Il y avait des appels qu'Elizabeth aurait aimé ne jamais recevoir, de ceux qui étaient bien trop inquiétants pour lui permettre de garder son calme et de ne pas céder à la panique - elle qui tentait pourtant de conserver son calme en permanence, afin d'éviter toute erreur. Cette fois-ci, elle se moquait bien des potentielles erreurs qu'elle pouvait commettre, il y avait plus important. Il n'y avait eu que quelques mots échangés, mais suffisamment pour la rendre folle d'inquiétude et folle de rage en même temps.

Le téléphone à peine raccroché, elle s'était précipitée à l'endroit indiqué : l'hôpital. Elle aurait aimé être capable de s'y rendre en un claquement de doigts tant le trajet lui paraissait interminable. Elle avait le temps de s'imaginer tout et n'importe quoi, de laisser la colère prendre entièrement possession d'elle avant que la peur ne la paralyse presque entièrement. L'amour qu'elle avait pour Alexander était si grand. Difficile à comprendre, parfois. A gérer, plus encore. Elle supposait que c'était toujours ainsi, que lorsque l'on aimait quelqu'un, on l'aimait plus que sa propre vie et que l'on était capable d'abattre tous les obstacles pour lui. Alors, pour lui, elle détruirait tous ceux qui s'étaient mis en travers de son chemin, tous ceux qui avaient osé lui faire du mal.

Elle n'avait pas perdu une seconde en entrant dans cet hôpital et, après s'être renseignée, ses pas rapides l'avaient menée jusqu'à la chambre d'Alexander. Aussitôt, ses yeux s'étaient posés sur son visage. Sur ce visage qui portait les marques des coups qu'il avait reçus. Une vision qui lui faisait serrer les poings autant qu'elle lui serrait le coeur. L'idée que quelqu'un avait pu lui faire du mal la révoltait. L'inquiétude et la colère grandissaient en Elizabeth, chacune luttant pour prendre le dessus sur l'autre. Elle restait silencieuse, mais déjà il tentait de la rassurer en lui assurant que la situation était moins grave qu'il n'y paraissait. « Qui t'a fait ça ? » était la première question à avoir franchi ses lèvres. Elle laissait sa colère prendre le dessus un instant, incapable de contrôler les sentiments qui s'emparaient d'elle. Selon elle, il n'y avait que deux hypothèses qui tenaient vraiment la route : Mary ou un opposant politique. Elizabeth ne croyait pas au hasard d'une agression motivée par autre chose. On avait tenté de lui faire peur, de lui faire comprendre qu'il devait faire attention. C'était un avertissement. Si Mary était la responsable, Elizabeth comptait bien le lui faire payer. S'il s'agissait d'un ennemi politique d'Alexander, elle comptait bien l'inciter à répondre de sorte à ce qu'on ne tente plus jamais rien contre lui.

Finalement, même si la rage était toujours là, l'inquiétude d'Elizabeth avait vite repris le dessus. « Comment te sens-tu ? » S'enquit-elle, en s'approchant de lui pour déposer délicatement sa main sur la sienne. A l'évidence, il n'était pas en grande forme, mais à quel point ? On ne lui avait presque rien dit au téléphone, on l'avait prévenue, simplement, et elle avait besoin de savoir. « Que s'est-il passé ? » Ajouta-t-elle ensuite, parce qu'elle avait besoin de comprendre.

Des hommes dont il n'avait pas vu les visages, des hommes dont il ne savait rien. Opposants politiques ou mise en garde de Mary ? Alexander, par certitude ou pour la rassurer, lui assurait qu'il s'agissait de la première hypothèse. Ce n'était pas impossible. Les ambitions d'Alexander le conduisaient à avoir beaucoup d'ennemis en ville. Des ennemis qui ne s'encombraient pas de politesse pour lui faire comprendre à quel point il gênait. Mary pouvait utiliser ce genre de méthodes également, pour faire comprendre à Elizabeth qu'elle avait plutôt tout intérêt à avouer pour protéger l'homme qu'elle aimait. A eux deux, ils avaient beaucoup trop d'ennemis dans cette ville. C'en était presque miraculeux que ce genre de choses n'arrive que maintenant. Y avoir échappé jusqu'à présent relevait du mystère.

« C'est la première fois qu'ils osent aller si loin. » Rétorqua-t-elle, alors qu'il lui affirmait que ce n'était pas la première fois que ses opposants tentaient de le faire taire. Il avait raison, ils s'en étaient pris à ses locaux à plusieurs reprises. Des attaques pour le déstabiliser, lui faire peur. Cette fois-ci, ils l'avaient attaqué lui. Physiquement. Ils venaient de lui montrer de quoi ils étaient capables, de lui faire comprendre que ce n'était qu'un début. C'était une mise en garde d'un niveau supérieur, puisqu'Alexander était resté sourd aux précédentes. « Jusqu'à la prochaine fois, c'est ça ? » S'agaça-t-elle, partagée entre l'inquiétude et la rage, alors qu'il la rassurait en lui disant que ce n'était l'affaire que de quelques jours avant d'être de nouveau sur pied.

Sans lui donner davantage de détails, Alexander expliquait qu'ils l'avaient attendu à la sortie de ses locaux et qu'il n'avait pas eu le temps de réagir. Elle était prête à parier qu'il n'aurait pas pu se défendre, quoi qu'il arrive parce qu'ils avaient eu la lâcheté d'être à plusieurs contre un seul homme. « Dis-moi que cette fois-ci tu comptes réagir ? » Elle lui épargnerait le fameux je t'avais prévenu après la dégradation de ses locaux, mais elle n'en pensait pas moins. Il était trop sûr de lui, pas assez prudent et il en payait le prix aujourd'hui. Il devait se protéger et se défendre. Il n'avait pas le droit de lui infliger la douleur de le voir dans cet état une nouvelle fois - ou pire encore. « Dis-moi que tu ne vas pas les laisser s'en sortir comme ça ? » Difficile à tenir comme promesse. Pour ne pas les laisser s'en sortir, encore faudrait-il savoir de quels opposants il s'agissait précisément et de trouver un moyen de les atteindre.

