[Terminé] Cogito Ergo Sum [Carmilla]

Il n'a pas vraiment réfléchi à son avenir au sens large, il survit plus qu'il ne vit, depuis qu'il est ici, est envisager son futur sur un trop long terme exige de sa part de s'ouvrir à des perspectives bien trop vertigineuses pour qu'il daigne trop s'y attarder. S'il n'est pas ici, il n'est nulle part, certes, mais ici non plus, il n'a pas forcément le sentiment d'avoir sa place, ou à peine.

Libraire, ce n'est pas un métier qu'il s'était imaginé faire un jour. En fait, c'est bien simple, il ne s'imaginait à aucun poste particulier. Elève plutôt brillant, ses professeurs (Slughorn en tête) voyaient en lui des compétences qu'il pourrait mettre à profit dans les hautes sphères du ministère, mais l'adolescent qu'il était alors n'écoutait que d'une oreille distraite les suggestions du genre. Parce qu'à l'époque, il avait une idée bien précise et arrêtée de qui il deviendrait. Il se sentait voué au plus grand des destins, appelé à accomplir un dessein absolument remarquable, tout à fait exceptionnel. Il ne pouvait s'encombrer d'un travail, il pouvait bien vivre de ses rentes, il devait surtout, surtout, être toujours disponible, prêt à répondre à l'appel pour toutes les fois où le seigneur des ténèbres aurait besoin de lui. Oui, c'était bien ça, la grande ambition de sa vie... Celle qui lui a coûté la vie. Et dire qu'il s'était cru prêt à mourir, alors, au nom d'une cause qui avait fini par le révulser...

Oui, il n'avait pas réfléchi à son avenir professionnel, et s'il avait dû y réfléchir, il ne se serait certainement pas vu dans une librairie. Certes, il aime lire, et il lit beaucoup, mais ce n'est pas pour autant qu'il se voyait faire ce métier... et d'ailleurs, tout bien considéré, on ne peut pas dire qu'il soit vraiment bon à ça. Lire beaucoup et maîtriser son sujet n'ôte pas grand-chose au fait que son sens de l'accueil et de la relation clients soit au ras des pâquerettes. La chance - inespérée - veut que Belle ait toute foi et toute confiance en lui, et c'est tant mieux, et il avait vraiment besoin de travailler (pour subvenir à ses besoins, rien que ça), mais est-ce qu'il s'imagine faire ça toute sa vie ? Sans doute pas. Que compte-t-il faire de sa vie d'ailleurs ? Pour le savoir, il faudrait déjà qu'il sache se convaincre qu'il est en vie...

Par curiosité, il a décidé de suivre quelques cours en auditeur libre à la fac afin de se faire une idée des matières qui pourraient l'intéresser, des fois qu'il trouve vraiment sa voie en quoi que ce soit, et il doit admettre qu'un cours en particulier a tout de même su retenir son attention. A savoir le cours de philosophie. Peut-être parce qu'il se reconnaît dans cette tendance à s'interroger constamment, il n'en sait rien, mais quoi qu'il en soit, il s'est surpris lui-même à suivre ces cours avec assiduité, du moins quand l'occasion le permettait.

Eté oblige, l'université est, dans l'ensemble, fermée, mais une série de conférences a tout de même été donné dans un amphithéâtre de l'établissement, et parce que Carmilla Karnstein, sa professeure, ferait partie des intervenants, il a pris la peine de venir. A la fin de son intervention, qui n'a duré qu'un temps imparti bien trop court, Regulus reste un peu sur sa faim. Plutôt que de rejoindre ses pénates, solution de facilité si séduisante pour lui, il décide d'aborder son professeur.

"Professeur Karnstein ? Je ne sais pas si vous me reconnaissez, Regulus Black, je suis vos cours en auditeur libre. J'ai... quelques questions. Si vous avez du temps ?"

