[Terminé] Vous êtes perdu ?

Quand Regulus ne se trouve pas dans sa librairie, où il se réfugie en quasi-ermite la plupart du temps, il aime se rendre en forêt... le plus loin possible qu'il le peut d'une civilisation qu'il essaie tant bien que mal d'apprivoiser mais qui éveille en lui des émotions contradictoires. En dépit de tous les biais qu'il s'applique progressivement à déconstruire, et même s'il revient de loin et a déjà fait des progrès, les vieilles habitudes gardent la vie dure. Il ne peut oublier qu'il cohabite à présent avec tout ce qu'il a toujours conspué, et lui-même n'est plus que l'ombre de ce qu'il a été... il redoute de s'habituer à cet endroit, ou même de sympathiser avec la... faune locale. C'est sans doute inévitable, mais si tel doit être le cas... que lui restera-t-il alors de ce qu'il a gardé de lui, de lui avant la caverne, avant les inferi, de lui avant la nuit ?

Quoi qu'il fasse, l'ombre de sa mère plane encore sur lui. Il ne regrette pas d'avoir trahi le seigneur des ténèbres, en dépit du prix qu'il a dû payer pour cela, et il estime toujours avoir fait le bon choix, mais il regrette en revanche d'avoir trahi ses parents, sa mère surtout, lui qui avait fini par être le seul en qui tous les espoirs de sa famille se fondaient. S'il daigne abattre ses dernières barrières, s'il consent à piétiner tous ses a priori, il craint de ne plus être que l'ombre de lui-même, et quand ça arrivera, il n'y aura plus rien de lui dont sa mère pourra encore être fière. La belle affaire, évidemment... sa mère n'a peut-être même jamais concrètement existé dans ce plan de l'existence. Pourtant, ça le travaille, c'est plus fort que lui. Bref. Digression des plus absolues. Tout ça pour dire que Regulus s'abstient globalement d'être sociable. Et plutôt que de l'être, il s'isole, par conséquent, beaucoup.

Un fois en dehors de la librairie, il préfère à l'agitation de la ville (une ville qu'il trouve plus oppressante que le Londres d'une autre époque qu'il a connu) les tourments de la plage ou le calme de la forêt. En l'occurrence, c'est au cœur de cette dernière qu'il a décidé de se promener. Un cheminement différent à chaque fois. L'occasion pour ses pensées de s'attarder vers ces horizons qu'il n'est plus à même d'atteindre. Cela fait déjà deux bonnes heures qu'il marche quand il songe qu'il est sans doute temps de rentrer chez lui s'il ne veut pas être rattrapé par le déclin du soleil, qui se couche tôt à cette période de l'année.

Sauf qu'il ne retrouve plus son chemin. Il n'a peut-être pas prêté suffisamment garde aux chemins qu'il a empruntés, il pensait avoir été vigilant, pourtant. Mais alors qu'il rebrousse chemin, il ne reconnaît rien... Il erre encore un bon moment quand le bruit caractéristique de sabots martelant le sol le fait se retourner. Il est bel et bien rejoint par un type à cheval qui descend de sa monture pour s'enquérir de s'il a besoin de son aide ou non. Il a l'air si désespéré que ça ?

"J'ai l'air d'avoir besoin d'aide ?" rétorque Regulus, sur la défensive. Il n'aime pas devoir demander d'aide à qui que ce soit. Il a toujours voulu tout accomplir par lui-même, c'est d'ailleurs sans doute ce qui l'a perdu. Mais est-ce qu'il a vraiment envie de passer la nuit au milieu des bois ? Il lâche un soupir, finit par consentir. "Bon... vous savez quel est le chemin le plus rapide pour retourner en ville ?"

Regulus ne saute clairement pas de joie à l'idée de passer ces prochaines minutes (voire plus, étant donné qu'il a vraiment laissé ses pieds l'entraîner très profondément dans la forêt) en compagnie d'un strict inconnu, mais c'est ça ou y passer la nuit. Mieux vaut qu'il soit rentré chez lui avant que la nuit tombe. Son interlocuteur a l'air de savoir de quoi il parle quand il affirme connaître quelques chemins par lesquels retourner en ville, et donc, dans le pire des cas, il peut bien serrer les dents et attendre de se laisser guider, au moins jusqu'à retrouver un chemin ou un coin de forêt qui lui paraisse un peu plus familier. Et qui sait - qui sait - le moldu qui lui tiendrait la jambe tout ce temps ne serait peut-être pas si déplorablement inintéressant que cela. Il paraît qu'il faut laisser aux autres le bénéfice du doute, y compris à soi-même. Regulus fait de gros efforts pour cela. Mais tout de même, ce n'est pas toujours gagné.