« Ils ne cherchent pas simplement à t'intimider, ils veulent te faire comprendre que tu n'es pas le bienvenu, que ce n'est que le début et j'ai peur de ce qu'ils seraient capables de faire. » Parce qu'elle savait très bien de quoi ils seraient capables. Ce genre de méthodes, elle les avait utilisées dans des contextes similaires, autrefois, pour faire taire des opposants ou des ennemis. Intimider, déstabiliser, ce n'était que la première étape. Les menaces venaient ensuite - lui, ses proches, ils y passeraient tous, c'était un excellent moyen de pression. Puis, face à l'entêtement, il ne restait bien souvent qu'une seule solution. Radicale, mais particulièrement efficace pour éliminer une menace. « Défends-toi, utilise leurs armes, montre-leur que tu ne te laisseras pas intimider, que tu te défendras. » Le suppliait-elle, consciente qu'Alexander préférerait sans doute d'autres approches que celles qu'Elizabeth envisageait. Ne pas répondre à la violence par la violence était un bien bel idéal, sur le papier, mais ce n'était pas toujours possible. « N'attends pas qu'ils recommencent, n'attends pas de te retrouver dans un état pire que celui-ci. » Parce qu'ils recommenceraient. Parce qu'ils ne cesseraient plus de monter d'un cran à chaque fois. Parce que s'il ne réagissait pas lui-même, Elizabeth étranglerait de ses propres mains quiconque oserait le toucher une nouvelle fois. Il était hors de question qu'ils se laissent faire ou qu'ils se laissent intimider. Alexander atteindrait ses objectifs, personne ne l'en empêcherait.

Alexander n'avait certainement pas tort. Si ses ennemis s'intéressaient tant à lui, s'ils jugeaient utiles de s'attaquer à lui, c'était parce que ses idées faisaient leur chemin en ville. Alexander faisait peur. La place qu'il pouvait prendre également. Elizabeth le soutenait. Elle soutenait chacune de ses idées et de ses actions. Il n'y avait pas, selon elle, meilleur candidat pour remplacer ce prétendu maire qui gouvernait la ville. Elle ne voulait pas le voir se retirer de la vie politique de cet endroit. Elle ne voulait pas qu'il renonce à ses rêves et à ses ambitions. Néanmoins, Elizabeth refusait d'encourager Alexander dans cette voie si cela devait finir par lui coûter plus cher qu'il ne le payait déjà. Dans cette ville, tous n'étaient pas habitués à utiliser les méthodes qu'Alexander préférait : débattre, utiliser les mots comme arme... Non, dans cette ville, certains avaient connu un monde bien différent - auquel Alexander n'était pas étranger non plus, d'ailleurs - où la violence devenait la seule arme envisageable pour faire taire un ennemi. Elizabeth elle-même y avait eu recours à de nombreuses reprises lorsqu'elle était à la tête de tout un royaume, alors elle avait conscience de ce que ces hommes étaient capables de faire pour obtenir ce qu'ils voulaient. « Et je m'inquiète sincèrement de ce qu'ils pourraient te faire en voyant ton influence grandir. » Souffla-t-elle pour lui faire comprendre qu'il n'y avait pas de quoi se réjouir - même si elle mourait d'envie de se réjouir pour lui, il n'y avait pas de quoi le faire au vu de la situation que son succès engendrait.  

Elizabeth ne voulait pas qu'Alexander renonce. Ce n'était pas ce qu'elle lui demandait. Elle lui demandait, en revanche, de se défendre. De vraiment se défendre. Il fallait frapper l'ennemi avec la même violence, avec les mêmes méthodes, pour lui montrer qu'il ne se laisserait pas faire et qu'il avait, lui aussi, les moyens d'agir contre eux. Ces gens-là ne comprenaient rien d'autre que la violence. L'ignorance et les mots n'avaient que peu d'importance pour des brutes de ce genre-là. Mais Alexander et Elizabeth n'étaient pas d'accord à ce sujet. Ils n'étaient pas habitués à employer les mêmes méthodes et n'avaient pas la même vision des choses.

Il lui promettait que ses agresseurs paieraient leurs actes, une fois qu'il les aurait identifiés. Sauf qu'il y avait un mais. Un mais qui l'agaçait tout particulièrement. Ses traits se contractaient, mais elle tentait de le laisser parler sans perdre son calme face à son refus d'agir comme elle le lui conseillait. Ce n'était plus de l'entêtement, mais de la bêtise, à ses yeux. « Ne me promets pas quelque chose que tu ne contrôles pas. » S'emporta-t-elle, avant de tenter de se reprendre. « Tu n'as pas su les arrêter jusqu'à présent, comment peux-tu être certain que tu y arriveras maintenant ? » Il n'avait pas su se protéger de ses ennemis - qu'il se retrouve dans ce lit d'hôpital en était la preuve la plus évidente - alors comment pouvait-il être sûr de lui ? Comment pouvait-il lui promettre quoi que ce soit ? « Tu vaudras toujours mieux qu'eux, tu ne ferais que répondre à leurs attaques en utilisant leurs méthodes. Alexander, rien ne les arrêtera, à part ça. » Tentait-elle de le convaincre dans un souffle, laissant paraître de son désespoir et de ses peurs. « Je n'attendrai pas qu'il t'arrive quelque chose pour agir. » S'il le fallait, Elizabeth chercherait à agir par ses propres moyens. Il était courant dans ce genre de situation de se faire attaquer, alors ils devaient bien s'attendre à une riposte quelconque, non ? S'il le fallait, si Alexander refusait de se protéger lui-même, cette riposte viendrait d'Elizabeth parce qu'il n'était pas question qu'elle reste là, les bras croisés, à attendre qu'Alexander meure pour ses idées, dans ce monde où chacun était prêt à tout pour posséder cette ville et son pouvoir.

A mesure où Alexander tentait d'argumenter, Elizabeth secouait la tête doucement. Non, elle n'était pas d'accord avec lui. Non, rien n'allait changer. Si ses ennemis en dévoilaient davantage, ils ne lui donnaient, pour autant, pas davantage de chances de les arrêter. Au mieux, Alexander découvrirait leur identité. Et après ? Qu'en ferait-il puisqu'il refusait de les attaquer directement ? Il les combattrait par les mots ? Elizabeth était prête à parier que des discours, aussi incisifs soient-ils, ne les arrêteraient pas. Il tenterait de les faire arrêter pour qu'ils paient leurs actes ? Une fois encore, Elizabeth était prête à parier qu'ils étaient intouchables. Cette ville était corrompue de toute part et la ville elle-même rendait intouchable certains de ses habitants. « J'espère que tu réussiras avant qu'il ne te tue, dans ce cas. » Elle se montrait volontairement brutale pour lui faire comprendre, une fois encore, ce qu'il risquait réellement et les risques inconscients qu'il prenait en refusant d'agir véritablement. Rien n'allait changer s'il devait encore attendre d'en apprendre plus. « Tu vas les laisser gagner, rien de plus. » Ils finiraient par l'éliminer du paysage politique, d'une façon ou d'une autre, et ils auraient gagné. Alexander ne les arrêterait pas avec ses moyens, Elizabeth en était persuadée, malgré toute la confiance qu'elle plaçait en lui.  

