All cats are grey in the dark

feat. Selina

Jesse, dans cette nouvelle vie, aurait pu décider de ne plus jamais se rapprocher de près ou de loin de ces affaires de drogues, que ce soit pour en produire, en dealer ou en consommer. Quand on voit comment les choses se sont terminées pour lui, il semble assez évident qu’il devait laisser tout ça derrière lui… Mais on a beau chasser le naturel, il revient très très vite au galop, et on n’échappe pas à son passé. C’était bien beau de se dire que ce nouveau monde lui permettrait de changer de vie, mais c’était oublier un peu vite que le fric ne pousse pas sur les arbres, qu’il n’avait pas de diplôme et aucun talent sans doute si ce n’est celui de savoir cuisiner la meth la plus pure que l’on puisse concevoir sur le marché… Pour Jesse Pinkman, tout arrêter a été impossible. D’une part, il consomme encore (ça chasse les cauchemars), d’autre part, oui, il a continué à produire, ne serait-ce que parce qu’il ne voit pas de quelle autre manière payer son loyer. L’erreur qu’il ne veut pas commettre, c’est celle de Mr White, il ne visera pas trop haut, il ne courra pas après des montagnes d’argent, il aura des ambitions à la hauteur de son train de vie… Il saura, aussi, s’entourer de personnes raisonnables, et qui ne la lui feront pas à l’envers.

Jesse n’a pas forcément eu immédiatement confiance en Clive, le dealer qu’il s’apprête à retrouver ce soir-là… Ce n’est rien de personnel contre lui, c’est juste un fait… Il a intérêt à se méfier, au risque même de sembler paranoïaque, d’absolument n’importe qui. Il préfère être trop prudent que pas assez (dit-il en ayant malgré tout accepté d’accueillir Walter White sous son toit en dépit des désastreuses conséquences que pourrait avoir une telle décision)… Il faudra un peu de temps pour que la confiance soit totale, mais Clive ne l’a jamais déçu, et surtout, il a l’air de s’y connaître, tout en semblant désireux, comme lui, de s’affilier le moins possible avec ces barons de la drogue dangereux et instables qui pourraient mettre leurs vies en péril.

Ils se sont donné rendez-vous dans un lieu public, pas bondé mais suffisamment fréquenté pour que ce ne soit pas suspect non plus. Le jardin botanique. C’est Clive qui a eu l’idée, et Jesse trouve qu’elle est loin d’être mauvaise, en effet. Malgré sa panne de réveil et son humeur bougonne de la journée, Jesse arrive de façon ponctuelle au rendez-vous et s’installe, l’air de rien, sur le banc où Clive est assis. De loin, ils pourraient passer pour deux amis qui auraient décidé de se fixer un rendez-vous nocturne. Mais il y a quelque chose de suspect dans leurs attitudes respectives… Entre eux, deux sacs de formats identiques qu’ils glissent l’un vers l’autre. L’un contient des billets, l’autre des sachets de meth d’un bleu limpide. Jesse se permet d’ouvrir le sac pour en vérifier le contenu quand son interlocuteur lui garantit à voix très basse que le compte est bon. Même si Jesse n’aime pas franchement ça, il se doit de donner l’impression d’être carré, rigoureux… Le genre à qui on ne la fait pas et qu’on a pas intérêt à duper… Il s’invente une autorité qui n’a jamais été intuitive chez lui… qui n'a jamais rien eu de franchement réelle. Tout semble réglo. Jesse hoche la tête. L’échange entre Clive et Jesse touche rapidement à son terme et, son sac à l’épaule, Jesse s’apprête à quitter discrètement les lieux… Aussi discrètement en tout cas que lui permet son pas lourd et un rien maladroit. Il n’a le temps de faire que quelques pas qu’il lui semble entendre du mouvement, dans son dos… Mais au moment de se retourner, il n’aperçoit rien dans la semi-pénombre des liens. Et sa bonne vieille paranoïa revient au grand galop.  

