[terminé] Comme on se retrouve [Lily]

Il faut vraiment qu’il réussisse à se débarrasser de ce truc. C’est plus seulement qu’il le rend anxieux ou paranoïaque, ce serait trop beau. Non, Regulus ressent, profondément, viscéralement, que ce fichu médaillon est en train de le rendre dingue. Physiquement, psychologiquement. Il le vide de son énergie, de ses capacités de réflexions et le pousse dans ses retranchements. Il a parfois l’impression, quand il l’a porté trop longtemps, d’être en dehors de lui-même, comme s’il se regardait, de l’extérieur, parler et agir sans avoir aucun pouvoir réel d’intervention sur ses gestes et ses paroles. Il se sent insupportable de vulnérabilité. Et ça, c’est sans parler de ses hallucinations, encore que ces dernières auraient touché de nombreux habitants de cette ville. Posséder un objet qui rend dingue dans une ville qui rend dingue… Meilleur combo du monde, vraiment ! Ce machin le détruit à petit feu, et en attendant, il se retrouve dans l’incapacité à faire quoi que ce soit – et pour ne rien arranger, les sbires du seigneur des ténèbres en ont après lui, à présent. La totale.

Regulus se sent épuisé. Il faut dire qu’en plus d’être littéralement drainé de son énergie par cet objet qu’il se trimballe partout de crainte que son propriétaire « légitime » ne profite d’un instant d’inattention pour le reprendre, il ne dort quasiment plus. Il a l’impression d’être aussi efficace et attrayant qu’un zombie, dernièrement. Il arrive à bout. Parler un peu à Belle l’aide à se remettre les idées en place, mais il ne peut pas lui confier toute la vérité, ce serait la mettre en danger. Quant à Peter, à qui il a tout confier, il a beau ne pas douter de sa sincère volonté de faire quelque chose, il reste convaincu du fait qu’il ne sera pas capable de quoi que ce soit. Ce n’est pas contre lui, mais super-pouvoirs ou pas, il reste un Moldu, c’est tout. Et qu’est-ce qu’un vulgaire moldu pourrait vraiment contre ces forces démoniaques ? Rien, voilà. Personne ne peut rien… Lui-même ne peut rien.

Bien sûr, Regulus a en partie envie d’aller trouver Sirius et de lui en parler, mais orgueil des Black oblige, il préfère ne rien en faire. Ils ne se sont pas revus, pas reparlés depuis leurs retrouvailles. Chaque fois que Regulus envisage de faire un pas vers lui, il se ravise aussitôt. A quoi bon ? Pourquoi une nouvelle conversation se révélerait-elle plus fructueuse que la précédente ? Il faudrait qu’ils mettent leurs egos de côté pour ça, et autant dire que ce n’est pas prêt d’arriver, avec ces deux têtes de mule. Pourtant, il suffirait sans doute de quelques mots seulement. « Tu m’as manqué, Sirius. » Et ce serait sans doute la chose la plus sincère qu’il lui aurait dite…

Il ressasse cette pensée, ces actes manqués qui le mènent parfois à son frère avant qu’il ne change d’avis, et c’est à ce moment-là qu’il réalise où il se trouve. A l’évidence, Regulus est plus influencé qu’il ne le voudrait par le flot interminable et mouvementé de ses élucubrations mentales, car ses pas l’ont mené non loin des Trois-Balais. Et il reste là, à en examiner la devanture. Comme un con. Bon… c’est peut-être un signe. Même si croire aux signes, c’est franchement stupide. Alors Regulus prend une grande inspiration et passe le pas de la porte, le tout pour constater qu’il ne connaît pas la serveuse au comptoir. Sirius n’est pas là. Il pousse un soupir, partagé entre frustration et soulagement. Bon. Foutu pour foutu… Regulus se dirige vers le comptoir pour commander une bièraubeurre. Au moment d’interpeler la serveuse, son regard est attiré par la chevelure flamboyante de sa voisine. Non… c’est quand même pas…

« Evans… ? »

Il n'hallucine donc définitivement pas, c'est bien Lily Evans qu'il a sous les yeux. Il pourrait bien se demander ce qu'elle fiche ici, mais au final, la question se pose pour tous les habitants de cette fichue ville, pas vrai ? N'empêche, Regulus a du mal à se faire à ce tissu de coïncidences de plus en plus tordues qui accaparent dorénavant son quotidien. Plus de deux ans qu'il a passé tout seul sur cette île comme un con, et voilà que maintenant il retrouve des sorciers, des sorciers comme il en est un lui-même, comme s'il en pleuvait.

