que je regretterai forcément éternellement.
Villanelle dévisage sa jeune interlocutrice, celle qui a dit s'appeler Rey et qui semble à la fois curieuse, défiante et égarée. Autant de sentiments confus et mêlés que la mannequin prend plaisir à lui inspirer, au nom du simple fait, semble-t-il, de ressembler à une autre, qu'elle avait très envie de revoir. Est-ce que la carte de l'amnésie a des chances de fonctionner sur le long terme, c'est fort peu probable, mais elle tente sa chance. Elle a envie de savoir quel profit elle pourra peut-être tirer de cette situation. Pour le moment, cette dernière parvient à la divertir un tant soit peu, ce qui tient déjà presque de l'exploit, pour le reste, tout dépendra de ce que son interlocutrice trouvera à lui dire.
Elle fait entrer Rey à sa suite dans son appartement, donc. La jeune femme n'attendait pas de visite, son appartement est dérangé, rien n'est à sa place, mais en même temps, quand bien même elle avait attendu la moindre visite, elle n'aurait sans doute pas fait davantage d'effort de ce point de vue. Elle prend la peine de proposer à Rey de s'installer sur un des fauteuils confortables de son salon luxueux, et elle-même s'affale littéralement sur son canapé. Elle pourrait proposer à boire, à manger à son interlocutrice, jouer les hôtesses modèles, mais elle préfère qu'elles rentrent dans le vif du sujet. Si cette fille doit finir par l'ennuyer plus rapidement que prévu, elle pourra immédiatement la mettre à la porte, sans sommation, sans autre forme de procès, et ce sera très bien comme ça.
Mais elle n'en est pas à la vouloir dehors pour l'instant. Elle est intriguée, et elle a plus qu'envie d'en apprendre plus, même si, avant que de pouvoir poser la moindre question, c'est son interlocutrice qui prend les devants, et cherche à en apprendre plus sur sa vie d'avant. Alors Villanelle y va bien évidemment au culot. Plus c'est gros, plus ça passe, c'est bien ce qu'on dit, pas vrai ? En ce qui la concerne, elle ne demande à l'évidence qu'à en avoir la confirmation.
"Non", dit-elle doucement, feignant un trouble qu'elle ne ressent pas le moins du monde. "Je me suis réveillée ici, dans cet appartement, et c'est le trou noir, j'ai beau chercher, je n'ai aucune idée de qui j'étais avant d'arriver ici." Elle pousse un léger soupir, elle se laisse le temps d'une pause bien évidemment dramatique. "C'était il y a plus de deux ans." Elle l'observe un instant puis reprend. "Parle-moi de toi, tu veux bien ? Qui es-tu ? D'où est-ce que tu viens ? D'où penses-tu me connaître ?"
Elle y va, une fois de plus, au culot. Elle n'est vraiment pas convaincue du résultat, mais elle espère sincèrement que les réponses que son interlocutrice aura à lui donner seront à la hauteur de la curiosité qu'elle a su éveiller en elle.
Peut-être devrais-je me méfier de cette "mère amnésique", sans doute devrais-je mettre en berne tous les drapeaux rouges que je peux, car il est évident que face à une telle réaction, on ne peut que flairer le piège, et j'ai croisé sur ma route bien assez d'individus malveillants pour savoir que ce n'est pas du tout quelque chose d'inhabituel, loin de là, mais je ne réussis pas à rester complètement rationnelle dans ces circonstances. Oui, je suis de parti pris, je ne sais malheureusement pas faire autrement. Et je n'arrive pas à laisser cette place pourtant nécessaire à une petite voix qui me mettrait en garde. Certes oui, le coup de l'amnésie pourrait passer pour une stratégie vieille comme le monde, mais j'ai bien conscience du fait que beaucoup en souffrent ici...
On pourrait prétendre que tous ceux qui le prétendent ont simplement quelque chose à cacher, mais je ne goûte pas à cette interprétation des faits. Non, il y a autre chose, je suis presque entièrement convaincue de cela, et pour cette raison, et parce qu'elle a l'air si sincèrement égarée (mais j'oublie un peu trop vite qu'elle est actrice, et que c'est même son métier), je ne peux que la regarder avec douceur et compassion.