« Y a quelqu’un ? »

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OK… Il se passe vraiment un truc bizarre, là. D’accord, Jesse est d’un naturel paranoïaque – pour d’excellentes raisons selon lui. Il a toujours peur de voir surgir, de nulle part et sans prévenir l’un des dangereux fantômes de son passé – mais là, là… il est pas fou (il est même sobre, il faut le signaler, chose qu’il s’efforce toujours d’être au moment de gérer ses transactions, afin de s’éviter des emmerdes inutiles), il y a bien quelqu’un… ou quelque chose… qui le suit. Oui… Mais après s’être retourné quatre fois pour ne rien voir de suspect, et avoir parlé dans le vide… il devrait quand même se faire une raison, pas vrai ? Et pourtant… Au moment où l’individu se manifeste, Jesse se laisse totalement surprendre, dans un léger cri de surprise suraigu qui n’a franchement rien de viril. Tout se passe très vite. Une fraction de seconde à peine, et l’intruse semble avoir disparu avec son sac… Merde, son sac ! Il y a plusieurs centaines de dollars, là-dedans. Il doit à tout prix les récupérer. Surtout qu’il n’a pas encore payé les dernières factures liées aux examens médicaux de Mr White… et bordel, s’il y a bien un point commun entre l’Albuquerque qu’il a connue et cette ville qui n’a pas de nom, c’est que le système de santé est onéreux as fuck. Il doit récupérer son sac, mais comment faire ? Il a affaire à une voleuse-acrobate en tenue moulante – une première pour lui. Sa longue et sordide expérience ne lui a pas appris à gérer ce genre de situations.

« C’est quoi ce délire ? T’es qui ? »

Ce sont les premiers mots qui veulent bien s’échapper de ses lèvres, il aurait pu y en avoir un bon paquet d’autres, ne serait-ce que parce que la scène paraît si surréaliste à Jesse qu’il n’est pas tout à fait certain qu’elle soit bien réelle… Est-ce qu’il est en plein trip hallucinatoire ? Y a peu de chances… En tout cas, la sensation de se faire sucrer l’intégralité de son fric a l’air bien réelle, elle. Et son incapacité à suivre cette femme au sommet de cet arbre également. Hors de question de tenter de grimper là-haut, Jesse possède l’agilité d’un mérou, il s’exploserait probablement la figure, et un bras cassé, c’est la dernière chose dont il ait besoin alors qu’il se sent sur le point de s’asseoir sur un sacré paquet de pognon – pas au sens propre du terme, par contre.

« C’est pas bien de voler non plus, et pourtant, ça a pas l’air de te déranger. »

C’est pas bien de dealer… ouais, pas faux, et en plus, ça vous apporte que des emmerdes, mais Jesse a jamais su rien faire d’autre, et en attendant, il gagne son pain. Il sait pas trop ce qu’il attend de cet échange. Il se dit que tant qu’ils se parlent, il garde son fric à portée de vue, ce qui est le mieux qu’il puisse faire, faute de l’avoir à portée de mains. A cette distance, y a pas grand-chose qu’il puisse faire de plus, de toute manière. Enfin si… y a ce gun qu’il planque sous sa ceinture, le genre d’extrême nécessité qu’il traîne sur lui en cas d’urgence… En vain, car Jesse ne veut plus jamais s’en servir de toute sa vie (oui, pour éviter de s’en servir, le mieux c’est de ne pas en avoir, mais ça c’est encore une autre histoire). Donc en fait, il a aucun argument.

« Et puis, t’as pas passé l’âge de jouer à chat perché ? » demande Jesse, décontenancé d’avoir découvert la voleuse à la voix malicieuse installée sur la branche d’un arbre à proximité. Jesse se frotte doucement les tempes du bout des doigts. « Bon, qu’est-ce que tu veux ? On peut se partager la thune, si tu veux, mais j’en ai vraiment, vraiment besoin. »

Jouer la carte du mec désespéré, il n’a rien de mieux. En même temps, il est vraiment désespéré.

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Comme si ça ne suffisait pas qu’il se fasse littéralement dépouiller comme un bleu, il faut qu’il ait affaire, en plus de ça, à une petite maline particulièrement agaçante, et qui a tôt fait de lui taper sur le système. Jesse esquisse un premier mouvement, au moment de la voir laisser tomber le sac, juste ce qu’il faut pour qu’il ait l’air d’être à sa portée avant de connecter ses deux neurones et de flairer le piège. Bien sûr que ce ne sera pas aussi simple que cela. Il sait bien qu’elle ne va pas juste lui rendre son sac et s’excuser du dérangement, surtout si elle a pris le temps de considérer la quantité de billets qui se trouvent à l’intérieur… Mais du coup ? Du coup… Il se sent comme un de ces poissons suffisamment cons pour s’agiter devant un asticot suspendu à un crochet (admirez la qualité de la métaphore).