Il ne peut s'empêcher de se dire que ça a un rapport avec le retour de ses pouvoirs. C'est la même chose en ce qui concerne l'horcruxe qui dorénavant bousille sa santé en plus de le mettre encore plus concrètement en danger... Son instinct premier qui lui soufflait qu'il n'aurait jamais la paix si ses pouvoirs devraient lui revenir avait sûrement vu juste. Il aurait sans doute dû se contenter de vivre comme un pauvre Moldu... Mais on ne décide pas... Et maintenant, il fait donc face à cette actrice de son passé, qui le considère avec une froideur et une rancoeur manifestes, qu'il n'a définitivement pas volé.

Et pour cause, Lily a d'excellentes raisons de ne pas pouvoir le voir en peinture. Du temps de Poudlard, il n'était pas parmi les derniers quand venait le moment de la couvrir d'insultes sous le prétextes que ses parents n'étaient pas des sorciers. Et après... Après, le peu de temps que ça a duré, ils appartenaient à deux camps radicalement opposés. Regulus n'a jamais su ce qui était arrivé au couple Potter, il est mort avant ces événements. Dans son esprit néanmoins, le nom de Lily est associé à celui de James Potter, et au vu de la haine cordiale qu'il éprouve à l'adresse de celui qui lui a volé son frère, l'on ne devait évidemment pas s'attendre à de grandes, belles et émouvantes retrouvailles, d'un côté comme de l'autre.

"Je sais pas, je suis dans un bar, à ton avis ? Je suis là pour boire, comme toi ?" réplique Regulus avec l'amabilité qui, bien évidemment, lui est infiniment caractéristique, cela va sans dire. "Si tu me demandes ce que je fais ici, c'est-à-dire dans cette ville, je suppose que tu devrais être capable de trouver la réponse toute seule, comme une grande. J'en ai pas la moindre idée."

Et elle non plus, certainement, car aucun d'eux n'étaient vraiment capables de comprendre par quel concours de circonstance ils étaient arrivés ici. En revanche, ils n'ont à présent d'autre choix que de faire avec quoi qu'il en soit. Même si c'est évidemment emmerdant. Dans ces circonstances comme dans beaucoup d'autre.

"Je sais, je suis pas trop mal conservé pour un macchabée", ajoute-t-il sans savoir qu'il s'adresse à un autre macchabée présumé.

Regulus hausse les épaules, il ne compte pas répondre plus précisément à la question de Lily. Sans doute qu'elle pose la question parce qu'elle sait que Sirius travaille ici et que ça l'interroge ? Dans tous les cas, il n'estime pas lui devoir la moindre sincérité, et déjà qu'il n'assume pas tout à fait avoir voulu retrouver son frère, ce n'est certainement pas à la rouquine en chef qu'il va avouer ça, certainement pas. Donc non, elle se contentera d'un haussement d'épaules désabusés et de la suggestion qu'il soit juste venu là pour boire un verre, quand bien même ces explications pourraient bien ne pas être satisfaisantes à ses yeux.

Il s'attend un peu à ce que leur conversation s'arrête là. Regulus va finir sa bièraubeurre, et filer aussi rapidement qu'il est venu en se rappelant de ne plus jamais mettre les pieds dans cet endroit. C'est sûr, aller aux Trois-Balais, ça a un côté familier, nostalgique, presque rassurant... mais maintenant, c'est un vrai nid à sorciers (un comble quand il pense qu'il est resté si longtemps à croire qu'il était le seul sorcier de son genre sur cet îlot de malheur, et qu'il n'y en avait aucun autre) - et parmi eux pourraient bien se cacher ceux qui cherchent à le nuire. A l'évidence, il n'a plus aucun ami ni allié, ici. On ne peut pas dire qu'il ne l'ait pas cherché. Il a trahi les deux camps. Il fallait bien que ça se retourne contre lui tôt ou tard. Mais donc, non, il ne se contente pas de finir son verre et de s'en aller, car à ce moment-là, Evans reprend la parole.