Regulus se sent au fond légèrement flatté d'avoir été reconnu (il ne faut ceci dit pas grand-chose au jeune homme pour venir brosser son ego dans le sens du poil). Il n'est certainement pas l'élève le plus bruyant. La plupart du temps, quand il assiste aux cours de Carmilla Karnstein, il reste assis dans son coin, prend des notes, écoute mais ne prononce jamais le moindre mot. Mais c'est peut-être justement ce qui fait que son interlocutrice a retenu qui il est. Car faute d'être du genre à intervenir constamment durant ses cours, il a du moins le mérite d'y être très attentif. En même temps, pourquoi prendrait-il la peine de venir autrement ? Il est d'avis que si on s'investit dans quelque chose, il faut le faire jusqu'au bout. Et c'est un moto qu'il a généralement appliqué à sa vie à une exception - de taille - près. Exception qui la lui a coûté, d'ailleurs, cette même vie.

Le professeure lui confirme avoir du temps à lui accorder, autant qu'il en faudra - c'est sans doute tant mieux, car s'ils doivent vraiment s'engager dans une longue conversation philosophique, ça pourrait vraiment durer particulièrement longtemps, encore que cela reste à déterminer, car Regulus Black n'est définitivement pas la personne la plus bavarde et loquace qui soit, bien au contraire. Dans tous les cas, il se dit que ça lui fera du bien de parler avec quelqu'un qui connaît et maîtrise son sujet plutôt que de se lancer dans de grandes conversations avec lui-même, du genre qui ne laissent étonnamment pas beaucoup de place au débat (encore qu'on serait surpris d'à quel point il se révèle capable d'argumenter avec lui-même en pensées quand il s'y met).

Regulus accompagne donc le professeure jusque dans son bureau, qui vaut sans doute mieux qu'un amphithéâtre vide et raisonnant, en effet, pour discuter des sujets qui les concernent.

"En fait, c'est à propos de cette conférence. Je suis resté sur ma faim, je le reconnais", admet-il avec un fin sourire.

Regulus n'est pas forcément du genre aimable, même s'il a acquis de par son éducation stricte et protocolaire tous les réflexes liés à la bienséances. Si quelque chose ne le satisfait pas, il aura tendance à ne pas le cacher, mais en l'occurrence, le reproche n'est pas tant fait à la conférence de son interlocutrice en elle-même qu'au peu de temps qu'elle a eu pour développer son argument. Il sait, pour suivre ses cours autrement, combien elle est capable de détailler, développer et expliciter son sujet, en étayant le tout d'exemples concrets. Il a du respect pour ses méthodes d'enseignement, et ce respect se voit retranscrit dans le comportement qu'il affiche envers elle.

"Vous avez présenté des textes intéressants, mais vous n'avez pas vraiment eu l'occasion d'y apporter votre propre point de vue, ou un point de vue, en tout cas...", avance-t-il prudemment.

Que le professeure n'est pas à donner son point de vue s'entend, mais reste aux yeux de Regulus particulièrement frustrant, car quand des arguments théoriques fondés de plus ou moins longue date par des philosophes sont présentés sans point de vue plus accessible, ils revêtent une valeur et une fonction... un peu lointaine à ses yeux.

Entendre l'opinion de son interlocutrice ne l'inciterait pas à adopter le même (du moins s'imagine-t-il moins influençable que cela, même si les faits et son histoire ne lui donnent absolument pas raison sur ce point, loin de là). En fait, ce qu'il souhaiterait, c'est pouvoir participer à un débat actif sur les question soulevées au cours de ses interventions, mais ce n'est pas à cela que servent les cours magistraux, et lui-même, en classe, se montre bien trop réservé et discret pour initier le moindre début de commencement de dialogue.

"Je ne suis pas le commun des mortels", répond Regulus, à l'évidence trop sûr de lui et sans afficher la moindre once d'humilité, quand le professeure affirme que son opinion sur la question n'aurait sans doute pas de valeur au regard du commun des mortels.