« Catwoman, hein ? » réplique Jesse qui préfère piquer que d’admettre avoir été piqué après avoir été traité de papy du haut de ses trente-cinq ans. Ceci dit, c’est une nouveauté notable, généralement, on aurait plutôt tendance à le considérer comme un ado attardé, elle est probablement la première à lui sortir l’argument inverse. « Tous les noms badass étaient pris, j’imagine ? » En vrai, c’est de la mauvaise foi pure et dure, parce qu’il trouve que Catwoman, ça ne sonne pas si mal que ça, en fin de compte… ça sonne même franchement très bien. Beaucoup mieux en tout cas que les surnoms bien débiles et peu profonds qu’il a pu se donner lui-même au moment de se lancer dans le business, en supposant que ça lui donnerait une quelconque crédibilité alors que ça avait eu l’effet plutôt inverse (faut admettre que Captain Cook, on a quand même fait mieux). « T’es un de ces super-héros, du coup, j’imagine ? »

Qu’est-ce qu’il fait ? C’est bien simple, il essaie de gagner du temps. Pas dit que ce soit très efficace, mais il fait de son mieux, en tout cas. Tant qu’il l’a dans son champ de vision, au moins, il garde aussi sa thune dans ce même champ de vision. C’est assez utopiste, d’accord, parce que ça empêchera probablement sa charmante – et crispante – interlocutrice de se faire la mail avec son pactole, mais ça c’est autre chose.

« Et t’as rien d’autre à foutre ? Je sais pas, moi… sauver des putains de vie ? Coffrer des psychopathes ? J’ai quelques adresses si tu veux. »

Mais qu’est-ce qu’elle s’en fiche, elle, hein ? Mademoiselle est joueuse, et elle le lui prouve bien assez tôt... Elle ne tarde pas à descendre de son perchoir (encore désolée pour avoir mal lu oh lala) et en profite pour contempler le contenu de son sac. Jesse serre les dents... Ce serait peut-être le moment idéal pour tenter un truc... n'importe quoi... Mais il a comme l'intuition que l'agile féline serait capable de le défoncer en deux-deux s'il décidait de fondre sur elle ou même sur son sac avant de se barrer en courant. Jesse a zéro agilité, zéro endurance, et zéro compétence au combat (he's a catch), alors c'est mal barré. Il veut tenter de négocier, de feinter, peu importe, mais la miss, plus rapide et provocatrice s'amuse déjà à lui balancer quelques-uns de ses précieux billets dessus.

« Hey ! Tu m'as pris pour une strip-teaseuse, ou... ? » pas le temps de finir sa phrase que madame joue de nouveau les acrobates et monte sur le muret le plus proche. Elle joue les petits poucets en plus, en laissant des billets dans son sillage, et le pire, c'est que Jesse n'a même pas le bon sens de les récupérer, trop occupé à la suivre pour ne pas la perdre de vue. « Dis-moi ce que tu veux, à la fin ! Pas ma thune, visiblement... »

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Les réflexions de Jesse coulent sur la mystérieuse catwoman comme l’eau sur les plumes d’un canard (j’adore cette expression)… rien d’étonnant à cela, on ne peut pas dire que Jesse ait été très inspiré… de même qu’on pourra difficilement affirmer qu’il a quoi que ce soit d’impressionner ou d’intimider. Quand on le regarde, chercher désespérément à récupérer ce qu’il estime être son dû, désemparé et nerveux, on aurait bien du mal à imaginer que ce jeune homme complètement paumé ait du sang sur les mains. Ce n’est pas qu’il cache bien son jeu, pourtant… Jesse Pinkman ne joue pas. Il ne sait pas jouer. Il n’a jamais su. Jesse Pinkman est juste un type égaré et qui n’est pas sûr d’avoir un jour su trouver ce que d’aucuns appellent le bon chemin. Quand Jesse est livré à lui-même, sans vivre dans l’ombre de Walter White ou sous l’égide de Gus Fring, il ressemble à s’y méprendre à tous ces shootés qui espèrent obtenir leur dose en se tournant vers lui.