"Regulus", répond le concerné quand son interlocuteur se présente, songeant en son fort intérieur que c'était un nom, Arthur, bien que relativement "commun", qu'il aurait sans doute tôt fait d'oublier.

A moins que le jeune homme ne lui laisse une impression plus marquante ? Ce n'était pas impossible en soi, cela dit. Déjà, un manant qui se promène dans les bois à cheval, le sorcier (qui n'en a plus que le nom - et encore, qu'il se donne à lui-même) n'en croise pas tous les quatre matins, ici. Rectification : c'est bien la première fois qu'il en croise un.

"Non, je viens me promener régulièrement, mais j'étais pas vraiment attentif aux chemins que je prenais, cette fois. Vous avez remarqué que les chemins ont l'air de changer constamment, ici ? On dirait que quelqu'un s'amuse à lancer un sort de confusion à l'envi pour perdre les marcheurs."

Son estomac se serre à l'idée que ce ne soit peut-être pas juste une illusion. Son esprit plus rationnel sait vite rejeter cette idée et admettre qu'elle n'a aucune forme de cohérence ni de logique, et que si vraiment le Seigneur des ténèbres cherchait à le torturer, il n'en passerait pas par des moyens si absurdes. Mais même après tout ce temps, il reste sur ses gardes, avec le sentiment d'être sans défense, incapable de se servir de ses pouvoirs.

Il chasse ces mauvaises pensées au mieux, refocalise son attention sur son interlocuteur, c'est encore le meilleur moyen de ne pas laissé les ténèbres de ses pensées le noyer comme elles y prennent un malin plaisir s'il n'y prend pas garde, surtout durant ses nuits de cauchemar. Il ne sait pas s'il veut vraiment apprendre quoi que ce soit de plus au sujet de son interlocuteur, mais il fait l'effort malgré tout de l'interroger. S'ils doivent passer ces prochaines minutes ensemble, autant s'épargner un silence pesant en diable. Pas que le silence en soi dérange l'ancien serpentard, mais il y a une différence majeure entre le silence que l'on choisit et celui que les circonstances nous imposent.

"Vous venez d'où ?"

Question à plusieurs sens, s'il en est. Arthur pourra bien choisir celui qu'il voudra. Ici, ils viennent tous d'ailleurs. Certains ailleurs sont seulement plus séduisants que d'autres.

Alors que son interlocuteur le questionne, Regulus regrette presque aussitôt d'avoir évoqué, un peu trop légèrement, le sortilège de confusion ou quoi que ce soit de lié, de près ou de loin, à là d'où il vient. De manière générale, et auprès des personnes qu'il ne connaît pas, il cherche à faire oublier qu'il a été un sorcier (a été... car il ne l'est manifestement plus). Il ne veut pas éveiller l'attention des mauvaises personnes, pour peu qu'il y ait vraiment de mauvaises personnes dont il puisse redouter d'éveiller l'attention, ce qui n'a rien de certain... et il voudrait bien que ce ne soit pas le cas d'ailleurs. Bref, il a ses vieux réflexes, et parmi ses vieux réflexes, il y a le parler typiquement sorcier et la volonté d'affirmer sa supériorité à tout prix, comme quand, dans un haussement d'épaules, il se contente de répondre au questionnement de son interlocuteur, tout en sachant que c'est tout sauf une idée brillante, par un :

"Les Moldus ne peuvent pas comprendre..."

Voilà, histoire que maintenant, il se demande ce que peut bien être un moldu. Regulus a toujours eu un côté grande gueule. Le besoin contradictoire à la fois d'entrer dans les clous et en même temps de s'affirmer, forcément encouragé par sa famille, et sa mère surtout, auprès de laquelle il devait réussir à briller par tous les moyens possibles et imaginables, peu importe le temps et l'énergie que cela lui prendrait. Dans tous les cas, discourir sur la question ne sert à rien. C'est sans doute son esprit qui lui joue des tours... possible que cette forêt n'ait jamais bougé d'un pouce et qu'il ait seulement été pris au dépourvu par le plus déplorable sens de l'orientation. Bien sûr, c'est une version des faits qu'il n'a aucune envie de soutenir, mais en même temps...

"Hogwarts Place", répond évasivement quand son interlocuteur lui demande où il habite, avant de se demander s'il n'aurait pas mieux fait de prétendre autre chose. Mais il est à l'évidence trop tard pour cela, à présent.

