La princesse et le monstre [Anna]

Comme bien souvent, Anna se trouvait à la bibliothèque de l'université. C'était un endroit agréable, tranquille, dans lequel Anna aimait passer son temps libre, surtout après ne pas y avoir mis les pieds pendant plusieurs jours. Et puis ici, au moins, elle pouvait travailler sans être distraite par autre chose - enfin, elle réussissait à se déconcentrer avec un rien, donc elle en était capable, mais c'était mieux que rien.

La jeune femme, concentrée comme rarement, était plongée dans la lecture d'un livre - duquel elle était censée tirer des notes, mais absorbée par sa lecture, elle n'y pensait plus - quand des haussements de voix l'interpelèrent. Curieuse de comprendre ce qui était en train de se passer dans cet endroit souvent trop calme, la jeune femme avait relevé les yeux et observait la scène. Des étudiants étaient en train de se faire reprendre parce qu'ils étaient beaucoup trop bruyants. En effet, ils étaient en train de regarder elle ne savait quoi sur leur téléphone, le son montait bien trop haut.

Anna ne disait rien, se contentant d'observer ces jeunes idiots incapables de se comporter comme des adultes responsables et respectueux. Finalement, lorsque les jeunes s'étaient éloignés, la jeune femme, sans trop réfléchir à ce qu'elle était en train de faire, s'était levée pour se diriger vers le gardien - qui n'avait pas la réputation d'être l'homme le plus joyeux ou le plus agréable de l'université, mais qu'importe. « Ne les écoutez pas. » Souffla-t-elle en souriant, s'imaginant que les mots désagréables des élèves avaient affecté l'homme. « Ce sont des idiots qui veulent montrer qu'ils existent. » Continuait-elle, sans faire la moindre pause, bavarde comme à son habitude. « Ils pensent sûrement qu'être bruyant, que répondre, qu'être désagréable et insolent, ça les rend tout de suite beaucoup plus... Enfin, que ça donne envie de les fréquenter. » C'était ridicule aux yeux d'Anna - enfin, pas toujours, mais dans leur cas à eux, si - mais beaucoup imaginaient que c'était ce qu'il fallait faire pour se faire accepter et pour exister.

Parce qu'Anna était profondément gentille, elle voulait se montrer rassurante après l'altercation entre l'homme et les étudiants. Elle savait comme les mots pouvaient blesser, tout comme les attitudes, et elle n'avait pas envie qu'il se sente blessé à cause de quelques étudiants stupides et sans une once d'intelligence. Bavarde, donc, Anna tentait de rassurer quelqu'un qui n'en avait pas besoin - ce qu'elle ignorait, bien sûr. « Vous avez raison ! C'est encore la meilleure attitude à avoir avec ce genre de personnes. » répondit-elle, tout sourire, alors qu'il assurait ne pas être touché par les mots des étudiants. Anna était rassurée. Rassurée de voir qu'il allait bien.

Silencieuse - ça lui arrivait, rarement, mais ça lui arrivait - elle observait l'homme qui continuait de faire le ménage, sans plus dire un mot. Anna, pour autant, ne bougeait pas. Et elle avait eu raison, de ne pas bouger, puisqu'il avait ajouté quelque chose. Un nouveau sourire s'était dessiné sur ses lèvres à cette réflexion. Dans un premier temps, elle avait secoué la tête, avant d'ajouter. « Non ! Bien sûr que non ! » Anna se comportait suffisamment bien, dans la plupart des cas, pour ne pas avoir de travail supplémentaire ou de punition en tout genre. Son seul défaut était qu'elle parlait trop, mais en cours, elle se contrôlait plutôt bien. « J'étais pas mal occupée ces derniers temps, trop pour passer du temps ici. Puis, j'ai pris suffisamment d'avance sur mon travail pour me permettre de me concentrer sur autre chose pendant quelques jours. J'aime beaucoup cet endroit, ce n'est pas le contraire que j'essaie de prétendre, mais parfois, ça fait du bien de faire autre chose, de se concentrer sur autre chose. Alors j'ai profité de ces derniers jours pour passer du temps avec ma soeur. » Et voilà comment une simple question pouvait se transformer en un récit beaucoup trop long avec Anna. Elle racontait donc sa vie à cet homme, sans se soucier du fait que, peut-être, il s'en moquait éperdument.