Il devait attaquer. Et s'il refusait de le faire lui-même, Elizabeth agirait. Elle pouvait se le mettre à dos, il pouvait lui en vouloir ou la détester s'il voulait, elle s'en moquait bien, du moment où elle le protégeait. « D'abord, tu dois te protéger et penser à ta sécurité. » Elle se doutait bien qu'il ne serait pas convaincu en quelques minutes d'une discussion dans une chambre d'hôpital, mais elle espérait, au moins, faire naître le doute en lui jusqu'à réussir à le convaincre - même si elle devait s'acharner pour cela pendant des semaines ou des mois. « Entoure-toi et ne te déplace plus seul. Ainsi, s'ils veulent s'en prendre de nouveau à toi, ce ne sera plus aussi facile. » Ils seraient forcés de trouver d'autres moyens, plus risqués pour eux, peut-être. Puis, et surtout, les gardes en question auront le pouvoir d'envoyer un message clair en cas d'attaque. Message qu'Alexander ne pouvait pas envoyer seul. « Ensuite... » Elle prenait une grande inspiration, parfaitement consciente que la suite lui déplairait tout particulièrement. « Ils ont voulu te détruire, donc on les détruira. » Les choses étaient simples quelque part. Il fallait rendre chaque coup avec deux fois plus de violence, pour les dissuader de recommencer. « Les infiltrer et les détruire de l'intérieur pourraient être une solution envisageable, mais tu risquerais toujours ta vie pendant ce temps. » A vrai dire, elle n'avait jamais établi de plan d'attaque à ce sujet et elle réfléchissait tout en parlant. « Le plus simple serait évidemment de supprimer les têtes pensantes, ceux qui dirigent et contrôlent tout ça... » Mais il en serait certainement hors de question pour Alexander qui y verrait un acte de lâcheté. « Ils ne veulent pas gagner en jouant à la loyale. Ils ne veulent pas prendre le pouvoir pacifiquement. Ils ne veulent pas de ta démocratie. Tu veux vraiment prendre le risque de les laisser détruire tout ce que tu essaies de construire ? Prendre le risque de voir cette ville tomber entre leurs mains par la force ? Nous détruire, nous ? Ce ne serait pas de la lâcheté que de les supprimer, tu protégerais simplement cet endroit et ses habitants. Tu te protégerais toi. Tu me protégerais moi. » Elle n'était pas particulièrement fière d'essayer de jouer avec ses sentiments pour réussir à le convaincre, mais elle pensait chaque mot. Il n'y avait aucun mensonge. Ces gens ne méritaient pas d'être traités comme des adversaires ordinaires, ils n'en étaient pas. Elizabeth ne lui demandait pas de prendre le pouvoir par la force en détruisant tous les autres partis, mais simplement de détruire ceux qui s'en prenaient à lui et qui mettaient en péril tout ce qu'il avait construit et, pire encore, qui menaçaient sa vie. A ses yeux, après tout, ce n'était que justice.

Il avait raison, Elizabeth ne l'écoutait pas. Ou, plutôt, elle refusait de voir au-delà de ses craintes. Les réponses d'Alexander, loin de la rassurer, ne faisaient que l'agacer davantage parce qu'elle n'y voyait que de l'inconscience, de l'entêtement et de la bêtise. Parce qu'il avait survécu à des guerres et des révolutions, il savait tout sur tout et il était devenu invincible ? Et s'il savait que la violence était nécessaire en certaines circonstances, pourquoi refusait-il de voir que cette fois-ci était l'une de ces fois, où il n'y avait pas d'autres alternatives ? « Je n'ai jamais prétendu que tu étais faible. Simplement, tu refuses de voir l'évidence. Tu refuses de faire ce qu'il faut. » Elle essayait de garder son calme. Son but n'était pas de le braquer parce qu'il refuserait alors de l'écouter. Dans son état, elle ne voulait pas non plus qu'il s'énerve. Pourtant, elle ne pouvait pas rester là, à ne rien faire face aux propos qu'il tenait. « Arrête de croire que tu peux tout contrôler. Ils auraient pu te tuer aujourd'hui et tu n'aurais rien pu faire. C'est ce qui finira par arriver parce que tu as tort, Alexander. Tu as tort d'être aussi sûr de toi. Tu sais aussi bien que moi que cette situation t'échappe. Tu refuses d'admettre qu'il n'y a qu'une vraie solution, mais tu finiras par ne plus avoir le choix. Tu retardes l'inévitable. » Il ne pouvait pas agir dans la seconde, à sa sortie de l'hôpital, Elizabeth en avait bien conscience. La première chose à faire était de découvrir qui était son ennemi, mais une fois découvert, il devait attaquer avec la même violence et sans attendre. N'importe quelle autre méthode se révélerait forcément inutile et inefficace. Qu'il se persuade qu'il ne laisserait pas ses ennemis gagner et qu'il ne mourrait pas étaient les preuves que rien ne fonctionnerait, son entêtement le ferait tuer avant.

S'il refusait d'admettre qu'elle avait raison à propos de la nécessité de répondre aux attaques avec violence, il admettait, au moins, qu'il devait se protéger et il acceptait de le faire. Qu'il avait pu y penser lui-même, sans penser utile de le faire rapidement, ne l'étonnait même pas. Cependant, elle préférait ne rien ajouter, puisqu'il acceptait de se protéger un minimum. C'était au moins un point qui rassurait Elizabeth.

