La plus grande faiblesse d'Elizabeth avait toujours été ses sentiments. Elle était incapable de les contrôler. Ils étaient plus forts qu'elle et prenaient souvent le dessus sur sa raison et sa logique. Elizabeth n'était pas complètement stupide. Elle se trouvait même plus plutôt intelligente lorsqu'il s'agissait d'autres sujets, mais dès qu'il s'agissait d'amour, elle se retrouvait à prendre les pires décisions possibles. A cause de sa passion incontrôlable. A cause de ses peurs. A cet instant, alors que tout était plus que récent entre eux, Elizabeth s'imaginait pouvoir vaincre n'importe quel obstacle, affronter n'importe quel problème. A ses côtés, elle se sentait invincible. Puissante. Il lui donnait l'illusion que rien ne pourrait plus jamais les atteindre. Elle lui trouvait toutes les qualités qu'elle cherchait et elle n'imaginait aucune limite. Au point où elle l'imaginait prendre le gouvernement de cette ville sans la moindre difficulté. Cette place était la sienne, Elizabeth l'avait décidé et elle se battrait pour lui et avec lui, afin qu'il obtienne son dû.

« C'est un jeu qui ne te va pas, de toute façon. Tu es fait pour être entendu. » Assura-t-elle, un sourire prenant place aux coins de ses lèvres. Alexander avait des idées et il était intelligent. Il était fait pour être écouté, entendu, suivi. Pas pour se taire. N'était-ce pas ce qui l'avait fait tomber sous son charme, en partie ? Ses belles paroles, ses belles idées, la manière dont il disait les choses et la conviction avec laquelle il lui partageait chacune de ses idées. Elle ne lui demandait pas d'être moins emballé par ses idées ou d'être moins passionné, elle ne lui demandait pas d'être moins bavard ou moins fier. Elle ne lui demandait pas de changer. Non, elle l'aimait comme il était et si elle avait dans l'idée de le modérer, elle ne le changerait pas davantage. Après tout, pourquoi lui demanderait-elle de changer quand elle s'emballait à chacune de ses idées, à chacune de ses propositions ? Son ambition était contagieuse. Et Elizabeth aimait ça. Elle se perdait dans ce jeu avec un plaisir qu'elle ne dissimulait pas, ayant l'impression de retrouver une partie d'elle-même, disparue depuis longtemps. Mais c'était un jeu dangereux dans lequel ils risquaient de se perdre, tous les deux - mais ils ne semblaient pas vouloir le voir.

Les mots d'Alexander la flattaient. Il savait lui parler comme personne n'avait jamais su le faire. Elizabeth se sentait mise en valeur et aimée. Elle avait l'impression qu'il lui offrirait le monde si elle le lui demandait. Alors, évidemment, lorsqu'il lui assurait qu'elle n'était pas le genre de femme que l'on cachait, elle ne pouvait que se sentir flattée et touchée. Alexander avait ce don naturel avec elle, et elle l'avait remarqué très vite : il était capable de la séduire en quelques mots. S'il n'avait pas déjà réussi à la faire craquer, elle aurait fini par lui céder à force de si belles paroles, c'était une évidence. Après tout, Elizabeth était bien placée pour connaître ses propres faiblesses et Alexander visait étonnamment juste. « C'est un jeu auquel il me plairait beaucoup de jouer chaque jour, avec toi. » Un éternel jeu de séduction, comme si rien n'était jamais acquis pour eux, comment pourrait-elle résister ? Elle rêvait d'entendre Alexander lui promettre des merveilles chaque jour ou lui rappeler quelle femme importante elle était pour lui. Elle rêvait de l'entendre lui promettre tout ce qu'elle espérait. Elle rêvait de l'entendre complimenter ses idées ou de débattre avec lui dans l'espoir de le faire céder.

Elle rêvait de pouvoir croire en leur avenir et leur futur, évidemment. Elle était persuadée que s'ils attendaient le bon moment et s'ils savaient se battre contre leurs ennemis, il ne s'agirait que d'une question de temps avant qu'elle ne puisse occuper une véritable place aux côtés d'Alexander. Elle en était persuadée ce soir, parce que tout lui semblait possible, encore. Elle ignorait, cependant, combien de temps cela allait durer. A sa réflexion, elle se mit à sourire, ses yeux fuyant les siens un instant pour observer rapidement les alentours. « Ne t'y habitue pas trop, ce n'est pas le trait qui me caractérise le mieux. » Avouait-elle, avant de reposer son regard sur lui. « C'est toi, ce soir, qui me permet de l'être. Parce que ce soir, j'ai envie de croire que tout est possible et que je pourrai décider de mon avenir, de mon futur, à tes côtés. » Alors oui, elle avait envie d'affirmer qu'elle finirait par ne plus se cacher, dès que ses problèmes avec Mary seraient réglés. Oui, elle avait envie d'affirmer qu'elle prendrait sa place en politique parce qu'elle la méritait. Mais Elizabeth se connaissait suffisamment pour savoir qu'entre ce qu'elle disait maintenant et ce qu'elle penserait d'ici quelques heures, lorsqu'elle serait face à la réalité, il y avait une énorme différence. Elizabeth avait toujours espéré, elle avait souvent essayé et promis. Et, à chaque fois, la réalité l'avait rattrapée pour briser chacun de ses espoirs et chacune de ses promesses. « Mais laissons la réalité et mes peurs nous rattraper un autre jour. Aujourd'hui n'est pas encore terminé et je compte bien profiter de chaque instant que cette soirée m'offre en ta compagnie. » Qu'importe si ses peurs la rattrapaient dès le lendemain, qu'importe si sa paranoïa se réveillait bien trop vite. Tout ce qu'elle voulait, c'était graver dans sa mémoire chaque instant de cette soirée qu'elle bénissait comme un cadeau. « Serre-moi contre toi. » Souffla-t-elle avec douceur en venant se blottir contre lui, ne rêvant que de profiter de ce bonheur simple et nouveau pour oublier tout le reste.

Si Elizabeth se découvrait capable d'optimisme en présence d'Alexander, elle préférait le prévenir : il ne devait pas s'attendre à la voir ainsi tous les jours. S'il y avait bien une chose qu'Elizabeth ne savait pas être en toute circonstance, c'était celle-ci. S'il la connaissait déjà suffisamment, il l'avait remarqué. La vie d'Elizabeth était dictée par bien des choses, comme la peur, et cela ne lui permettait pas de croire que tout était possible, de croire que l'avenir serait meilleur. Alexander lui permettait cet espoir, lui donnait ce à quoi elle ne goûtait jamais et, mieux encore, il lui promettait qu'elle avait le droit de s'y habituer, à ses côtés. Une chose à ajouter à la longue liste des promesses qu'Alexander lui avait faites en l'espace d'une soirée. D'après lui, après toutes ses promesses, la vie d'Elizabeth ne serait plus jamais la même. Il lui promettait de vivre, véritablement, et plus simplement de survivre. Il lui promettait de la protéger et de l'aimer. Il lui promettait de lui donner ce dont elle rêvait. Il lui promettait de la rendre heureuse, tout simplement. Combien de fois Elizabeth avait cru en de telles promesses ? Combien de fois s'était-elle permis cet espoir fou ? Et, surtout, combien de fois avait-elle été déçue ? Trahie ? De nombreuses fois, c'était une évidence. Pourtant, elle se jetait aveuglément dans cette relation, une fois encore. Elle oubliait - ou essayait - les risques et elle le croyait. Chacune de ses paroles devenait la promesse d'un avenir radieux. Heureux. Loin des conflits. Chacune de ses paroles la faisait plonger un peu plus dans ce qui aurait dû être impossible. « Je souhaite que tu puisses avoir raison. » Une vie faite d'optimisme plutôt que de craintes, qui refuserait ? Elle souhaitait lui donner raison, mais sa part raisonnable savait qu'il serait bien difficile de le faire.