Puis, le voyant s'agacer sur une tache qui résistait au frottage, Anna s'était agenouillée peu de temps après lui pour lui apporter son aide. « Attendez, je vais vous aider ! A deux, on ira plus vite à bout de cette tache. » Proposait-elle, toujours aussi joyeuse, toujours aussi souriante, sans se dire un instant qu'elle le dérangeait peut-être dans son travail.

Anna était trop bavarde. Elle parlait beaucoup et ne faisait pas toujours attention à ce qu'elle racontait. C'était dans sa nature. Certains trouvaient ce trait de caractère adorable ou amusant, quand d'autres le trouvaient parfaitement insupportable. Dans le cas de cet homme, la deuxième solution semblait davantage correspondre à la réalité.

Anna, par ses incessants bavardages, avait donc appris à cet homme qu'elle avait une soeur. Sa réponse était un peu trop sèche et froide, mais Anna ne releva pas. Mais, plutôt que répondre, la jeune femme lui avait proposé son aide pour venir à bout d'une tache particulièrement tenace sur laquelle il semblait s'acharner. Anna n'était pas une pro du ménage, mais elle pouvait lui apporter de l'aide en frottant. Ça, frotter, n'importe qui savait le faire. De là à obtenir un résultat, peut-être pas, mais elle ferait de son mieux.

De sa réflexion, Anna ignorait le début. Elle était bavarde, elle le savait, mais elle restait persuadée, au fond d'elle, qu'il appréciait qu'on s'adresse à lui, malgré tout. Alors, elle attrapait la serpillière et concentra toute son attention sur le balai et sur la tâche. Cependant, si elle ignorait désormais totalement l'homme, elle n'oubliait pas de rester bavarde - il était tout de même question de faire honneur à sa réputation - et de continuer à parler. « Mieux vaut recevoir de l'aide d'une pipelette que des moqueries d'étudiants bruyants, non ? Et bien sûr que j'ai déjà nettoyé ! Pour qui me prenez-vous ? » S'exclama-t-elle, joyeuse. « En silence, en revanche... Pas vraiment. Je sais que je parle beaucoup, mais je fais des efforts. » Ou pas. « Vous avez dit votre... » Elle parlait un peu vite et sans lien logique, ce qui pouvait rendre difficile la compréhension, elle ajouta donc : « Quand j'ai parlé de ma soeur, vous avez dit la vôtre... Vous avez une soeur, vous aussi ? » C'était ainsi qu'elle l'avait compris, en tout cas, et sans gêne et elle s'interrogeait.

S'imaginait-il qu'Anna avait des gens qui faisaient tout pour elle ? Il était vrai que ça avait été longtemps le cas, lorsqu'elle était à Arendelle, après tout, mais depuis qu'elle était dans ce monde, elle avait appris à toute faire toute seule pour être totalement indépendante. C'était une vie complètement différente, mais pas désagréable, d'après elle. « Je suis beaucoup de choses, mais je sais passer un coup de balai, soyez rassuré. » Répondait-elle, un grand sourire aux lèvres. Après tout, elle aurait pu lui apprendre qu'elle avait été reine - ce qui lui aurait pu lui donner raison et lui faire dire qu'elle ne savait pas faire le ménage, en réalité.

Mais ce n'était pas du tout ce qui l'intéressait à cet instant. Anna, curieuse, s'interrogeait à propos d'une chose qu'il avait dite. Il avait dit la vôtre lorsqu'Anna avait parlé de sa soeur, ce qui poussait Anna à croire que cet homme avait également une soeur. « Je suis certaine que vous la retrouverez ici, il ne faut jamais perdre espoir ! » De son côté, il lui arrivait de le faire et bien vite elle retrouvait ses espoirs et sa joie de vivre naturelle. Alors, elle voulait lui transmettre un peu de cet espoir, même s'il n'en avait peut-être pas besoin, parce qu'Anna était ainsi.

Anna frottait énergiquement le sol, toujours aussi joyeuse, sans jamais perdre son sourire. « Je ne suis pas aussi superficielle que vous semblez le penser ! Ni même aussi faible ! Je ne vais tout de même pas me blesser juste en frottant une tache. » Continuait-elle, sans jamais s'arrêter, un sourire amusé aux lèvres. « Enfin, il est vrai que parfois je fais preuve de maladresse... A tel point que c'en est presque exceptionnel, mais je vous promets que je vais faire attention. » Il était vrai que sa maladresse était parfois aussi exceptionnelle que sa capacité à parler sans jamais s'arrêter, mais elle n'allait tout de même pas se faire mal au dos pour si peu, si ? Dans le doute, pour lui éviter des problèmes, elle allait redoubler de prudence - ce qui ne l'empêcherait pas de faire une bêtise si une bêtise devait être faite.

