Je me souviens très peu de mon père. De ce qu’on m’a dit, il était forestier, et a disparu dans un immense incendie. On me l’a présenté en héros, je ne sais pas si c’est la vérité, mais j’ai envie d’y croire. J’étais tout jeune à l’époque. Une tribu amérindienne m’a recueillie, et c’est Big Bow qui s’est occupé de moi. Avec les années de recul, je n’ai pas vraiment de mal à le dire… Il a quelque peu remplacé la figure paternelle dont je manquais cruellement à cette époque. C’est lui d’ailleurs qui m’a appris tout ce que je sais. Mon arc, et comment tirer avec. Ma souplesse, un vrai cascadeur je suis maintenant. Il m’a appris à apprendre aussi, à toujours être en quête de vérité. A bidouiller, bricoler, améliorer. On a beaucoup à apprendre des anciennes cultures, qui prenaient le temps d’observer et d’apprendre. On ne peut pas dire que j’étais un enfant facile. Oh non.

Toujours allongé dans l’épais fauteuil de son psy, la voix de Roy tressauta légèrement avant de reprendre son monologue.

Ouais… Je n’étais pas un enfant facile à vivre. J’ai merdé, grave merdé. Quand j’avais un peu plus de dix ans, j’ai… Volé des bouteilles dans un magasin. C’est comme ça que mes travers ont débuté. Je n’arrivais plus à m’arrêter de boire. J’ai fini complètement ivre mort… A mon réveil, Big Bow qui avait tenté de me protéger, une fois de plus, s’était fait agresser par un flic. Cette pourriture l’a abattu. À la suite de cet incident, je me suis barré. J’ai couru, loin, le plus loin possible.

C’est comme ça que j’ai rencontré Oliver Queen. Le beau, le grand, l’impétueux Oliver Queen. Je lui avais volé son portefeuille, sans vraiment savoir de qui il s’agissait. Il l’avait su, par je ne sais quelle manière, et m’a rapidement retrouvé. Et plutôt que me foutre une rouste, il m’a pris sous son aile. Incroyable n’est-ce pas ? Aurevoir Roy Harper, bonjour Speedy ! Surnom ridicule que Green Arrow, alia Oliver, m’avait donné. A partir de là, j’ai enchainé les missions à ses côtés. J’étais son Robin, il était mon Batman, en quelque sorte. Je lui confectionnais ses meilleures flèches !

C’est comme cela d’ailleurs que j’ai intégrée la première équipe des Teens Titans, ou encore que j’aie pu rencontrer Green Lantern. Un vrai bonhomme celui-là, un mentor même. Et c’est aussi comme ça que les choses ont dérapées. Imaginez un peu. Je n’étais qu’un jeune adolescent, qui sortait quasiment toutes les nuits avec les meilleurs justiciers. Oui, oui, les meilleurs. Et le jour, je devais aller à l’école, au lycée, réussir mes exams, faire mes devoirs… Bref, un bordel. Je n’avais jamais le temps de dormir ! Il fallait toujours être à fond. Speedy fait ceci, Speedy fait cela.

Je tirais mon corps et mon mental vers le bas, si bien que j’ai commencé alors à consommer des substances… Pas jojo du tout. Et comme s’il était devin, à croire, Oliver s’en est rendu compte. Autant dire que je ne l’avais jamais vu dans une aussi grande colère. L’ire de Papounet Queen était incontrôlable. Littéralement, il me chassa. Il ne voulait plus travailler avec moi, je n’étais plus Speedy… Et c’est au même moment que mon addiction à l’héroïne débuta. Cette saleté… Je venais d’apprendre que Jason était mort. Sacré Jason… J’avoue que je ne l’avais pas vu venir, et que ça m’avait quelque peu déstabilisé.

J’ai eu envie de mourir moi aussi, je venais de tout perdre, vous savez ? J’étais prêt à tout pour sauter. J’ai même affronté ce fou-furieux de Killer Croc. La bestiole verdâtre là, le crocodile dopé aux stéroïdes. Bref… Pas besoin de vous dire qu’il s’en est rendu compte et a très bien compris le problème. Il m’a sevré, depuis je suis clean, grâce à lui. Un vrai bonhomme lui aussi.

Bref, j’ai pu continuer ma vie de justicier du coup. Bonjour Arsenal, mon nouveau surnom. Trop la classe n’est-ce pas ? Rien à voir avec l’équipe de foot en revanche, je n’aime pas ce sport. Bref. Qu’est-ce que je disais déjà ? Ah oui, Arsenal. J’ai eu une fille avec une assassin. Ouais, j’ai peut-être des goûts douteux en matière de femme. Allez savoir. Ma fille, Lian, elle a un vrai tempérament. J’ai beaucoup de chance de l’avoir. Oh… J’allais oublier. Mon bras, oui je sais il a repoussé pendant la nuit.

Petit rire, un peu forcé.

