Never Really Over ||Ft. Rhaenyra

Contrairement à bon nombre de ses collègues, les gardes avaient toujours été l’une des parties du boulot que Rhaenyra préférait. En plus d’être devenue plus oiseau de nuit qu’orientée vers un train de vie diurne depuis son arrivée sur cette île lorsque la possibilité lui était offerte, les interactions souvent complètement lunaires que lui prodiguait la rencontre de certains individus aux heures nocturnes n’avaient aucune concurrence. Cette nuit-là était relativement calme, exception faite d’un simple soûlard ayant été amené en cellule de dégrisement après avoir causé un peu de désordre sur la voie publique — rien de bien méchant et compte tenu de son manque d’antécédents judiciaires, il s’en tirerait à peine avec une simple tape sur les doigts le lendemain. Après avoir voulu passer un peu le temps en poussant la chansonnette pour tenter de “ramener un peu l’ambiance de Noël“ dans un “lieu aussi tristement silencieux qu’ici“, le sommeil avait finalement eu raison de lui et la jeune officière ne comptait pas s’en plaindre. Certains de ses collaborateurs se seraient trouvés à sa place à sa place, probablement auraient t-ils été d'ailleurs bien plus zélés qu’elle ne l’avait elle-même été pour l’inciter à la boucler mais, de son propre avis, l’ignorance avait bien souvent tendance à être le meilleur des mépris. Il semblerait d’ailleurs qu’elle ne se soit pas trompée : une fois las d’être ignoré, le soûlard avait fini par se lasser et ronflait désormais bruyamment, lui prouvant par la même occasion sans qu’elle n’ait besoin d’aller le vérifier qu’il n’avait pas succombé à un coma éthylique.

Petite dernière arrivée de l’équipe, il était plutôt rare qu’elle se retrouve comme étant la personne de référence au poste. Bien que désireuse de faire ses preuves, les plus chevronnés estimaient certainement à juste titre qu’il lui fallait encore faire ses preuves pour hériter de responsabilités un peu plus conséquentes. Initialement, ils étaient d’ailleurs supposés commencer cette garde à trois — une étrange histoire de trafic avait néanmoins nécessité l’intervention de ses deux confrères, ceux-ci n’ayant eu d’autre choix que de l’abandonner momentanément seule à ses fonctions. Elle ne s’en était pas inquiétée : à cette heure, il ne fallait pas s’attendre à beaucoup d’agitation et les bourdonnements ensommeillés du biturin avaient finalement été son unique véritable compagnie durant leur absence, lui permettant de passer la majorité de son temps sur son téléphone. Généralement, pour éviter les remontrances de l’un ou l’autre supérieur psychorigide et les insupportables remarques des anciens quant à l’addiction des jeunes aux technologies diverses, la nouvelle recrue tentait de s’en abstenir lorsqu’elle se trouvait au bureau. Ce soir, toutefois, compte tenu de sa solitude et du peu de paperasse à remplir pour la soirée… elle aurait eu tort de s’en priver.

Le bruit émanant de la voiture venant tout juste de se garer devant la station fut son signal d'alerte, la forçant aussitôt à se redresser en rangeant sa distraction dans l'une de ses poches pour faire mine de simplement tapoter sur le clavier dans l'un de leurs logiciels tout en s'efforçant de jouer la carte de l'employée modèle. Ce fut d'ailleurs là son erreur, l'empêchant de relever les yeux de l'écran pour simplement lancer un coup d'œil à l'individu venant d'être amené en trombes. Ses lèvres se pincèrent toutefois lorsque leur premier invité de la soirée, visiblement éveillé par toute cette agitation, se remit à chanter bruyamment. « Génial, il ne manquait plus que ça... » Marmonna t-elle entre ses dents, ne détournant toutefois les yeux de l'écran à proprement parlé qu'en entendant raisonner face à elle la voix tonitruante de l'un de ses supérieurs. Bien qu'il soit de loin celui qu'elle appréciait le moins et ce depuis son arrivée ici, la différence de statut la força à simplement obtempérer avec un signe de tête raide.