Eh quoi, c'est un fait, il n'est pas comme n'importe lequel des moldus qui assistent à ses cours sans comprendre ce qu'il peut y avoir à identifier au -delà de la pure théorie dans les textes qu'elle expose. Il trouve un intérêt différent au domaine de l'occultisme. Sauf que, bien sûr, il ne compte pas en parler plus directement à son interlocutrice. Même si le retour de ses pouvoirs peut lui permettre de faire une démonstration de ses compétences et de sa nature à qui douterait de son discours, il préfère ne pas trop s'afficher, il craint des répercussions qu'il serait incapable de juguler.

Pour le reste, elle lui fait comprendre qu'il faudra attendre son prochain cours afin d'avoir davantage d'éclaircissements concernant les thèses qu'elle n'a pu que brièvement exposer pour le moment. Il ressent dans sa voix qu'elle-même a été frustrée de la brièveté de son temps de parole. Attendre son prochain cours, soit, mais la rentrée n'est pas encore arrivée, et en attendant, donc, il aura certainement eu le temps de se renseigner de son côté, mais aussi de ne plus avoir à l'esprit certains détails qu'il n'aura pas jugé importants sur le moment mais qui se révéleront l'être plus tard.

"Eh bien... je pense qu'un des torts d'une grande majorité de ces textes est qu'ils ne peuvent qu'effleurer leur sujet puisqu'ils laissent place à une marge d'incertitude quant à l'existence réelle de l'occulte. Mais ça existe. Et ceux qui sont encore capables de le remettre en question en se trouvant sont soit aveugles, soit stupides."

Regulus et l'art d'y mettre les formes... Mrs Karnstein va peut-être regretter de se montrer à ce point franc, mais il estime que c'est un point qu'il faut savoir dépasser pour discuter des sujets qui les concernent plus en profondeur.

Regulus se renfrogne légèrement en entendant le rire du professeure. Pas qu’elle ait vraiment l’air de se moquer, mais quiconque se permet de rire à un de ses propos n’aura bien évidemment pas bonne presse auprès de lui, car au-delà de l’assurance qu’il vient si fièrement d’afficher, il demeure de manifestes insécurités qu’il se gardera bien de rendre trop visibles pour leur part. Il ignore si elle se paie sa tronche ou si elle est vraiment honnête quand elle dit qu’elle le croit volontiers. Il n’a jamais été le plus doué quand il doit être question de déterminer si quelqu’un se montre ironique ou non à son encontre. On peut même dire qu’il est d’une nullité confondante pour ça, au point que c’en serait presque ridicule, pour ne pas dire que c’est absolument navrant.

Ceci dit, leurs opinions ne paraissent pas bien différentes l’une de l’autre et ce point aurait tendance à le rassurer quant au fait que leur conversation pourra revêtir l’intérêt qu’il attend d’elles sans que le professeur l’envoie promener ou pointe du doigt ses élucubrations. Elle a l’air de vouloir y prêter une oreille attentive, et même de vouloir y aller de ses propres arguments, ce qui ne peut bien évidemment que l’encourager de son côté. Elle semble sincèrement d’accord avec lui.

Elle pointe du doigt la peur affichée par le commun des mortels, qui les pousse à préférer croire les explications les plus abracabrantesques plutôt que d’admettre la réalité sous le prétexte d’être rationnels. Quand leurs explications deviennent plus absurdes encore que la réalité, comment peuvent-ils réellement croire dans leurs propres billevesées ? Aux yeux du jeune sorcier, c’est proprement absurde. C’est ce qui a toujours rendu les Moldus idiots aux yeux de Regulus. Il estime qu’il n’y aurait pas besoin de grand-chose pour qu’ils prennent réellement conscience de la réalité bien plus vaste du monde, mais non, ils étaient juste trop stupides…

Il hoche simplement la tête quand Mrs Karnstein ajoute qu’il y a sans doute bien plus de réalité dans les récits fantastiques qu’on ne le présume. Il peut en attester pour en avoir lu quelques-uns qui se rapprochaient de trop près de sa propre réalité pour qu’il ne puisse s’agir là que d’une pure et simple coïncidence. Il y avait forcément une réalité derrière, et qu’il était curieux de connaître. Il hésite à se montrer complètement franc quand elle lui demande d’où lui vient une telle certitude.