Et il le regrette d'autant plus en entendant les propos suivants de son interlocuteur. Il devrait, bien sûr, les interpréter pur ce qu'ils sont : jamais rien d'autre qu'une sympathique mise en garde faite par une personne bienveillante, qui préfère dispenser à son interlocuteur un conseil qui saura lui servir et lui bénéficier. Mais Regulus est paranoïaque, diablement paranoïaque. En entendant le discours de son interlocuteur, il se fige et cesse instantanément sa marche. Est-ce qu'il ne serait pas en train de se faire avoir ? de tomber dans il ne sait quel piège avec une facilité déconcertant ?

"Ce sont des menaces ?" demande-t-il, sur ses gardes.

Lui n'a pas de moyens de se défendre, il n'en a plus depuis que sa baguette a perdu toute efficacité et refuse de lui répondre. Il est, pour ainsi dire, désarmé. Et constamment, il regarde par-dessus son épaule, redoute un danger... il se demande s'il n'a pas été trop imprudent, cette fois.

Regulus s'abstient de répondre à la question de son interlocuteur. Forcément, il fallait s'attendre à ce qu'il la pose, mais il est préférable de ne pas y répondre s'il ne veut pas avoir à affronter une foule d'explications et de questionnements à laquelle il ne devrait jamais être soumis par un banal moldu, justement. Qu'il reste dans son incompréhension... comme tous les Moldus, en bref. Mieux vaut dans tous les cas ne pas parler du fait que lui-même est un sorcier, il ne s'en abstiendrait peut-être pas s'il avait encore ses pouvoirs, mais faute de démonstration à adresser à son interlocuteur, il aurait sans doute l'air bien ridicule. Ou devrait admettre n'être jamais qu'un banal sorcier lui aussi, dorénavant. Que ce soit l'un ou l'autre de ces cas de figure, ils ne lui inspirent sincèrement aucune forme d'enthousiasme.

Dans tous les cas, il est préférable de ne pas se laisser aller à un grand déballage de sa propre vie quand on ne sait pas à qui on a affaire, et c'est le cas en ce qui concerne son interlocuteur : il n'a pas la moindre idée d'à qui il a affaire réellement. Et même s'il a sans doute tort de prendre une saine recommandation pour une menace directe, il préfère demeurer sur ses gardes. Il estime qu'on ne saurait jamais être trop prudent, en l'occurrence. Mais finalement, il est bien possible que son interlocuteur veuille juste lui vendre des cours de tir à l'arc. Regulus fronce les sourcils. Si vraiment il doit choisir un moyen de se défendre... ou d'attaquer, arc et flèches ne seront définitivement pas son arme de prédilection.

Bon, son arme de prédilection devrait être sa baguette, il ne devrait pas avoir besoin d'autre chose, mais sa baguette est inefficace. Sans doute faudrait-il qu'il songe à une solution de replis. Mais l'usage d'arc et de flèches lui apparaît terriblement désuète dans ce contexte. Même lui, qui se sent pourtant déphasé par rapport à l'époque qui est désormais celle à laquelle il évolue estime qu'il s'agit là d'une arme d'un autre âge. Pour la beauté du sport peut-être, pour se défendre contre de potentiels ennemis, très peu pour lui. Il a un instant une vision fugace de lui-même en train de se confronter au seigneur des ténèbres armé de son carquois. L'évocation est ridicule. Devoir se servir d'une arme moldue est ridicule.

"Si je devais choisir une arme pour me prévenir de toute menace éventuelle, ne le prenez pas mal mais l'arc serait le dernier de mes choix. Une arme à feu, ce serait plus précis et efficace."

Il n'a pas particulièrement envie non plus de se promener avec un colt à la ceinture, mais il est tout de même certain que son choix n'irait pas aux suggestions de son interlocuteur. En vérité, il devrait vraiment songer à se trouver une arme efficace. Faute de baguette.

Regulus non plus n'a jamais utilisé d'arme à feu. Et pour cause, là encore, il s'agit d'une arme atrocement moldue, et par conséquent, il s'épargnerait bien n'importe lequel de ces artifices que les non-sorciers utilisaient pour compenser leur faiblesse, leur absence de magie. Mais quitte à ne pas pouvoir se servir de sa baguette, c'est bel et bien ce vers quoi il se tournerait, oui, parce que ça lui semble plus susceptible d'atteindre sa cible immédiatement, parce que le sentiment de pouvoir qui en résulte repose sur moins d'heures de pratique, une moindre nécessité de précision (encore que se servir d'une arme à feu quand on n'en a jamais eues entre les mains ne doit pas être si simple que ça).