Anna faisait part de sa maladresse à l'homme. Elle était prudente et ferait particulièrement attention pour ne pas lui attirer d'ennuis, mais elle restait d'une maladresse assez incroyable. « Je vais faire de mon mieux, je vous le promets. » Rétorqua-t-elle en souriant alors qu'il lui demandait de ne pas le blesser et de ne pas s'empaler quelque part pour avoir à éviter les urgences. Elle ferait réellement de son mieux, mais malheureusement pour elle, elle n'avait aucun contrôle sur cette malchance - les choses seraient bien plus faciles si tel était le cas.

Alors qu'il avait repris la parole, Anna s'était mise à rire, avant de reprendre un air exagérément sérieux sur le visage pour ajouter : « Votre réputation est sauve ! Ce n'est ni la nuit, ni la pleine lune, personne ne croira en un sacrifice ! Puis, les gens vous adoreront peut-être, pensant que vous avez enfin réussi à me faire taire ! » Disait-elle en souriant finalement. « Mais tout le monde sait à quel point je suis maladroite, ils comprendraient vite que je suis la seule responsable. » Combien de fois avait-elle bousculé quelqu'un, renversé quelque chose, était-elle tombée ? Trop pour que sa réputation ne soit pas faite aux yeux de ceux qui la connaissaient. « Et puis, je n'ai pas peur de vous ! » Donc réputation ou non, elle savait qu'il n'avait rien d'un être diabolique - enfin, elle supposait.

Désormais en train de frotter le sol à deux, Anna ne s'arrêtait pas de sourire face à sa mise en garde. « Je le sais bien. » Elle avait déjà dû affronter un sol mouillé auparavant, qu'il se rassure. « Et voilà ! La tache a disparu ! Vous voyez que je peux me montrer utile ? » Assura-t-elle, fière d'elle, appuyée sur son balai.

Anna ne prenait aucune des menaces de cet homme au sérieux. A ses yeux, il jouait l'homme froid et désagréable pour justifier la solitude dans laquelle elle pensait qu'il vivait. Peut-être se trompait-elle sur toute la ligne, mais c'était ainsi qu'elle s'était imaginée cet homme. Elle s'imaginait presque être une sorte de réconfort pour lui. Une présence agréable. Quelqu'un à qui parler. Quelqu'un qui ne prendrait pas peur. Encore une fois, peut-être se trompait-elle totalement, mais c'était son interprétation des choses.

Alors, lorsqu'il lui proposa de nettoyer les vitres, après en avoir fini avec la tache de café, enjouée, Anna tapa dans les mains pour montrer qu'elle était partante - faisant tomber le balai au passage. « Oh, je suis désolée ! » Répondit-elle en se baissant pour le ramasser. Heureusement, il n'y avait eu aucune catastrophe. « C'est parti pour les vitres ! » Elle n'avait pas une journée particulièrement chargée et l'idée d'avoir un peu de compagnie - même s'il jouait au désagréable - lui était toujours agréable. « Je vous remercie de reconnaître mon efficacité ! » Assura-t-elle en souriant, une pointe de fierté sincère dans la voix. « Vous allez vous y faire ! Tout le monde finit par s'y faire... Enfin, presque. » Ou pas, mais elle avait envie d'y croire. Il avait beau râler à propos de sa capacité à parler sans cesse, elle continuait, persuadée que ce n'était qu'une façade.

Sans un mot, Anna suivit Godefroy jusqu'aux fenêtres. Sans mettre de gants, un peu trop pressée, elle s'était emparée d'un chiffon et du produit pour se mettre au nettoyage d'une première vitre, avec un empressement assez incroyable pour du ménage. « Jeune humaine ? » Répéta-t-elle en riant. « Etes-vous donc, en réalité, un monstre de pierre gigantesque pour me traiter ainsi ? » Lui demanda-t-elle, en riant, pensant alors aux esprits de la terre qui habitaient son monde. « Je suis certaine que vous m'appréciez au moins un petit peu. » Alors peut-être ne seraient-ils pas les meilleurs amis du monde, mais ils pouvaient tout de même s'entendre, non ?