Mais qu'importe. Les risques, les craintes, les dangers, les combats, ils les mèneraient plus tard. La réalité, ils la retrouveraient plus tard. Cette nuit, Elizabeth ne voulait plus qu'il existe autre chose qu'eux. Depuis trois ans, la jeune femme vivait totalement recluse, seule avec sa solitude. Depuis trois ans, elle n'avait goûté à aucun bonheur. Depuis trois ans, elle ne connaissait que la peur. Heureuse, elle voulait s'offrir quelques heures de répit. Quelques heures qu'elle graverait précieusement dans sa mémoire, consciente qu'elles pourraient ne jamais exister à nouveau. L'amour n'avait jamais existé autrement, pour elle, que dans des situations impossibles. Elle n'avait jamais été libre d'aimer publiquement. Elle n'avait jamais pu aimer, sans penser à tout ce qu'elle risquait. Elizabeth ne voulait plus que ça, cette nuit. Elle voulait l'aimer. Simplement. Elle voulait profiter d'un bonheur simple auquel elle n'avait jamais vraiment eu le droit.

Alors, elle allait se blottir contre lui, profiter de son contact rassurant. Et quand elle se retrouvait là, dans ses bras, quand elle sentait son corps près du sien, quand elle sentait ses lèvres se poser sur son crâne, elle se laissait envahir par tout l'amour qu'elle lui portait. Elle comprenait tout ce qu'elle ressentait pour lui, sans jamais avoir pu l'imaginer avant cet instant. Il était celui qu'il lui fallait. Il était l'homme qu'elle aimerait au-delà du raisonnable, c'était désormais une évidence. Puis, lorsqu'il prononça ses derniers mots, son évidence devenait une absolue certitude. Il n'y aurait désormais rien de plus fort, de plus puissant que ce qu'elle ressentait pour lui. Les choses s'étaient faites naturellement, brutalement. Jamais Elizabeth n'avait cherché à le séduire, jamais elle n'avait même pensé goûter à l'amour une fois encore, mais il s'était imposé à elle avec une telle violence, une telle puissance. « Alors ne me laisse jamais partir. Garde-moi contre toi éternellement. » Souffla-t-elle avec la même douceur que lui. Elle aurait aimé que cela soit possible. Elle aurait aimé n'avoir jamais à quitter ses bras rassurants pour retrouver la vie réelle. Elle aurait aimé n'avoir jamais à affronter la réalité. La seule réalité dont elle avait envie, c'était celle-ci. Eux. Juste eux. Et leur amour. Elle aurait aimé qu'il n'existe plus rien en dehors d'eux. Ainsi, rien n'aurait jamais pu entraver son bonheur. « Alexander... » Souffla-t-elle, tout contre lui. « Ne me laisse jamais partir. » Répéta-t-elle, comme une prière. Quoi qu'il puisse se passer, quoi qu'elle puisse faire, quoi qu'il puisse découvrir, elle voulait qu'il soit capable de lui faire entendre raison, qu'il soit capable de la garder avec lui, près de lui, qu'il soit capable de lui pardonner. « Crois-tu que l'on peut supplier la ville pour que cette nuit n'ait jamais de fin ? » Ajouta-t-elle dans un souffle, un sourire prenant place sur ses lèvres, l'esprit léger maintenant qu'elle le sentait contre elle.

A sa réflexion, Elizabeth avait souri. Ce n'était pas tant de lui qu'elle doutait, plutôt d'elle. Son optimisme était contagieux, c'était vrai, mais pour combien de temps ? Elizabeth aimerait croire aveuglément en chacune de ses promesses, mais elle n'y arrivait pas - pas plus que le temps d'une soirée, du moins. C'était ainsi. Elle était ainsi. Néanmoins, les efforts qu'il déployait pour la convaincre du contraire et pour lui promettre une vie bien meilleure lui faisaient beaucoup de bien et la rassuraient. Elle ne pouvait le nier. « A toi de me le prouver. » Rétorqua-t-elle sur le ton du défi. C'était à lui de lui prouver qu'il avait souvent raison et il lui prouverait, elle le savait. Il était bien trop fier et sûr de lui pour ne pas le faire, pour accepter si facilement l'idée qu'elle puisse croire qu'il n'avait jamais raison et pour ne pas tout faire pour respecter ses promesses. C'était ce qu'elle aimait chez lui. Et, en réalité, en y réfléchissant bien, il n'y avait pas grand-chose, pour ne pas dire rien, qu'Elizabeth n'aimait pas chez Alexander. Ce que beaucoup considéraient comme des défauts chez lui étaient devenus des qualités aux yeux d'Elizabeth. Des qualités qu'elle ne voudrait voir disparaître pour rien au monde.

Il suffisait à Alexander de parler ou de la regarder pour lui donner l'impression d'être transportée dans une autre réalité où ils n'étaient plus que tous les deux et où plus rien ne pourrait jamais les atteindre. Une réalité dans laquelle elle aurait aimé vivre réellement. Elle aurait aimé pouvoir disparaître avec lui pour que plus rien n'existe, en dehors d'eux. Ainsi, ils auraient été éternellement à l'abri des dangers de ce monde et ils auraient pu être heureux, sans crainte de ce que l'avenir leur réservait. Elle aurait aimé ne plus voir que lui parce qu'elle n'avait besoin que de lui. Mais Alexander lui rappelait qu'il était impossible de rester ainsi éternellement. A ces mots, Elizabeth avait d'abord fait la moue, avant de sourire. « En es-tu certain ? » N'avait-elle pas le droit de désirer l'impossible ? De désirer que chacun de ses rêves ne devienne réalité dans les bras d'Alexander ? Elle se sentait si bien, là, lorsqu'il resserrait davantage son étreinte en lui promettant de ne jamais la laisser partir, pourquoi voudrait-elle que cela s'arrête ? Mais même si elle se refusait à écouter sa raison pour préférer écouter son coeur, Elizabeth avait conscience des difficultés qui les attendaient et avait conscience que ce bien-être ne serait pas éternel. La jeune femme ne se connaissait que trop bien, elle savait qu'elle finissait toujours par tout gâcher, par commettre l'irréparable. Lola lui avait dit un jour qu'elle fuyait son propre bonheur par crainte de l'amour, après ce que son père avait fait à sa mère. Peut-être avait-elle eu raison ? Peut-être que la peur de perdre la poussait à tout gâcher avant ? Elizabeth vivait intensément chacune de ses relations, elle aimait sans savoir se raisonner, mais lorsque les choses devenaient concrètes, lorsqu'elle était heureuse, lorsque les choses allaient pour le mieux, elle gâchait tout. Alors, elle avait besoin d'entendre Alexander lui promettre de toujours la retenir, de ne jamais la laisser prendre la fuite. Elle avait besoin qu'il soit celui qui la raisonne et celui qui l'empêche de ruiner leur avenir.

Dans une prière, elle lui répétait de ne jamais la laisser partir. Il lui en faisait la promesse. C'était une promesse dont elle avait terriblement besoin. Un besoin viscéral. Incontrôlable. Elizabeth ne répondait rien, elle se contentait de profiter de ses bras autour d'elle et des mots qu'elle entendait. Elle gravait ces deux choses dans son esprit pour ne jamais les oublier. Puis, se sentant heureuse et rassurée, elle lui demandait s'il pensait possible de convaincre cette ville de faire de cette nuit une nuit qui n'aurait jamais de fin. L'idée était plaisante, dommage qu'elle se trouvait, surtout, être impossible. Elizabeth aurait pourtant été prête à tout donner à cet endroit pour obtenir que son souhait se réalise. Néanmoins, Alexander trouvait une alternative satisfaisante. Ses doigts sur sa joue la faisaient frissonner. Sa proposition, que toutes les nuits ressemblent à celle-ci, la faisait rêver. « Donnons à chacune de nos nuits la saveur d'un rêve, alors. » Souffla-t-elle tout contre lui. « Un rêve où plus rien ne compte en dehors de nous. » La nuit ferait disparaître tous leurs problèmes et toutes leurs craintes, pour ne plus laisser qu'eux, comme seuls au monde, à profiter l'un de l'autre. Et pour sceller cette nouvelle promesse, délicatement, Elizabeth avait posé ses lèvres sur celles d'Alexander pour lui offrir toute sa tendresse à travers un baiser. « Peut-être devrions-nous reprendre notre promenade ? » Souffla-t-elle contre ses lèvres. « Il me plaît particulièrement d'être là, dans tes bras, à t'embrasser, mais puisque nous ne pouvons pas rester éternellement ainsi... » Elle avait baissé les yeux un instant, avant de regarder autour d'elle. « Il me plaira tout autant de me promener à ton bras avant de ne plus avoir d'autres choix que celui de rentrer. » Il lui semblait que la nuit se terminerait toujours trop vite et qu'ils n'auraient jamais le temps d'en profiter autant qu'ils l'auraient aimé, mais puisqu'ils n'avaient pas le droit à l'éternité, ils prendraient le temps qui leur serait donné.