Même si elle doit ne pas être qui je veux qu'elle soit, elle doit traverser une épreuve malgré tout douloureuse et compliquée, et je ne peux m'empêcher de vouloir être là pour elle, d'être présente à ses côtés si elle doit en avoir le besoin. Elle me demande de parler de moi, et je décide de lui donner satisfaction. J'essaye de ne lui épargner aucun des détails qui pourraient, éventuellement lui permettre de remettre le doigt sur qui je suis.
Peut-être qu'elle lira dans mes yeux cette lueur qu'elle trouvera commune à une autre, celle de sa fille, celle de mon père, qu'en sais-je ? J'ai tellement, tellement besoin d'entendre que c'est elle que je me précipite très naturellement dans un piège qui pourtant dévoile déjà ses contours. Plus je lui donnerai d'informations, plus celles-ci pourront se retourner contre moi... et en cet instant, je n'en ai pas peur... même si une part de moi sait que je le devrais.
❝Je suis née Palpatine, même si ce n'est pas le nom que je porte aujourd'hui... J'ai grandi sur Jakku, un endroit désertique, et mes parents...❞ Je marque un temps de pause. ❝En vérité, je n'ai plus beaucoup de souvenirs de mes parents. Ni de mon enfance. Mais je me souviens du visage de ma mère, le jour où je l'ai vue pour la dernière fois et elle...❞
Je m'embrouille dans mon discours, mais comment le lui dire ? Comment le lui dire autrement qu'en utilisant les seuls mots appropriés, quand bien même ces derniers ne pourront sans doute que lui sembler incongrus.
Villanelle la sent conciliante, Villanelle la sent désespérée, elle peut lire dans son regard, en quête d’une présence, en quête d’une présence, que la jeune femme est « à point ». Elle serait capable de boire ses paroles, parce qu’elle ressent le besoin que l’on abonde dans son sens, et évidemment, l’ancienne tueuse va s’en faire un plaisir. Sans raison particulière. Juste comme ça, pour le plaisir. Elle sait bien que ce n’est pas très juste, mais après tout, cette situation est injuste, c’est tenter de lui rendre justice que d’essayer de s’en amuser un tant soit peu. C’est du moins ainsi que la Russe choisit de le percevoir. Dans tous les cas, elle ne compte pas renoncer trop vite à ce divertissement presque tombé du ciel, et qui saura peut-être combler le vide l’espace de quelques instants qui s’envoleront certainement bien trop vite, c’est à prévoir.
Elle l’écoute donc se présenter, lui en dire un peu plus sur elle, des mots qui ne peuvent pas avoir le moindre sens ni le moindre intérêt à ses yeux. Née Palpatine, hein… Quel drôle de nom, vraiment. Un nom qui ne lui dit évidemment rien, pas plus que ce lieu où elle prétend avoir grandi : Jakku… meh, jamais entendu parler. Mais bon, elle a beau avoir voyagé de par le monde, elle ne va pas non plus prétendre être une experte en géographie. Elle allait où le vent la menait, ou plus exactement, elle allait où les Douze la conduisaient, elle n’était pas vraiment là en touriste, même s’il est vrai qu’elle a bien profité de Paris, notamment.
Villanelle a joué la carte de l’amnésie, mais elle peut aussi compter sur les souvenirs diffus de son interlocutrice qui, à l’évidence, n’a plus beaucoup de souvenir de ce moment où elles sont supposées s’être connues toutes les deux. Malgré tout, elle semble si convaincue, en la regardant dans le blanc des yeux, de reconnaître un visage qui n’est pourtant pas le sien qu’elle réussirait presque à convaincre la principale concernée.
Bien sûr, ce n’est évidemment pas le cas : Villanelle en sait bien assez de sa propre histoire pour ne pas non plus rentrer dans ce jeu sans mauvaise intention. Mais en matière de mauvaises intentions, la jeune femme n’a pas son pareil. Ce n’est rien de directement orienté contre son interlocutrice, bien entendu. Elle l’aurait sans doute trouvée relativement sympathique en d’autres circonstances, d’ailleurs, quoique sans doute trop naïve – mais très mignonne, ce qui a le don de compenser, mais là… Là on passe à un tout autre niveau.
