Dernière édition par Belle Desloges le Ven 7 Jan - 0:55, édité 1 fois
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Lun 25 Jan - 13:41
Un peu de rangement
Il arrive parfois à Regulus de songer à ce que sa famille, sa mère surtout, penserait de la carrière, de la vie qu'il mène. Et chaque fois qu'il y songe, ce n'est pas spécialement agréable. Même si sa voix comme son visage finissent par s'estomper au profit d'une impression plus vague, moins nette, il peut tout de même l'entendre distinctement l'accabler de reproches, de ces reproches qu'elle adressait autrefois à son grand frère. Lui, le fils prodigue devenu pareil au plus indigne des Moldus. Simple tâcheron sans magie, sous-fifre, lui à qui on promettait sans doute une brillante carrière au ministère. Quand il y pense, quand cette image est un peu trop prégnante, il a presque honte d'être là.
Mais la honte, finalement, se résorbe... Parce que s'il cesse d'y songer, de vouloir vivre comme il l'a trop souvent fait en fonction des attentes de quelqu'un d'autre, il est bien obligé de reconnaître qu'ici, dans cette librairie, il se sent bien. Il apprécie la compagnie des livres, il apprécie la compagnie de Belle, devenue par la force des choses sa meilleure amie, peut-être parce que la seule, ou pas loin... Sirius se marrerait sans doute, lui, à le voir comme ça. Sans doute très satisfait que l'expérience doive donner raison à ses décisions.
Bref, s'il cesse d'y penser, il se plaît dans cette librairie. Et même, il a le sentiment de servir à quelque chose. Ce qui lui arrive rarement quand il passe la porte et qu'il rentre chez lui, où rien ne l'attend vraiment, si ce n'est des pensées qu'il voudrait réussir à noyer une bonne fois pour toutes, des souvenirs qu'il voudrait à tout prix enterrer. C'est aussi pour ça qu'il l'aime, ce travail. Il a besoin qu'on accapare son attention, qu'on focalise sa concentration. Aussi, quand Belle lui propose, après la fermeture de la librairie, de rester un peu plus longtemps pour faire un peu de rangement, il est loin d'y voir une corvée, la remercierait presque, en réalité, de lui donner une excuse en or pour rester là plus longtemps.
"Moi qui avais pour projet de passer ma soirée en tête-à-tête avec une assiette de pâtes réchauffées...", observe-t-il avec ce léger cynisme dont il se départit très rarement, mais qui est bien moins agressif quand il s'adresse à Belle que quand il en fait preuve avec beaucoup d'autres. "Mais je veux bien me sacrifier pour la bonne cause."
Bref, oui, il est d'avis de procéder à un peu de rangement. Dans tous les cas, c'est vrai que la librairie en a besoin, ne serait-ce qu'un petit réagencement, qui ne peut être qu'encouragé par leurs lectures respectives. Quand on lit autant qu'eux, on a toujours envie de mettre de nouveaux ouvrages en avant.
Regulus affiche de faux airs sceptique quand Belle ironise avec humour sur le "sacrifice" qu'il daigne en faire en consentant à passer du temps avec elle plutôt que seul chez lui. Si pitoyable ce constat peut-il être, ce n'est pourtant pas quelque chose de si évident pour Regulus. Il aime sa solitude et en même temps il la déteste. Il y a bien des compagnies qu'il fausserait sans le moindre scrupule pour juste rester seul chez lui en compagnie d'un plat de pâtes cuites au microondes, vraiment - mais ça, c'est parce qu'il en exige beaucoup trop des autres, en éternel ronchon insatisfait qu'il est. Mais Belle est une exception à bien des égards. Parce qu'elle est parvenue à percer sa carapace, à le mettre en confiance, à lui en faire dire plus sur lui-même qu'il ne consent à le faire en temps normal. Alors clairement, oui, elle l'emporte sur une soirée morose dans son piteux appartement. Ce n'est pas pour autant qu'il va afficher un enthousiasme trop appuyé non plus, évidemment, ce serait bien mal le connaître. C'est qu'il l'entretient quand même avec beaucoup de soin, sa réputation de petit con absolument insatisfait.