A la place, puisqu'il lui en donnait l'occasion, elle évoquait les idées qui lui venaient à propos de ce qu'il devait faire pour répondre à cette violente attaque. Pour éviter qu'il ne se ferme immédiatement à ses idées, Elizabeth tentait de trouver des alternatives moins violentes, mais tout aussi efficaces - plus qu'un discours accusateur ou la justice de ce monde, en tout cas. Les infiltrer de l'intérieur était une idée qui semblait plaire à Alexander, mais il ne disposait pas, selon lui, de suffisamment d'hommes pour cela - et il précisait, comme une évidence, qu'Elizabeth ne s'en chargerait pas. « Pourquoi pas ? Il te faut quelqu'un de fiable et qui t'est entièrement dévoué. Tu ne trouveras jamais plus dévoué que moi. » Se défendait-elle, ne supportant pas de devoir rester sur le côté. Elizabeth ne souhaitait pas se mêler aux autres et tentait de rester discrète pour se protéger de Mary, mais elle était capable de faire ça pour Alexander, s'il le fallait. « J'en suis capable et il n'est pas question que je te regarde te battre sans agir. » Il n'aimait pas qu'Elizabeth remette en doute ses capacités, l'inverse était également vrai. Et Elizabeth ne supportait pas qu'il puisse refuser une aide, dont il avait grand besoin, simplement pour la protéger.

S'il ne voulait pas qu'elle prenne ce genre d'initiative, il y avait une solution simple : éliminer purement et simplement ses ennemis. Elle ne demandait qu'à éliminer les têtes pensantes, celles qui étaient à l'origine de ces attaques, celles sans qui ces parties adversaires n'existeraient pas. Evidemment, il songeait à une manière plus douce que celle évoquait par Elizabeth : les mettre hors de course en les décrédibilisant. Avec cette solution, Alexander ne voyait qu'un danger : qu'on se serve de ses propres erreurs contre lui, pour le décrédibiliser à son tour. Pour sa part, Elizabeth en voyait au moins deux autres : qu'on finisse par s'intéresser à celle qui partageait sa vie et qu'on fouille son passé - et Mary, qui était toujours au courant de tout, prendrait un plaisir certain à révéler les pires actes d'Elizabeth, en prétendant qu'Alexander les cautionnait - ou que cette action les pousse à prendre le pouvoir par la force, en s'imposant et en faisant taire ceux qui protesteraient. Elizabeth ignorait tout de la puissance de leurs ennemis et elle ignorait de quoi ils étaient capables ou quels étaient réellement leurs objectifs, alors elle ne pouvait que penser au pire.

Au moins, les derniers arguments d'Elizabeth avaient du poids aux yeux d'Alexander. Il ne voulait pas la mettre en danger - ce qui était chose impossible dans leur situation à tous les deux, mais si elle pouvait en jouer pour le forcer à prendre une décision qui empêcherait ce genre de choses de se reproduire, elle n'aurait aucune honte à s'en servir. « Avant de décider quoi que ce soit, nous devons, de toute façon, déterminer qui est responsable de cette attaque. » Un ennemi à la fois ou, à trop s'éparpiller, ils feraient des erreurs dangereuses. « Je suis certaine que tu soupçonnes certains de tes adversaires. Il nous suffit de commencer par ceux-là et de trouver des preuves, il y en a toujours. » Pas toujours faciles à trouver, mais elles devaient néanmoins exister - il fallait l'espérer. « Si tu les attaques pour les décrédibiliser, au-delà du fait qu'ils pourraient t'entraîner dans leur chute, tu as pensé qu'ils pourraient faire taire tous ceux qui se dresseraient contre eux en s'accaparant le pouvoir par la force ? J'ignore de quoi ils sont capables et j'ignore leur nombre, mais rien ne te dit qu'ils n'ont pas une armée derrière eux. La ville ne se soulèvera pas et nous ne pourrons plus rien faire, à part nous estimer chanceux si nous restons en vie. » Il y en avait toujours pour se rallier aux gagnants ou à ceux qui avaient toutes les chances de l'être. Cette ville regorgeait de toute sorte d'individus prêts à tout pour avoir un semblant de pouvoir. « Je veux seulement que tu réfléchisses bien à tout ça. Je sais que tu aimerais que les choses se passent autrement, mais tu le sais aussi bien que moi, il faut parfois sacrifier ce en quoi on croit, ses principes et ses convictions, pour permettre aux bonnes personnes de l'emporter. » Parce que ces autres n'utilisaient pas des méthodes loyales et étaient prêts à tout, ils gagneraient s'il ne réagissait pas.

Il n'y avait rien qu'Elizabeth n'aimait pas chez Alexander. Elle aimait chacune de ses qualités et adorait encore plus chacun de ses défauts. Elle aimait qu'il soit aussi entêté, aussi borné, aussi sûr de lui. Elle l'aimait pour tout ce qu'il était, sans exception. Cependant, elle ne pouvait s'empêcher d'avoir peur pour lui. Peur qu'il ne s'expose inutilement aux dangers. Peur qu'il ne prenne les mauvaises décisions pour montrer qu'il avait raison. Peur de le perdre parce qu'il était trop têtu pour voir la réalité en face. Alexander voyait sa réalité. Sa vérité. Il refusait d'admettre que les choses ne pouvaient pas se régler comme il l'entendait. Il voulait absolument régler son problème de la manière la plus honnête possible. C'était stupide. Stupide parce qu'il n'était pas possible de traiter honnêtement avec des gens capables de mettre un adversaire dans cet état pour l'empêcher de parler. Ils ne voulaient ni justice, ni démocratie, ni rien de ce qu'Alexander espérait. Ils voulaient le pouvoir. Et ces jeux de pouvoir, Elizabeth les connaissait particulièrement bien pour y avoir jouer presque toute sa vie. Il n'y avait aucune limite, aucune morale. Rien ne comptait en dehors de la victoire. « Si tu attends de ne plus avoir d'autres choix, c'est qu'il sera déjà trop tard et que la situation sera désespérée. » Parce qu'il pouvait encore essayer de parler, de se battre à la loyale, d'évincer ou de décrédibiliser ses ennemis, mais ils n'en seraient que plus déterminés à le faire taire. Peut-être ne le supprimeraient-ils pas tout de suite, non. Mais ils le détruiraient petit à petit et Alexander entraînerait tous ses proches avec lui. Alors, désespéré, il se servirait de la solution d'Elizabeth, mais à quoi bon puisqu'il ne resterait plus aucune chance ?