J’ai perdu mon bras pendant une mission. Ce n’était pas beau à voir, vraiment.  On m’a mis une prothèse, mais je ne sais pas pourquoi, mon bras est redevenu comme avant quand j’ai débarqué dans cette ville… Enfin, pas trop vite. Je n’ai pas fini mon histoire.

Oliver Queen avait proposé de m’aider à m’en sortir avec mon addiction à la drogue. Mais j’avais refusé. Pourquoi ? Je dépendais trop de lui. Il fallait que je lui montre que j’ai bien appris, que je pouvais agir comme un adulte. Même le dépasser ! Je suis meilleur archer que lui, c’est certain. Pour le prouver, j’ai tout plaqué pour aller à Qurac, un petit pays gouverné par un dictateur au Moyen-Orient. J’ai formé une équipe, on s’appelait lron Rule. On lui a mit une belle branlée à ce dictateur. L’objectif était de faire le bien, de ne jamais quitter un endroit sans le rendre meilleur qu’à notre arrivée. Je pensais qu’on avait réussi, le peuple ayant été libéré. On s’était fait une pétée de thunasse d’ailleurs. Pour une fois que la justice est utile.

Bah, ce n’était pas assez d’argent pour mes coéquipiers visiblement. Pendant que je vadrouillais, ils ont essayé d’accaparer les richesses des pauvres habitants de Qurac. Et comme les habitants ont résisté, bah… Mes ex-collègues les ont massacrés. Une vraie boucherie. Je leur ai fait payer leur affront, en les tuant les uns après les autres. Je les ai zigouillés ces salopards. Une occasion pour l’armée du pays de me capturer. Ils pensaient que j’étais responsable de la mort de tout ses villageois. Alors que pas du tout ! Bref… Ils allaient m’exécuter quand Monsieur Jason Todd a débarqué sur son cheval blanc pour me sauver telle la princesse effrayée. Un alien l’accompagnait, Starfire. Sacrée bombasse. Des nichons à… Non, ce n’est pas le sujet, pardon.

Ça m’a fait énormément plaisir de le voir vivant. Bien que je ne sache pas comment ça a pu arriver. A nous trois, on a commencé des aventures épiques. Notre équipe parcourait le monde en quête de justice à répandre. On faisait un beau trio. Beaucoup de sang coulait, mais c’était cool quand même.

Il fit une pause, assez courte mais suffisante pour qu’on la remarque.

C’est là que tout parti en couille à nouveau. Allez savoir comment j’ai atterri ici. La veille, on faisait les fous, le lendemain, paf… J’étais au milieu d’un parc dans cette ville à errer comme un débile. Ma prothèse avait été remplacée de nouveau par mon bras, et j’avais cette affreuse migraine. Tout ne tournait pas rond, j’ai mis plusieurs semaines à m’en remettre. Je ne connaissais plus personne, ni rien. Comme si je venais de « naître » à nouveau. Une histoire similaire à beaucoup d’autres gens, je vous l’accorde. Vous devez souvent l’entendre… Permettez-moi donc de zapper ce moment. Trop barbant. Je n’étais pas bien, ouin, ouin, ouin. Sortez les mouchoirs.

Pendant un temps, j’ai cherché à retrouver Starfire et Jason. Mais, c’était peine perdue. Tout bouge tout le temps ici. Une rue ne ressemblera pas à la même quelques jours plus tard. Et on ne peut pas dire que la ville soit minuscule. C’est infini ! Un vrai labyrinthe. Je devais me rendre à l’évidence que je n’y pourrais rien, alors j’ai tenté à refaire ma vie. Encore. Ça devenait lassant.

Vu que j’étais un pro de la bidouille, et que je confectionnais pleins de gadgets, c’est inévitablement que je me suis lancé dans le métier d’ingénieur électronique. Donnez-moi un tournevis, quelques babioles, et je vous fabrique un grappin dans la mort en quelques minutes. C’est ça, le talent, et ouais mon gars.

Il faut reconnaitre que la vie Métro, Boulot, Dodo, ce n’est pas du tout mon fort. J’avais ce besoin constant de bouger. Le sport n’a pas suffi à me canaliser. Mes anciennes pulsions revenaient sans cesse. Quand je vois qu’ici non plus, les humains ne sont pas plus gentils qu’ailleurs, je ne pouvais pas rester sans réagir. Très vite, j’ai repris mes activités « nocturnes », à parcourir les rues pour faire régner l’ordre et la justice. Les flics font du bon boulot, mais disons-le franchement, ils sont dépassés. Enfin voilà quoi, je me retrouve encore à enchainer entre deux masques différents. Cette fois, c’est plus facile, j’ai plus besoin de me préoccuper des devoirs à la maison.

BREF ! J’ai fini, j’arrête de parler. A votre tour, Docteur. Docteur… ?

Roy se redressa sur le fauteuil, en direction du psy, intrigué par le fait qu’il ne répondait pas…