Belle s'occupe de répartir les tâches, et Regulus accepte sans rechigner, d'autant qu'elle s'est réservée les rayonnages adressés aux plus petits, et c'est bien connu que les gosses n'ont pas leur pareil pour mettre le bordel (pas que les adultes soient toujours franchement mieux, cela dit, mais dans l'esprit de Regulus, dont la patience a toujours été très limité, les mioches remportent quand même clairement la palme). Et il sera effectivement plus à même de mettre en avant de nouvelles acquisitions côté adultes. Il est même capable de mettre de côté ses goûts personnels pour mettre en avant ce qui sait plaire au plus grand nombre... Il a acquis un certain professionnalisme à force, et puisqu'il a appris sur le tas, lui qui n'avait jamais tenu un plumeau de sa vie avant (pourquoi aurait-il fait le ménage ? Kreattur était là pour ça), finit même par apprécier. "Tu parles, je sais que tu adores tous ces délires de gamin", réplique Regulus avec un fin sourire. "Et tu voudrais pas que je m'occupe de faire le tri dans les bouquins des tout petits, on se retrouverait avec une génération de traumatisés, et ils ont pas besoin de moi pour l'être, sur cet îlot de malheur."
Encore que tout le monde ne prend pas la situation avec autant d'emphase que le sorcier, il semblerait. Mais quand même, déjà que cette situation est compliquée pour lui, Regulus n'imagine pas ce que ça doit être pour les gosses propulsés ici sans rien n'y comprendre. Encore que ça vaut peut-être mieux qu'un truc pareil vous arrive à un âge où vous êtes encore malléable.
"Au fait, je t'ai pas raconté, j'ai retrouvé quelqu'un. Quelqu'un que je connaissais... d'avant."
L'avantage avec Belle c'est que, quand il le faut, elle sait être enthousiaste pour deux. Du côté de Regulus, c'est une autre affaire. Ce n'est pas forcément qu'il manque totalement d'intérêt à certains sujets, mais il n'est clairement pas du genre... démonstratif. Surtout, il se protège, beaucoup. Pour éviter de se faire plus de mal que nécessaire, il s'est forgé une carapace qu'il espère suffisamment épaisse pour que rien ne puisse l'atteindre. Mais, bien sûr, ça ne peut pas marcher à tous les coups. Belle en est une preuve manifeste. C'est bien parce qu'elle a su insister et voir au-delà des apparences qu'il la considère aujourd'hui comme son amie. Sa seule amie, en réalité.
La seule à qui il s'imagine capable de se confier au sujet de sa rencontre avec Andromeda, même si, tout bien considéré, il n'y a finalement pas grand-chose à en dire. Même rien, en fait. Ils ne se sont pas dit grand-chose, et Andromeda reste... enfin, ce n'est pas la première personne qu'il espérait retrouver, il doit bien le dire. Mais c'est quand même quelque chose, malgré tout, et qui le travaille suffisamment pour qu'il ait décidé de ne pas le garder pour lui alors qu'il aurait tout à fait pu décider de le faire, après tout. Quand elle le presse de question, il se demande s'il ne va pas le regretter, tout compte fait, mais il se prête au jeu. Non, en vérité, il a bel et bien besoin de parler.