Villanelle écarquille grand les yeux quand son interlocutrice lui affirme de but en blanc qu’elle pense qu’elle est sa mère. Ah oui, ça plaisante pas… Elle pensait être prête à entendre à peu près tout et n’importe quoi, mais force lui est de reconnaître qu’elle ne s’y était pas attendue, à celle-là. Pas du tout, même. Elle se sent prise au dépourvu. Elle commence à se demander si ce n’est pas elle qui se paie sa tête, tout compte fait.
0]]"Ta mère ? Mais ma chérie, on tu es à peine plus jeune que moi, et encore"[/b], remarque-t-elle qui pour le coup ne parvient pas à jouer d’office sa comédie face à une éventualité qu’elle n’avait absolument pas envisagée. Elles ont presque le même âge, toutes les deux, c’est évident, alors d’où lui vient cette pensée étrange qu’elle puisse être sa mère ? Non, ça n’a aucun sens.
Elle ne me croit pas d'emblée, et même si cela me déçoit un peu, je ne peux définitivement pas lui en vouloir pour cela, encore moins avec sa mémoire défaillante. Une part de moi aurait véritablement voulu qu'elle me reconnaisse au premier coup d'oeil, qu'il s'établisse entre nous une sorte de connexion à aucune autre pareille, je ne sais pas... Mais ce n'est pas comme ça que ça se passe, et dans des circonstances comme celle-ci, la réaction de mon interlocutrice est particulièrement logique, vraiment. Une personne qu'elle ne connaît pas et qu'elle ne reconnaît pas vient de lui apprendre qu'elle pense être sa fille, sans sembler être moins âgée que vous. Il y a de quoi être décontenancé. Il y a de quoi se dire que ça ne peut pas avoir le moindre sens. Mais je me sens l'obligation d'insister. Car du sens, ça en a, ou en tout cas, ça en a pour moi. Même si je m'égare peut-être, je veux croire que je ne suis pas ici pour rien, et que cette femme est capable de vraiment me reconnaître.
❝Je sais, je sais mais... Ce n'est pas impossible pour autant...❞
Je baisse les yeux sur mes doigts que je ne peux m'empêcher de triturer avec nervosité. J'ai du mal à garder mon regard planté dans celui de mon interlocutrice : il me faut le reconnaître. Elle m'impressionne. J'ai l'impression que son regard me passe au crible. C'est une sensation étrange, à laquelle je ne suis pas habituée à ça, du tout. L'attention qu'elle porte sur moi est presque clinique, comme si ses prunelles me passaient aux rayons X. C'est une sensation étrange. La présence de ma mère devrait me rassurer, pas m'inquiéter. Mais il émane de cette femme une aura... particulière. Je n'arrive pas à me l'expliquer... mais je me dis que si elle peut comprendre ma situation, alors tout ira de suite beaucoup mieux.
❝Un ami à moi, Poe Dameron...❞ Je ne sais pas pourquoi je donne son nom complet, ce n'est pas comme si ça allait servir à grand-chose, après tout, mais nerveuse comme je suis, je me sens l'obligation d'entrer dans ces sortes de détails. ❝Il a retrouvé sa mère, lui aussi, et elle est beaucoup moins âgée que lui. C'est cet endroit, il brouille les notions de temps et d'espace...❞ Elle pousse un soupir... ❝J'aimerais... j'aimerais vraiment... qu'on apprenne à mieux se connaître, toutes les deux. Enfin... si vous êtes d'accord ?❞
Je suis si hésitante dans mes propos... mais en même temps, cette situation est si exceptionnelle qu'elle exige des comportements hors du commun. Je ne suis vraiment pas sûre de comment m'y prendre. J'essaie seulement de capter son attention, en espérant que je parviendrai à retenir son attention, d'une manière ou d'une autre...