Oui, ils feraient de chacune de leurs nuits un rêve. Chaque jour, ils devraient peut-être fournir un travail acharné pour obtenir l'avenir qu'ils désiraient ou pour régler des problèmes, mais chaque fois que le soleil se coucherait, ils laisseraient derrière eux la vie réelle et ils se plongeraient corps et âme dans cette bulle qu'ils se créaient et qu'Elizabeth aimait plus que tout. Elle avait peur, mais Elizabeth avait toujours peur. Elle craignait le moment où la réalité les rattraperait, mais elle avait craint le moment où Alexander apprendrait qui elle était réellement et, finalement, il l'avait accepté. Peut-être seraient-ils alors capables d'accepter toutes les réalités ? De s'accepter entièrement, même lorsque le pire se présenterait à eux ? Elizabeth craignait de voir ces instants précieux leur échapper trop vite, mais elle n'avait pas envie de s'en priver par crainte de les voir disparaître un jour. Non, ce soir, Elizabeth avait compris qu'il n'y avait rien qu'elle n'aimait plus que sentir Alexander l'enlacer et lui dire qu'il aimait. Elle avait besoin de chacun de ces instants pour se sentir rassurée. Alexander lui permettait tant de choses. Avec lui, elle oubliait la réalité. Il lui offrait cette liberté qui lui avait tant manqué. Avec lui, elle découvrait quelque chose de nouveau, quelque chose qu'elle ne voulait abandonner pour rien au monde, pas même l'espace d'une seconde.

Pourtant, d'une façon ou d'une autre, la réalité finirait toujours par les rattraper, c'était une évidence. Alexander le disait lui-même, ils ne pouvaient pas rester ainsi éternellement, ils ne pouvaient pas figer cet instant dans le temps à jamais. Alors, il fallait profiter de chaque seconde, et s'il n'y avait rien de mieux à ses yeux que d'être dans ses bras, elle lui proposait tout de même de reprendre leur promenade. Une promenade... Pour beaucoup, il s'agissait d'un acte d'une banalité certaine, mais pour Elizabeth, elle avait une saveur toute particulière. Elle lui permettait de faire ce qu'elle s'était toujours refusé pour se protéger de Mary et, surtout, elle la faisait avec Alexander. Il y avait quelque chose de symbolique à ce qu'elle ose enfin s'aventurer dans les rues de la ville au bras d'Alexander comme si plus aucun danger ne pouvait l'atteindre désormais. Cette nuit représentait toute la liberté qu'il lui offrait par sa simple présence et par son amour. « Je ne l'oublierai jamais. » Lui promit-elle lorsqu'il lui souffla que chaque instant était unique et précieux. Elle ne l'oublierait pas parce qu'elle ressentait la même chose en sa présence. Chaque instant était nouveau pour Elizabeth - pas seulement dans cette ville, mais dans tout ce qu'elle avait connu jusqu'à présent. En un temps infiniment court, Alexander lui avait offert ce dont elle avait toujours rêvé alors qu'elle n'y avait jamais eu le droit.

Alors qu'il lui offrait son bras, auquel elle s'accrochait sans attendre, il se remit à parler. Elizabeth l'observait et essayait de comprendre où il voulait en venir à sa première réflexion. Les premiers mots qui avaient suivi l'avaient fait sourire. Elle était heureuse de constater que l'idée d'une séparation prochaine le préoccupait tout autant qu'elle. Elizabeth ne saurait l'expliquer, mais il y avait dans ce quelque chose de nouveau un quelque chose qui la poussait à ne pas vouloir se séparer de lui, comme s'il fallait absolument et désespérément profiter de la moindre seconde qui leur était donnée. Malgré tout, sa proposition était, pour le moins, inattendue. Elizabeth était surprise et troublée. Ne prétendait-il pas être un homme de raison ? Cette proposition n'avait rien de raisonnable. Mais y avait-il un seul aspect de cette relation qui pouvait être qualifiée de raisonnable ? Ils se jetaient à corps perdu dans une relation impossible, ils se montraient déraisonnables et se voiler la face sur les difficultés qu'ils rencontreraient tôt ou tard. Ils vivaient à toute allure comme si chaque seconde leur était comptée. Ils étaient faibles l'un au contact de l'autre, trop sans doute pour leur bien, mais ils se laissaient porter par leurs sentiments et ils n'écoutaient plus rien d'autre. « Tu es sérieux ? » Souffla-t-elle, malgré toute l'envie qu'elle avait de simplement lui dire oui, sans réfléchir et en priant pour que rien ne les atteigne jamais. Il y avait quelque chose de terriblement attirant dans cette proposition parce qu'elle lui prouvait qu'il ne doutait pas d'eux et quelque chose de terrifiant, en même temps. « Quand elle saura... Je te mettrai davantage en danger. » Il n'était pas utile d'en dire davantage, Alexander devait parfaitement comprendre où elle voulait en venir. Mais comprenait-il réellement les risques qu'il courrait ? Un instant, sa raison prenait le dessus, même si elle rêvait de juste laisser parler son coeur. Elizabeth avait peur. Peur qu'il ne réalise trop tard. Peur que ce geste éveille les craintes de Mary qui jugerait ne plus avoir d'autres choix que d'agir. Elle savait à quel point il prenait des risques en restant à ses côtés, mais il les avait acceptés et comme elle ne pouvait se résoudre à le garder loin d'elle, elle l'acceptait égoïstement. Elle le mettait donc volontairement en danger, pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de le mettre en garde, comme elle l'avait tant fait avant de céder. « Je veux te répondre oui. Je n'ai pas envie d'être raisonnable un seul instant ou de prendre mon temps. Je veux simplement être avec toi. Mais je veux que tu sois sûr de toi, je veux que tu prennes conscience de l'ampleur des risques que tu prends. » parce qu'elle craignait qu'il ne finisse par lui en vouloir s'il jugeait qu'elle ne l'avait pas suffisamment mis en garde et parce que si Mary faisait de leur vie un enfer, comme elle l'avait fait avec Elizabeth, elle craignait de le voir mettre fin à tout ce qui existait entre eux pour sa tranquillité, sa sécurité et sa liberté.

Cette soirée était bien loin de l'image qu'Elizabeth s'en était faite en l'acceptant. Très loin, même. Ce n'était pas pour lui déplaire, heureusement. Elle était terriblement heureuse de ce qui était en train de se passer - et terriblement effrayée, aussi. Les choses prenaient une tournure qu'elle s'était refusé d'imaginer jusqu'à présent, mais qu'elle ne voulait plus voir disparaître désormais. En quelques instants, elle s'était laissé embarquer dans cette histoire. En quelques instants, elle avait laissé toutes ses barrières s'effondrer. Elizabeth, depuis qu'Alexander était véritablement entré dans sa vie, avait tenté de le garder éloigné le plus possible de tous ses problèmes et de son passé, afin de le protéger. Comment, pourtant, continuer à le garder loin d'elle lorsqu'il mettait tant d'ardeur à la convaincre qu'il l'aimait tant, que les dangers n'avaient pas la moindre importance, qu'il saurait la rendre heureuse, quoi qu'il arrive, qu'il pourrait tout accepter du moment où elle était à ses côtés ? Égoïstement, elle avait envie de l'avoir auprès d'elle et de lui faire courir tous ces risques dans le seul but de ne jamais avoir à l'éloigner. Égoïstement, elle voulait qu'il se batte pour elle et qu'il l'aide à obtenir cette liberté qu'il lui offrait déjà en grande partie. Elizabeth avait tout de même un reste de conscience qui lui soufflait qu'elle se devait de le mettre en garde, de le prévenir parce qu'elle ne voulait pas qu'il lui arrive le moindre mal. Elle était incapable, désormais, d'imaginer vivre sans qu'il ne soit là. Elle était incapable de supporter l'idée d'être responsable du mal qui pourrait lui être fait - alors même qu'elle le jetait elle-même dans la gueule du loup.