"C'est pas un truc dingue non plus", se permet-il de préciser comme s'il était absolument nécessaire qu'il réfrène un peu l'enthousiasme de son interlocutrice. En fait, c'est surtout que Regulus refuse de se réjouir de quoi que ce soit. Il ne saurait comment l'expliquer, mais il considèrerait ce genre d'accès d'enthousiasme comme quelque chose de dangereux, quelque chose qu'il ne peut pas se permettre, ou ne va pas se permettre. "C'est pas comme si j'avais retrouvé mes parents ou..." Sa gorge se serre un peu. "... mon frère." Ouais, le pire c'est que c'est Sirius qu'il voudrait le plus revoir, alors que tous deux ne se parlent plus du tout. "C'est ma cousine, Andromeda. On n'a jamais vraiment été proches, tous les deux, même avant tout ça, on se parlait plus depuis un bail mais... enfin, ça m'a fait bizarre, de la voir là..." Il marque une pause. C'est bête, c'était quelque part rassurant de retrouver quelqu'un de sa famille, et en même temps, il s'était senti... floué ? Déçu qu'il ne s'agisse pas de quelqu'un d'autre. Même si, en vérité, il ne devrait souhaiter à aucun de ses proches de se retrouver dans cette ville de malheur. "Elle s'est bien adaptée, j'ai l'impression. J'aurais dû lui demander son secret..."
Lui s'est adapté, certes. Bien, il ne saurait pas trop le dire.
Belle avait toujours su voir les choses sous un angle bien plus positif que lui-même. Ce n'est pas une nouveauté. L'optimisme dont était capable son amie et patronne avait toujours tranché avec son propre optimisme, à se demander, même, comment les deux avaient fait pour devenir amis - à se demander, surtout, comment Belle faisait pour le supporter au quotidien (ça, c'est de toute évidence un véritable mystère, mais il est loin de s'en plaindre, lui qui ne perd pourtant jamais l'occasion de le faire, il se sent beaucoup trop heureux et privilégié de l'avoir trouvée sur sa route). En l'occurrence, quand elle cherche à se montrer positive, en lui assurant que s'il a retrouvé sa cuisine, cela signifie peut-être qu'il trouvera d'autres membres de sa famille, Regulus doit se retenir d'affirmer que non, au fond, il est préférable qu'il ne retrouve jamais aucun d'entre eux.
C'est lui dans toute ses contradictions. Il meurt d'envie de revoir ses parents, mais il sait que si ça devait être le cas, il accuserait leur rage et leur déception. Il meurt d'envie de revoir son frère (fait moins avouable pour le coup), mais il sait que si ça devait être le cas, ça n'effacerait pas la haine qu'ils se sont vouée pendant de trop longues années pour l'occulter. Sans compter qu'avoir la confirmation que ceux de son monde peuvent bel et bien y être présent ne va pas sans lui rappeler le fait que le seigneur des ténèbres pourrait tout aussi bien l'être, et qu'il faudrait qu'il se confronte à son ire tôt ou tard.
De même, il se retient de répliquer à Belle qu'il ne mérite en rien de retrouver ses proches, ou qui que ce soit, et qu'il mérite certainement de se retrouver dans la situation qui est la sienne, mais là encore, il fait l'effort de garder sa pensée pour lui. Il ne veut pas la froisser, et aussi, il ne veut pas qu'elle s'inquiète inutilement pour lui. "Tu ne peux pas me renvoyer. Tu m'aimes trop pour ça", affirme-t-il d'un ton presque convaincu mais qui ne cherche pas pour autant à être convaincant.
Oh, il pense sincèrement - et miraculeusement il faut bien le dire - que Belle l'apprécie et n'a pas la moindre intention de le renvoyer, mais il n'en jouerait pas trop quand même pour autant. Il affiche une légère esquisse de sourire. Elle sait faire passer les choses sur le ton de la simple plaisanterie, mais Regulus se doute que son discours décèle une vérité qui la mine. S'ils s'entendent bien malgré leurs différences, c'est peut-être pour ça. Aussi bien l'un que l'autre, ils semblent absolument infichu de s'adapter à ce monde qui les a projetés là sans leur demander leur avis. "Peut-être que les gens qui savent s'adapter y parviennent parce qu'ils sont idiots. Et nous on y arrive pas parce qu'on est beaucoup trop intelligents." Il marque une pause. "Dans le fond, je crois que j'aurais préféré retrouver personne que je connais ici... C'est pas comme si je pouvais souhaiter à qui que ce soit de se retrouver dans cette galère."
