Bien sûr qu'Elizabeth aurait aimé avoir Alexander à ses côtés, prêt à tout affronter avec elle, prêt à la faire passer avant n'importe quoi, prêt à se battre pour elle, prêt à accepter ses pires côtés. Bien sûr qu'Elizabeth aurait aimé lui dire toute la vérité dès les premiers instants et qu'elle n'avait jamais voulu de cette situation, de l'ampleur qu'elle était en train de prendre et, bien sûr, jamais Elizabeth n'avait souhaité faire d'Alexander son prisonnier, condamné à rester enfermé pour se protéger de lui. Pourtant, avait-elle réellement le choix ? Pouvait-elle réellement se permettre de le libérer, de le croire sur parole, de lui faire confiance ? Ne serait-ce pas faire preuve d'aveuglément ? Ne serait-ce pas parfaitement stupide de libérer celui qui pouvait se révéler être son pire adversaire simplement par amour pour lui ? Bien sûr que ce le serait.

Elizabeth avait besoin qu'il accepte l'impossible pour elle. Elle avait besoin qu'il se condamne lui-même, quelque part, en acceptant son sort. Les choses pouvaient changer très vite - du bon comme du mauvais côté. A chaque instant, Elizabeth pouvait récupérer cette ville, mais, à chaque instant, Elizabeth pouvait se faire rattraper par ses ennemis. Les conséquences seraient désastreuses, évidemment - voire mortelles - et elle refusait de voir Alexander être mêlé à ça. C'était - entre autres raisons - une des raisons qui avaient poussé Elizabeth à garder le silence. Du moment où il ne savait rien, il n'était coupable de rien et il ne pouvait rien lui arriver, selon elle - ou parce qu'elle préférait fermer les yeux sur la réalité. Mais Alexander, comme il le lui avait très clairement fait comprendre, pouvait se révéler être le véritablement ennemi d'Elizabeth et elle ne voulait pas être contrainte à prendre les pires décisions pour s'en protéger. En le gardant ici, enfermé, elle se protégeait autant qu'elle le protégeait, d'elle-même et de lui-même. Alors, Elizabeth cherchait à le rassurer et à lui faire comprendre que ce n'était pas une question de choix. Il fallait qu'il cède. « Je l'ignore. » Des semaines, des mois. Comment pouvait-elle savoir le temps que cela prendrait avant qu'il ne puisse sortir ? Elle ferait au plus vite pour ne pas le condamner éternellement, bien sûr, mais elle n'était pas maîtresse de tout et elle ne pouvait pas tout contrôler de cette situation.

Bêtement, elle tentait de lui rendre la situation moins terrible, plus gérable, en lui promettant de l'installer dans un endroit confortable - l'éloignant au passage de ceux qui auraient pu lui venir en aide, bien sûr - comme une preuve de son amour pour lui. Evidemment, la réaction d'Alexander était légitime - bien qu'elle agaçait profondément Elizabeth. « Tu préfères que je te laisse pourrir dans ce genre d'endroit ? » Son ton était plus froid, mais elle tentait de garder son calme qu'elle ne voulait plus perdre pour ne pas envenimer des choses déjà bien compliquées.