Alors, c'était tout naturellement qu'elle tentait de le mettre en garde une énième fois lorsqu'il lui faisait la proposition complètement folle de venir vivre chez lui. Si Elizabeth n'avait été qu'égoïste, elle aurait simplement répondu oui, mais elle ne pouvait pas agir ainsi, pas avec lui. Alors, d'abord, elle cherchait à savoir s'il était sérieux ou s'il plaisantait. L'intensité avec laquelle il la regardait - et qui la troublait, comme à chaque fois qu'elle plongeait son regard dans le sien, elle devait l'avouer - lui ôtait le moindre doute. En revanche, la désinvolture avec laquelle il prétendait qu'un peu plus de danger ne changerait rien, que quitte à se mettre en danger, autant ne pas le faire à moitié - et elle avait compris qu'il n'aimait pas faire les choses à moitié - lui faisait peur. Elizabeth ne pouvait pas s'empêcher de se demander s'il comprenait réellement à quel point il pouvait être en danger, s'il la prenait véritablement au sérieux. « Ne dis pas ça avec tant de légèreté. Je veux que tu sois prudent. » Depuis plus de trois ans, Elizabeth vivait avec la menace permanente de Mary et c'était loin d'être un jeu. Néanmoins, une part d'elle ne pouvait nier qu'elle appréciait de voir sa détermination à toute épreuve et qu'elle aimait qu'il ne fasse pas les choses à moitié - mais, encore une fois, elle aimait tout chez lui, alors ce n'était pas bien compliqué de trouver du positif en chacun de ses mots ou en chacune de ses actions.

Elizabeth jugeait l'avoir suffisamment mis en garde - même si, cette fois-ci, elle n'avait pas fait autant d'efforts qu'elle l'aurait pu - et si elle n'écoutait que son coeur, elle n'avait aucune véritable hésitation ou raison valable à lui opposer. Pour la convaincre, comme s'il y avait encore besoin de le faire, il lui souffla qu'elle était ce dont il était le plus sûr en ce monde. Elle le lui avait déjà dit, mais comment était-elle censée résister lorsqu'il lui parlait ainsi ? S'il n'avait pas été question d'Alexander, Elizabeth aurait été méfiante et prudente, mais avec lui, elle n'en était plus capable depuis l'instant où elle avait accepté de lui ouvrir son coeur.

Une fois encore, il lui assurait qu'il acceptait les risques et que sa proposition, bien que spontanée, était sincère. Avait-il conscience qu'il perdait son temps parce qu'il l'avait déjà convaincue rien qu'en lui posant la question ? Néanmoins, elle n'allait pas se plaindre de l'entendre lui dire tout ça, au contraire. A chaque mot, elle souriait davantage. Son insistance pour qu'elle lui réponde oui, comme elle le souhaitait, la faisait sourire plus encore. « Tu sais que tu perds ton temps à essayer de me convaincre ? » ne put-elle s'empêcher de lui répondre dans un premier temps. Puis, en sentant son coeur accélérer face à ce qu'elle s'apprêtait à accepter - et qui soulevait chez elle autant de bonheur que de craintes et de questions - elle lui souffla : « Tu m'as convaincue à l'instant où tu as posé ta question. » parce que c'était vrai, même si elle avait jugé nécessaire de s'assurer qu'il comprenait ce qu'il était en train de faire avant d'accepter. « Oui, Alexander. Il n'y a rien que je ne puisse te refuser. » Et elle n'avait pas envie de se le refuser, non plus. « Je veux vivre avec toi. Qu'importe si c'est trop rapide, c'est ce que je veux. » Après tout, pour la première fois, elle était entièrement libre de ses décisions et elle n'avait pas à se cacher - puisque ça ne servait à rien, de toute façon - alors pourquoi se priver de ce dont ils avaient envie tous les deux ? Par peur du jugement - de qui ? Par peur de faire une erreur ? Une de plus, est-ce que ça changeait vraiment quelque chose ?

Il n'y avait pas besoin d'argumenter pendant des heures pour la convaincre que la meilleure décision à prendre, pour elle, était d'accepter la proposition d'Alexander. Si, tout naturellement, ses craintes s'étaient réveillées à l'instant où elle l'avait entendu poser sa question - parce qu'elle voulait le protéger d'elle-même et des risques qu'elle apportait avec elle - la réponse s'était également imposée à elle. Il n'y avait aucune hésitation. Aucun doute. Juste des certitudes. Celles qu'elle voulait être avec lui et, ce, sans perdre une seule seconde.

Elizabeth aimait la façon dont Alexander voyait les choses. Elle aimait l'entendre dire que ce n'était pas eux qui étaient trop rapides, mais les autres qui étaient trop lents. Elle aimait avoir l'impression que rien ne comptait plus à ses yeux qu'eux. Elizabeth avait l'impression de tout pouvoir avec lui. Faire ce qui lui plaisait, quand ça lui plaisait, sans se soucier de ce qui était bien vu ou non, jugé ou non. Ils le faisaient parce qu'ils en avaient envie. Pour eux. Pas pour les autres. Alors, il avait raison de voir les choses ainsi. Ils n'étaient pas trop rapides. Le monde était simplement trop lent - et ils se moquaient bien de ce monde trop lent ou qui les jugerait trop rapides. « Je ne me lasserai jamais de t'entendre dire ce genre de choses. » Il avait le don de rendre tout merveilleux, de faire d'une réponse banale une déclaration particulièrement touchante - ou, elle le ressentait ainsi parce qu'elle n'était plus objective dès qu'il s'agissait de lui, mais qu'importe. « Presque. Je ne peux presque rien te refuser. » Rectifia-t-elle aussitôt qu'elle avait entendu la réponse d'Alexander, en tournant son regard amusé vers lui.

Silencieusement, profitant simplement l'un de l'autre, ils avançaient. Elizabeth goûtait, un peu plus à chaque seconde, à cette sensation de liberté, de bonheur, accrochée au bras d'Alexander. C'était lui qui avait rompu le silence pour lui poser une question. A vrai dire, Elizabeth n'en savait rien. Chez elle, elle se sentait en sécurité. Cet endroit, elle l'avait protégé depuis plus de trois ans qu'elle était ici. Il était l'endroit où rien - ou presque - ne pouvait l'atteindre. Mais cet endroit était aussi sa prison. Là, où elle s'était enfermée chaque jour pour échapper à l'extérieur, pour échapper à tous les risques qu'elle prenait à chaque fois qu'elle mettait un pied dehors. Chez lui, elle craignait de ne jamais pouvoir ressentir ce sentiment de sécurité, de protection qu'elle avait chez elle. Et, en même temps, elle avait l'impression que vivre ailleurs que chez elle, c'était peut-être marquer définitivement un tournant dans sa vie. Le début d'une nouvelle vie où elle serait plus libre. Alors, Elizabeth avait pris un instant pour réfléchir. Ce n'était pas comme s'ils avaient pris le temps de prendre cette décision, de mesurer le pour et le contre de chaque option et de discuter de la meilleure solution. « Je crois que, pour commencer, vivre chez toi est la meilleure chose à faire. » Et ils verraient déjà s'ils étaient capables de vivre sous le même toit sans s'entretuer pour leurs idées divergentes. « Je me sens en sécurité chez moi, j'ai l'impression stupide que rien ne peut m'atteindre. » Alors que n'importe lequel de ses ennemis pouvait y entrer comme dans n'importe quelle autre maison, mais il avait bien fallu qu'elle se donne l'impression de ne pas être en danger quelque part. « Mais... Cette maison, je m'y suis réfugiée autant que je m'y suis emprisonnée. » Et, en toute franchise, elle n'était pas certaine de pouvoir y être pleinement heureuse et de pouvoir supporter que quelqu'un d'autre y vive avec elle. « Commencer une nouvelle vie avec toi, chez toi, ce serait peut-être l'occasion pour moi de tourner la page. » D'être heureuse plutôt que d'avoir peur. « Si cela te convient, bien sûr. » Souffla-t-elle, après s'être justifiée de son choix, après tout, elle n'était pas seule à prendre cette décision.