Belle n’est pas aussi négative que son amie sait l’être, mais sur certains points, tous deux savent tout de même se rejoindre. Regulus est sûr que d’autres l’auraient réprimander de porter un jugement si hâtif et négatif sur quiconque déciderait d’apprécier son sort et cet endroit, mais elle le comprend, sans doute parce que son ressenti sur la situation n’est pas bien différent. En même temps… N’ont-ils pas raison ? Comment se faire à ce monde, si différent du leur, qui semble leur avoir pris toutes leurs certitudes, tout ce à quoi ils tenaient pour le remplacer par une étendue sans fin d’incertitudes qui aurait de quoi rendre dingue absolument n’importe qui ?
Belle lui apprend qu’elle aimerait retrouver son père, par-dessus tout… Regulus le sait, elle est très attaché à celui qui est le seul membre de sa famille encore vivant. Et son attachement à sa famille, Regulus le comprend tout à fait, même si son propre rapport à sa famille est hautement complexe en ce qui le concerne… Il est normal qu’elle ait envie de le retrouver, mais pas dans cette galère. Oui, peut-être que son père est heureux dans son monde d’origine… Encore que, peut-il l’être sans sa fille à ses côtés ? « J’ai souvent pensé la même chose », il répond à son tour quand Belle lui confie qu’elle aurait aimé arriver dans ce monde sans aucun souvenir de sa vie passée, qu’ainsi, il aurait été beaucoup plus simple pour elle de s’intégrer.
Il a croisé certaines personnes qui, en effet, avaient perdu tout ou une partie de leurs souvenirs à leur arrivée ici. Parfois, il avait été un peu sceptique quant à leurs histoires et s’était demandé s’ils ne se servaient pas de cette amnésie providentielle pour justifier la lâcheté de leurs choix ou pour effacer leur soi passé afin de faire table rase de leur vie d’autrefois… Mais peut-être que oui, la mémoire de certains a été effacée. Et Merlin, ce qu’il peut les envier, ceux-là ! A un point i Lui donnerait tout pour ne plus garder en mémoire la saveur du poison qui lui asséchait la gorge, la prise des inferi, l’eau sombre qui remplissait ses poumons. Lui donnerait tout pour ne plus songer aux horreurs qu’il a vues et commises en tant que mangemort. Lui donnerait tout pour ne pas affronter le souvenir de ses parents et de son frère, pour ce que ces souvenirs éveillent en lui de sentiments complexes et contradictoires… Malheureusement, ce souvenir est trop vivace pour qu’il puisse l’occulter. « Tu sais que de là où je viens, on a un sortilège comme ça, le sortilège d’oubliette, pour effacer les souvenirs de la personne visée », lui apprend-il.
Elle est la seule pour l’heure à qui il peut parler de ses capacités magiques, et le faire lui fait, en réalité, le plus grand bien. Ça ne sert à rien, mais ça le soulage. Il a beau dire qu’il veut oublier… c’est un peu hypocrite étant donné que dans le même temps, il se raccroche au souvenir de cette vie perdue.
« Si ma baguette était autre chose qu’un bâton stupide et inutile, là, tout de suite, c’est sûr que je m’en servirai sur moi-même. » Il pousse un soupir, affiche un sourire un peu triste. « Non… c’est des conneries. J’ai envie d’oublier et en même temps, j’ai peur qu’à force, je me souvienne plus de rien… » Si ça a du sens, ce dont il n’est pas sûr. « Si jamais je récupère mes pouvoirs, et si jamais tu regrettes toujours de te souvenir, je pourrais peut-être t’aider à y remédier. »
Et même si c’est tordu, il le dit vraiment comme un service qu’il veut lui rendre.