Un arc et des flèches, ça implique non seulement une maîtrise de l'arme en question, mais également une certaine distance pour que l'arme soit efficace. En effet, une dague, ce n'est peut-être pas plus mal... Mais là, c'est l'absence de distance qui dérange Regulus... ça et le sang. Il en a vu couler tellement. Il avait toujours aimé l'Avada Kedavra pour ça. C'était propre, net, pas de bavures, blessures, fioritures. Mais quand d'aucuns, comme lui, s'engageaient par conviction, c'était la cruauté qui guidait nombre de ceux qui avaient porté le même tatouage que lui. Et le maître en la matière était le maître tout court. Il réprime un fin frisson à cette évocation. Il ne doit pas, ne doit plus y penser. Retour à l'instant présent, il reporte toute son attention sur son interlocuteur.

"Se protéger de qui, exactement ? De quoi ?"

Regulus n'a pas vraiment besoin d'être convaincu du fait qu'une menace plane sur ces terres, malgré tous les efforts qu'il fournit pour avoir une vie "normale" - normale pour un non-sorcier, en tout cas. Il a mené une vie relativement sereine (si l'on ne tient pas compte de la lutte qu'il mène de façon constante avec ses propres démons, et ce n'est définitivement pas une mince affaire) jusqu'ici, depuis son arrivée, mais ce n'est pas pour autant qu'il peut occulter la pensée que le danger peut advenir de nulle part, que l'ennemi peut toujours venir le trouver, qu'il n'est pas en sécurité, que s'il baisse la garde, il retrouvera un sort plus violent encore que le poison, les eaux sombres et les inferi.

Peut-être que son interlocuteur, lui, avait fait face à une vraie menace, peut être à même de le renseigner sur celles qui l'attendent peut-être et qu'il n'a pu que supposer... A moins, bien sûr, et il ne peut toujours pas exclure cette possibilité, que son interlocuteur soit la menace, et ne décide de le mettre en garde que dans l'intention malsaine de se jouer de lui. Ce serait cruel, évidemment. Mais cruel n'a rien d'improbable.

Tout ou n'importe quoi. En somme, Arthur évoque une menace intangible, de celles qui ne portent pas de nom, mais pas forcément de celles dont on ne doit pas prononcer le nom, ce qui déjà peut éventuellement rassurer Regulus. Bien sûr que le danger peut se rencontrer partout et sous bien des formes, encore plus dans un monde relativement inconnu dont tout le monde cherche encore à comprendre et apprivoiser les codes et usages sans forcément y parvenir complètement. Ce n'est pas ce genre de menaces qui inquiètent Regulus. Celles-là, les mauvaises gens (dont il ne peut pas garantir qu'il ne fait pas partie, par ailleurs), les agresseurs, les voleurs, les bêtes sauvages... cela reste du domaine du parable, et même s'il pourrait tout à fait se laisser prendre à un quelconque piège par accès d'imprudence, il trouve à ces sortes de menace quelque chose de réconfortant dans ce qu'elles ont de... naturelles.

Celle qu'il redoute le plus, celle qui a parfois tendance à le rendre paranoïaque, celle qu'il ne réussit pas à négliger, il ne peut pas, en revanche, s'en défaire... Elle est peut-être absente, tant qu'il n'en a pas de preuves, et puisque rien ne lui arrive, elle est sans doute absente, d'ailleurs, mais il serait bien incapable de la négliger, de l'oublier... Le danger qu'il redoute n'est pas de ceux que l'on peut parer avec un arc et des flèches, pas même avec une arme à feu, d'ailleurs. Le danger qu'il redoute est impérieux, inébranlable, cruel. A sa porte, peut-être. A sa porte jamais, qui sait.

"Je me pensais paranoïaque mais vous l'êtes presque autant que moi", observe-t-il d'un ton détaché, mais sans le penser réellement.

Il doute fort, à dire vrai, que qui que ce soit puisse être aussi paranoïaque qu'il ne l'est. Il en a conscience, et parfois, il songe qu'il devrait simplement... mettre un pas de côté, se détendre, ne pas être constamment aux aguets, ce qui se révèle être une posture particulièrement exigeante et éprouvante... mais il lutte difficilement avec ses circonstances et la nature. Et il ne peut s'empêcher de se dire, par ailleurs, que ce sera au moment de baisser sa garde que le mal frappera finalement.