"Elegant, Evans, vraiment", rétorque Regulus quand Lily lui assure qu'il rejoindra de nouveau bien vite le monde des morts s'il doit faire les mauvais choix, faire les mauvaises allégeances.

En vérité, il n'a plus la moindre intention de rejoindre les mangemorts. Même sous la menace, il ne serait pas question de répéter les erreurs du passé, mais ce n'est pas pour autant qu'il le dira à Lily. De toute manière, il n'estime pas lui devoir la moindre explication. Ni à elle ni à personne. Oui, il a tendance à penser que ses chances de survie ici sont très limitées. Déjà, il ne saurait trop dire comment il a fait pour survivre aussi longtemps. Il ne pense pas, en toute honnêteté qu'il puisse survivre longtemps, ici... Tant pis. Sa deuxième chance ne ressemble à rien. En même temps, si c'en était vraiment, pourquoi est-ce que le médaillon de Serpentard lui serait revenu ?

"Qu'est-ce que ça peut te faire, exactement, la manière dont je suis mort ? ça va changer quelque chose pour toi ? Pas que je sache...", se rembrunit-il, toujours aussi aimable. Mais il change quand même légèrement de discours quand Lily ajoute quelques mots qu'il devrait décider d'ignorer mais qui l'intriguent suffisamment pour qu'il la questionne. Ce qui s'est réellement passé après sa mort, l'impact qu'a eu ou non son sacrifice, c'est là des questions qui le travaillent et auxquelles il n'a toujours pas de réponse. C'est sans doute l'occasion. Même si ses réponses doivent lui venir d'Evans. "Quel genre de rumeurs ?"

Regulus ne prend pas la peine de répliquer quoi que ce soit quand la rouquine commente sa fragilité… Il n’a même pas envie de se défendre de ses observations qui ne sont jamais que destinées à le rappeler à un statut qu’il a certes abandonné, mais auquel il sera toujours rattaché, dans cette vie comme dans la sienne (sans doute parce qu’il ne fait pas grand-chose pour se présenter sous son meilleur jour non plus, mais ça)… Au final, il se dit que l’opinion que Lily Evans peut avoir de lui n’a de toute façon pas beaucoup d’importance. Elle ne va pas changer la face du monde, ni non plus changer quoi que ce soit à leurs relations, indifférentes quand elles ne sont pas hostiles. Oui, il n’est pas décidé à faire le moindre effort. Au final, ça se résume à ça.

« Je me fiche de ton pardon, et c’est pas à moi de m’amuser à faire ta thérapie. Si tu cherches à être en paix avec ton passé, t’as qu’à voir un psy, paraît que c’est pas ce qui manque, dans le coin », réplique-t-il à ses propos suivants.

Et y a pas à se demander pourquoi, tout le monde en a plus ou moins besoin, en fin de compte. Même Regulus en voit un, d’ailleurs, de psychiatre (moldu, oui, tout à fait… au point où il en est, en même temps). Ceci dit, et même s’il ne le dira pas, il sait, oui, que la rancune et les regrets on la vie dure. De la rancune, il en garde énormément envers son frère, et plus encore envers James Potter, qui avait pris sa place auprès de lui. Quant aux regrets… au vu de comment les choses se sont passées, évidemment qu’il en est. C’est sa vie tout entière qu’il aurait vécue différemment s’il en avait eu l’opportunité. Mais celle-ci ne s’était pas présentée, jamais…

Concernant les raisons de sa mort, Regulus a au moins le « privilège » d’entendre les rumeurs qui circulent à son sujet. Remarquable que certains s’imaginent que Voldemort l’ait considéré suffisamment important pour le tuer en personne… Tu parles… Quant au fait d’avoir voulu changé le camp et d’en avoir payé le prix fort. C’est… plus ou moins vrai.