Généralement, il ne se confie pas d’entrée de jeu à ce sujet, mais il est à vrai dire très curieux de découvrir ce que sera la réaction de l’enseignante. Alors, même s’il se peut que ce soit une erreur – qui ne sera définitivement pas la première et certainement pas la dernière qu’il commettra -, il décide de s’exprimer de but en blanc. Au pire, elle doit avoir plus d’un illuminé pour assister à son cours, elle ne s’en formalisera pas. Et s’il met cartes sur table, leurs conversations auront le mérite d’être plus sincères et plus impactantes, peut-être.

"Du fait que je suis techniquement mort. Du fait que je suis un sorcier, aussi, accessoirement."

Voilà qui est dit, sans finesse ni subtilité. Que son interlocutrice en fasse ce qu’elle veut à présent.

D'un naturel défiant, Regulus pourrait se dire que quand le professeur qualifie ses révélations d'intéressantes, elle se contente de se payer sa tronche. Une part de lui d'ailleurs n'est pas loin de penser que c'est le cas, mais une autre veut se fier à l'impression générale que lui donne Carmilla Karnstein. Pour toutes les fois où il a assisté à ses cours, il a bien senti chez elles une appréciation de l'occulte qui dépassait une appréhension seulement théorique de la chose. Elle sait en parler comme de quelque chose d'existant, plutôt que d'hypothétique. Serait-elle une sorcière, elle aussi ? Ou bien quelque chose d'approchant ? Regulus reste sur ses gardes à ce sujet mais en réalité... pourquoi pas ?

Il a fallu du temps à Regulus pour admettre qu'il puisse exister d'autres sortes de magie que celle qu'il avait tenu pour être la seule et l'unique, mais force lui avait été d'ouvrir les yeux : Prudence, Morrigan... toutes les deux se disaient sorcières et pourtant n'utilisaient pas du tout la magie de la même façon que lui. Quant à ce qu'il avait entendu au sujet de la Force, qui serait au fond une autre forme de magie... oui, il a bien fallu qu'il s'ouvre l'esprit à ces possibilités (et Regulus et l'ouverture d'esprit, c'est définitivement une longue histoire d'amour-haine qui paraît absolument sans fin).

Son interlocutrice accepte d'entendre qu'il est un sorcier, et c'est encourageant, de même que le sont les questions qu'elle lui pose alors. Il y a un point notamment qui lui laisse à penser qu'elle le croit et qu'elle sait ce dont elle parle, c'est la manière dont elle parle de ses pouvoirs au passé... comme ils ont tous dû le faire en arrivant ici et en étant dépossédés de leurs compétences. Sauf que dans le cas du jeune sorcier, quelque chose a changé récemment.

"Générale, je pense que c'est le bon mot. Je n'avais pas... la technique pour tout, je n'étais pas capable de tout faire, mais je me débrouillais pas trop mal. Je me débrouille pas trop mal."

Il marque une pause et décide, sans explications préalables, parce qu'il a vraiment le sentiment que son interlocutrice connaît son sujet, de parler franchement.

"Mes pouvoirs sont revenus. C'est tout récent. Enfin... c'est encore... faible, par rapport à ce dont j'étais capable avant mais... je les ai retrouvés."

Il laisse passer un temps de silence. Elle n'a pas à s'excuser de sa curiosité. Au contraire, il trouve cette curiosité intrigante, il a définitivement le sentiment que celle-ci va au-delà de la simple considération professionnelle, et il a par conséquent envie de comprendre et d'en savoir plus.

"Est-ce que... vous êtes une sorcière, vous aussi ?" choisit-il donc de demander de but en blanc dans l'espoir d'en avoir le coeur net une bonne fois pour toutes.

Pouvoir parler si frontalement, si directement, de ses pouvoirs et de ce que ceux-ci impliquent à une personne qu’il connaît pourtant si peu, pour ne pas dire pas du tout, fait étonnamment du bien à Regulus. Il se contente de déballer les faits, sans réserve, avec le sentiment que son interlocutrice le prend au sérieux quand de nombreux autres ne verraient dans ses propos qu’un épais tissu d’élucubrations plus absurdes les unes que les autres.