"Pourquoi pas...", observe Regulus avec, tout de même, une légère hésitation quand son interlocuteur lui propose de terminer le trajet à cheval. Ce qui leur permettra d'être plus rapides, ça ne fait aucun doute, mais ne le rassure pas totalement tout de même, et pour cause. "Je ne suis jamais monté à cheval." Avant de reprendre. "Pour répondre à votre question, non, je ne connais pas grand-monde." Parce qu'il l'a voulu, évidemment, et reste à l'écart des autres autant qu'il le peut quand l'occasion lui en est donnée... Même si, vu la profession qu'il a choisie, c'est souvent peine perdue. "Enfin, je croise du monde à la librairie, c'est là que je travaille." Il laisse passer un temps de silence. "Et vous ?"

Prudence ou paranoïa, la frontière peut être relativement mince entre les deux, en réalité. Enfin, en ce qui concerne Regulus, il n'y a pas à se demander longtemps de quel côté de la frontière il se trouve précisément tant cela saute aux yeux dans la manière qu'il a de se comporter en règle générale. Mais en même temps, il aurait tendance à penser qu'il existe des paranoïas justifiées. En l'occurrence, quand un mage noir particulièrement puissant possède les meilleures raisons du monde de vouloir votre peau parce que vous avez volé un morceau de son âme, on peut légitimement commencer à redouter ne serait-ce que son ombre - qui sait ce qui peut bien s'y dissimuler exactement ? Dans tous les cas, il ne va pas insister. Si son interlocuteur a connu de vrais dangers, il ne lui en parlera pas, dans le cas contraire, alors cela peut éventuellement apaiser son inquiétude. Ou pas. Il lui en faudrait sans doute beaucoup plus, en réalité.

"Oui, on s'en sort pas trop mal", répond évasivement Regulus quand Arthur remarque que la librairie a l'air de bien marcher.

C'est effectivement le cas, l'endroit attire aussi bien les curieux que les amateurs de livres. Les circonstances font que même ceux qui n'étaient pas férus de lecture ont tendance à s'y mettre, sur cette île. En bref, ils n'ont pas à se plaindre. Enfin, ils le doivent à Belle, surtout, qui est toujours très polie et très professionnelle. Ce n'est définitivement pas son sens de l'accueil à lui qui aurait permis de rendre la Rose éternelle rentable.

"Et ça marche, vos cours ? Il y a vraiment des élèves qui viennent, je veux dire ?" demande Regulus en réalisant à peine ce que sa question peut avoir de méprisant, en vérité.

Il ferait mieux d'ailleurs d'être un peu plus aimable, surtout alors qu'il s'apprête à monter à cheval, lui qui n'y connaît fichtrement rien. Et d'ailleurs, ça se sent très clairement. Il se tient raide comme un piquet tandis qu'il se tient sur la monture en question. Dire qu'il n'est pas à l'aise est un doux euphémisme, non, il regrette déjà d'avoir consenti à monter sur ce satané canasson. Mais trop tard, il y est, maintenant, donc il n'a pas d'autre choix que de faire avec.

"Je suppose, oui...", répond Regulus quand son interlocuteur suggère qu'ils se tutoient.

Ils partagent un canasson, donc sans doute qu'ils peuvent effectivement dépasser le stade du tutoiement, même s'il n'est pas certain qu'ils se reverront ou qu'ils se reparleront après cette escapade. Peu de chance qu'il ait fait une bonne impression à Arthur, en tout cas. Pour cause, Regulus fait rarement bonne impression à qui que ce soit.

"T'es sûr que je risque pas de tomber ?"

Regulus s'épargne toute réaction quand Arthur lui apprend qu'il n'est pas un grand lecteur. Encore un point qu'ils n'ont pas en commun, donc. Pour Regulus, c'est tout l'inverse. Déjà, quand il n'était qu'élève à Poudlard, il n'était définitivement pas rare de le retrouver le nez plongé dans un bouquin : et pour cause, son but était alors d'emmagasiner le plus de connaissances possibles. Il voulait atteindre l'excellence, et pour cela, acquérir le savoir académique le plus complet possible lui apparaissait comme quelque chose d'infiniment nécessaire, pour ne pas dire tout à fait indispensable. Aujourd'hui, ce qui le motive à lire est assez différent. Bien sûr, au début, c'était dans l'espoir de mieux comprendre où il se trouvait, d'emmagasiner une autre sorte de savoir, de mieux comprendre où il avait atterri et aussi de savoir si ses pouvoirs lui reviendraient un jour. Mais il y a autre chose. Aujourd'hui, il lit pour s'évader, pour échapper à une réalité qui bien souvent lui est insoutenable, qu'il ressent le besoin d'échanger contre une autre, n'importe quelle autre, même absurde, même irréaliste, du moment qu'elle entre en dissonance avec ses habitudes et ses acquis... Mais bref, il ne compte pas monologuer sur l'importance que la lecture a pour lui.

