Ses yeux embués fixent les formes enveloppées sur le bûcher et d’aussi loin qu’elle s’en souvienne, son cœur n’a jamais semblé si lourd. Faire le deuil d’un frère qu’elle n’avait même pas eu le temps de connaître n’était plus particulièrement douloureux ; elle en avait pris l’habitude au fil des années. Sa mère en revanche… C'est une mort injuste. Une mort qui aurait probablement pu être évitée si son père avait décidé de se contenter d’elle comme unique héritière. N’importe quel homme de son rang aurait fait pareil que lui en essayant une ultime fois d’étendre une lignée aussi prestigieuse que la leur mais l’adolescente ne peut s’empêcher de lui en vouloir un peu. Ce n’est pas comme si elle pouvait le lui dire : lui-même semble littéralement anéanti par la perte de celle qu’il avait aimée probablement bien plus que de raison. « They’re waiting for you. (Ils vous attendent.) » La voix de son oncle retentit dans son dos et le silence se fait pesant. « I wonder if, during those few hours my brother lived, my father finally found happiness. (Je me demande si, durant ces quelques heures où mon frère a vécu, mon père a finalement été heureux.) » Et si le sacrifice en avait vraiment valu la peine, s’empêche-t-elle de rajouter. « Your father needs you more now than he ever has. (Votre père a besoin de vous plus que jamais.) » Son amertume la force à se demander s’il pense réellement ces mots ou si c’est simplement une formule pré-faite qu’il lui sert pour essayer de lui trouver une raison de tenir le coup. « I will never be a son. (Je ne serai jamais un fils. ) » Je ne serai jamais ce dont il a besoin. Même Daemon ne prend pas la peine de répondre à ça : il sait que peu importe ce qu’il pourrait dire, ses mots seraient vains. Prenant son courage à deux mains, elle fait quelques pas en direction de Syrax qui n’attend que son départ également. Elle lance un regard à son père qui ne semble plus être que l’ombre de lui-même et son émotion lui serre si fortement la gorge qu’elle ignore complètement comment le « Dracarys » sort de ses lèvres, la forçant à détourner la tête pour ne pas assister à ce spectacle aussi dramatique que macabre.


Comment avait-il pu lui faire ça ? Si son devoir en tant que roi était de se remarier, le faire avec sa meilleure amie ne faisait décidément pas partie des obligations qu'il avait à remplir. La boule de rage qui lui serrait la gorge ne semblait pas vouloir s'atténuer et il n'y avait personne à qui elle pouvait se confier étant donné que sa seule amie s'apprêtait désormais à devenir sa belle-mère.« My princess, the King asked to see you. (Princesse, le roi a demandé à vous voir.) » La principale concernée ne prend même pas la peine d'adresser un regard au malheureux émissaire qui se contente d'accomplir le travail qui lui a été attribué, fouillant distraitement dans l'un des tiroirs de sa commode pour finalement y trouver les gants qu'elle y cherchait. Lorsqu'elle se trouve dans un tel état de colère, il n'y a absolument rien qui puisse la calmer mieux que d'aller voler et Syrax ne se montrerait jamais réfractaire à une balade.


Ce soir-là, oubliées ses responsabilités et les attentes qui reposent sur ses épaules en tant qu'héritière. Oubliés ses demi-frères, sa traîtresse d'ancienne amie, ces histoires de futur promis ou simplement le lieu peu recommandable où ils se trouvent. Tout ce qui compte à ses yeux, ce sont les mains qui se baladent le long de son corps et les lèvres qui répondent fougueusement à chacun de ses baisers. Tout-à-coup, elle le sent se raidir et tenter de s'éloigner d'elle. Prenant ça comme un énième jeu, elle s'y prête en tentant de rétablir le contact perdu auquel il se refuse maintes et maintes fois. Pendant un instant, elle a l'impression de voir du regret tapisser ses traits et avant qu'elle n'ait totalement le temps de comprendre ce qu'il se passe, il s'éloigne et l'abandonne là. Sonnée, il lui faut quelques instants pour se rendre compte de ce qu'il vient de se passer et trouver le moyen de se rhabiller pour regagner le château aussi discrètement qu'il lui est possible de le faire, s'enfermant dans sa chambre où elle s'affale sur le lit pour ne plus jamais s'y réveiller, loin de s'être rendue compte du spectacle atypique qu'offrait le ciel ce soir-là.


Une nuit au ciel rougi qu'elle a tout juste le souvenir d'avoir vaguement aperçue alors qu'elle rentrait noyer sa honte au château et la voilà qui se retrouve dans un monde où toute nouveauté la dépasse. Les premières semaines, les premiers mois sont ardus : il faut s'habituer à un monde de vie complètement différent, à un florilège de nouvelles expressions et faire le deuil d'une ancienne vie et des proches laissés derrière soi. Puis progressivement, l'ancienne princesse reprend du poil de la bête - parce qu'elle ne peut pas se laisser abattre et continuer à regarder derrière avec une certaine nostalgie. Finalement, elle se dégote un petit logement et rentre à l'académie de police, adoptant même un chiot pour se tenir compagnie - maigre compensation à la présence aussi imposante de sa fusionnelle Syrax mais qui suffit au moins à lui éviter de sombrer dans la déprime.