Elle le croit parce qu’elle le comprend, et parce que Regulus se sent compris, lui-même parvient plus aisément à se livrer sur sa situation et sur ce que la situation en question implique. C’est peut-être lui confier un vain espoir que de lui apprendre que ses pouvoirs sont revenus, mais qu’importe, il décide, une fois de plus, d’en parler, directement. Alors, parce qu’il se sent en confiance, fait rare chez lui, trop en confiance sans doute, il décide d’en dire plus à son interlocutrice, comme pour se libérer lui-même d’un fardeau qui commence à peser bien trop lourd sur un esprit torturé. Il tire sa baguette de sa poche et la montre à son interlocutrice.

« C’est avec ça que je pratique ma magie d’habitude. Quand je suis arrivé ici, je l’avais sur moi, mais elle était hors d’usage, juste un simple bout de bois, puis… je sais pas comment dire, je l’ai senti. Un jour, en la prenant en main, j’ai senti qu’elle pouvait fonctionner à nouveau… qu’on était de nouveau connectés. »

Difficile d’expliquer le lien qui unit un sorcier à sa baguette à un néophyte. Lui-même n’est pas sûr d’en comprendre toutes les subtilités, alors partant de là… Mais il fait de son mieux pour se montrer le plus clair possible. Il aime à économiser ses mots s’il le peut, aussi a-t-il toujours tendance à aller droit au but, ce qui en soi n’est pas si mal, pas vrai ?

« C’est pas encore… tout à fait ça. Les sorts que j’arrive à utiliser avec étaient beaucoup plus puissants avant, ou bien c’est moi qui suis rouillé à force… » A force de jouer les Moldus et de se fondre parmi eux. « Je pourrai vous montrer, si vous voulez », ajoute-t-il sans estimer complètement nécessaire cette petite démonstration. Jusqu’ici, elle l’a cru sur parole, c’est aussi ce qui l’a poussé à lui parler plus avant. Il voudrait que cette confiance demeure sans besoin de démonstration plus avancée.

Elle daigne lui parler d’elle, et lui apprend au passage qu’elle n’est donc pas une sorcière, mais autre chose. Un vampire. Eh bien… elle n’a pas grand-chose à voir avec les vampires qu’il a vu en illustration dans certains ouvrages. D’un autre côté, si elle n’est plus qu’humaine à présent, ce n’est pas vraiment surprenant au bout du compte. Sans compter que Regulus, même si ça a été difficile pour lui, a fini par accepter cette réalité : s’il y a plusieurs sortes de sorciers, il est bien possible qu’il existe plusieurs sortes de vampires aussi.

« Les vampires existent aussi d’où je viens, mais j’ignore si nous parlons des mêmes. » Il marque une pause. Puisqu’ils semblent avoir daigné se montrer tout à fait transparents jusqu’ici, ils peuvent bien continuer sur cette lancée, pas vrai ? « Quelles étaient vos facultés ? »

Regulus hoche la tête quand Carmilla définit plus ou moins la fonction de sa baguette. Elle vise à peu près juste dans sa définition, même si au final, Regulus, qui est pourtant le premier concerné, serait bien en peine d'expliquer comment cela est supposé fonctionner et pourquoi cette baguette est si nécessaire aux sorciers. La magie sans baguette, Regulus l'a toujours plutôt mal maîtrisée, il se sentirait impuissant, nu, sans cet objet, et pourtant, c'est un objet qui a été conçu par quelqu'un d'autre, dans des circonstances qui lui échappent. Peu importe, le jeune sorcier ne veut pas rentrer dans des détails qu'il ne sera pas capable de convenablement exprimer.

"Non, seulement les sorciers, on appelle ceux qui n'ont pas de pouvoirs des Moldus." Regulus fait des efforts mais il a toujours un peu de mal à prononcer ce terme sans qu'y transparaisse un léger fond de mépris. "On vivait dans le même univers, mais nos mondes se côtoyaient le moins possible, on devait garder le secret sur notre nature... C'était pour éviter une chasse aux sorcières, d'après le ministère, mais honnêtement, j'ai jamais vraiment compris pourquoi les plus puissants étaient supposés se cacher des plus faibles."