« Ne jamais se fier aux bruits de couloir, j’ai pas été assassiné », réplique Regulus avec froideur. « Si tu me cherchais des circonstances atténuantes pour soulager ta propre conscience dans ta quête de pardon ou je sais pas quoi, tu perds ton temps. Je suis mort comme un con en faisant ce que je pensais devoir faire, fin de l’histoire. »

Fin de l’histoire… sauf qu’il n’en raconte même pas le millième en cet instant, et à vrai dire, ce n’est pas forcément malin de faire des remarques si abstraites qu’elles appellent à d’autres questions, mais il compte en partie sur le fait qu’il sera suffisamment désagréable pour que Lily n’insiste pas. Le pire serait qu’elle le prenne en pitié, à présent.

Non, bien sûr, Regulus a bien compris que quand Lily parle de pardon, elle parle dans un sens plus général… Il n’empêche qu’il ne contribuerait pas davantage à son apaisement, si c’est ce qu’elle veut quérir. Regulus ne se donne pas tant d’importance, non, il sait d’ailleurs qu’il n’en a aucune, mais il se fiche assez que la rouquine pense le contraire. Plus elle le trouvera antipathique, plus elle se tiendra à l’écart de lui, ce qui est en soi une très bonne chose. Oui, il ne pense pas mériter autre chose que la haine qu’elle lui adresse, au fond. Il est autant dégouté qu’elle par tout ce qu’elle peut avoir à lui reprocher, ce n’est pas pour autant qu’il compte s’en excuser, ou même s’en justifier. Ni à elle, ni à personne. Il ne veut pas être pardonné parce qu’il n’estime pas mériter de l’être. Il ne veut pas être un martyre, il aurait juste voulu… qu’on lui foute la paix. Mais pour ce qui est de le rattraper, et dans les grandes largeurs, le passé rivalise d’imagination, en ce moment.

Lily est fier, Lily n’a apparemment pas de regrets (Regulus en doute un peu). Elle peut. Elle a fait partie du bon camp dès le début, elle a su faire preuve de la bravoure nécessaire quand la situation l’a exigé. Ils ont peut-être ça en commun. Ils ont su se sacrifier. Sauf qu’elle l’a fait pour les gens qu’elle aimait. Regulus n’a pas pensé aux gens qu’il aimait au moment de se rendre dans la caverne, il a seulement agi de la seule manière qui lui paraissait encore viable, conscient qu’il n’en reviendrait pas. Et c’est peut-être un peu con. Et il est sans doute toujours un peu con, en effet. En fait, pas sans doute. C’est évident. L’avantage, c’est qu’il passe suffisamment à se flageller lui-même pour être un peu moins sensible aux réflexions que lui font les autres. Oh, il reste sensible, et susceptible, mais tout dépend de qui le coup vient. Et quand il se l’administre par anticipation, ça passe évidemment déjà mieux.

« Il ne tient pas à moi », répond Regulus d’un ton renfrogné. Bon, d’accord, sur ce point, il est peut-être de mauvaise foi, mais ses retrouvailles avec Sirius ne lui ont pas donné le sentiment que son frère ait quoi que ce soit à faire du fait qu’il soit là ou pas… ce qui est idiot, bien sûr, car lui non plus n’a pas manifesté un enthousiasme flagrant à le voir, alors qu’en vérité, il avait été heureux, tellement heureux de le retrouver. « Ça lui serait égal. » Il tourne son regard vers Lily. Il ne va pas lui promettre de faire de meilleurs choix, il ne va pas lui promettre non plus que ses choix ne le mèneront pas dans la tombe. Plus jamais il ne retrouvera les rangs du seigneur des ténèbres, mais pour sa propre survie, il aurait peut-être fallu. « Tu sais ce qui lui arrivé… ? » ose-t-il demander en sachant que sa question entre en contradiction totale avec le détachement dont il fait mine de faire preuve. « … après ma mort, je veux dire ? »

Sirius n’avait pas voulu le renseigner sur ce qu’a été sa vie après lui. Lily en sait peut-être plus.

Regulus se contente de hausser les épaules quand Lily lui assure qu’il a tort, qu’il reste le frère de Sirius quoi qu’il arrive, et que ce dernier tient à lui, quoi qu’il en soit. Il ne veut pas accorder trop de crédit à ces paroles, et en même temps… bien sûr qu’il a envie, besoin, même, d’y croire. Parce que lui, de son côté, et en dépit de son incapacité crasse à le lui montrer, aime son grand frère, et un part de lui demeure amère que leurs retrouvailles n’aient finalement eu pour résultat que de creuser un peu plus le fossé entre eux alors qu’ils auraient pu se laisser l’occasion de faire un pas l’un vers l’autre (cela dit, c’était sans compter sur l’orgueil naturel des Black, sans doute l’un de leurs plus forts traits communs, au bout du compte).