Quant aux cours que son interlocuteur donne, il regretterait presque de s'être montré sec à ce point. Regulus manque bien souvent de tact. Trop sûr de lui, trop prétentieux, il a été habitué à prendre les autres de haut, à se sentir légitimement supérieur. Mais à l'époque, il avait une bonne raison pour ça. Aujourd'hui, un type qui excelle dans l'art du tir à l'arc a certainement cent fois plus de mérite que le pauvre gars planqué qui redoute que son passé ne le rattrape. Arthur se défend, affirme qu'il est un excellent professeur. Possible que ce soit vrai, évidemment. Après, être un bon prof ne fait pas forcément venir les élèves plus vite. Quand le jeune homme réitère sa proposition de lui donner cours, Regulus hausse les épaules. Il serait presque tenté, en vérité, par pure curiosité. Pas au point de répondre immédiatement par la positive malgré tout, faut pas abuser.

Arthur a beau le rassurer, lui affirmer que le cheval ne va pas se mettre à galoper sans prévenir, Arthur reste sur ses gardes. ça reste un animal, après tout. Ce n'est pas comme si son interlocuteur pouvait vraiment présumer de ce qu'il allait faire, si ? Il est tendu et ça doit se ressentir. Il n'est vraiment pas sûr d'apprécier ça, l'équitation. Mais trop tard, maintenant, il a pris la peine de monter en selle, ce n'est pas pour redescendre maintenant.

"Le cheval, le tir à l'arc... J'ai comme l'impression que tes habitudes sont d'un autre temps..."

Et pourquoi pas ? Regulus aussi vient d'un autre temps, après tout, même si moins lointain.

Regulus ne sait pas trop si son interlocuteur cherche juste à noyer le poisson ou s'il est vraiment sincère dans son discours. Peut-être qu'il a juste des goûts un peu datés, effectivement. Au moins lui peut-il se targuer d'avoir une voiture et de savoir la conduire, ce n'est clairement pas le cas de Regulus qui, en temps normal, ne se déplace qu'à pied. Il n'a même jamais mis le pied dans une voiture (à quoi ça lui aurait servi quand il y avait le transplanage, la poudre de cheminette et les portoloins - dans le pire des cas le magicobus)... il s'épargnait bien de se retrouver dans une de ces inventions moldues... Cela fait que parfois, ici, il peut marcher des heures pour aller d'un point de la ville à un autre, et ça peut être handicapant, mais après tout, il aime marcher, ce n'est pas non plus une épreuve insurmontable pour lui. Dans tous les cas, qu'Arthur cherche à éviter le sujet ou pas, Regulus comprend qu'il ne doit pas insister, et il ne le fera donc pas.

"Oui, c'est le moins qu'on puisse dire", répond Regulus quand Arthur reprend en observant que tout le monde, en ville, semble avoir des habitudes et des moeurs différents.

Comment pourrait-il seulement le contredire ? C'est une des choses les plus difficiles à vivre pour lui. Certes, évoluer au milieu des Moldus, c'est un plus pour celui qui ne doit rien redouter davantage que la vengeance d'un sorcier beaucoup trop puissant pour envisager de lui faire face et d'en sortir vivant. Mais en même temps, il se sent... eh bien... seul ? Il n'a pourtant jamais été autre chose que solitaire, mais là, c'est différent. Il n'a plus sa famille, il n'a plus ses repères principaux. Enfin, il a retrouvé Andromeda, c'est vrai, mais est-ce que ça compte vraiment ? Elle ne faisait plus partie de sa famille depuis longtemps. En fait, ces retrouvailles, loin de le soulager ou de combler son sentiment de solitude, l'ont plus perturbé qu'autre chose.

"Non, pas vraiment... Personne d'avant mon arrivée ici, en tout cas", précise-t-il, un peu mal à l'aise à l'idée de s'épancher sur la question. "Enfin, j'ai croisé une de mes cousines mais... On n'a jamais été vraiment proches tous les deux."