L’agile femme-chat affirme ne pas être une super-héroïne et laisser cette place aux autres… soit, mais alors pourquoi a-t-elle jugé si nécessaire de venir se mêler de ses affaires malhonnêtes, mm ? En réalité, la vérité tombe probablement sous le sens le plus absolu… Le fric que contient son fichu sac, et il y a quelque chose d’encore plus frustrant dans le fait de se faire flouer par quelqu’un qui ne serait même pas de ces justiciers qui adorent porter des capes et qui réussissent le miracle de ne pas se prendre les pieds dedans… Enfin, l’avantage qu’il peut avoir, c’est qu’il a peut-être, et même probablement, affaire à quelqu’un dont la morale est bien vacillante, autant que l’est la sienne, et ça, c’est rassurant. Le truc, c’est que puisqu’elle lui balance ses billets en pleine figure si négligemment, l’argent n’a pas l’air de l’intéresser particulièrement non plus. Alors quoi ? Elle joue juste avec lui ? Probablement. Comme un chat avec sa proie, et lui, il ne vaut pas mieux qu’un putain de rat d’égout. En même temps, c’est pas forcément faux, pas vrai ? C’est pas comme si Jesse Pinkman avait souvent eu l’impression de valoir mieux que ça.

« Désolé de te décevoir si t’espérais un tango endiablé, ma belle, j’ai toujours dansé comme un pied », rétorque Jesse après que Catwoman ait retourné contre lui sa réflexion bas de plafond sur le strip-tease.

Et ce n’est pas faux, les compétences de Jesse en la matière atteignent vraiment les bas-fonds du ridicule et se limitent globalement au fait de sauter sur place… donc… quelque part, il ne ment pas… Enfin, même s’il était danseur-étoile ou gogo dancer, c’est pas pour autant qu’il offrirait un show privé à madame.

« Les explications sans la danse, crois-moi, tu perdras rien. » Jesse pousse un soupir qui ressemble fort à un grognement. « De la meth, c’est ça que je deale, et je la fabrique moi-même. » Il pourrait presque en être fier, mais en réalité pas des masses, même s’il pense pouvoir se vanter de vendre la meilleure meth sur le marché, cette drogue d’un bleu pur qui a sa petite réputation l’air de rien. « Pourquoi ? C’est ça le truc ? T’es en manque d’herbe à chat ? »

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Il y a quelque chose de franchement désarmant dans le comportement et l’attitude de cette femme, qui fait que Jesse se voit bien incapable de savoir sur quel pied danser en sa compagnie. Il sait que le mieux, ce serait encore de récupérer sa thune et de s’en aller sans demander son reste, mais à la place, il reste là, comme un con, dans une sorte d’attente, quand bien même il ne sait pas vraiment ce qu’il attend plus exactement. Dans tous les cas, y a quelque chose qui le pousse à rester un peu plus longtemps en sa présence, au-delà du fait de ne pouvoir s’empêcher de répondre à ses diverses provocations. Il n’en mène franchement pas large face à elle, clairement… Mais ça ne l’empêche pas d’essayer, ne serait-ce qu’un peu, de garder la tête haute.

Pas de réaction particulière de sa part, pas même un rictus de remerciement, quand son interlocutrice affirme être admirative quant au fait qu’il se charge lui-même de cuisiner la meth qu’il refourgue à ses clients. Quelque part, il a envie de s’en vanter, parce que l’air de rien, c’est un processus chimique très élaboré, et qu’il a fini par maîtriser à la perfection – grâce à Mr White, bien sûr. Mais en même temps, c’est pas comme si les diverses péripéties qui l’avaient conduit là avaient véritablement de quoi faire sa fierté…

Dans tous les cas, son interlocutrice ne consomme pas, et quelque part, même si ça aurait peut-être arrangé ses affaires, une part de lui s’en voit soulagée, très sincèrement, parce que putain… Toutes personnes vraiment accro qu’il a rencontrées, voire aimées au cours de sa vie en ont payé le prix fort… Et quand il pense à Jane, il a l’estomac qui se retourne. Il participe, évidemment, à un processus de destruction particulièrement violent, et le pire, c’est qu’il en tire bénéfice. Mais tirer bénéfice de quelque chose ne signifie pas que l’on en retire le moindre orgueil. Aux yeux de Jesse, en tout cas, c’est définitivement le cas.