Et là, ce fut le choc. Cela n'aurait pas pu être autre chose compte tenu de la personne se trouvant soudainement en face d'elle et, durant un court instant, son esprit se demanda avec ironie si l'ensemble des membres de sa famille semblaient décidés à vouloir défiler dans cet endroit pour des retrouvailles impromptues ou s'il serait le dernier. Le meilleur pour la fin, comme ils avaient tendance à dire par ici. Comme à chaque fois qu'ils se trouvaient à proximité l'un de l'autre, son cœur semblait s’être positionné au bord de ses lèvres et seul l'endroit où ils se trouvaient ainsi que les barreaux les séparant l'empêcha de se jeter à son cou. « Daemon ? » L'envie de tendre la main dans sa direction pour établir un contact physique lui prouvant qu'il était bel et bien réel se fit sentir mais elle parvint à se ressaisir de justesse, consciente que ça ne rendrait justice à aucun d'eux si quelqu'un venait à les apercevoir - et ce lieu avait la fâcheuse tendance à avoir des oreilles et des yeux absolument partout. De plus, les motifs encore relativement flous de sa présence ici suffirent à lui faire froncer les sourcils : dans quel merdier avait t-il encore réussi à se traîner ? Fidèle à lui-même, il comprit aussitôt la raison de son expression faciale et ne tarda pas à se justifier, parvenant aussitôt à la détendre et à lui faire naître un début de rictus : bien qu'elle soit loin d'être au courant de toutes les débauches entourant désormais "leur" lignée, les quelques aperçus qu'elles avaient pu avoir avaient été suffisants que pour la convaincre que sa place n'était pas auprès des autres membres de celle-ci. Et si certains, tels qu'Alicent qui avait visiblement prit quelques années et n'était plus la jeune femme qu'elle avait connue et considérée -à tort- comme une amie depuis son arrivée dans ce monde ou même son père qui se souvenait de choses qu'elle n'avait même pas encore vécues lui avaient donné l'impression de ne pas être à la même page qu'eux, lui, semblait de prime abord bel et bien être tel que dans ses souvenirs.

Pourtant, cette différence marquante entre le dernier contexte où ils s'étaient rencontrés à Westeros et celle-ci lui donna aussitôt l'impression de marcher sur des œufs. De quoi se souvenait t-il de son côté ? Face à autant de confusion, la rancune qu'elle était supposée ressentir à son égard face à l'abandon qu'il lui avait infligé au beau milieu de Culpucier sembla pour l'instant ne pas vouloir faire front. « Je me chargerai de ça, mais il faudra attendre demain. Ne compte pas sur eux pour étudier un dossier à cette heure. » Et elle était loin de se trouver à une position suffisamment influente que pour les forcer à s'y résoudre, quoi qu'il en soit : ils l'enverraient bouler sans le moindre remord. Pour cette nuit, elle le savait condamné à la passer ici et, égoïstement, cette pensée la ravit quelque peu : le bref accompagnement de début de soirée que ses collègues étaient supposés lui conférer étant déjà amplement dépassé et l'unique autre personne présente en ces lieux pour l'entièreté de la soirée ayant encore bon nombre d'heures devant lui avant de décuver, ils auraient certainement tout le loisir de discuter à leur aise d'ici peu. Ses mots, toutefois, parvinrent à attiser de nouveau sa curiosité au même titre que sa frustration. « Tu n'es pas le premier à sous-entendre ce genre de choses depuis mon arrivée ici. » Tout le monde semblait en savoir plus sur sa propre vie qu'elle-même et c'était une sensation particulièrement agaçante. « Mon père, Alicent, même ce Aemond. Ils semblaient tous en savoir plus sur moi que je ne m'en souviens moi-même. » Et bien évidemment, le seul des trois qui aurait été disposé à lui en dire davantage sur les réels événements ayant précédé leur arrivée avait été celui ayant péri avant de tous les vivre. Jetant un coup d'œil par dessus son épaule pour s'assurer que personne ne venait tout de suite les interrompre, elle poursuivit. « Viserys m'a parlé de mariage, d'enfants, de demi frère et sœur dont je ne soupçonnais même pas l'existence et tout le monde semble s'accorder à connaître la même version que lui. Toi y compris, je présume. » Son amertume se fit naturellement visible : bien qu'elle sache qu'il pouvait l'aider à voir plus clair, la désagréable impression d'être indirectement tenue à l'écart de sa propre vie par le destin lui-même ne la quittait pas. « Quels ont été tes derniers souvenirs avant... cet endroit ? »