Il faut croire que Regulus n'a plus vraiment de filtre. Le fait de pouvoir parler directement de sa condition, de sa situation, fait qu'il se montre bien plus bavard - et bien plus honnête - qu'il n'a tendance à l'être en temps normal. Il apprécie au passage de constater que le professeur l'écoute et le croit vraiment. Sans doute daignera-t-il finalement lui faire une démonstration de ses pouvoirs, mais il décide que ce ne sera pas pour tout de suite. Il veut d'abord entendre ce que son interlocutrice peut avoir à lui apprendre de sa nature. Avant de lui parler de comment sont les vampires dans son monde, il attend d'entendre parler des facultés de Carmilla, et il retrouve finalement beaucoup de traits communs avec ce qu'il sait de ces créatures pour sa part. Mais d'autres spécificités sont bien différentes.

"Chez moi, on aurait dit que vous étiez à la fois un vampire, un fantôme et un animagus", constate Regulus avec une pointe d'amusement dans la voix. Pas que ce soit si drôle, au bout du compte, mais à force, Regulus finit par s'amuser plus que par s'inquiéter de toutes les réalités différentes qu'il côtoie et qu'il lui faut apprendre à considérer comme réel, en dépit de ce qu'il avait pensé être le bon sens. "Les vampires se contente de boire du sang humain et de vivre plus longtemps que la moyenne des sorciers. On en sait pas beaucoup plus, mais je crois que c'est plutôt de notoriété publique qu'il est préférable d'éviter de les approcher de trop près de toute façon, les gens qui les ont côtoyé sont rarement là pour raconter leur expérience ensuite. Ou bien ils mentent."

« Il faut protéger les forts des faibles. » Qui que soit ce Nietzsche – un Moldu, à l’évidence, il n’est pas forcément certain d’adhérer à son discours, ceci dit, il garde tout de même la suggestion dans un coin de son esprit. Il ne va pas prétendre restreindre ici ses lectures aux seules productions sorcières, il en aurait vite fait le tour. Sur cette île de malheur, c’est bien simple, les livres sorciers se réduisent à un nombre absolument absurde. Plus de deux ans qu’il est libraire, et c’est à peine s’il a su mettre la main sur une édition un peu cornée du Quidditch à travers les âges, ça veut tout dire… Alors bon, pour toutes les lectures qu’il s’est autorisé en dépit de la nature de leur auteur, il peut bien continuer sur cette voie avec la suggestion d’une personne dont il estimait l’opinion. Au-delà de la littérature, ça fait de toute manière un moment qu’il a foutu un bon coup de pied au train de ses vieux idéaux. Pas le choix, en fait. C’est plus ou moins une question de survie à ce stade. Même si à la base il en est mort, donc en matière de survie, on repassera.

Il apprécie la suite du discours de son interlocutrice. L’air de rien, des mots aussi simples que « Je vous comprends » ont pris une valeur inestimable dans un monde comme celui-ci, où il est si difficile d’être compris et plus difficile encore de comprendre les autres. Elle aussi avait dû cacher sa nature, question de nombre, qui faisait que la masse des inférieurs pouvait éventuellement avoir le dessus sur ceux qui leur étaient pourtant hautement supérieurs.

C’est un peu le cas aussi pour les sorciers, même si dans l’esprit de Regulus – non, c’est même complètement le cas, en fait –, leur nombre n’aurait jamais empêché les sorciers d’asseoir leur domination sur les Moldus dans tous les cas… c’est bien pour ça que le discours du seigneur des ténèbres était considéré comme dangereux à ce point, parce que ce n’étaient pas juste de « belles » paroles, c’était une éventualité très sérieuse, qu’il ne fallait surtout pas négliger. C’était pour ça qu’il fallait l’arrêter… C’est une chose de pouvoir exister au regard des plus faibles que nous, une autre chose que de les détruire, assujettir, brutaliser… massacrer. De ce point de vue-là, Regulus en avait définitivement beaucoup trop vu. Ce n’est pas pour rien s’il a pris la décision de tout arrêter.