Qu’est-ce qui est encore impossible et qu’est-ce qui ne l’est plus ? A ce stade, Villanelle n’en sait plus grand-chose. C’est assez déstabilisant en soi, mais dans certaines circonstances – exceptionnelles –, ça peut aussi se révéler être une excellente chose au bout du compte. Il faut juste être capable d’en tirer les meilleurs bénéfices au bon moment. En bref, c’est une question d’équilibre, et cet équilibre, ô combien subtile, est assez difficile à trouver puisque les règles du jeu, si c’en est un, peuvent changer à tout moment et vous prendre au dépourvu. Cependant, les autres joueurs n’en savent pas beaucoup plus que vous, et c’est là que vous pouvez espérer tirer votre épingle du lot. Surtout si le joueur en face de vous se révèle plutôt naïf, ou seulement désespéré de retrouver quelqu’un à qui vous ressemblez mais qui n’est pas vous. Donc, Rey se justifie, et en dépit de la réserve de Villanelle, elle insiste.
L’ancienne tueuse à gages n’a pas la moindre idée de qui est ce Poe Dameron, et autant dire qu’elle n’en a pas grand-chose à faire de toute manière, peut-être qu’elle pourrait se renseigner, par acquis de conscience, mais elle ne pense pas que ce soit forcément si nécessaire que cela dans la situation présente. Le fameux Poe Dameron a donc retrouvé sa mère, une mère beaucoup plus jeune que lui… si ça se trouve, il s’est juste fait avoir, comme la miss qui lui fait face a l’air de désespérément vouloir se faire avoir elle aussi, mais Villanelle choisit d’admettre cette possibilité, qui ne peut évidemment que l’arranger. C’est vrai que cet endroit brouille les notions de temps et d’espace, même si Villanelle, de son côté, appartient à cette catégorie de personnes, au final relativement rare, qui n’a pas réellement été impactée pour ce qui est du temps en lui-même. « D’accord… Après tout, peut-être que tu as raison, et peut-être que c’est grâce à toi que je vais retrouver les souvenirs qui me manquent », suggère Villanelle avec un faux filet d’émotion dans la voix.
Elle a presque envie de rire tant elle trouve cette situation ridicule, mais en même temps, elle a quand même envie de voir jusqu’où tout ça peut les mener. Allez savoir, peut-être bien que cette rencontre avec Rey, même si très étrange, a pour vocation d’aboutir quelque part ? Ou pas. Elle a au moins vocation à la divertir, et on admettra que ce n’est pas un moindre luxe en soi, déjà.
« Qu’est-ce que tu veux savoir sur moi ? Comme tu t’en doutes, je ne vais pas pouvoir te dire grand-chose. »
Et la moindre invention serait capable de la trahir, par-dessus le marché. Il n’empêche qu’il y a de quoi être franchement curieux. Villanelle est sans doute bien plus curieuse de Rey que l’inverse, et elle ne s’en cache pas véritablement. Même si elle veut garder l’avantage sur cette discussion, un avantage qui implique donc de ne surtout pas inverser les rôles, et de jouer sa petite comédie jusqu’au bout.
Elle me laisse le bénéfice du doute, et je dois bien reconnaître que ça me soulage. Je ne sais pas exactement ce que je dois en penser, pour tout dire, mais je sais une chose, tant que je n'aurais pas pu poser toutes mes questions à cette femme, le doute subsistera. L'espoir en moi est trop grand, et même si je peux admettre qu'il confine sans doute à la naïveté, c'est définitivement ce que je garde de plus précieux à l'heure actuelle. L'espoir ne m'a jamais servie en vain, en ce qui me concerne. Il m'a permise d'aller plus loin, de me dépasser... en bref, de permettre de rassembler au mieux mes émotions dans un monde qui n'a jamais eu de cesse que de les tourmenter, encore et encore.
Cette femme a l'air d'accepter l'éventualité que, oui, peut-être qu'au fil de la conversation, ses souvenirs se réveilleront. J'aurais voulu que ma seule présence, le fait qu'elle me regarde droit dans les yeux, suffise à ce déclic, mais ça ne pouvait pas être aussi simple, bien évidemment... Rien n'est jamais simple... J'étais toute petite quand elle m'a vue pour la dernière fois... et peut-être aussi... qu'elle n'était pas encore mère, quand elle est arrivé ici. Je n'en sais rien, je ne comprends rien, j'essaie de comprendre.