Alexander insistait, naturellement. Il ne comprenait pas pourquoi elle n'avait pas le choix - c'était pourtant évident, non, après les menaces qu'il avait proférées ? « Alors que proposes-tu ? » Souffla-t-elle, en baissant les yeux, consciente qu'elle risquait de le détruire en le gardant enfermé - et ce n'était pas ce qu'elle voulait. Elle était déterminée à s'en protéger, mais elle l'aimait tant qu'elle ne voulait pas lui faire de mal et que, face à son insistance, elle se sentait céder peu à peu - mais il ne l'aurait pas sans rien, c'était une certitude. « Jure-moi ta loyauté, mais rien ne t'empêchera de me trahir. » Malheureusement. « Prouve-moi que tu ne mens pas, prouve-moi que tu m'as véritablement choisie... » Souffla-t-elle alors en relevant les yeux. Elle et ses idées, elle et ses désirs de pouvoir. « Fais quelque chose qui me prouvera définitivement de quel côté tu es. » Elle voulait le forcer à perdre ses soutiens et à commettre l'irréparable pour qu'il ne puisse plus jamais revenir en arrière. Elle refusait qu'il se mette en danger, oui, mais, comme d'habitude, même ce besoin de le garder en sécurité avait une limite. « Si tu acceptes, tu sortiras. » Promettait-elle, la voix moins assurée qu'elle ne l'aurait voulu, à cause de la peur que cette promesse faisait naître en elle. Elle était faible et elle avait conscience du danger qu'elle se faisait courir à elle-même, mais elle voulait essayer de lui faire confiance de nouveau - après tout, n'était-ce pas lui qui lui avait appris à faire confiance ? « Mais si tu me mens, tu me le payeras, Alexander. J'ai beau t'aimer comme je n'ai jamais aimé personne, je ne te laisserai pas te moquer de moi. » Elle aurait aimé le menacer avec plus d'assurance, mais elle n'y arrivait pas et, pourtant, elle voulait y croire elle-même. Elle voulait croire qu'elle ne le laisserait pas se moquer d'elle sans réagir. Néanmoins, sa menace tenait davantage de la détresse et de la peur qu'autre chose. « Tiens tes promesses, celles que tu m'as faites depuis le premier jour, prouve-moi de quoi tu es capable pour moi. » souffla-t-elle, laissant paraître davantage de son désespoir face à cette situation désespérée - c'était une forme de manipulation, peut-être, mais une forme de manipulation qu'elle jugeait nécessaire et qui avait un fond sincère. Si elle n'était pas capable de résister à sa détresse, peut-être en serait-il de même pour lui, maintenant que le plus gros de la colère semblait être passé ?

Elizabeth essayait de faire au mieux dans une situation bien trop compliquée. Le libérer, c'était se mettre en danger. Le garder enfermé, c'était prendre le risque de le perdre. Alors, elle essayait de trouver une sorte d'entre-deux. Elle essayait de lui rendre la situation plus douce, plus agréable, plus supportable, mais tout en le gardant prisonnier afin qu'il ne représente aucun danger pour elle - même s'il représenterait toujours un danger pour elle. Il y avait d'autres raisons à tout cela évidemment : le priver de tout contact, faire en sorte qu'il accepte l'inacceptable pour elle, lui prouver qu'elle l'aimait malgré tout. Alexander ne voyait pas les choses de cette façon - et comment lui en vouloir ? - ce qui agaçait profondément la jeune femme. « Je veux te rendre les choses moins difficiles, mais rien ne m'y oblige. » Elle n'avait aucune obligation - si ce n'était celles qu'elle s'imposait par amour pour lui. « Cette situation ne me plaît pas plus qu'à toi, mais si tu veux jouer à ce jeu, je te laisserai ici. » Cela ne lui plaisait pas, mais elle ne le supplierait pas d'accepter ce qu'elle considérait comme des faveurs. S'il préférait être traité comme n'importe quel ennemi politique, il en serait ainsi - et elle espérait bien que cela le ferait réfléchir davantage à la situation.

Elizabeth avait peur. De lui, de ce qu'il était capable de faire pour défendre ses idées, de ce qu'elle était capable de faire pour lui, d'à quel point elle pouvait céder pour lui. Elle avait beau le menacer des pires choses, elle avait beau lui hurler dessus, elle avait beau vouloir détruire une partie de ce qu'il était - ou voulait être - elle ne pouvait s'empêcher de vouloir lui donner le monde, de vouloir le rendre heureux. Elizabeth était faible face à lui et elle avait besoin de lui. Elle était incapable de vivre sans lui, incapable de dire adieu à cette relation malgré la tournure que les choses prenaient. Elle l'aimait bien au-delà de la raison. Elle l'aimait au point où cet amour la rendait plus dangereuse qu'autre chose parce qu'elle ne supportait pas de le perdre ou de le voir s'éloigner. Il lui avait promis qu'il était à elle, qu'il la choisissait, mais devait-elle le croire aveuglément ? Que la première chose qu'il lui demande après lui avoir promis était de sortir la faisait douter. Qu'il refuse de croire qu'elle n'avait pas le choix, également. Elle avait besoin de preuves, une fois encore, pour se rassurer.