« Oui, il y en avait très peu… ou bien on en connaissait très peu, je ne sais pas trop. Peut-être que les vampires se cachaient des sorciers qui eux-mêmes se cachaient des Moldus… » Il laisse passer un temps de silence. « Les sorciers sont en large minorité par rapport aux non-sorciers. On aurait pas dû avoir à s’en cacher pour autant. » Il observe un instant le professeur. « Vous en avez croisé d’autres, des gens comme vous ? Ou qui venaient du même endroit que vous ? »

Oui, on peut parler de frustration, en ce qui le concerne, encore que celle-ci n’aurait sans doute pas été si grande pour Regulus s’il n’avait pas été élevé et éduqué dans l’idée de cette injustice qu’il lui faudrait un jour contribuer à réparer. Aujourd’hui, son regard sur les Moldus a tout de même largement évolué en comparaison de ce qu’il était autrefois (même si ça ne se constate pas forcément au premier coup d’œil), mais repenti ou pas de ses crimes passés, Regulus Black reste quand même un petit con par certains aspects, il y a de l’orgueil à l’évidence, à l’œuvre, dans la manière qu’il a de considérer la situation, comme pour se raccrocher à une part de lui-même qui pourtant a cessé de lui correspondre depuis bien longtemps. Oh, il continue de penser que les sorciers ne devraient pas avoir à se cacher comme des rats, ceci dit, s’il y a bien une chose que ce monde semble avoir de plus que le précédent, c’est qu’ici, tout le monde vient de toute façon d’univers beaucoup trop différents et complexes pour que l’on se soucie de se cacher les uns des autres – en dehors, bien sûr, d’une défiance première et légitime qu’ils devaient tous posséder, chacun à leur échelle.

Et à propos d’univers différents… Tout comme Regulus avait rencontré des sorciers dont la magie n’avait absolument rien à voir avec la sienne, il semblerait qu’il en soit de même pour la professeure. Ce qui semble logique. Un vampire de son propre univers pourrait tout à fait se trouver ici qu’il n’aurait pas grand rapport avec Carmilla pour autant. Au moins a-t-elle eu, semble-t-il, l’occasion de comparer leurs expériences et de s’y intéresser, ce qui, si ça a le don de la fasciner plus que de l’inquiéter, doit sans doute être considéré comme une bonne chose en soi. Pour ce qui est des personnes qu’elles pourraient retrouver, elle n’en voit que deux, et ne semble pas nourrir beaucoup d’espoirs quant à leurs retrouvailles.

Regulus pourrait éventuellement chercher à la rassurer, lui assurer que c’était tout à fait possible, mais il n’est pas dans ses habitudes de donner des faux espoirs aux gens, il déteste déjà quand on fait ça avec lui. Certes, dans son cas, il a bien retrouvé son frère, ce qui semble vouloir dire que ça n’a rien d’impossible… Mais il ne se voit pas pour autant jouer les soutiens moraux pour son interlocutrice. Ce n’est pas comme s’ils étaient amis. Ou même proches. Même si cette conversation a sans doute été parmi les plus édifiantes qu’il ait échangé depuis un bon moment.

Le professeur Karnstein a effectivement raison de le faire remarquer, il est assez évident qu’ils se sont laissés emporter, et ils ont largement dérivé du sujet initial, ceci dit, leur discussion aurait été nettement moins intéressante si les choses s’étaient passées autrement.

« Vous pouvez comptez sur ma discrétion, professeur. »

Regulus ne le dit pas sans le penser, c’est bel et bien le cas, il n’est pas du tout sans son intérêt de mettre Carmilla dans une position inconfortable.

« J’ai apprécié parler avec vous. J’ai rarement des conversations aussi franches… avec qui que ce soit. » Il marque une pause. « Vous avez mes coordonnées, il me semble. Vous pourrez me contacter quand vous le voudrez. »