Et c'est en jouant à un jeu de questions-réponses, nous parviendrons peut-être à débloquer quelque chose. J'admets que c'est sans doute naïf de ma part mais... Qu'ai-je de mieux à proposer ? Rien, j'en ai peur, et j'espère qu'elle saura se contenter de cela... Déjà, qu'elle écoute mes élucubrations et ne me mette pas à la porte est bon signe. En même temps, puisqu'elle n'a aucun souvenir de sa vie passée, elle doit sans doute courir après tout ce qui lui permettra de raccrocher les wagons, pas vrai ? Je le vois ainsi, en ce qui me concerne. Je suppose que c'est son cas également.
❝Je suppose qu'il ne sert à rien de vous demander si vous n'avez pas ne serait-ce qu'un petit souvenir de votre vie d'avant...❞
Mais en prononçant ces mots, je le suggère malgré tout, parce que je n'arrive pas à me faire à l'idée qu'elle puisse réellement avoir tout oublié. C'est une chose trop difficile à admettre pour moi... Même si... Eh bien, avant que Ben ne me renvoie au souvenir vivace de notre séparation, moi aussi j'avais tout oublié, et je serais d'ailleurs incapable de me rappeler l'enfance que j'ai pu partager avec mes parents. Aucune anecdote, aucun fait remarquable, rien... Et honnêtement, je le regrette. J'aurais voulu être capable d'en apprendre autant à cette femme que je voudrais qu'elle ne m'en apprenne.
❝Mais parlez-moi de vous, de votre vie ici, de votre métier, de vos habitudes, de ce que vous aimez...❞ J'esquisse un fin sourire, presque gênée des mots que j'ajoute. ❝Tout m'intéresse.❞
Villanelle fait non de la tête, un air faussement peiné sur le visage quand Rey suppose qu’elle n’a aucun souvenir de sa vie d’avant. C’est bien sûr entièrement faux. Elle en a au contraire le souvenir le plus vivace, et surtout du dernier moment qu’elle a passé avant de se retrouver ici, sur ce pont, en compagnie d’Eve. Plus d’une fois elle a espéré pouvoir remonter le temps afin de retrouver ce sentiment qui l’avait gagné au moment où son regard avait croisé celui d’Eve… mais à la place, elle est là… Et elle s’occupe comme elle peut, on va dire. De façon tout sauf recommandable, donc, pourrait-on dire. Mais Villanelle n’a pas réellement de scrupules à ce sujet. Elle n’a pas franchement de scrupules à beaucoup de sujets, d’ailleurs.
Tout comme sont vifs ses souvenirs de son ancienne vie, grande est sa volonté de réussir à se divertir dans celle-ci. Si un divertissement, quel qu’il soit, frappe à sa porte, comme c’est le cas en cet instant, elle ne peut évidemment pas passer à côté. Elle dirait même que ce serait tout à fait criminel de le faire, d’ailleurs. Elle pourrait inventer des souvenirs, des flashs, mais elle n’a pas envie de se donner cette peine. Le désespoir de Rey suffit à combler tous les vides, elle n’a pas besoin de pousser le jeu vraiment très loin pour qu’il ait de l’intérêt, par conséquent, elle ne se force pas. La détresse de son interlocutrice est un divertissement en soi, cruel, certes… pas qu’elle se trouve si sadique que cela en l’occurrence. Après tout, elle serait presque généreuse d’accorder ainsi à son interlocutrice un semblant d’intérêt qu’elle ne mérite pas forcément… Sa vie de petite orpheline en quête désespérée de ses origines ressemble à n’importe quelle autre, vraiment pas de quoi en faire tout un plat.
Vient le moment de parler d’elle et de ce qui la concerne. Le moment d’être complètement honnête ou de mentir dans les grandes largeurs. Qu’est-ce qu’elle aime ? Eve, pour commencer, Eve, surtout. Sinon… jouer un rôle, les belles tenues… Tuer… elle aimait bien ça, tuer. C’était satisfaisant un petit instant, puis ça cessait de l’être, mais c’était loin, très loin d’être désagréable sur le moment. Bien sûr, elle ne peut pas dire ça… Elle ne veut pas dire ça. Qu’est-ce que pourrait aimer la mère de cette jeune femme ? Villanelle doute fort qu’il y ait quoi que ce soit d’intéressant à dire, en l’occurrence, mais elle se sent tout à fait capable de broder. A partir de rien. L’improvisation est un talent nécessaire pour un acteur, pas vrai ?
