Brothers once, brothers forever

feat. Sirius

Cet été avait été différent de tous les autres. Regulus se garderait bien de l'avouer et de le dire à qui que ce soit, mais il n'avait que pu ressentir l'absence de Sirius, cette fracture qui s'était créée pour de bon entre son frère et le reste de sa famille. Tout ça ne datait pas d'hier, bien évidemment, mais pendant longtemps, le jeune homme s'était bercé d'illusions, il avait bel et bien cru que la situation se décanterait, il s'était imaginé que son frère reviendrait à la raison et comprendrait où était son intérêt, il s'était imaginé qu'il tenait tout de même suffisamment à ses parents pour ne pas leur imposer cet ultime manque de respect. Force lui était de reconnaître qu'il s'était trompé, et largement trompé... Et donc, Sirius avait fait ses bagages, était parti, purement et simplement, et n'était pas revenu des deux mois d'été. Sa mère, dans un accès de rage, avait débarrassé la tapisserie familiale du nom de son fils aîné, et dès lors, ce nom n'avait plus été prononcé au sein du 12 square Grimmaurd.

Ses parents semblaient indifférents au départ de Sirius. Est-ce que ce n'était qu'une illusion ou était-ce vrai ? Après tout, dans leur famille, c'était leur truc que de maintenir l'illusion, de faire comme si de rien n'était, comme si rien n'était susceptible de réellement les toucher, de leur faire du mal. Les maux du cœur ne s'exprimaient jamais en parole. On se taisait, on gardait pour soi, et Regulus avait fait comme tous les autres. Regulus était en colère contre Sirius. Il avait tout gâché. Et passer à côté de la tapisserie des Black, voir la tache sombre à côté de son propre portrait, lui faisait plus de mal qu'on ne pourrait le soupçonner si l'on ne se fiait qu'à son impassibilité de façade, qu'il portait en étendard, pour se protéger avant tout, bien sûr.

Pourtant, ça ne changeait pas grand-chose. Dans tous les cas, Sirius et lui ne s'adressaient plus la parole, ou à peine, depuis très longtemps, à vrai dire. Et même s'ils passaient leur été ensemble, ils s'ignoraient plus ou moins. Mais quand même...

Regulus avait appréhendé de revoir son frère à Poudlard, ce qui paraissait bien évidemment inévitable. Poudlard avait beau être un grand château, les "retrouvailles" étaient… forcées. La veille, Regulus l’avait vu s’installer à la table des rouge et or. Son regard avait soutenu le sien, une conversation silencieuse inutile, qui en exigeait une autre, véritable, cette fois.

« Regulus, y a ton frère qui fait le pied de grue devant la salle commune, il te cherche, je crois. »
« J’ai pas de frère », avait répliqué Regulus du tac-au-tac, ce qui ne l’avait pourtant pas empêché de sortir après avoir eu vent de cette information.

En effet, il découvre la silhouette de son aîné, et Regulus est aussitôt tenté de faire demi-tour. Malgré tout, il se place face à lui, accepte de le regarder dans le blanc des yeux.

« On a rien à se dire », réplique Regulus, quand Sirius lui demande s’ils peuvent parler. Ils n’ont rien à se dire, mais il est là, c’est bien qu’il veut parler. « Sauf si t’as l’intention de t’excuser. »

Brothers once, brothers forever

feat. Sirius

Regulus serre les dents à la réponse de son frère. Cette dernière n’a rien de franchement surprenant, mais elle suffit à elle seule à faire l’état précis de cette situation et de combien elle est inextricable. Si Sirius était prêt à s’excuser, à supplier leurs parents de le réintégrer dans la famille, il serait le premier à l’accueillir à bras ouverts, parce qu’il tenait à le retrouver, parce qu’il ne demandait qu’à lui pardonner ses… écarts de conduite. C’est souvent quand on perd quelque chose qu’on prend conscience de sa valeur. C’est on ne peut plus vrai en ce qui concerne la relation de Regulus envers Sirius. Il pensait avoir fait le deuil de son frère depuis longtemps, depuis bien avant qu’il ne quitte définitivement la maison, mais le fait de le voir partir sans se retourner avait en réalité brisé quelque chose qui ne l’était pas encore, en trop de morceaux pour envisager de les réassembler, et ça… c’est dur à encaisser.