Il semblait prêt à lui donner, même si, cette fois-ci, il en exigeait en retour. Il doutait comme elle doutait. Il l'aimait comme elle l'aimait. Il avait perdu confiance comme elle avait perdu confiance. Ils étaient tous les deux sur leurs gardes. Ils étaient tous les deux en train d'essayer de sauver ce qui ne l'était peut-être plus. Alexander attendait alors de savoir ce qu'elle voulait de lui. Il évoquait Mary. Cette seule évocation l'agaçait profondément, mais elle ne disait rien - les traits de son visage en disaient suffisamment long, c'était certain. « Très bien. » Soupira Elizabeth. Puisqu'il fallait obligatoirement passer par cette étape de négociations des conditions, elle l'acceptait - elle n'avait pas le choix, de toute façon. Le plus simple aurait été de le laisser ici, de le garder enfermé, sans se soucier de son avis ou de son état, mais elle le perdrait à jamais si elle agissait ainsi - et elle le refusait plus que tout autre chose de le perdre.

Elle était donc prête à le laisser partir, à lui rendre sa liberté, s'il lui prouvait sa dévotion et sa loyauté. Les mots, cette fois-ci, ne suffiraient pas. Il devait lui donner la preuve qu'il n'aurait aucun moyen de revenir en arrière. « Quelles preuves veux-tu ? » Cette situation ressemblait davantage à des négociations en vue de signer un traité qu'à une situation liée à une relation amoureuse, mais ils en étaient là, désormais. Sans lui laisser le temps de répondre, Elizabeth avait repris : « Je te demande deux choses. » Deux preuves, mais pas des moindres, elle en avait conscience, mais n'était-ce pas lui qui voulait qu'elle lui demande l'impossible ? « Tu ne vas nulle part sans que quelqu'un en qui j'ai confiance ne t'accompagne. Une simple précaution si jamais il te prenait l'envie de te trouver des alliées pour me nuire. » Libre, mais surveillé, en d'autres termes. Elle refusait qu'il puisse se déplacer librement et elle voulait qu'il soit accompagné en permanence par une personne de confiance - même si c'était en lui qu'elle aurait dû avoir le plus confiance, normalement.

« La deuxième chose concerne Mary, en effet. » Cette garce qu'il avait osé défendre devant elle, un peu plus tôt, et qu'elle se ferait un plaisir de détruire après tant d'années à se retrouver soumise à ses caprices de vengeance ridicules alors qu'Elizabeth ne représentait plus la moindre menace - et plus encore maintenant qu'Alexander l'avait défendue, ce qui la rendait folle de rage. « Tu refuses de renoncer à ta liberté ? Alors, prends-lui la sienne. Echange ta place contre la sienne. Enferme-la. » Elle aurait pu le demander à n'importe qui, mais lui demander à lui, c'était lui prouver de quoi il était capable pour elle. « Fais-la parler. Je veux le nom de chaque homme qu'elle a utilisé contre moi depuis que nous sommes ici. Je veux le nom de chacun de ses alliés. Je veux tout savoir de ce qu'elle prévoyait. Je veux qu'elle reconnaisse ce qu'elle m'a fait. » Elizabeth avait commis quelque chose de terrible dans leur univers, mais elle n'avait fait que répondre à des attaques antérieures. Elles en étaient autant responsables l'une que l'autre. Elles s'étaient battues et Mary avait perdu - si Elizabeth avait été dans la situation de Mary, cette dernière aurait fait très précisément les mêmes choix. Pour lui faire payer, elle l'avait attaquée et lui avait refusé sa vie, lui avait refusé la paix. « Peut-être que tu cesseras de la défendre si tu l'entends de sa bouche. » Cracha-t-elle, pleine d'amertume et de colère.

« Et lorsque tu auras obtenu ce que je souhaite, tu pourras en faire ce que tu veux. La tuer ou l'enfermer, peu m'importe. » Avec défi, Elizabeth planta son regard dans celui d'Alexander. « Prouve-moi que tu es capable de tout pour moi, que tu peux réaliser l'impossible et que je suis plus importante que tout le reste et je te donnerai toutes les preuves que tu veux pour que tu n'aies plus jamais à douter de moi, de ce que je veux ou de ce que je ressens pour toi. » Il lui donnait ce qu'elle voulait, elle lui donnait ce qu'il voulait, c'était aussi simple que ça.