En attendant, puisqu'il refusait l'inévitable, Elizabeth tentait de lui proposer d'autres choses et de rester un soutien pour lui. Même s'il refusait de l'écouter, elle n'abandonnerait pas. Elle resterait à ses côtés à chaque instant, malgré ses erreurs et ses mauvaises décisions. Alors, c'était tout naturellement qu'elle lui avait proposé de l'aide pour espionner les parties adversaires. Pour s'assurer que ce travail soit bien fait, il lui fallait quelqu'un de confiance, quelqu'un qui n'avait rien à gagner à le trahir. Personne n'était mieux placé qu'Elizabeth pour ça. Ce n'était pas prudent, évidemment. Il suffisait d'un rien pour que Mary apprenne tout et ne leur cause plus d'ennuis qu'ils n'en avaient déjà. Le lien qu'entretenaient Elizabeth et Alexander n'était pas non plus difficile à deviner, alors elle se mettrait en danger en prétendant travailler contre lui plutôt que pour lui. Pourtant, elle se sentait la force de le faire pour lui, pour lui éviter de se retrouver à nouveau dans ce genre de situation. Mais une fois encore, ils n'étaient pas d'accord. Elle insistait et il refusait, bien qu'il admettait qu'elle en était capable. Ses arguments avaient de quoi la convaincre : était-elle prête à supporter plus de pression qu'elle n'en subissait déjà au quotidien ? Etait-elle prête à supporter la peur plus qu'elle ne la supportait déjà ? Pour lui, elle supposait qu'elle était prête à n'importe quoi, mais qu'en serait-il réellement une fois plongée dans tout ça ?

Il avait fallu une seconde ou deux à Elizabeth pour réfléchir à ce qu'Alexander venait de dire. Une seconde ou deux après lesquelles il en avait déduit qu'il n'était certainement pas plus possible de la faire changer d'avis elle qu'il n'était possible de le faire changer d'avis lui, parce qu'ils étaient pareils. « Alors, nous discuterons de cela plus tard. » Il avait raison, pour la faire changer d'avis, il faudrait certainement un certain temps - en admettant que cela soit possible - donc autant procéder dans l'ordre et régler cette question plus tard.

La première chose à faire était donc de déterminer qui pouvait être responsable. Alexander connaissait la vie politique de cet endroit et connaissait ses ennemis, par conséquent, Elizabeth supposait qu'à défaut d'avoir des certitudes, il avait des soupçons. Et c'était bel et bien le cas, Alexander soupçonnait l'un de ses adversaires en particulier. Elizabeth ne savait rien de cet homme, mais elle reconnaissait bien les méthodes employées - il était rare qu'on se salisse les mains soi-même, on déléguait les tâches les plus ingrates à d'autres pendant que l'on prenait les décisions importantes. « Dis-moi ce que tu sais à propos de lui. » Comment le convaincre de l'attaquer sans autre argument que son parti néo-impérialiste - qui était déjà un sacré argument puisqu'il supposait bien qu'il ne reculerait devant rien pour imposer le pouvoir qu'il voulait - sinon ?  

Parce qu'Alexander semblait plus amusé qu'agacé par le comportement d'Elizabeth - alors qu'il y avait clairement une forme de manipulation à se servir de ses arguments contre lui, mais elle n'avait pas le choix - elle souriait à sa réflexion. « Tu as choisi une adversaire à ta hauteur. » Jamais elle ne le laisserait dire ce qu'il avait à dire sans le contredire, si elle avait quelque chose à dire, ou le soutenir, si elle était de son côté - même si elle était toujours de son côté. Son coeur s'était tourné vers quelqu'un qui était aussi têtu que lui, vers quelqu'un qui avait toujours un mot à dire sur tout, vers quelqu'un qui connaissait la politique et ses différents aspects tout aussi bien que lui, vers quelqu'un qui était habitué à se servir des arguments et des discours d'un adversaire contre lui-même, alors il devait s'y habituer.

A la question d'Alexander, Elizabeth reprenait tout son sérieux. Elle comprenait ses craintes, celles de ne plus se reconnaître et de se voir sacrifier ses principes au nom de belles idées, au risque de devenir ce contre quoi on se bat. Oui, elle le comprenait, mais elle était persuadée que ce genre de risques devait être pris si l'on voulait réellement voir les choses changer. « Tu les sacrifies pour donner au peuple la chance d'être entendu. Tu les sacrifies pour qu'il soit libre et qu'il ne tombe pas entre les mains d'un tyran. Ce n'est pas un choix égoïste. Tu te sacrifies pour lui, pour lui permettre d'être libre. » Et même si elle cherchait avant tout à le convaincre, elle était sincère. « Montre à ceux qui t'ont fait ça qu'ils ont échoués, que cette mise en garde t'a simplement donné plus de rage de réussir et qu'ils ne feront jamais le poids face à toi. » Parce qu'à ses yeux, il était évident qu'Alexander, s'il ne s'entêtait pas à prendre les mauvaises décisions, gagnerait.

Elizabeth savait qu'il ne serait pas facile de lui faire entendre raison et de le faire changer d'avis. Il restait sur ses positions, comme elle restait sur les siennes. Leurs méthodes étaient différentes, mais ils voulaient tous les deux obtenir le même résultat. Elizabeth préférait user de méthodes définitives et radicales, quand lui préférait rester en accord avec ses principes, en toute circonstance. Seulement, elle restait persuadée que pour faire le bien et pour protéger le plus grand nombre, il fallait parfois accepter des sacrifices nécessaires. On ne pouvait pas toujours agir en respectant chacune de ses convictions ou chacun de ses principes. Il fallait parfois être capable de se dépasser et de faire l'impossible pour obtenir des résultats. Alexander avait de belles idées, mais elles n'étaient pas applicables dans ce genre de situation. Il devait se défendre en employant des méthodes à la hauteur de celles de ses ennemis. S'il refusait, il y laisserait tous ses espoirs de faire quelque chose de cet endroit - et elle craignait qu'il n'y laisse même beaucoup plus : la vie.

Les ennemis d'Alexander étaient non seulement nombreux, mais aussi particulièrement puissants. Ils s'étaient attaqués physiquement à lui pour le mettre en garde. Comment réagiront-ils lorsqu'ils comprendront qu'Alexander n'en était pas découragé pour autant ? Ils frapperont avec plus de force encore. Alors, pour empêcher cela, Alexander devait agir le premier. Il devait les empêcher de recommencer, les empêcher de nuire. Il devait leur montrer qu'il n'arrêterait pas, qu'il était capable de se défendre et frapper fort. C'était un mal nécessaire. Alexander devait s'y résoudre, mais Elizabeth n'arrivait pas à lui faire entendre raison, malgré tous ses efforts.