Que Sirius estime être dans son bon droit, qu’il considère n’avoir rien fait de mal, c’était comme lui cracher au visage, lui dire de but en blanc, sans détour ni la moindre considération, qu’il se fiche complètement de lui et de ses émotions, qu’il n’a aucun remords quant au fait de l’avoir abandonné… Voilà de quel manière Regulus traduit les paroles que son frère lui adresse, et cela ne fait que creuser encore plus le fossé déjà trop profond et semble-t-il infranchissable qui s’est créé entre eux au prix d’années de silence et d’amertume.

« Tu viens de dire toi-même que tu n’avais pas l’intention de t’excuser, alors je ne vois franchement pas comment tu comptes accomplir cet exploit. »

Il ne dira pas que les paroles de Sirius lui serrent le cœur au point de presque le briser, il ne lui dira pas que lui aussi voudrait qu’ils redeviennent ceux qu’ils étaient, il ne lui dira pas que leur complicité, leurs conversations, lui manquent… Il ne dira rien de tout cela… Il ne le peut pas. Il le garde pour lui et tente d’offrir à son frère son visage le plus méprisant, taisant cette part de lui au fond heureuse que Sirius, quelque part, regrette leur relation autant qu’il la regrette lui-même.

« Tu n’es plus le même, Sirius. Je ne sais pas ce que t’es devenu, et j’ai pas envie de le savoir, mais ce qui est sûr, c’est que toi et moi, on pourra jamais être ce qu’on a été. » Il se renferme un peu plus, bougon. « Je suis même pas sûr que ça ait existé un jour de toute façon. »

Il détourne le regard, il ne peut pas prononcer ces mots en le regardant droit dans les yeux. Si Sirius espère le « sauver », c’est peine perdue, ce n’est pas lui qui doit être sauvé, ce n’est pas lui qui s’est écarter de la voie idéale… Et Regulus ne compte pas se détourner du chemin que sa famille a tracée pour lui. Il n’y a qu’ainsi qu’il réparera le déshonneur que son propre frère a engendré.

Brothers once, brothers forever

feat. Sirius

« Oh arrête de faire croire que t’as eu l’enfance la plus malheureuse du monde et les pires parents du monde, je te prie », réplique Regulus en levant les yeux au ciel après que son frère lui fasse clairement comprendre qu’il n’a pas l’intention de s’excuser, pas après ce qui s’est passé.

Et voilà qu’il ajoute, comme pour enfoncer le couteau dans une plaie déjà bien ouverte qu’il ne regrette pas un seul instant d’être parti. Ça, c’est définitivement la cerise sur le gâteau. Parce que Regulus n’a aucun doute quant au fait que son frère est complètement sincère en cet instant, et clairement, un tel constat a ni plus ni moins que le don de l’anéantir corps et bien. Il avait envie de croire que Sirius avait tout de même pris cette décision avec un soupçon de pincement au cœur, qu’il regardait parfois en arrière avec un semblant de regret et de nostalgie, mais il a bien compris qu’il devait oublier cette hypothèse.

Ceci dit, oui, il ne peut s’empêcher de le trouver injuste vis-à-vis de leurs vies, et vis-à-vis de leurs parents. Encore très soumis à l’influence de sa mère autoritaire et de ce père absent qu’il aura tant voulu rendre fier, il accepte de passer à côté de nombreux traitements désagréables, ou de leur éducation beaucoup trop rigide. Ils ont eu de bons moments, après tout. Ils en ont eu beaucoup, même. C’est ce que Regulus a envie de croire… et il n’estime définitivement pas que la situation aurait dû s’envenimer à ce point. Bien sûr, c’est oublier la manière dont la répartition de son frère à Gryffondor avait été accueillie, et nombre d’autres conflits au sein du foyer familial… mais c’était facile de faire abstraction maintenant… quand il a le sentiment que la situation n’a jamais été pire que depuis que son frère est parti.