« Je pourrais tout te refuser simplement pour te donner tort, tu sais ? » Répliqua-t-elle, un air de défi dans le regard, lorsqu'il lui assura qu'il saurait changer le presque en jamais, alors qu'elle lui avait assuré ne rien pouvoir lui refuser. Elizabeth n'avait aucune raison de lui refuser quoi que ce soit, du moment où les choses lui convenaient, mais elle aimait avoir raison et elle se découvrait un plaisir tout particulier dans le fait de plaisanter ainsi pour avoir le dernier mot.

Puisqu'ils venaient de prendre la décision de vivre ensemble, ils devaient désormais en déterminer les détails. La première chose qu'il fallait décider, évidemment, était de savoir où ils vivraient. Chez lui ou chez elle ? Elizabeth était tentée de répondre chez elle, là où elle se sentait en sécurité, dans ce cocon qu'elle s'était créée pour se protéger du monde extérieur. Néanmoins, cette maison était aussi synonyme de plus de trois années de solitude, de privations. Elle avait été autant sa prison que son refuge. Même s'il n'était pas facile de passer outre ses craintes, il était certainement préférable pour elle de vivre ailleurs. C'était une façon de passer à autre chose, une façon d'ouvrir une nouvelle page - ou d'essayer, du moins. Les premiers temps ne seraient certainement pas faciles, elle se sentirait très certainement en danger, mais elle devait essayer - et puis, leur décision n'était pas gravée dans le marbre, rien ne les empêchait de changer, ensuite.

Elle était décidée à faire cet effort, ce changement. Pour son bien. Pour leur bien. C'était une façon, aussi, de gagner en liberté. Vivre ailleurs, s'installer chez Alexander, c'était une manière de faire comprendre à Mary qu'elle n'aurait plus la même influence sur sa vie, la même emprise, le même impact, qu'Elizabeth reprenait sa vie, qu'elle récupérait sa liberté - ou qu'elle essayait, du moins - mais c'était aussi prendre le risque qu'elle ne voie dans cet acte que de la provocation.

Cette idée semblait plaire à Alexander, qui semblait préférer qu'ils se retrouvent chez lui, plutôt que chez elle. Il prenait le temps de lui expliquer qu'il aurait accepté de vivre chez elle, bien sûr, mais qu'il pensait que vivre chez lui était la meilleure solution, celle qui marquait ce nouveau départ. Et, parce qu'il ne pouvait s'en empêcher, il la rassurait et lui assurait qu'elle ne devait pas s'inquiéter, qu'il mettrait en place tout ce qu'il fallait pour qu'elle puisse se sentir en sécurité. « Merci. » Souffla-t-elle, sincèrement touchée des efforts qu'il était prêt à faire pour elle, pour son bien-être, son bonheur et sa sécurité.

Mais, sur un ton beaucoup plus léger, il tenait à la mettre en garde : il était insupportable à vivre. Cette information la faisait rire - et il était bien rare qu'Elizabeth se surprenne à rire parce qu'elle n'en avait pas souvent l'occasion. « Tu as de la chance, j'aime t'entendre et je pourrais t'écouter pendant des heures. » A la condition qu'il lui laisse en placer une de temps à autre, pour le contredire ou le conforter, elle n'avait aucun problème avec le fait d'écouter plutôt que d'être écoutée - enfin, avec lui et selon le sujet, sinon Elizabeth savait y faire avec les longues tirades, également. Finalement, peut-être se fatigueraient-ils mutuellement à cause de leur caractère bien trop ressemblant sur certains points ? « Et je saurai te détourner de ce que tu écris, si tu m'oublies trop longtemps. » Assura-t-elle avec malice. « Sois certain que je pourrai te supporter, qu'importe les terribles et insupportables défauts que tu me cites là. » Dit-elle avec plus de sérieux, sans que son sourire ne disparaisse de ses lèvres pour autant. « Tu sais, je n'ai jamais vécu avec quelqu'un avant toi, alors je ne peux pas te mettre en garde, mais peut-être que tu ne pourras plus me supporter en quelques jours et que tu regretteras d'avoir été si impatient et irréfléchi. » Elizabeth avait toujours vécu entourée, mais elle n'avait jamais réellement partagé sa vie avec quelqu'un. Elle n'avait jamais pu vivre avec les seuls hommes qu'elle avait connus et aimés, et elle ne pouvait pas comparer ce qu'ils s'apprêtaient à faire avec Alexander à quelques instants volés secrètement çà et là.

Alexander avait au moins conscience de ses défauts ou de ce qui pouvait poser problème dans une cohabitation. Mais ces défauts qu'il voyait chez lui, Elizabeth les aimait. Elle aimait le savoir passionné par ce qu'il écrivait ou bavard parce qu'il avait des choses à dire et transmettre. Elle l'aimait pour ce qu'il était et tout cela faisait partie de qui il était. Alors, sa mise en garde, plus que lui faire peur la faisait rire. Elizabeth lui assurait donc qu'elle aimait l'entendre et l'écouter et qu'elle était capable de le faire pendant des heures. Ce n'était pas un mensonge ou des mots prononcés pour le flatter, elle était sincère. Il réussissait à l'intéresser, à la fasciner, à la passionner. Peut-être qu'à la longue, elle s'en fatiguerait, mais elle en doutait. Elle voulait croire qu'elle l'aimerait toujours pour ce qu'il était, sans jamais espérer le voir changer. Il s'estimait alors être le plus chanceux des hommes, ce qui la faisait sourire, amusée. Si lui était le plus chanceux des hommes alors elle était la femme la plus chanceuse qui puisse exister parce qu'il lui offrait bien plus qu'elle ne lui en offrait, elle. Il méritait que l'on s'intéresse à ce qu'il avait à dire, à ce qu'il pensait. Il méritait d'être écouté et d'être entendu. Il méritait que l'on prenne le temps de débattre et d'échanger avec lui. Et elle était convaincue que tout cela était bien peu à côté de ce qu'il lui donnait et lui promettait.

Et Elizabeth était persuadée de pouvoir supporter ses longs discours, comme elle était persuadée d'être capable de le détourner de ce qu'il écrivait s'il s'avérait qu'il l'oubliait de trop longues heures. Ce qu'elle entendait alors lui plaisait tout particulièrement. Elizabeth appréciait se sentir ainsi aimée, elle aimait savoir qu'elle occupait toutes ses pensées. « J'aime savoir que je ne quitte jamais tes pensées. » Souffla-t-elle, sérieuse et amusée à la fois par cet aveu. « et j'espère même ne jamais les quitter. » Elle appréciait avoir une place dans son esprit à chaque instant, elle devait l'avouer, et elle espérait qu'il ne s'en lasserait jamais et qu'il n'oublierait pas de lui répéter de temps à autre.