Elizabeth savait déjà qu'Alexander ne se laisserait pas abattre et qu'il leur montrerait qu'il allait s'en relever, plus fort encore qu'auparavant. Cependant, ce qu'elle aurait aimé entendre était qu'il agirait en conséquence. Evidemment, il n'était toujours pas convaincu et pour éviter qu'Elizabeth ne continue à déployer tous les arguments qu'elle avait en sa possession, il la complimenta pour changer de sujet. « Tu essaies de me flatter parce que tu ne sais plus quoi répondre à mes vérités ? » Souffla-t-elle en souriant, plus amusée qu'agacée. « C'est à ceux qui entendaient mes discours que tu devrais poser cette question, je suis mal placée pour y répondre, parce qu'évidemment, je vais te répondre que oui, je captivais et, mieux encore, que je savais les convaincre. » Pas toujours, malheureusement pour elle, mais inutile de le préciser. « Tu m'as fait peur, tu sais. » Avait-elle fini par souffler, oubliant un instant la colère qu'il y avait en elle pour laisser parler ses autres émotions.

Elizabeth acceptait de mettre sa colère de côté parce qu'Alexander préférait changer de sujet en la flattant. En d'autres circonstances, elle aurait pu se montrer particulièrement têtue en tentant de revenir sur le sujet qui l'intéressait, mais Alexander était dans un sale état et elle ne voulait pas l'épuiser inutilement. Ils auraient tout le temps de revenir à l'essentiel plus tard, lorsqu'ils seraient au calme chez eux. Pour le moment, et à la place, elle préférait prendre la réflexion d'Alexander avec le sourire, tout en montrant qu'elle avait parfaitement compris qu'il tentait de la flatter pour changer de sujet. « Tu te rattrapes bien. » Souffla-t-elle, alors qu'il prétendait qu'il ne s'agissait pas de flatterie puisqu'il en pensait chaque mot. Ça n'en restait pas moins de la flatterie à ses yeux, mais elle n'ajoutait rien, préférant répondre que ceux qui étaient le mieux placé pour répondre à la question d'Alexander étaient ceux qui entendaient ses discours et pas elle - même si elle avouait volontiers qu'il avait raison et que, mieux encore, grâce à ses discours elle avait su convaincre bien des fois.

Avoir ainsi mis de côté sa colère pendant un instant, grâce aux flatteries d'Alexander, faisait réaliser à Elizabeth à quel point elle avait eu peur. Elle le savait, évidemment, mais faire taire sa colère faisait revenir toutes ses angoisses et ses peurs, brutalement. En lui disant cela, elle ne cherchait pas à obtenir des excuses, puisqu'il n'y était pour rien - il n'avait jamais demandé à se faire agresser, après tout - simplement à lui faire part de son ressenti, mais il s'excusait tout de même. Il s'excusait, sans pour autant pouvoir lui promettre que cette occasion serait la seule où elle s'en ferait tant. Lui promettre une telle chose, ce serait lui mentir. Et elle le savait aussi bien que lui. « mais ce serait me mentir. » Ajouta-t-elle pour compléter sa phrase, en baissant les yeux un instant à l'idée que ce genre de choses puisse se reproduire encore et encore - et en pire. « Sois prudent, c'est tout ce que je te demande. » Et faire ce qu'il faut, ça aussi, elle le lui demandait, mais elle n'arrivait pas - encore - à le convaincre pour l'instant, mais il le savait parfaitement après tout le discours qu'elle venait de faire pour le convaincre. « Nous rediscuterons de tout ça, dès que tu te sentiras mieux. » Des façons de le protéger, d'empêcher ses ennemis d'attaquer à nouveau, de comment éviter de nouvelles potentielles agressions, parce qu'Elizabeth refusait de rester là, à ne rien faire. Il ne pouvait pas lui promettre que ça ne se reproduirait plus, mais il pouvait lui promettre qu'il ferait tout pour se protéger.

Puisqu'Elizabeth était incapable de convaincre Alexander de prendre les bonnes décisions et d'agir comme les circonstances l'exigeaient, elle se contentait de lui demander d'être prudent, pour le moment. Dès qu'Alexander se sentirait mieux, elle n'oublierait pas de revenir sur ce qui l'intéressait et elle tenterait de le convaincre, par tous les moyens, qu'il devait agir comme elle le lui répétait sans cesse pour se protéger et pour rester dans cette course au pouvoir. Il devait répliquer avec force et intensité, elle n'en démordrait pas. C'était la seule solution. En attendant, elle allait se contenter de ce qui ressemblait à une promesse. Il allait être prudent. Autant qu'il pouvait l'être, elle le savait. Elle savait que, miraculeusement, il n'allait pas sortir de cet hôpital changé - et c'était bien dommage pour ce point. Elizabeth aimait Alexander comme il était, avec tous ses défauts, mais son manque de prudence et être persuadé d'avoir toujours raison l'avait déjà conduit ici une fois, elle ne voulait pas avoir à revivre cette expérience.

Et il continuait de lui donner des raisons de s'inquiéter en faisant comme si tout allait bien, comme s'il n'était pas allongé dans ce lit d'hôpital pour une bonne raison. S'il allait aussi bien qu'il le prétendait, il serait déjà debout et dehors, malgré l'avis des médecins. Alors non, il n'allait pas très bien. « Si tu allais si bien, tu serais déjà à la maison, Alexander. » Rétorqua-t-elle, partagée entre l'amusement et l'agacement de le voir si têtu et avec tant de mauvaise foi. « Alors je suis ridicule, moi aussi, en m'inquiétant pour toi, de ce rien ? » Demanda-t-elle en désignant ses blessures qu'il prétendait n'être rien. « Qu'attends-tu pour te lever et rentrer, dans ce cas ? » Le cherchait-elle puisqu'il se persuadait qu'il n'avait rien de grave et que cette attitude finissait par être plus amusante qu'autre chose.

Elle s'amusait de sa demande parce qu'elle imaginait comme il devait être difficile pour lui d'être coincé ici, dans ce lit, incapable de bouger et d'agir. Alexander vivait toujours à fond, sans prendre de pause, sans se reposer et il était contraint à du repos forcé pour une fois. Mais parce qu'il en avait besoin, elle s'exécutait pour lui faire oublier où il se trouvait. « Si tu fermes les yeux et que je fais ça... » Dit-elle en se baissant vers lui pour l'embrasser délicatement au coin des lèvres - tout en tentant de ne pas lui faire davantage mal - puisque les seuls sujets de conversation qui lui venaient actuellement tournaient autour de ce qui venait de se passer - et que donc, elle préférait les éviter. « Tu oublies où nous sommes ? » Souffla-t-elle, en restant suffisamment proche de lui pour qu'il puisse se concentrer sur elle et pas sur le décor de la chambre d'hôpital. Tout comme lui, elle aimerait être partout ailleurs plutôt qu'ici, mais Alexander n'avait d'autres choix que de rester ici un certain temps, alors elle ferait avec, comme lui devait faire avec - et elle avait de la chance parce qu'elle n'était pas clouée au lit et qu'elle pouvait rentrer à tout moment, même si l'idée d'être seule chez eux ne l'enchantait pas du tout.