Peut-être qu’il faut qu’ils laissent passer un peu de temps, qu’ils laissent à la situation le temps de décanter, ou qu’ils acceptent de s’ouvrir enfin, sur leur ressenti mais surtout sur ce qu’ont réellement été leurs vies avant leur arrivée ici. Mais si Regulus ne s’y sent pas prêt, il est fort à parier que Sirius ne le sera pas davantage, et forcer les choses ne leur rendra pas service dans leur situation, loin de là. Donc bon, autant garder ces réflexions dans un coin de son cerveau et prétendre qu’il n’est pas touché, même s’il n’est pas forcément un très bon acteur en la circonstance.

La preuve, il n’a pas pu s’empêcher de poser davantage de questions à Lily au sujet de Sirius. Il s’attendait éventuellement à ce qu’elle l’envoie balader, ce qu’elle aurait clairement été en droit de faire, mais non, elle accepte de lui donner une réponse assez précise quant au devenir de son frère, du moins pour ce qu’elle est capable d’en savoir, car Regulus découvre par la même occasion que les Potter n’ont pas survécu bien longtemps après lui. Il ne dit rien quand elle évoque leur choix malheureux de faire de Peter leur gardien du secret. Regulus était au courant, pas des manigances du seigneur des ténèbres concernant les Potter, mais du fait que Pettigrow portait la marque des ténèbres… Par son silence, par le temps qu’il lui a fallu avant de virer de bord, c’est encore un drame qu’il aurait pu prévenir. Au final, Regulus a le sentiment d’être mort en en prévenant aucun des dangers que celui dont il s’est détourné représentait.

Au final, donc, Lily ne sait pas grand-chose… ou peut-être préfère-t-elle ne pas tout lui dire, va savoir. Elle est loyale envers Sirius, c’est logique, mais Regulus esquisse un fin sourire en apprenant que son frère aura vécu raisonnablement longtemps, contrairement à eux. Ça le soulage un peu… mais ce soulagement lui passerait sans doute bien vite s’il découvrait dans quelles conditions il a vécu une grande partie de sa vie.

« Je… » Il marque un temps d’hésitation. Il n’est pas sur de vouloir s’engager sur ce terrain-là, mais en même temps, elle a accepter de lui adresser une réponse honnête, il peut peut-être se permettre de baisser sa garder au moins un minimum. « Fais-en ce que tu veux mais… je suis désolé, de ce qui vous est arrivé. »

Il n’avait jamais été tendre avec Lily, du fait de ses origines, et il continuait de détester cordialement James (le voleur de frère), mais même ainsi, il ne leur souhaitait pas ça, surtout qu’ils avaient un fils. Le filleul de Sirius. Est-ce que c’était lui qui l’avait élevé ?

Non, bien sûr, Regulus n’était en rien responsable de la mort de James et Lily Potter, et quand les deux sont décédés, par ailleurs, il n’était de toute façon plus de ce monde, mais malgré tout, il se sent désolé. Et si c’est une chose de le penser, c’en est une autre de le dire. Il ne saurait même pas exactement dire pourquoi il l’a fait, d’ailleurs. Peut-être pour la remercier d’avoir bien voulu, même succinctement, lui parler de son frère et de ce qu’il est devenu quand lui-même n’était plus là pour le constater. Il ne s’attend pas à ce que Lily et lui s’entendent comme larrons en foire un jour. Et d’ailleurs, il ne veut pas une telle chose, il n’en verrait pas l’intérêt. Mais il n’est peut-être pas nécessaire non plus qu’ils se sautent à la gorge à tout bout de champ.

Réussir à entretenir, on va dire, un semblant de relations cordiales, c’est pas si mal, dans le fond. Donc voilà, il l’a dit, et c’est pas tant des excuses qu’il lui présente qu’une manière… bah… va savoir, d’apaiser rapidement les tensions… Au final, les choses ne bougeront sans doute pas pour autant, mais… c’est une des choses qu’il doit apprendre à faire. Il vit avec suffisamment de rancœurs comme cela, ce n’est sans doute pas un mal de s’épargner celles qui sont superflues (il ne sera très certainement pas aussi clément avec James, en revanche, mais ça c’est encore autre chose).