« T’inquiète, tu perds ri… hey ! » fait Jesse avant de tendre la main pour récupérer son sac…

Sauf que, bien sûr, la demoiselle-chat est joueuse, et elle n’a pas l’intention de se contenter de ça. Il a répondu à une de ses demandes et pas à l’autre. Elle garde la moitié de l’argent pour elle, et Jesse laisse glisser son regard probablement trop longtemps sur le décolleté avantageux de la séduisante voleuse quand cette dernière y range négligemment son nouveau butin. Il est peut-être encore temps de changer d’avis, au fond… et de taper sa meilleure danse. Mais il n’en fera rien. Quelque part, ça lui fait même pas tant mal que ça de perdre une partie de son fric… Il s’en est fait suffisamment. Ce serait plus une question de fierté, en l’occurrence… Teinté d’un bon fond de machisme, on s’en doute. Jesse récupère jalousement son sac, en s’assurant tout de même que tout l’argent n’en a pas disparu.

« Je paie mes factures, comme tout le monde », soupire Jesse quand son interlocutrice lui demande ce qu’il fait de tout cet argent. « J’aide le vieux cancéreux qui me sert de coloc. » Sans doute pas vraiment ce qu’elle aurait pu avoir envie d’entendre. « Décevant, hein ? » Il fourre les mains dans ses poches. « Qu’est-ce que t’as l’intention de faire avec mon fric ? »

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« Ouais, je suis une putain de bonne poire, surtout », répond seulement Jesse quand son interlocutrice vante sa bonté d’âme sans que Jesse ne sache trop si elle se paie sa tête ou si elle le pense vraiment.

Dans tous les cas, ça ne change pas vraiment grand-chose pour lui qui, même encore maintenant, et même s’il a fini par se convaincre que Mr White avait bel et bien tout oublié, continue de penser qu’il faut probablement être sacrément con, ou naïf, pour accueillir sous son toit le type qui a fait de votre vie un enfer sur terre sous le prétexte qu’il ne se souviendrait de rien et, cerise sur le gâteau, comme si tout ceci ne suffisait pas, payer ses frais médicaux. Ouais, vraiment, il se sent absolument crétin dans ce genre de circonstances qui lui pointent du doigt tout ce qu’il consent à faire.

Mais il le fait, pourtant, parce que même si Walter White a gâché et bousillé sa vie, il reste dans le même temps le type qui se rapproche le plus d’un père à ses yeux. Il a été présent pour lui quand ses vieux n’en avaient plus rien à battre et avaient préféré le foutre dehors et le considérer comme cette fichue épine dans leur pied… Ouais, il l’avait peut-être un peu cherché, Jesse peut pas forcément dire le contraire, mais… c’est pas pour autant que les émotions complexes qui le lient à toutes les figures parentales de son entourage n’en sont pas moins… complètement bousillées par le prisme de sa propre histoire complètement tordue.

« Ah ah », fait mine de se marrer Jesse quand son interlocutrice, elle, dans un rire qu’il s’agace de trouver charmant, lui apprend que, de son côté, elle sauve des chats. Au vu du numéro qu’elle vient de lui faire et du petit pactole qu’elle s’est gardée en conservant la moitié de sa thune, il est honnêtement pas sûr de pouvoir la croire, mais il comprend qu’elle aime garder une part de mystère… et il va pas dire que ça fonctionne pas, parce que, bien au contraire, ça marche vraiment très bien, en réalité. « Tu vas pouvoir leur en payer, des croquettes de luxe, avec toute cette thune », il remarque avec ce qu’il s’efforce de faire passer pour de la légèreté, mais qui n’en est pas totalement, parce qu’il garde quand même en travers de la gorge le fait de perdre une partie de son pactole (fallait danser, écoute, coco).

Complètement déstabilisé par l’attitude de cette femme beaucoup trop séduisante pour son bien à lui quand elle vient lui souffler quelques mots supplémentaires à l’oreille avant de carrément lui mordiller le lobe, il regrette de se découvrir une violente absence de répartie. Il ne sait juste… absolument pas quoi lui dire tant il se sent, là, tout de suite, foncièrement décontenancé.

« Fais gaffe, ça ressemblerait presque à un rencard », il fait en voulant avoir l’air sûr de lui – échec. « T’auras intérêt à payer, du coup. »