Elizabeth ne se trouvait pas ridicule, elle non plus, en s'inquiétant pour lui parce qu'elle savait, quoi qu'il puisse dire, que son état n'était pas aussi rassurant qu'il le prétendait. Elle l'aimait et elle avait donc toutes les raisons du monde de s'en faire pour lui et de craindre ce qui pouvait lui arriver. Plus encore parce qu'Alexander était têtu, persuadé de pouvoir tout affronter et incapable de reconnaître ses faiblesses ou ses difficultés. Même dans un lit d'hôpital, blessé, il prétendait qu'il n'avait rien et qu'il était parfaitement capable de rentrer comme s'il ne s'était rien passé. Alors, pour le contredire et le pousser à réaliser son état, Elizabeth le mettait au défi. Puisqu'il pouvait rentrer, pourquoi ne se levait-il pas et ne rentrait-il pas immédiatement ? « Alors, montre-toi raisonnable, désormais. » Souffla-t-elle après son aveu. Ce n'était peut-être pas simple pour lui, mais Elizabeth voulait simplement le savoir en sécurité et entre de bonnes mains pour guérir au plus vite. Il devait accepter son état et se montrer raisonnable pour ne pas empirer les choses et pour aller mieux au plus vite, mais ce n'était pas chose facile lorsque l'on était comme Alexander, elle en avait conscience.

Alors, elle ferait de son mieux pour l'aider. Lorsqu'il lui demanda de le divertir pour oublier sa situation et le lieu où il se trouvait, Elizabeth fit au mieux. Elle n'était pas magicienne et elle ne pouvait pas faire grand-chose, malheureusement pour elle. Il voulait qu'elle parle, mais les seuls sujets qui lui venaient remettraient sur le tapis ce qu'ils venaient déjà de se dire - et Alexander devait se reposer avant de rediscuter de toutes ces choses. Alors, à la place, elle lui avait demandé de fermer les yeux pour venir l'embrasser avec douceur. « Inutile que je recommence alors si ce n'est pas totalement efficace... » Souffla-t-elle, tout près de ses lèvres, un sourire amusé sur le visage, après avoir entendu le presque sortir de sa bouche.

Elizabeth, comme à chaque fois, appréciait tout particulièrement le contact de sa main dans la sienne. Ça avait toujours eu quelque chose de rassurant pour elle. « Je crois que j'en ai une petite idée. » S'amusait-elle, en ne le quittant pas des yeux. Il avait été capable de tant de choses pour elle, qu'elle supposait en avoir une petite idée et que, sans prendre trop de risques, elle pouvait supposer qu'elle avait autant de pouvoir sur lui que lui sur elle. Après tout, pour lui, grâce à lui, à cause de lui, elle avait renoncé à la promesse qu'elle s'était faite de ne jamais se lier à qui que ce soit, elle avait oublié la peur et avait accepté de lui ouvrir son coeur, elle lui avait parlé de son passé et elle se laissait aller à espérer un futur heureux. Alors, à sa façon aussi, il avait un certain pouvoir sur elle. Il était capable de la faire espérer, de lui faire voir le bon côté des choses, de la rendre optimiste ou de lui faire oublier le pire. Ce n'était pas rien. Surtout pour elle.

Elle avait de la chance. Beaucoup de chance. Elle en prenait conscience un peu plus chaque jour. Et elle prenait conscience du risque qu'elle avait de perdre cet homme qu'elle avait appris à aimer plus que n'importe qui d'autre et cette idée lui était insupportable. « Tu auras intérêt à te faire pardonner dès que tu sortiras d'ici. » De l'angoisse qu'elle avait ressentie, de la peur, de devoir restée seule - même s'il n'était responsable de rien, en réalité, et qu'elle plaisantait.

Elizabeth n'avait aucune envie de le changer, d'en faire un autre homme ou de le voir s'assagir. Cependant, elle avait envie de le voir se raisonner un peu plus et faire un peu plus attention à lui. Tout naturellement, la jeune femme craignait pour sa vie et sa sécurité. Elle le savait impulsif et sûr de lui à un point où c'en devenait dangereux. Et elle n'avait pas envie de craindre pour sa vie, plus qu'elle ne le faisait déjà, à chaque instant. Elle n'avait pas envie de se demander à chaque seconde, si elle n'allait pas être appelée à nouveau pour le rejoindre à l'hôpital ou pire encore. Alors, si Elizabeth devait avoir le moindre pouvoir sur lui, ce serait celui-ci : elle le voudrait plus prudent, elle voudrait être capable de l'en convaincre. Juste un peu. Pas suffisamment pour le changer, mais assez pour la rassurer et gagner en tranquillité d'esprit.

Et après la frayeur qu'il venait de lui faire vivre, elle lui assurait qu'il allait devoir se faire pardonner. Evidemment, il lui promettait de faire au mieux, jugeant le moment idéal pour lui demander tout ce qu'elle voulait. « Je te préviens, je peux être particulièrement exigeante. » C'était vrai et il le savait, même si, cette fois-ci, il n'avait en réalité pas grand-chose à se faire pardonner - pour ne pas dire rien du tout. Il n'y était pour rien, il n'était pas responsable de cette attaque. Il était la victime. « Offre-moi la lune, dans ce cas. » Ajouta-t-elle, en souriant, pour confirmer son exigence - et elle appréciait toujours autant le mettre gentiment face à ce qu'il n'était pas capable de faire, comme pour le ramener à la réalité et parce que ça l'amusait. « Je te demanderais bien de m'emmener loin de cet endroit, de cette ville et de tous nos problèmes, mais je crains que ce ne soit pas possible. » Parce que tous étaient dans l'incapacité de quitter cet endroit, d'une part, et parce qu'Alexander, même s'il en avait eu la possibilité, n'aurait jamais quitté cet endroit en laissant la victoire à ses ennemis - ce qu'elle comprenait parfaitement et, au fond, elle voyait les choses de la même façon. Il n'était pas question de les laisser gagner, de baisser les bras, d'obéir en leur laissant la place. « Alors, laisse-moi t'aider à régler tes problèmes ici. » Puisqu'il ne pouvait rien lui refuser, n'était-ce pas le moment idéal pour glisser cette suggestion - revenant, malgré ce qu'elle avait dit un peu plus tôt, sur leur précédente conversation - et obtenir de lui qu'il la laisse agir comme elle le voulait, comme elle lui demandait de faire depuis une éternité ?