Anna souriait à la réflexion de Godefroy. Heureusement pour elle, en effet, elle ne s'était pas pris le balai sur la tête. Au pire, elle aurait eu une jolie bosse et voilà tout. Ça n'aurait été ni la première, ni la dernière. Mais plutôt que répondre, la jeune femme s'était emparée de chiffons et de produit pour se mettre à nettoyer les vitres. Avec rapidité et vivacité, elle frottait. Et, comme Anna ne s'arrêtait jamais, elle travaillait en parlant. Elle le comparait alors à un monstre de pierres - comme les esprits de la terre, dans la forêt enchantée, dans son monde - pour plaisanter alors qu'il parlait des humains comme s'il n'en était pas un.

Sa réponse la fit rire. Un monstre d'écailles, bien sûr. Enfin, elle riait dans un premier temps avant de se questionner : était-il sérieux ? Dans un monde comme celui-ci, c'était possible après tout, non ? « Je suis contente ! C'est un bon début ! » Répondit-elle pour le reste, à propos de sa présence appréciée ou non. Elle n'était pas vexée parce qu'au fond d'elle, elle restait persuadée qu'il l'aimait bien - et puis, il la trouvait efficace, c'était déjà ça. « Merci monstre d'écailles. » Ajouta-t-elle en souriant, amusée - mais cherchant tout de même à découvrir la vérité, ou non, derrière cet aveu.

Anna frottait les vitres avec entrain quand Godefroy l'avait interrogée à propos de cet endroit. Sans hésitation, la jeune femme répondit : « Depuis quatre ans, environ. On ne s'est pas retrouvées tout de suite avec Elsa, parce que j'avais beau fouillé cet endroit, je ne trouvais rien, mais grâce à une amie, nous nous sommes retrouvées, pour finalement comprendre que nous étions arrivées ici en même temps. » Comme toujours, elle ne savait pas aller à l'essentiel, elle donnait mille détails. « Des événements étranges ? Il n'y a que ça, ici ! Rien que notre arrivée est étrange, d'ailleurs. Puis, il y a tous ces phénomènes que je ne sais pas expliquer. On se réveille dans un endroit inconnu, les hallucinations, les peurs qui se réveillent, les monstres... Enfin, la liste est longue. Vraiment très longue. » Il était vrai que les mystères faisaient entièrement partie de cet endroit, alors pour les avoir remarqué, elle les avait remarqués. « En revanche, je n'ai jamais croisé de papillon gigantesque ou ce genre de choses dans la forêt, je suis désolée. Qui recherchez-vous ? » Parce que ces questions conduisaient forcément à ça, n'est-ce pas ? Il espérait retrouver quelqu'un et interrogeait Anna en ce sens.

En plus de quatre ans, Anna avait eu de la chance. Contrairement à d'autres, elle n'avait été confrontée que très peu à tous les phénomènes étranges de cette ville. Cependant, les gens parlaient et Anna les écoutait. Les disparitions, les monstres, les hallucinations... Tout ça faisait beaucoup de bruit en ville. Alors, forcément, Anna en avait entendu parler. « Non... » Répondit-elle dans un souffle hésitant, en le regardant étrangement. « Je n'ai jamais rencontré d'humanoïdes cannibales... » Ajouta-t-elle, étonnée. « Plutôt des fantômes, des spectres étranges qui ne parlent pas... » Enfin, elle ignorait quel nom il fallait leur donner. « Je n'ai pas vécu tant de choses étranges pour ma part, mais j'ai entendu des gens parler. S'ils disaient vrai, ils ont rencontré des créatures particulièrement effrayantes et étranges. » Mais comme ce n'était pas elle qui les avait rencontrées, elle ne se sentait pas le droit d'essayer de les décrire.