Ce soir, Elizabeth le lui avait dit, elle avait envie d'être optimiste comme elle n'avait jamais su l'être auparavant. Elle avait envie de croire qu'elle saurait être heureuse à jamais à ses côtés et que plus rien ne l'atteindrait. Oui, ce n'était peut-être qu'un effet provisoire parce qu'elle était heureuse et ne voulait voir les choses que du bon côté, mais qu'importe, elle voulait espérer en cette soirée. Alors non, elle ne voulait pas penser au fait qu'elle puisse se lasser de lui et de ses longues tirades, un jour. En revanche, elle ne pouvait pas être persuadée du contraire. Combien de temps mettrait-il avant de se lasser d'elle ? Elizabeth n'avait jamais vécu avec personne au sens où elle allait vivre avec Alexander, alors elle ne pouvait pas le mettre en garde à propos de son style de vie ou de ce qui pourrait le déranger chez elle. Néanmoins, parmi ses très nombreux défauts, elle se savait particulièrement exigeante et apeurée par tout, méfiante à l'extrême et paranoïaque... Autant dire qu'il avait plutôt intérêt à avoir une grande patience avec elle. « Ce n'était pas irréfléchi, peut-être, de me proposer de venir vivre chez toi ? Tu me feras croire que cette décision a été mûrement réfléchie ? » Rétorqua-t-elle, amusée, alors qu'il lui assurait être impatient, mais jamais irréfléchi. Peut-être ne l'était-il pas en temps normal, mais il l'avait été avec Elizabeth. « Je n'ai jamais vécu seule, mais je n'ai jamais vécu avec quelqu'un. » Rectifia-t-elle, comme si tout cela avait la moindre importance. Elizabeth avait toujours été entourée, trop certainement, mais elle n'avait jamais partagé sa vie avec l'un des hommes qu'elle avait aimés. « Il n'aurait pas été de bon ton que la reine vive avec un homme, à la cour, sans être mariée. » Il était étrange pour elle de parler de ça aussi librement quand elle n'avait pu en parler à personne en plus de trois ans, mais ce n'était pas si désagréable, finalement. Et depuis qu'elle était ici, jamais elle n'avait envisagé vivre avec quelqu'un - parce qu'avant de rencontrer Alexander qui avait bousculé tout ce dont elle s'était persuadée, elle savait comme il était dangereux de vivre à ses côtés et avait toujours refusé que quiconque ne s'attache à elle. « Tu seras le seul avec qui je partagerai ma vie, le seul avec qui je tenterai cette expérience. » Parce qu'elle l'aimait suffisamment et parce qu'elle lui faisait suffisamment confiance pour ça.

Et elle était particulièrement heureuse à cette idée, elle avait hâte et faisait preuve d'une véritable impatience, comme elle n'aurait pu le deviner. Sa hâte prenait le pas sur sa peur, ce qui était si rare qu'elle ne pouvait s'empêcher de le souligner. « J'espère que tu es bon cuisinier ou que tu aimes ce qui est particulièrement bien cuit. » S'amusa-t-elle, en souvenir de la première fois où ils s'étaient vraiment vus en dehors d'une séance, où, passionnée par ses discussions avec lui, elle en avait oublié la cuisson de son repas qui avait fini complètement brûlé.

Elizabeth ne s'inquiétait étonnamment pas. Il était si déterminé à lui faire comprendre qu'il l'aimait sincèrement, si déterminé à lui faire comprendre qu'il était sincère dans chacun de ses mots, qu'elle lui faisait confiance. Ce n'était pas une chose facile pour Elizabeth que de faire confiance à quelqu'un, mais avec lui, cela lui semblait possible - presque naturel, même, si elle se laissait aller. La jeune femme était encore très loin de lui faire confiance pour absolument tout, mais c'était déjà bien plus que n'importe qui n'avait pu obtenir en tant d'années sur cette île.

Alexander pouvait bien dire ce qu'il voulait, il n'était pas aussi réfléchi qu'il le prétendait. Sa proposition était le résultat d'une envie soudaine, elle avait été parfaitement impulsive et irréfléchie. Elizabeth ne le regrettait pas, au contraire, elle était même plutôt heureuse de ce qu'il avait fait. C'était peut-être insensé pour beaucoup - et ça l'était certainement - mais elle s'en moquait. Elle s'en moquait parce qu'elle était heureuse de pouvoir imaginer quelque chose d'autre qu'une vie plongée dans la peur, la crainte et les doutes. Elle s'en moquait parce qu'elle avait compris que cet homme, qu'elle avait accepté de voir, malgré ses craintes de se trouver à l'extérieur ou de se rapprocher de quelqu'un, tant pour sa sécurité à lui qu'à elle, était plus que cet ami qu'elle avait appris à connaître et apprécier, au fil des semaines. Elle s'était interdit de comprendre ce que ce quelque chose qu'elle ressentait signifiait, jusqu'à ce soir, où elle lui avait ouvert son coeur. Et c'était sans doute cela, la chose la plus insensée et la plus dangereuse pour Elizabeth : qu'elle se permette d'aimer à nouveau. Alors, n'avaient-ils pas déjà été impulsifs en se jetant dans les bras l'un de l'autre, inconscients - ou trop conscients, mais ignorants - des dangers qui les guettaient ? Ça, finalement, ce n'était presque plus grand-chose. « Tu es un menteur, Alexander. » Souffla-t-elle, amusée, lorsqu'il lui assurait alors que sa décision était réfléchie. « Ou alors tu prépares ton coup depuis longtemps, mais cela ferait perdre tout son charme à cette proposition et je préfère les hommes capables de me surprendre par des choix aussi impulsifs que celui-là. » Non, elle ne l'imaginait pas avoir préparé son coup à l'avance. Elle n'imaginait pas qu'il avait prévu, en l'accompagnant ce soir, de lui ouvrir son coeur et de lui demander de vivre avec lui, dans la même soirée. Elle plaisantait, simplement, comme il le lui permettait, comme il le lui offrait, elle qui s'en était privé si longtemps.

Il lui permettait bien des choses, en réalité. Il lui offrait plus que tout ce qu'elle avait espéré depuis qu'elle était ici. Il lui offrait ce choix, celui de vivre à ses côtés comme elle ne l'avait jamais fait avec personne d'autres. Et il serait certainement le seul. « C'est toi qui m'offres le plus grand de tous les privilèges, celui de pouvoir choisir. D'être libre de faire mes propres choix, d'être libre de vivre comme je l'entends. » Répondit-elle avec autant de sincérité que lui. Il ne s'en rendait peut-être pas compte, mais toute sa vie, on avait essayé de lui forcer la main et de l'obliger. Ici, elle avait le choix et elle se sentait libre avec lui, à ses côtés. Libérée de sa solitude. Il n'imaginait peut-être pas à quel point, elle se sentait bien là, avec lui. A son bras, elle n'avait plus envie d'avoir peur ce soir. Juste d'être heureuse. Et elle l'était.

« Tu veux donc m'empoisonner ? » Il venait de lui dire quel médiocre cuisinier il était et, dans le même temps, il lui affirmait qu'il était prêt à prendre de son précieux temps pour lui cuisiner ce qu'elle voulait - le traiteur ou n'importe quoi d'autres serait certainement préférable. « Ne te dérange pas pour moi, je ne veux pas te voler ton précieux temps plus que nécessaire. » Se moqua-t-elle en tournant les yeux vers lui. « Et tu sais que si tu continues à me donner l'impression que tu ne me refuseras rien, je finirai par en profiter ? Je peux être terriblement exigeante quand je le décide. » A lui donner l'impression qu'il se plierait ainsi en quatre pour elle et son bonheur, il allait lui donner envie d'en profiter.

D'une certaine façon, Elizabeth ne s'était jamais sentie véritablement libre. Autrefois, elle avait un royaume à faire passer avant elle et ses propres désirs, elle avait des conseillers qui jugeaient bon de décider pour elle et elle ne pouvait pas faire tout et n'importe quoi au risque de voir son peuple ou les nobles se soulever. Dans ce monde, Mary avait toujours exercé une forme de pression et avait toujours représenté une menace qui planait au-dessus de la vie d'Elizabeth, ce qui l'avait toujours empêché de vivre librement et d'être maîtresse de ses décisions ou de sa propre vie. Aujourd'hui, ce soir, elle avait l'impression de pouvoir prendre ses propres décisions, d'être libre de choisir, d'avoir enfin le choix de décider de sa propre vie. Alexander, pourtant, l'avait confrontée à ses plus grandes craintes et s'était montré insistant pour découvrir ce qu'elle cachait, mais elle comprenait ce qui l'avait poussé à le faire. Elle s'était sentie acculée sur l'instant, lorsqu'il lui avait fait comprendre qu'il savait qui elle était et qu'elle n'avait plus d'autres choix que de l'assumer. Elle s'était sentie privée du droit de parler de son passé, mais ce n'était pas lui le responsable, ce n'était pas lui qui l'avait privé de son droit à cacher son passé. Il n'avait fait que creuser et il ne s'en était jamais caché. « Ça n'arrivera jamais, j'en suis persuadée. » Un homme capable de lui offrir tant en une seule soirée ne pouvait pas la priver de ce qui comptait le plus à ses yeux, elle en était persuadée. Et si jamais cela devait arriver malgré tout, Elizabeth ne se laisserait plus priver de l'un ou de l'autre - elle l'espérait, en tout cas. Elle savait ce qu'elle voulait désormais et elle se battrait pour le garder - qu'il s'agisse de cette liberté qu'elle se voyait déjà regagner ou de ce bonheur qu'elle espérait construire à ses côtés.