A son tour, elle s’excuse, ou du moins lui dit être désolée. Désolée qu’il soit mort aussi jeune. A ces propos, Regulus esquisse un sourire amer. C’est vrai, il était jamais qu’un gosse, d’ailleurs, il en est toujours un, dans le fond. Il s’était laissé influencer par son éducation, sa famille, son entourage, il avait participé à l’horreur puis en avait été révulsé, il avait voulu jouer les héros et était mort dans l’inutilité la plus crasse… mais dans le fond, il n’était en effet qu’un gosse, aux prises avec des jeux de pouvoirs et de domination qui dépassait de très loin le champ de ses compétences.

« Ouais, sûrement… », dit-il en contemplant le fond de son verre. « Enfin, ça a plus beaucoup d’importance, ici, de toute manière, pas vrai ? » Parce qu’il ne sait plus trop ce qu’il doit savoir conserver de son passé et ce qui ne signifie plus rien, dans ce nouveau monde. Près de trois ans qu’il est là, et il se sent toujours aussi largué, rien n’a changé, rien du tout. « T’as retrouvé tes pouvoirs, toi ? »

Et voilà qu’il lui ferait la conversation presque normalement, il ne sait même pas vraiment pourquoi. Enfin si, il le sait sans doute un peu. Il lui a fallu attendre une éternité avant de rencontrer le moindre sorcier ici, au point qu’il avait longtemps cru être le seul. Personne avec qui partager son vécu ou ses expériences (dans la mesure où il acceptait de se confier à ce sujet), ça a laissé des traces.

Pour ce qui est de ne pas reproduire les erreurs du passé, on peut compter sur Regulus, il n'est définitivement plus question pour lui de rejoindre les rangs de Lord Voldemort. Sans façon. Le jeune homme préfère, et largement, ne plus jamais progresser sur cette voie. Ceci dit, s'il s'écoutait, il ne commettrait plus jamais non plus l'erreur de jouer les héros de pacotille en se sacrifiant pour... pourquoi d'ailleurs ? Pour rien, sans doute. Non, clairement, il ne compte plus commettre les mêmes erreurs ici, mais il a le sentiment qu'en ne les commettant pas, il va faire encore moins long feu. Il n'arrive en aucun cas à s'imaginer mener une vie longue et épanouie.

"J'aimerais bien m'éviter de mourir de nouveau trop vite, oui... c'est pas exactement la sensation la plus agréable du monde", remarque-t-il simplement.

A la pensée des eaux sombres et des inferi, il sent un léger frisson le parcourir. Non, il n'a clairement pas envie de mourir une fois encore, il n'a clairement pas envie de revivre un tel traumatisme. Mais s'imaginer vieillir ici, mener une vie presque tranquille... il n'y arrive pas. Quelque chose, un blocage, l'en empêche. D'une manière ou d'une autre, il se dit qu'il recevra forcément la monnaie de sa pièce tôt ou tard, qu'il n'a reçu qu'un répit qui n'a pas de raisons d'être. Lily Evans, elle, a de bonnes, d'excellentes même, raisons de vouloir vivre heureuse et longtemps.

Lui n'en est pas vraiment convaincu, mais il va éviter de monologuer sur la question, il n'est définitivement pas assez proche de la jeune femme pour ça. Et même si ça devait être le cas, elle ne le serait très certainement pas assez pour autant... Parce que même aux personnes dont il se sent le plus proche ici, il n'a jamais parlé de ça. A quoi bon ? Il ne veut pas passer pour le dépressif de service, il n'estime pas l'être. C'est juste... une vision des choses qu'il estime pour sa part réaliste.

"Plus ou moins", dit-il quand elle lui demande si ses pouvoirs sont revenus. "Ils sont... moins puissants qu'avant, mais ils sont revenus." Il marque une pause. "En fait, c'est comme si tout était revenu d'un coup ou presque, comme s'il s'était passé quelque chose en particulier... J'ai passé plus de deux ans à croire que j'étais le seul sorcier ici..." Et puis tout à coup, il a retrouvé ses pouvoirs, puis Sirius, puis tant d'autres, puis le médaillon puis les sbires du seigneur des ténèbres venus à l'attaquer...