« Non, vous m'avez dit que vous aimeriez retrouver votre soeur. Et là vous me demandez si j'ai croisé un papillon gigantesque. A aucun moment, vous ne m'aviez précisé que votre soeur était un papillon gigantesque ! » Rétorqua Anna pour lui faire comprendre que l'association n'était pas si logique. Il prétendait avoir été un monstre d'écailles. Le monstre d'écailles et le papillon gigantesque... Difficile de faire le rapprochement et de savoir qu'il s'agissait d'un frère et d'une soeur. « Peut-être que je pourrais vous aider à la chercher ? » Proposa la jeune femme en cessant de frotter les vitres et en se tournant vers lui comme si elle venait d'avoir l'idée de l'année. « Bien sûr, vous ne savez pas à quoi elle ressemble aujourd'hui, mais si vous me donnez tout ce que vous savez d'elle, on peut peut-être poster des petites annonces ou un truc du genre ? » Ou alors, il allait l'envoyer gentiment promener, mais Anna avait l'habitude.

« Rappelez-moi de ne plus jamais mettre les pieds dans cette forêt ! » Répondit-elle en souriant. C'était une chose impossible puisque sa soeur y vivait, mais l'idée qu'elle puisse y faire ce genre de rencontres... Autant dire qu'elle n'avait plus très envie d'y mettre les pieds - même si elle semblait prendre les choses à la légère, à première vue. Elle préférait largement ses esprits farceurs à ce tueur, évidemment.

Puis, il avait été question de sa soeur. Godefroy n'était pas le type le plus aimable qui existe sur cette Terre, mais Anna avait de la patience et restait persuadée qu'il avait bon fond et que ce n’était qu'une façade. Alors, même s'il se montrait assez désagréable, elle restait toujours polie pour lui répondre - sans, pour autant, le laisser dire n'importe quoi. « Vous m'avez dit qu'elle était votre soeur, mais que vous n'étiez pas de la même lignée ! Alors, je vous écoute, mais je n'y peux rien si vous ne fournissez pas toutes les informations. » Il avait bien dit qu'ils étaient de la même famille, après tout, donc comment pouvait-elle deviner qu'ils étaient si différents ? Non, décidément, il faisait preuve de mauvaise foi.

Mais comme Anna avait bon coeur, malgré la mauvaise foi évidente de l'homme, elle lui proposait son aide pour retrouver sa soeur. Elle n'était pas forcément douée, puisqu'elle n'avait même pas retrouvé sa soeur elle-même, mais elle avait appris à se servir des réseaux depuis son arrivée et elle voulait se rendre utile. Elle savait ce que c'était d'avancer sans sa soeur et elle ne le souhaitait à personne. « Les deux ! Nous déposerons des affiches et des recherches partout où il est possible de le faire. Il faut interroger les gens aussi, peut-être qu'ils pourront nous donner des indications. » Affirma-t-elle en prenant mentalement note des informations qu'il lui donnait.

Il ne pouvait pas s'en empêcher. S'il disait quelque chose de gentil, il fallait automatiquement que, derrière, il contrebalance son compliment par quelque chose de plus froid ou désagréable. A croire qu'il ne lui était pas envisageable d’être simplement gentil. Cependant, Anna ne s'en vexait pas. Au contraire, même, la réflexion de l'homme la faisait sourire plus qu'autre chose. « Je ne vais retenir que votre compliment. » Ajouta-t-elle, amusée et souriante. Elle n'avait pas besoin que quelqu'un lui dise qu'elle parlait beaucoup trop, elle le savait et il y avait fort longtemps qu'elle ne s'en vexait plus.

Elle ne pensait donc qu'à son bon coeur. Elle était bien décidée à lui apporter son aide. Anna n'avait pas retrouvé sa soeur elle-même, malgré ses nombreuses recherches et ses mois à espérer, mais elle pouvait peut-être faire quelque chose pour Godefroy - et même si ça ne fonctionnait pas, au moins, elle faisait quelque chose. « J'ai tout tenté pour la retrouver. Les affiches, mais j'ai aussi passé beaucoup de temps à interroger les gens autour de moi, dans tous les quartiers de la ville, mais ça n'a rien donné malheureusement. » Et parfois, elle avait perdu espoir face à ses nombreux échecs. « C'est une amie qui l'a retrouvée. » Expliqua-t-elle franchement pour ne pas donner l'impression qu'elle avait réussi cet exploit toute seule. « Je ne sais pas. » Répondit-elle en réfléchissant. « J'y ai sans doute réfléchi et j'ai eu peur, mais je crois que ça n'avait pas tellement d'importance à mes yeux, à cette époque, parce que je ne pensais qu'à la retrouver. » Alors l'amnésie l'avait peut-être inquiétée, mais sans doute très peu, finalement. Ce devait être une peur temporaire, qui la prenait par moment, sans qu'elle n'y pense à chaque fois qu'elle se mettait en quête des siens.