« Je ne sais pas, peut-être que je devrais tester tes limites et voir si mon impression se confirme. Tu n'as pas la moindre idée de ce dans quoi tu viens de t'embarquer. » Souffla-t-elle avec tout autant de malice. Depuis le début de cette soirée, il semblait être prêt à tout lui offrir et répondre à chacun de ses souhaits. Elizabeth ne pouvait pas prétendre ne pas être touchée par tout ça. C'était un sentiment si agréable de se sentir aimée au-delà du raisonnable, comme si rien ne pourrait jamais les arrêter, comme si, désormais, plus rien ne lui serait jamais interdit. Néanmoins, elle le mettait en garde sur ce comportement qui la pousserait à devenir trop exigeante. Elle plaisantait, mais elle savait également que c'était un risque réel. Elizabeth ne faisait jamais dans la demi-mesure. Elle aimait tout avoir et tout obtenir. Elle aurait, sans doute, besoin de recevoir des preuves de sa sincérité et de son amour, mais à quel point se montrerait-elle exigeante ? Elle n'en savait rien et elle se faisait peur à elle-même, elle devait l'avouer - c'était pour ce genre de raisons qu'elle lui avait fait promettre de ne jamais la laisser partir, parce qu'elle doutait d'elle plus que de n'importe qui et qu'elle craignait de faire des choses impossibles à pardonner. « Je ne le ferai que si je pense que c'est pour ton bien. » Comme il le faisait avec elle lorsqu'il la poussait à s'ouvrir au monde ou à lui, comme lorsqu'il l'incitait à parler ou à se découvrir pour être elle-même. « Et si je dépasse les limites... Je saurai l'entendre. » Répondit-elle plus sérieuse. Elle essayerait de l'entendre, en tout cas, mais avec Elizabeth, il était difficile, voire impossible, de déterminer à l'avance ses réactions ou ses actions. « Mais il faudra m'apprendre les limites. » Certaines étaient évidentes, comme celles de respecter Alexander et ses convictions ou comme celle de respecter ses décisions, les autres lui étaient difficiles à percevoir parce qu'elles ne lui étaient pas naturelles, mais Elizabeth craignait, de toute façon, de dépasser même les plus évidentes, malgré tout et de le perdre à cause de ça.

Ses certitudes étaient plaisantes à voir, évidemment, et elles plaisaient à Elizabeth, néanmoins, il n'était certainement pas prudent de leur part de ne pas voir au-delà. Pourtant, pouvaient-ils vraiment se raisonner ou réfléchir d'une autre manière quand ils se trouvaient à peine, quand ils se découvraient tout juste et qu'ils profitaient des premiers instants de ce quelque chose qui les exaltait et pour lequel ils s'enflammaient l'un et l'autre ? Alors, finalement, Alexander avait peut-être raison, peut-être ne fallait-il pas qu'ils se préoccupent de ce dans quoi ils s'étaient engagés. Pas maintenant, en tout cas. L'important, n'était-ce pas le moment présent ? Ce qu'ils étaient en train de vivre ? Ce qu'ils ressentaient l'un pour l'autre ? Ce qu'ils s'autorisaient à éprouver et à ressentir ? C'était déjà tellement pour Elizabeth. Il n'était peut-être pas nécessaire pour elle de s'en ajouter davantage. Après tout, elle aurait tout le temps de voir comment les choses allaient évoluer et d'aviser en temps voulu.

S'il y avait bien une chose dont Elizabeth était persuadée à cet instant, c'était de ne pas vouloir le voir changer. Elle l'aimait pour ce qu'il était et ce qu'il représentait. Néanmoins, s'il fallait être tout à fait franc, Elizabeth avait conscience de ce qu'elle était et de ce qu'elle était capable de faire. Jamais, elle ne voudrait le pousser trop loin dans ses limites volontairement. Sauf que, contrairement à lui, elle imaginait bel et bien des situations qui l'exigeraient parce qu'elle ne voyait pas les choses de la même façon, parce qu'elle ne fonctionnait pas tout à fait comme lui. Et puis, et surtout, elle jugeait qu'il faisait la même chose, inconsciemment, peut-être, mais il le faisait. Elle n'y voyait aucun mal. Repousser ses propres limites, faire que l'autre repousse les siennes - sans jamais s'oublier et changer complètement - elle n'y voyait pas le moindre mal. C'était une façon d'évoluer, de grandir, de voir les choses différemment, de comprendre les choses autrement. Néanmoins, elle essayait d'avoir conscience que chacun ne voyait pas les choses de la même façon et qu'il devait savoir l'arrêter si elle allait trop loin. Elizabeth était habituée - enfin, avant d'arriver ici, tout du moins, mais puisque ses relations étaient proches du néant depuis qu'elle était dans cette ville, elle n'avait pas eu le temps de changer - à ce qu'on lui obéisse, à ce qu'on ne discute ses ordres que dans une certaine mesure, à toujours en attendre davantage de l'autre, à pousser les autres toujours plus loin pour qu'il atteigne le meilleur de ce qu'elle attendait d'eux. Alors, elle avait peur. Peur d'aller trop loin, peur de ne pas connaître ou reconnaître les limites d'Alexander et de lui faire du mal, inconsciemment.

Alors, pour éviter d'aller trop loin, si elle ne s'en rendait pas compte, elle lui demandait de l'en avertir. Elle saurait entendre - ou elle tenterait, tout du moins. Il lui assurait alors qu'il le ferait, tout comme il lui demandait d'en faire de même. De leur relation, il attendait honnêteté et transparence, deux choses pour lesquelles Elizabeth n'était pas particulièrement douée. Ses relations passées avaient souvent été entourées par les mensonges - par nécessité, parfois, par facilité, souvent. C'était bien souvent le seul moyen qu'elle trouvait de se protéger de ses propres peurs lorsqu'elle craignait une réaction ou une conséquence et ce n'était pas un défaut facile à corriger - d'abord, il fallait qu'elle apprenne à faire confiance et ce n'était pas une mince affaire. « Essayons de ne pas l'oublier, alors. » Souffla-t-elle, davantage pour elle-même que pour lui. Ne pas oublier pour ne pas le décevoir. Elle semblait tant l'aimer que cela ne devrait pas être si compliqué après tout, si ?  

Alexander se montrait particulièrement enjoué, alors qu'il semblait voir en ce questionnement une sorte de jeu. Elizabeth semblait plus sérieuse, réfléchissant à sa question. « Ça. » Souffla-t-elle en les désignant, tous les deux, de la main. « Je croyais qu'elles étaient là, mes limites. » Alors, comment savoir si l'on dépassait les bornes quand on n'était pas même pas capables de les déterminer avec certitudes pour soi-même ? « Je croyais que ce serait au-delà de mes forces de t'accepter dans ma vie, d'aimer à nouveau, de prendre tant de risques ou de te parler de celle que j'étais. Je pensais que jamais je n'aurais eu le courage de prendre le risque d'affronter ton regard en apprenant que j'ai été, un jour, tout ce que tu as combattu. Je croyais que jamais plus, je ne me sentirais capable d'être ainsi, à me promener au bras d'un homme que j'aime ou de vivre avec lui. Alors, je ne sais plus. Et pour le reste, je ne sais pas. » Des limites, il en existait pour tout et tous les domaines, alors il n'était pas facile de les citer, mais celles-ci étaient les plus importantes, pour elle. A son arrivée, en retrouvant Mary, elle s'était imposée ces limites : ne plus aimer, rester seule, taire son passé. Alexander les avait effacées une à une. Alors que ne serait-elle pas capable de faire, désormais ? « Tu m'as obligée à les repousser, à les dépasser et à les faire disparaître. » Et ce n'était pas un reproche, au contraire, même, elle ne pouvait que le remercier d'avoir été si insistant, si têtu et de ne pas avoir abandonné avant de l'obliger à voir les choses autrement. « Ce n'est pas toujours un mal d'obliger l'autre à voir au-delà de ses limites, de le pousser dans ses retranchements, pourvu qu'on lui laisse la décision finale. » Elizabeth voyait les choses ainsi. Forcer l'autre tout en lui laissant le choix. L'obliger à se dépasser tout en acceptant qu'il ne le puisse ou ne le veuille pas. Peut-être n'était-ce pas la bonne façon de voir les choses, mais c'était la sienne. « Et les tiennes ? » Parce que, finalement, pour Elizabeth, c'était ça, l'important.