« T’es ingrat, voilà ce que t’es… »

Il s’agace en même temps qu’il sort à Sirius de ces discours tout faits que ses parents auraient tout à fait pu tenir (dans un langage éventuellement plus châtié, certes, mais le résultat aurait définitivement été le même). Oui, Regulus reste totalement le produit de son éducation. Il ressasse les discours prémâchés qui lui ont été fourrés dans le crâne par des parents trop conscients de leur rang et de leur fortune. C’était clairement à prévoir, pour le coup.

Quand Sirius reprend la parole en affirmant que lui, au moins, a un autre frère, le coup est sacrément dur à encaisser. Lui, qui a-t-il ? La réponse, c’est qu’il n’a plus personne. Il voudrait prétendre le contraire, mais ce serait un mensonge. Non, il n’a effectivement plus personne. Personne avec qui il sera aussi proche qu’il ne l’a été avec Sirius, et son frère rejette facilement tout ce qu’ils ont vécu. Pour cause, il est déjà passé à autre chose. Pour lui, tout ça n’a pas grande importance au bout du compte.

« Si c’est ça la personne que tu devais être, alors clairement, on a tous perdu du temps avec toi, ces dernières années. » Regulus lève le regard. « Voilà, je te regarde dans les yeux, et après quoi ? Qu’est-ce que ça peut te foutre, hein ? »

Brothers once, brothers forever

feat. Sirius

« J’ose parce que c’est la vérité », réplique froidement Regulus quand Sirius lui demande comment il peut même oser le qualifier d’ingrat.

Oui, il estime que Sirius l’est. S’il doit se plaindre que Regulus a été favorisé plutôt que l’inverse, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Sirius aurait pu récolter tous les lauriers à sa place, il avait tout pour ça. Sirius avait toujours été plus beau, plus malin, plus intelligent… s’il avait décidé de ne pas s’écarter du droit chemin, ses parents n’auraient eu d’yeux que pour lui. Regulus n’avait pas d’autre choix que de rentrer dans les rangs pour exister, pour espérer un peu de reconnaissance. Il n’a ni le charisme, ni le capital sympathie de Sirius, et il le sait. Sirius pouvait tout avoir, absolument tout, et il a fait le choix de se saborder lui-même. Il ne peut pas se lamenter sur son sort quand c’est ainsi que les choses se sont déroulées. Oui, cette conversation déchire le cœur de Regulus, mais ça ne l’empêche pas de penser chacun des mots qu’il prononce à l’heure actuelle. Il estime vraiment que les choses ne se sont pas passées aux dépens de Sirius, elles se sont passées parce que son frère les a provoquées, et c’est une chose que le petit frère a du mal à pardonner à son aîné. Non, il ne peut pas pardonner à son aîné. Il n’a pas le droit, et il n’accepte pas que l’on inverse les rôles. Il estime que Sirius n’a pas le droit d’être en colère contre lui quand c’est lui qui l’a abandonné. Il ne peut s’en prendre qu’à lui-même si cette situation a pris un tel tournant. A lui-même et à personne d’autre.

Sirius est peut-être malheureux et en colère, eh bien ils sont deux, et il est évident qu’ils ne se comprennent pas. Tout aurait pu être si simple pourtant… ou peut-être pas. Si Sirius était véritablement rentré dans les rangs, Regulus n’aurait jamais pu être le fils prodigue, il aurait été l’enfant que l’on considère moins et qui aurait toujours dû prendre exemple sur son frère. Sur ce point, peut-être que Regulus devrait reconnaître que son frère lui a rendu un fier service. Mais il est incapable de penser ainsi, bien sûr. Il en est incapable parce qu’être éloigné de son frère lui arrache le cœur, parce qu’il est plus simple d’éprouver de la rancœur que de faire face au caractère autrement plus complexe des émotions qui l’étreignent dans ces circonstances bien particulières.