Si Alexander avait conscience de ses propres défauts - même si aux yeux d'Elizabeth, ils n'en étaient pas vraiment tant elle aimait ceux qu'elle découvrait parce qu'ils faisaient de lui cet homme si particulier - il devait très certainement avoir conscience de ceux d'Elizabeth. Elle, en tout cas, avait conscience d'être, par exemple, particulièrement exigeante. C'était très certainement un défaut qui s'était accentué avec le temps - et puis, ce qu'elle avait été par le passé avait forcément contribué à le renforcer également - mais qu'elle n'essayait pas de corriger pour autant. « J'ai hâte de te voir à l'oeuvre, de te voir te démener pour ça. » Répondait-elle, son sourire amusé ne la quittant plus. Jamais il n'admettrait être incapable de quelque chose - mais c'était plus séduisant qu'agaçant.

« Ce monde est fascinant. » Et même s'il ne disait ça que pour lui faire oublier ce qu'il devait lui offrir, alors qu'il ne le pouvait pas, elle répondait avec sérieux. Ce monde était particulièrement fascinant pour quelqu'un de son époque. Pour quelqu'un qui venait d'une époque où ils parcouraient seulement l'Amérique à la découverte de ses secrets et de ses richesses. A son époque, ils découvraient encore le monde, alors qu'aujourd'hui, ils découvraient l'univers. Alors, c'était fascinant. Non seulement parce qu'il y avait eu des avancées dans tous les domaines et que des choses qui lui paraissaient parfaitement impossibles et impensables autrefois étaient choses faites aujourd'hui, mais aussi parce qu'il y avait des êtres venant d'une époque plus lointaine encore, d'un futur qui n'existait pas encore ou d'un autre monde. Tout, alors, paraissait possible en pensant à cela. « Malheureusement, tu n'as pas le pouvoir de m'offrir la lune ou n'importe quelle planète, je dois me contenter de celle-ci et elle me paraît minuscule à côté de tout ce qu'il est possible de découvrir. » Il suffisait de se montrer attentif, il lui suffisait d'écouter certains de ses patients pour comprendre à quel point l'univers était vaste et incroyable, mais, malheureusement, cet univers resterait à jamais de l'ordre du rêve et de l'imaginaire. « Je m'en contenterai, si tu promets de me raconter tout ce que tu as pu entendre sur ces autres mondes depuis que tu es ici. » Parce que si elle l'écoutait toujours avec attention, elle l'écouterait avec plus d'attention encore. Longtemps, elle s'était contentée de vivre dans cette prison qu'elle s'était créée. Aujourd'hui, elle osait croire qu'elle pouvait avoir cette ville comme espace, qu'elle n'avait plus à se limiter, qu'elle avait le droit de tout découvrir, mais elle aurait aimé tellement plus parce que rien n'était jamais suffisant - n'avait-elle pas dit être exigeante ? A cela, on pouvait ajouter, sans la moindre hésitation, qu'elle était constamment insatisfaite.    

Elizabeth aurait aimé pouvoir quitter cette ville. Elle aurait aimé découvrir d'autres mondes, d'autres univers. Elle aurait surtout aimé s'éloigner de Mary et de son passé. Elle aurait aimé pouvoir recommencer véritablement à zéro, avec Alexander. Loin de ses problèmes. Loin de leurs problèmes. C'était pourtant chose impossible. Ils étaient coincés ici, dans ce monde, dans cette ville. Cette ville qu'Elizabeth haïssait autant qu'elle l'aimait. Après tout, cet endroit, c'était chez eux. C'était l'endroit grâce auquel ils s'étaient rencontrés. Un endroit où, malgré tout, ils avaient une certaine liberté. Le droit de s'aimer. D'être ensemble. De construire quelque chose. « Tu peux le dire, la situation était bien pire. » Souffla-t-elle en évitant son regard un instant. Ce n'était pas un souvenir particulièrement agréable, même si tout c'était plutôt bien terminé - même si, à ses yeux, il n'y avait pas véritablement de bonne fin dans cette histoire. « J'espère n'avoir jamais à y retourner. » Son monde lui manquait, parfois, mais elle refusait de vivre loin d'Alexander, de vivre sans pouvoir être avec lui comme elle l'espérait, d'être confronté aux mêmes choix difficiles qu'autrefois. Et, en toute franchise, elle craignait qu'Alexander ne supporte pas d'être confronté à davantage du passé d'Elizabeth, comme Elizabeth n'était pas certaine de pouvoir se conduire raisonnablement si elle y retournait. Alors, il était préférable de ne jamais y remettre les pieds et d'abandonner définitivement cette partie de sa vie.

Alors, autant se contenter de ce qu'ils contrôlaient à peu près et se contenter de promesses réalisables - ou presque. Puisqu'il ne pouvait lui offrir un autre monde, il pouvait lui offrir quelque chose qu'elle désirait presque tout autant, dans leur situation : la possibilité de l'aider véritablement à régler ses problèmes. Elle ne voulait pas simplement observer la situation, elle ne voulait pas simplement craindre pour lui. Elle voulait agir, elle voulait l'occasion de le convaincre, elle voulait régler ses problèmes, elle voulait le mettre en sécurité. « Tu ne le regretteras pas. » Ou peut-être que si, mais au moins, elle se battrait pour sa sécurité et pour que jamais plus il ne se retrouve dans cette position - ou elle essayerait de se battre parce qu'elle avait bien conscience que ce combat était très loin d'être gagné. « On réussira. » Et elle se faisait cette promesse autant qu'elle la lui faisait, à lui. « Enfin, dès que tu seras en mesure de tenir debout. » N'avait-elle pu s'empêcher d'ajouter, un léger sourire se dessinant sur le coin de ses lèvres, rassurée de voir, au fil de cette conversation, qu'il allait bien, malgré son état physique et qu'il se remettrait, qu'il reprendrait son combat et qu'il gagnerait, évidemment.