Mais de qui est-il proche ? Ceux que les Black avaient renié ne faisaient plus partie de sa vie, et s'il devait revoir sa mère, par exemple, où ses anciens camarades mangemorts ? Il serait haï, considéré comme le traître qu'il est bel et bien... Il n'y a personne qu'il doive retrouver. Même s'il aimerait quand même revoir sa mère et, bien moins avouable, retrouver son frère.

"Et toi ?"

Regulus garde un visage fermé, indéchiffrable, quand son interlocuteur remarque que s'il a déjà rencontré quelqu'un qu'il connaît, peut-être qu'il en retrouvera d'autres. Comme si c'était une bonne chose. Comme si c'était une chose qu'il pouvait ou devait désirer. Ce n'est pas le cas. Peu importe le fantôme de son passé qui pourrait aujourd'hui resurgir, ce ne pourrait pas être une bonne chose pour lui... Ceux qu'il a rejetés autrefois ne lui accorderont pas leur pardon, pas après ce qu'il a fait, et il n'est pas sûr d'en vouloir dans tous les cas. Quant à ceux qu'il comptait parmi ses proches, ses amis, ses alliés... Il les a trahis, tous autant qu'ils étaient. Il n'avait plus sa place auprès de quiconque, apatride. Au fond, c'est une chance qu'il a en cet instant, celle de ne se confronter à aucun des deux camps qui le rejetteraient autant l'un que l'autre. Il est apatride. Cet endroit est sa nouvelle patrie... même s'il le comprend à peine, même s'il le redoute souvent.

"Je ne suis pas sûr de vouloir revoir qui que ce soit de mon passé dans tous les cas", affirme-t-il alors d'un ton qui se veut indifférent, même si lui-même ne l'est pas complètement en réalité.

Parce qu'il n'est qu'en partie sincère. Il y a des gens qu'il aimerait revoir. Il voudrait revoir sa mère, par exemple, et en même temps, sait qu'il a dû cruellement la décevoir, et qu'elle serait absolument incapable de comprendre ses choix et décisions. Il voudrait revoir Sirius, aussi, parce que son frère lui manque, et il lui manquait avant même son arrivée ici... mais s'il devait le revoir lui aussi, ce serait sûrement éprouvant plus qu'apaisant. Non, il est seul, et c'est bien comme ça, il faudra que ça continue d'être comme ça.

"Comment vous êtes arrivés ici, ta femme et toi ?" lui demande-t-il avec curiosité sans faire vraiment de commentaire sur l'épouse en question.

Il ne s'étonne pas d'apprendre que le jeune homme est déjà marié alors qu'il lui semble à peine plus âgé que lui, mais après tout, pourquoi pas. Dans sa famille, on vous fiançait bien souvent avant même le berceau, alors il n'est pas forcément étonné. Il semble amoureux, tant mieux pour lui. Regulus, pour sa part, ne l'a jamais été. Il ne s'est jamais donné ni le temps, ni l'occasion d'expérimenter ce genre de sentiments. Il poursuivant de plus grands desseins. C'était là-dessus qu'il fallait se focaliser bien plus que sur n'importe quel avenir sentimental. Ceci dit, il en découvre sur son interlocuteur. Il ne savait pas qu'on pouvait arriver à plusieurs ici, mais il aurait pu s'en douter, en vérité. Lui était mort seul, il était normal qu'il arrive seul ici, mais d'autres avaient fait le "voyage" d'une autre façon, il l'a bien compris.

Regulus se contente d'un hochement de tête quand Arthur interprète, très bien, les raisons qui font qu'il n'a pas forcément envie de rencontrer des personnes appartenant à son passé. C'est plus complexe que cela, ceci dit. Ce ne sont pas seulement ses ennemis, qu'il redoute de voir, et au final, il ne sait plus qui sont ses amis, qui sont ses ennemis. Son passé est impossible à occulter, la dernière chose qu'il puisse vouloir, c'est de le voir le rattraper. C'est impossible pour lui de l'expliquer, et évidemment inenvisageable de le détailler. Mieux vaut en rester aux suggestions d'Arthur, tout simplement, et ne pas en dire davantage.

Arthur, même s'ils ne se connaissent que depuis quelques minutes, doit déjà s'être habitué à son caractère et à cette habitude qu'il a de fuir la conversation, de fuir tout début d'explication quand il est question de son passé ou même de qui il est. Ici, il sait qu'il a eu l'occasion de repartir sur des bases neuves. Le soucis, c'est qu'il ne se sent pas vraiment capable de tourner la page d'un passé encore trop cuisant, et qui le reste, même deux ans plus tard. Qui le restera peut-être même dix ans plus tard. Parce que toutes les nuits, il rêve de la caverne et des inferi, et il ne pense pas que ça changera un jour.