Peut-être que c'est juste un hasard, mais ça l'intrigue quand même. Il n'arrive pas à s'expliquer comment tout ceci peut être réellement possible.

Regulus la dévisage un moment sans savoir quoi répondre quand Lily lui demande s’il a souffert. Il pourrait lui prêter les pires intentions du monde et supposer qu’elle lui pose la question pour assouvir il ne sait quelle satisfaction malsaine, parce que la souffrance d’un mangemort serait une (légère) compensation pour toutes les souffrances que les siens ont enduré, mais il sait qu’il n’est pas question de ça. Lily Evans est très certainement capable de bien plus d’empathie qu’il ne sera jamais lui-même capable d’en manifester, c’est même évident. A lui, il ne lui serait sans doute pas venu à l’idée de demander à Lily ce qu’elle a ressenti avant de mourir et au moment de mourir. Et d’ailleurs, il ne pense pas qu’il lui retournera la question. Lâcheté de sa part ? Très certainement, oui. Il n’est tout simplement pas capable de supporter l’idée de faire à ce point de mal autour de lui… Oui, il n’a pas été responsable de la mort de Lily, et il était mort depuis un moment déjà quand elle-même et Potter ont rendu l’âme. Il n’empêche qu’il a participé, consciemment, à un massacre de masse, et qu’il en a tout à fait conscience. Finalement, il répond d’un hochement de tête, et choisit l’honnêteté.

« Oui… »

C’est le seul mot qu’il formule. Il n’ajoute rien, il ne développe pas. Oui, il a souffert… La douleur qu’il a éprouvé au moment de boire le poison qui devait libérer le médaillon de Serpentard, ce sentiment qu’un feu ardent le brûlait de l’intérieur, cette soif inextinguible, insupportable qui lui donnait l’impression que quelque chose lui tranchait le fond de la gorge, la peur, la prise des inferi… oui, il a souffert, il n’est pas mort rapidement, il n’est pas mort dans l’apaisement, il n’est même pas mort avec le sentiment d’avoir accompli son devoir, d’avoir fait ce qu’il fallait. Il est mort dans la douleur et la solitude. Il a récolté ce qu’il a semé, au fond.

Cela l’arrange largement quand ils en viennent à un sujet beaucoup moins délicat – même s’il pourrait l’être par certains aspects, à savoir leurs pouvoirs. Quelque part, Regulus éprouve un certain soulagement à découvrir que son interlocutrice n’avait pas recouvré ses pouvoirs depuis bien longtemps, et que ces pouvoirs sont plus faibles qu’avant. Pas que ce soit spécialement ce qu’il souhaite à son interlocutrice, en réalité, mais il se dit que si c’est un phénomène qui se produit de façon équivalente pour tout le monde, alors il doit y avoir un moyen de recouvrer ces pouvoirs totalement… c’est une affaire de patience. Certes, Regulus se dit parfois que sans eux, sans ses pouvoirs, il serait peut-être plus tranquille, plus en sécurité. Il n’aurait pas récupéré le médaillon, il ne serait pas dans le viseur de celui qu’il avait trahi… mais il n’aurait sans doute pas retrouver Sirius non plus (même si on ne peut pas spécialement dire que leurs retrouvailles aient été un franc succès). Alors c’est peut-être tant mieux.

« Notre environnement, tu crois ? » demande Regulus, intriguée, quand la rouquine suggère que c’est peut-être ce qui explique la faiblesse de leurs pouvoirs, ce qui veut dire qu’ils ne reviendront plus jamais à la normale. Au fond, ce serait logique. « J’en sais rien, peut-être bien. C’est sans doute pas plus mal. » Il contemple le fond de son verre. « S’ils sont faibles pour nous, ils le sont pour tout le monde, dans ce cas. »

Et donc, même le seigneur des ténèbres ne serait pas capable de récupérer les pouvoirs qu’il avait autrefois. Ce qui serait une pensée assez réconfortante, même si très fragile, en vérité.