DAEMON&RHAENYRA

Leur façon de prouver qu'ils tenaient mutuellement à l'autre était toujours passée par beaucoup de gestes. Bien que ne pouvant véritablement être qualifiés de personnes tactiles auprès de la majorité de leurs fréquentations, tout avait éternellement été différent entre eux même à l'époque où leur relation n'était encore empreinte que d'une innocente chasteté n'ayant, au grand dam de son père, hélas pas duré. Par conséquent, il fallut cette fois à l'ancienne princesse lutter contre la première pulsion qui menaça de forcer son corps à agir contre le gré de sa raison. Avant qu'elle ne s'en rende compte, sa main avait commencé à se lever avec l'intention d'établir un contact, estimant que c'était tout ce dont elle avait besoin en cet instant précis : d'une preuve concrète et tangible de sa présence, que seul le toucher pourrait lui confirmer. Hélas, il avait fallu que leurs retrouvailles se déroulent dans l'endroit où elle était probablement la moins libre de ses faits et gestes. Ce monde et les responsabilités bien moindres dont elle avait hérité avaient beau lui accorder bien plus d'émancipation qu'elle n'aurait jamais pu en espérer en tant que femme à Westeros, son travail était quelque chose qu'elle prenait trop au sérieux que pour prendre le risque de jouer sa place. Aussi, ce fut non sans une note de frustration qu'elle avorta son mouvement avant même d'avoir eu l'occasion de le frôler. Ce n'était que partie remise.

Le soulard de la cellule voisine ne semblait, chance pour eux dans leur malheur, pas suffisamment sobre que pour se rendre compte de ce qui se déroulait à seulement quelques mètres de lui et en dépit de l'agacement qu'elle pouvait lire chez son oncle, Rhaenyra n'intervint pas pour pousser la cause du brouhaha à se taire. D'expérience, elle avait apprit que ce type de personnes n'étaient que plus encouragées encore par l'attention et que la meilleure des solutions restait l'ignorance en attendant qu'ils finissent par se lasser d'eux-mêmes, aussi pénibles puissent t-ils être jusqu'à ce que cet instant béni n'accepte de leur faire grâce de son existence.

Très vite et sans surprise, l'atmosphère s'orienta vers leurs parcours respectifs depuis leur arrivée dans cet atypique endroit et, naturellement, l'évolution des liens et retrouvailles familiales diverses également. « Laenor et moi nous sommes mariés ? » Son cousin et elle avaient toujours entretenu une excellente relation : les liens forts entre leurs parents respectifs les avaient appelés à se fréquenter tout au long de leur enfance et adolescence, leur permettant même de grandir ensembles. Encore aujourd'hui, Laenor et sa sœur avaient été les deux premières personnes de son monde qu'elle avait retrouvées une fois arrivée ici. Les rumeurs quant à la sexualité du jeune homme avaient existé d'aussi longtemps qu'elle puisse s'en souvenir, bien qu'à titre personnel, la blonde ne leur avait accordé aucun crédit : ce qu'il faisait de son corps et les amants avec qui il partageait ses draps ne la regardaient en rien. Ici, dans cette ville où les mœurs étaient définitivement bien plus évoluées que celles d'autrefois, le Velaryon n'avait pas tardé à confirmer que les on-dit n'étaient pas mensongers. Alors, naturellement, s'imaginer mariée à lui était particulièrement risible, surtout compte tenu du sous-entendu bien assez explicite de Daemon quant à la paternité douteuse de ses trois premiers enfants. Allusion qui suffit à lui faire très légèrement monter le rouge aux joues sans qu'elle ne daigne pour autant détourner le regard comme la décence aurait probablement dû lui imposer de faire : compte tenu de la réputation débauchée du Prince Vaurien, ce n'était certainement pas lui qui risquait de lui faire une quelconque leçon de morale quant à son hypothétique sexualité future.

Si les premiers éléments lui étant dévoilés l'avaient presque amenée à rire, les suivantes ne tardèrent pas à dissiper toute trace d'amusement de son visage qui pâlissait dangereusement au fil des confessions lui étant faites. Qu'elle ait pu avoir six enfants en dépit de ses nombreuses appréhensions compte tenu du funeste sort ayant été réservé à sa mère était surprenant mais elle ne pouvait pas prétendre que c'était difficile à avaler : bien que compte tenu de sa vie ici, s'imaginer mener ce rythme de vie lui semblait complètement inconcevable, ce n'était rien de surprenant pour l'époque. Enfanter était le devoir de chaque femme, prédestinée au trône ou simple paysanne. Le premier coup de poignard arriva à la mention de Visenya, dont elle ne connaissait même pas l'existence seulement quelques instants plus tôt et pour laquelle une douleur vivace l'avait traversée dès la mention de sa trop courte vie. « Les verts... ? » Immédiatement, son esprit chercha à identifier les potentiels responsables de ce drame. Se pourrait t-il... ? Durant un bref instant, la réponse s'imposa naturellement à son esprit : elle connaissait l'histoire des grandes maisons de Westeros et ceux étant généralement associés à cette couleur ainsi que les raisons les forçant à la revêtir.