« Je suis devenue actrice un peu par hasard, j’avais pas du tout planifié ça, j’ai été repérée en pleine rue, et après ça, c’est allé très vite. J’aime bien incarner des rôles… J’imagine que j’essaie de retrouver un peu de ce que je suis dans chacun d’eux. Quand on ne sait plus qui on est, c’est plus réconfortant de s’inventer une identité. »
Mais quelle actrice ! Vous voyez qu’elle a bien choisi son métier ! Bien sûr, c’est un mensonge. Sur toute la ligne. Villanelle ne pense absolument rien de ce qu’elle vient de dire, mais quelle importance si Rey réussit à trouver cela crédible, hein ?
« En dehors du travail, je ne fais pas grand-chose. J’essaie de me souvenir. »
Insister encore un peu plus sur le pathos… une merveilleuse idée, pas vrai ?
Peut-on devenir acteur complètement par hasard, sans vraiment l'avoir cherché ? Comme pour n'importe quelle profession, cela me semble assez hasardeux, mais je ne peux pas prétendre connaître grand-chose au métier qu'exerce mon interlocutrice : le théâtre, le cinéma sont des arts que j'apprivoise ici, ou que j'essaie d'apprivoiser, en tout cas, avec plus ou moins de difficulté, avec plus ou moins de succès. Ce n'est pas quelque chose de naturel, simple ou intuitif chez moi, comme je ressens que rien ne sera simple ou intuitif dans cette situation non plus. J'aurais voulu que tout coule de source, vraiment, mais je me rends compte que les choses ne se passeront pas ainsi, ne peuvent pas se passer ainsi. C'est un sentiment difficile, compliqué... Je ne sais pas à quoi je m'attendais... à ce qu'on tombe dans les bras l'une des l'autre, je crois... Je peux être d'une naïveté sans pareil, parfois.
❝Réconfortant peut-être, mais pas sur le long terme, pas vrai ? On ne pas passer une existence entière à se chercher... Et parfois...❞ Je baisse les yeux. ❝... il faut que les autres nous trouvent pour que nous nous trouvions nous-mêmes.❞
Je le sais mieux que personne, moi qui ai passé tant de temps à la recherche de moi-même, et je veux croire qu'il en est de même pour elle aussi... J'ai trouvé d'autres manières de me construire, j'ai compris que le nom de mes parents ne me définissaient pas, mais je ne peux pas, pour autant, demeurer insensible quand je découvre l'existence d'une mère que j'aurais tant aimé avoir l'occasion d'aimer.
❝J'aimerais réussir à vous rendre vos souvenirs...❞
A toute vitesse, je réfléchis. Je veux trouver la manière la plus pertinente de lui parler de mon histoire. Je pourrais choisir d'en faire le récit tout de suite, mais j'ai conscience du fait que ce ne serait que moyennement efficace, en vérité. Elle ne lui donnerait que l'impression de lui raconter un conte, une histoire à dormir debout...
❝Est-ce que je peux vous laisser mes coordonnées ? Il y a des personnes que j'aimerais vous présenter... Et comme ça, j'éviterais de... vous déranger. Je sais que je vous prends au dépourvu. Attendez...❞ Je tire un papier et un crayon de mon sac à main en désordre pour y noter précipitamment mon numéro, sans attendre sa réponse. ❝C'est mon numéro, vous pouvez m'appeler quand vous voulez... quand vous pouvez.❞
Je sais ce qu'il faut que je fasse. Lui présenter Poe, et Finn, elle verra BB-8, ils cautionneront mon histoire, et moi je réussirai peut-être plus facilement à me remettre des émotions qui me submergent et qui, en cet instant, m'empêchent définitivement de réfléchir convenablement. J'ai besoin de prendre une certaine distance par rapport à cet échange, si court fut-il. Je crois que ça vaut mieux.
❝Je vous remercie, vraiment... Je reviendrai vous voir. Enfin si vous voulez...❞ Je me racle la gorge, mal à l'aise. ❝Encore merci.❞
Je dois avoir l'air pathétique, j'ai perdu tout ce que je possède de confiance, mais je comprends qu'il faut que je prenne une légère distance avant d'accepter cette conversation.
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