"Comment vous avez réussi à arriver ici..." demande Regulus, circonspect. "J'ai essayé de quitter cet endroit, au tout début... C'était impossible."

Il en dit peut-être trop, mais en même temps, il a du mal à comprendre que certains soient arrivés ici de leur plein gré quand, de son côté, il semble être arrivé ici presque par miracle... Même s'il ne sait pas si le terme de "miracle" est vraiment le mieux adapté.

"Je..." Il ne sait pas quoi répondre à la question d'Arthur. Il ne va pas dire, évidemment, qu'il est mort et qu'il est arrivé ici, mais il ne se voit pas dire non plus qu'il est arrivé là parce qu'il l'a voulu, parce qu'il a voulu changer d'air, parce qu'il aurait une bonne excuse. Il n'en a tout bonnement pas. "En fait, je ne sais pas comment je suis arrivé ici... C'est... enfin peu importe."

Il gardera toujours en mémoire le souvenir cuisant de son réveil sur la plage, de l'eau plein les poumons, complètement désorienté. Rien n'avait de sens. Rien n'a de sens encore maintenant, mais on s'habitue.

"Moi aussi je suis content de t'avoir rencontré...", admet Regulus, un peu pris au dépourvu.

Pris au dépourvu parce que lui-même a tendance à se mettre à l'écart. Il ne sait pas trop ce qu'il pense de sa rencontre avec Arthur, mais il apprécie de lui parler, l'air de rien, et de juste... sociabiliser. Il devrait faire ça plus souvent.

Regulus ne sait pas si son sentiment de soulagement est légitime ou non, mais quand il entend qu'Arthur est arrivé ici par hasard, il se sent rassuré. Il a eu un instant le sentiment d'être fou, de s'être cru prisonnier quand personne d'autre à part lui n'éprouve une telle émotion. Bon, ce n'est pas rassurant non plus, parce que ça veut dire, sans doute, qu'il n'y a aucune issue, et qu'ils sont bloqués ici, mais en même temps, Regulus s'est fait une raison. S'il a cherché à fuir en désespoir de cause au début, ce n'est plus le cas, maintenant. Pour cause, il ne saurait tout simplement pas quoi faire s'il devait avoir l'occasion de partir.

Ici, il a un appartement, un travail... une vie. Une vie incomplète, certes, mais une vie tout de même. Ailleurs, aucune vie ne l'attend, ou pas une vie dont il puisse vouloir par ailleurs. Donc, en fin de compte, même s'ils doivent être piégés, même si c'est désarmant, c'est peut-être mieux comme ça. Il aimerait pouvoir, comme Arthur, prendre les choses si légèrement... Mais ce n'est pas dans son caractère. Et puis, il est seul, cela n'aide pas. Mais il n'y aurait eu personne pour l'accompagner dans tous les cas. Il faut qu'il l'accepte, tout simplement.

Regulus se contente de hocher la tête quand Arthur le rassure en lui affirmant qu'il n'a pas de réponse à lui donner s'il n'y tient pas, car après tout, ils se connaissent encore très peu. Il ne parvient qu'à approuver. Il ne serait pas vraiment capable de parler de lui-même ni de ce qu'il a traversé. C'est encore très frais, trop frais dans son esprit, pour tout dire, et il n'y parviendrait tout bonnement pas. C'est personnel, mais surtout, c'est douloureux. Belle est la seule à qui il se soit senti capable d'en parler jusqu'ici. Il devrait sans doute faire d'autres progrès dans le même sens. Mais c'est encore très compliqué, trop compliqué pour elle.

"C'est... pas si déplaisant", reconnaît Regulus quand Arthur lui demande ce qu'il pense de cette balade à cheval. Il songe qu'il aura sans doute mal aux fesses une fois qu'il reposera les pieds au sol. Mais en dehors de ça, passé l'inconfort des débuts, il y a quelque chose d'assez plaisant dans le fait de se promener à cheval, il doit bien le reconnaître. "C'est quand, tes cours de tir à l'arc ? ça se passe comment ?"

Regulus sort presque ça de nulle part, mais au fond, il songe que s'il veut s'intégrer, se sentir un peu moins seul, peut-être qu'il devrait donner une chance à cette amitié naissante, et pourquoi pas apprendre de nouvelles choses. Il prend racine dans sa librairie. Apprendre le tir à l'arc c'est... original, mais pourquoi pas ?