Son esprit refusa d'abord catégoriquement d'admettre l'implication d'Alicent dans le malheur ayant pu la toucher jusqu'à ce que son prénom ne soit ouvertement prononcé. Immédiatement, sa gorge se noua alors que son regard se fixa un instant sur un point invisible disposé derrière son interlocuteur pour réprimer les larmes qui menaçaient de la terrasser. Inévitablement, elle avait emmagasiné un certain taux de rancune à l'égard de celle qu'elle avait autrefois, à tort, considérée comme une meilleure amie, une sœur même : être la dernière à apprendre que celle-ci allait épouser son père sans que ce ne soit même par la bouche de celle-ci avait probablement été la trahison la plus difficile qu'elle ait eu à digérer jusqu'à présent. La première de nombreuses autres, à en juger par les divulgations qui lui étaient faites. Leurs relations s'étaient considérablement dégradées face à cette annonce mais, bien que consciente qu'elle n'accepterait jamais pleinement cette union, la Targaryen avait pensé qu'une fois l'information digérée, leurs contacts pourraient au moins se rétablir suffisamment que pour atteindre un stade de tolérance mutuelle. Quelle erreur. « Je n'en ai croisé qu'un seul jusqu'à présent. Aemond. » Encore secouée par les révélations précédentes, elle ne s'entendit même pas prononcer ces quelques mots au point où elle fut contrainte de brièvement fermer les yeux pour s'accorder une courte pause avant d'être apte à reprendre. « Nous n'avons pas beaucoup échangé. Je ne l'ai que brièvement croisé ici et il n'a pas été difficile de deviner qu'il avait du sang Targaryen simplement en l'apercevant. » Soupçon que les papiers à disposition n'avaient pas tardé à confirmer. « J'ai voulu échanger avec lui mais le dossier m'a été retiré avant que je n'aie eu l'occasion de le faire. De l'avis de mes collègues, il est un habitué des lieux. » A cette mention, la commissure de ses lèvres se redressa dans une grimace remplie de dédain : il y avait certes des personnes bien plus dangereuses que son demi-frère dans cette ville mais imaginer que des individus partageant le même nom de famille qu'elle soient réputées ici comme étant de la petite frappe n'était décidément pas flatteur.

Fidèle à elle-même, sa curiosité se fit plus forte que son bon sens bien que la réaction du quarantenaire face à sa question lui fasse presque regretter d'emblée cet élan d'audace. Daemon n'était pas du style à faire dans la demi-mesure, sa brutale honnêteté lui étant bien souvent reprochée. Qu'avait t-il bien pu se passer pour qu'il prenne de telles précautions avant de l'en informer ? Buvant littéralement le moindre de ses mots, elle eut tout juste le temps de tiquer sur l'information qu'une guerre s'annonçait que la terre lui tomba sur la tête. Jusqu'à cet instant précis, l'ancienne héritière du trône ignorait qu'il soit humainement possible de ressentir le deuil d'une personne qu'elle n'avait même pas réellement connue et, dans l'immédiat, certainement serait t-elle incapable de qualifier ce qu'elle ressentait comme tel. Pour tout regard extérieur, la manière dont le masque fissuré dont elle avait tenté de se parer jusqu'alors  se décomposa brutalement était immanquable. Sa respiration se bloqua dans sa cage thoracique si brutalement qu'elle douta brièvement de l'état de son cœur, craignant que celui-ci ne la lâche inopinément. « Le fils d'Alicent... a assassiné le mien ? » La voix qui lui échappa parut ne même pas lui appartenir, cruellement étranglée par l'émotion. Tentant de canaliser le mélange de fureur et d'anxiété qui déferlait en elle, son premier réflexe inconscient fut de vouloir rapprocher son index de son pouce afin d'en tourner une bague qui, elle le réalisa bien assez vite, ne s'y trouvait pas. Pas durant son service. « Sait on ce qu'il s'est passé exactement ? » Bien qu'elle n'y croit d'ores et déjà plus, l'hypothèse d'un accident ou d'un malentendu était la seule à laquelle elle pouvait encore se raccrocher, aussi fragile soit t-elle désormais. Complètement terrassée, la jeune femme en oublia même momentanément le protocole qu'elle avait déjà failli bafouer environ minutes plus tôt alors que sa main vint instinctivement chercher celle du prisonnier à la recherche de réconfort — et d'une raison suffisante pour éviter de couler. « Comment les choses ont t-elles pu dégénérer aussi... » Vite ? Loin ? Elle-même était bien incapable de terminer sa question, chaque mot lui apparaissant comme étant plus douloureux que le précédent au point où la manifestation soudaine de la présence de l'ivrogne lui rappela tant sa présence en tant que telle que l'endroit où ils se trouvaient, la forçant aussitôt à s'éloigner.

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