Alexander n'était pas entré dans la vie d'Elizabeth pour les bonnes raisons. Au départ, il n'avait été qu'un instrument pour lui permettre de se prouver, à elle-même, qu'elle était bel et bien capable d'avoir une vie et de dépasser ses peurs les plus profondes. Il avait été le moyen, également, de prouver à l'un de ses patients - qui s'était un peu trop mêlé de sa vie privée - qu'il n'était pas bon pour elle de se lier avec qui que ce soit. Paradoxalement, elle avait autant cherché à donner tort à cet homme qu'à se convaincre que, oui, elle pouvait avoir un semblant de vie sociale, même pour une soirée seulement. Alexander n'était que ça, au départ. Il n'avait été qu'un choix parmi tous ses patients - mais peut-être avait-il été inconsciemment son choix pour bien d'autres raisons ? Elizabeth s'était tellement fermée à tout ce qu'elle ressentait, à ses propres émotions, qu'elle ne pouvait rien affirmer, finalement, sur les raisons de son choix. Et s'il n'avait été qu'un choix, au départ, il était désormais bien plus. Peu à peu - et si rapidement en même temps - il avait réussi à faire qu'elle lui ouvre son coeur. Il avait su la rassurer et lui faire comprendre qu'elle avait le droit d'être libre et heureuse, à ses côtés. Peu à peu, toutes les limites et les barrières qu'Elizabeth s'était imposées étaient tombées. Une à une, il l'avait débarrassée de ses entraves. Elizabeth n'était pas du genre à croire au conte de fées et elle n'était pas complètement stupide, cet état de plénitude disparaîtrait bien vite et la réalité la frapperait à nouveau, mais cela ne changerait rien à la présence d'Alexander à ses côtés. Il avait pu passer de l'autre côté des limites qu'Elizabeth s'était imposée et c'était tout ce qui comptait pour elle à cet instant, qu'importe la réalité.

Parce qu'elle était en train de vivre un rêve éveillé et parce qu'elle était plus heureuse que jamais, elle ne pouvait croire qu'il était toujours mauvais de forcer l'autre à voir au-delà de ce qu'il croyait être possible, quitte à le pousser un peu dans ses retranchements. Après tout, si Alexander ne s'était pas montré si insistant, il ne se serait rien passé. Elizabeth l'aurait poussé à sortir de sa vie, rien de plus. La jeune femme s'était sentie incapable d'aimer à nouveau après avoir perdu Gideon, parce qu'elle ne voulait plus ressentir une telle douleur, parce qu'elle ne voulait plus trahir personne ou mettre qui que ce soit en danger. Elle s'était toujours sentie incapable de parler de ce passé qui la hantait encore aujourd'hui par crainte d'être jugée et détestée. Alors, aurait-elle pu imaginer un seul instant qu'elle finirait par vivre aux côtés de quelqu'un ? Certainement pas. Et pourtant, ils en étaient là. Alexander avait réussi là où elle n'imaginait personne réussir parce qu'il avait su gagner son coeur avant même qu'elle n'en prenne conscience.

Respecter l'autre était essentiel, bien sûr, mais le pousser dans ses retranchements avait parfois du bon. Il fallait simplement connaître les limites acceptables pour chacun - même si c'était une chose compliquée quand ces fameuses limites acceptables se révélaient être, en réalité, des limites agréables à franchir. C'était précisément de cela qu'Elizabeth avait le plus peur, de ne pas être capable de reconnaître les limites d'Alexander et de toujours en attendre plus de lui, bien plus qu'il ne pouvait lui donner. « Je te le ferai savoir, même si j'ai l'impression qu'à tes côtés, il n'y a plus aucune limite que je ne saurais franchir. » Parce qu'avec lui elle se sentait presque indestructible et, surtout, capable de tout, elle ne l'imaginait pas la pousser suffisamment loin pour atteindre des frontières impossibles à franchir, mais si cela devait être le cas, elle saurait lui faire entendre.

Si les limites les plus importantes d'Elizabeth semblaient avoir été dépassées à l'instant où elle avait accepté de faire une place à Alexander dans sa vie, il était désormais question de comprendre celles de ce dernier. Elizabeth en avait besoin pour éviter de tout gâcher. Elle avait tellement peur de tout gâcher. Tellement peur de ne pas se rendre compte qu'elle allait trop loin et qu'elle entrait dans une zone où elle ne pourrait plus jamais faire marche arrière. Sa première réponse la faisait sourire. En sa compagnie, face à son caractère parfois trop exigeant, il se découvrirait certainement bien vite des limites, malgré ce qu'il essayait de lui faire croire. Ses précisions semblaient déjà un peu plus proches de la réalité. Avant même qu'il n'existe quoi que ce soit entre eux, Elizabeth avait compris que les convictions d'Alexander étaient ce qu'il y avait de plus important à ses yeux - et c'était l'une des choses qui lui plaisait le plus, chez lui.

Pourtant, lui aussi, d'une certaine façon, avait déjà dépassé la plus importante de toutes ses limites. Enfin, en partie. Il avait accepté de faire céder cette barrière parce qu'il l'aimait. S'il avait su avant d'éprouver quoi que ce soit pour elle, il n'aurait jamais pu l'aimer. Alors, les choses étaient quelque peu différentes, malgré tout. « Tu m'as aimée avant de savoir les limites que cela t'obligerait à franchir... » Autrement, il l'aurait certainement repoussée et sortie de sa vie. Il avait vu la femme avant de voir la reine ou le passé - mais elle se plaisait à croire qu'il aurait su aller au-delà, malgré tout, même si elle n'y croyait pas. « mais que tu m'acceptes malgré tout, c'était bien au-delà de toutes mes espérances. » Lorsqu'elle s'était attachée à lui, elle connaissait déjà sa haine de la monarchie depuis longtemps et elle s'était persuadée qu'il la haïrait et qu'il la sortirait de sa vie à l'instant où il l'apprendrait. Alors, elle avait tenté de profiter de sa présence autant que possible avant que cela n'arrive.

« Ou alors que nous sommes deux inconscients, complètement fous d'espérer que nos différences ne seront pas un frein à notre relation. » Souffla-t-elle, un sourire se dessinant aux coins de ses lèvres, malgré la triste réalité qu'elle entrevoyait pour eux. C'était peut-être la seule preuve qu'ils avaient obtenue en se destinant l'un à l'autre, en faisant tomber des barrières qui étaient peut-être en place pour de bonnes raisons. Ils étaient faits pour être ensemble parce qu'ils étaient inconscients, bornés, imprudents et déraisonnables, mais qu'en serait-il quand ils tomberont tous les deux de haut ? Et, en même temps, peut-être que cela n'arrivera jamais ? Peut-être qu'il avait raison et qu'ils étaient destinés l'un à l'autre malgré leurs différences ? « Il faut parfois savoir aller bien au-delà de ce que l'on croyait possible d'accepter, nous en sommes la preuve. » Confirma finalement Elizabeth, préférant s'imaginer qu'ils étaient faits pour être ensemble, comme Alexander le disait, et que rien ne pourrait détruire ça.