Regulus ne s’attend pas au geste qui suit, il est totalement pris au dépourvu au moment de voir le poing de son frère s’abattre sur son nez. Bordel de merde ce que ça peut être douloureux. Et humiliant. Regulus manque basculer au sol de justesse. Il frotte son nez douloureux et constate qu’il saigne.

« T’es content de toi ? » Regulus aimerait dissimuler les larmes qui lui voilent le regard, de déception et de douleur, mais il n’y parvient pas. « T’es un putain de dégénéré en fait. » Il tente de reprendre contenance. « T’aurais au moins pu te servir de ta baguette comme n’importe quel sorcier équilibré… enfin… t’en es loin, ça on a bien compris. »

Brothers once, brothers forever

feat. Sirius

Tous les deux, ils ont atteint un véritable point de non-retour. Leur complicité passé et l’affection qu’ils se portent mutuellement ne suffira pas à leur permettre de bâtir entre eux un point qui les aidera à se retrouver. Non, ils sont allés trop loin pour revenir en arrière. Sirius ne retournera pas auprès des siens, et Regulus ne compte pas trahir des préceptes familiaux qu’il se sent une double obligation de porter à présent que son frère n’est plus là pour assurer le rôle d’aîné et donc d’héritier qui aurait dû lui incomber. Regulus grimace quand Sirius affirme être capable d’affirmer ses opinions.

« Quand on construit ses opinions uniquement pour qu’elles rentrent en contradiction avec celles qu’on nous a inculquées, ce n’est pas une preuve d’intelligence, uniquement d’arrogance. Ce n’est pas parce qu’on nous a enseigné depuis toujours certaines valeurs qu’on doit les rejeter en bloc parce qu’on fait sa crise d’adolescence. »

Il rit légèrement au moment d’entendre Sirius parler de son abandon… L’hôpital qui se fout de la charité, selon lui. Des deux, ce n’est pas lui qui a tout abandonné. Il ne s’estime ni dégonflé ni lâche, au contraire, il aura le courage d’assumer jusqu’au bout le rôle que ses parents attendent de lui, sans se réfugier derrière quelque prétexte que ce soit pour se soustraire à son rôle. Oui, c’est sa vie, et en restant avec ses parents, il a fait son propre choix, un choix qu’il ne regrette pas.

« Tu ne portes pas la sainte parole de la vie idéale, Sirius ! Et encore heureux parce que dans le cas contraire, on aurait de quoi s’inquiéter. Je suis très fier de la vie que je mène, je n’éprouve aucune honte à rendre mes parents fiers. Oui, Sirius, c’est ce que je veux. Vraiment. C’est la vie que je choisis. »

Il prononce ces mots en regardant son frère dans le blanc des yeux. Plus Sirius cherche à le pousser dans ses retranchements, plus Regulus se braque et se convainc de faire le bon choix. La vérité, c’est qu’il ne s’est jamais donné l’occasion de réaliser les dérives de sa famille. Les quelques-unes qu’il est en mesure d’apercevoir, il les considère comme un sacrifice nécessaire au nom du bien commun de la communauté sorcière. Chacun se doit de remplir sa part. Regulus veut se croire promis à un destin hors du commun… et pour y parvenir, il se doit de ne jamais dévier de ses objectifs, de ne jamais flancher. Il doit faire qui qui lui paraît être le plus sûr, le plus logique, le plus louable. Il doit agir au mieux. Pour le bien commun.

Alors oui, il peut le lui dire dans le blanc des yeux, et sans trembler. Ce n’est pas du tout ce qu’il veut, ce ne pourra jamais être ce qu’il veut, quoi qu’il puisse advenir.