Naturellement, Anna se confiait sur ses retrouvailles avec sa soeur. Elle n'était pas du genre à cacher les choses, cela facilitait donc les conversations, mais elle restait toujours prudente sur les informations qu'elle donnait - notamment à propos de la nature de sa soeur. A son tour, Godefroy se confiait à elle. Il lui livrait des détails sur sa relation avec sa soeur, sur sa crainte de la retrouver amnésique, mais Anna ne comprenait pas tout. Il utilisait des termes qui lui étaient inconnus ou qu'elle ne comprenait pas toujours au niveau du fonctionnement. « Un lien symbiotique ? » Qu'est-ce que c'était ? Elle ne comprenait pas et elle avait besoin davantage d'explications, de détails à propos de ce genre de liens. « C'est un phénomène étrange que cette amnésie qui frappe au hasard les habitants de cette île... » Souffla-t-elle par simple constatation. Elle n'avait aucune explication, mais elle trouvait toujours ça étrange. Certains étaient touchés, aléatoirement semblait-il. Certains perdaient toute la mémoire, d'autres certains événements seulement... Oui, c'était un véritable mystère ! Comme tout le reste, d'ailleurs.

Godefroy avait expliqué par la suite qu'il avait exploré la ville, en vain. Anna connaissait ce sentiment pour l'avoir vécu. Elle avait aussi fouillé la ville de fond en comble dans l'espoir de retrouver son aînée, sans résultat. C'était démoralisant, déprimant... Beaucoup perdaient espoir et, à certains instants, Anna l'avait perdu. Heureusement, ça n'avait jamais duré très longtemps. « Et qui sont Amhuluk et Behemoth ? » S'intéressait-elle, en essayant de ne pas écorcher ces noms inconnus pour elle. Etaient-ils des amis ? Des ennemis ? Des proches ? Difficile à dire tant il ne laissait rien paraître de ses émotions en citant ces noms. « Je suis certaine que vous pourrez très vite ajouter votre soeur à cette liste. » ajoutait-elle pour se montrer rassurante, tout en reprenant le nettoyage de la vitre qu'elle avait délaissée depuis quelques instants.

A mesure où Godefroy expliquait le lien qui l'unissait à celle qu'il appelait sa soeur, Anna comprenait à quel point ils étaient proches et à quel point la situation devait être difficile à gérer pour lui. Ils n'étaient pas seulement proches, ils étaient liés. Par les émotions, par les sentiments, par le coeur. Ils étaient presque comme deux âmes soeurs dans l'esprit d'Anna. Il n'était pas question d'amour autre que fraternel, mais d'un amour puissant, capable de tout. Et elle trouvait ça merveilleusement beau. « Vous partagez un lien très fort... » Avait-elle soufflé comme simple constatation. Un lien bien différent de celui qu'il partageait avec les deux autres noms qu'il avait cités, d'après ce qu'elle comprenait. « Des titans ? » D'accord, Anna était ouverte d'esprit et avait vu des choses incroyables, mais il lui fallait tout de même un instant pour assimiler ce genre d'informations. « Ils représentent un danger ? » A quoi bon le savoir ? Elle ne pourrait rien y faire de toute façon, mais... Elle voulait savoir, tout de même.

« Très âgé comment ? » Demanda-t-elle avec une curiosité qu'elle ne tentait même pas de dissimuler. « C'est cet endroit qui décide de tout cela. Nous ne pouvons rien y faire, humain ou non. Cette chose a un pouvoir sur nous, un pouvoir contre lequel nous ne savons pas nous défendre. » Qu'importe que l'habitant de cette ville soit un humain de dix-huit ans ou un monstre de plusieurs millénaires, la ville avait tous les pouvoirs et décidait de tout - c'était en tout cas ce qu'Anna avait compris et déduit au fil des années. « Je mesure ma chance et vous aurez la même. » Affirma Anna qui voulait y croire aussi fort que s'il s'agissait d'un membre de sa famille - elle-même elle espérait retrouver d'autres proches, après tout. « Nous finirons par retrouver tous ceux que nous aimons. Il suffit d'être patient. » Avait-elle voulu ajouter en guise d'espoir, certaine que ça ne pouvait faire que du bien.