« Tu ferais mieux de ne pas l'oublier, alors. » En effet, cette situation n'avait rien d'un jeu - ou c'était le genre de jeu auquel il ne faisait pas bon de perdre. Et, aux yeux d'Elizabeth, Alexander avait plutôt tout intérêt à le réaliser pleinement et à vraiment le comprendre. Ils n'étaient pas en train de jouer et les conséquences sur leur vie, sur leur couple, sur cette ville seraient bel et bien réelles. Des conséquences importantes, déterminantes, qu'il était préférable d'avoir à l'esprit à chaque fois qu'ils prenaient une décision ou à chaque fois qu'ils ouvraient la bouche pour parler. Parce qu'ils n'étaient pas en train de jouer, les conséquences pouvaient être désastreuses et tout détruire - mais n'était-ce pas déjà ce qui était en train d'arriver ?

Alors non, ce n'était pas un jeu. La situation était très sérieuse. La situation était désespérée. La situation était critique. Ils se réclamaient des preuves. Ils avaient besoin de preuves. De preuves pour se faire confiance, de preuves pour vérifier s'ils s'aimaient, de preuves pour savoir jusqu'où ils seraient prêts à aller l'un pour l'autre. Ils en étaient donc là ? A négocier, à se donner des conditions. Pouvaient-ils encore espérer s'aimer comme avant avec tout ça ? Elizabeth le voulait plus que tout autre chose. Elle voulait qu'Alexander puisse se ranger entièrement de son côté, sans condition. Elle voulait qu'Alexander puisse continuer à l'aimer comme avant qu'il n'apprenne toute cette histoire. Le temps le permettra peut-être - elle se raccrochait à cette idée, tout du moins, parce qu'elle en avait besoin, même si une partie d'elle, plus rationnelle, connaissait parfaitement la réalité.

Avant de lui laisser le temps de lui donner les preuves qu'il exigeait d'elle, Elizabeth avait donné ses propres conditions. Il devait accepter d'être suivi - surveillé - à chaque instant et il devait obtenir de Mary tout ce qu'elle avait besoin d'entendre. S'il lui montrait qu'il était prêt à tout pour elle, alors peut-être qu'elle serait capable de lui faire confiance à nouveau ? Peut-être qu'elle serait capable d'oublier ses menaces et les mots difficiles qu'il avait pu avoir pour elle ? Peut-être.

Alexander avait accepté la première condition sans trop de difficulté, ajoutant néanmoins qu'il ne savait pas à qui elle se sentait capable de confier une telle tâche, elle qui ne savait pas accorder sa confiance. Il y avait une confiance en laquelle elle avait presque toute confiance, elle-même. De celle qui ne nécessitait pas de compter uniquement sur la parole de quelqu'un, sur les sentiments ou sur la loyauté. « Il y a des moyens d'obtenir la plus absolue des loyautés de quelqu'un. Des moyens qui me permettent d'avoir confiance. Pas en leur dévouement envers moi, non, mais en la peur de ce qu'ils risquent s'ils ne suivent pas mes ordres. » Ses méthodes déplairaient, sans le moindre doute, à Alexander, alors elle ne les évoquait pas clairement, mais il était évident qu'il avait compris qu'elle usait de menaces sur ces hommes afin de se faire obéir. La protection de sa famille était souvent la plus efficace de toutes les motivations. Ce n'était pas toujours efficace, certains y voyaient justement une raison de se révolter, mais la plupart craignait trop les représailles pour oser se rebeller. « Je n'accorde à personne une confiance comme celle que je t'ai accordée, à tort, alors il me faut bien trouver des solutions. » Ne put-elle s'empêcher d'ajouter, pour insister sur cette confiance disparue. Elle l'avait trahi la première, oui, elle s'était servie de ses sentiments et de sa place dans cette ville. Peut-être, oui. Néanmoins, jamais elle ne l'avait imaginé capable de tout ce qu'il lui avait dit et, tout comme lui, elle s'était sentie trahie - elle l'avait bien cherché, cela dit, mais elle ne pensait qu'à ce qu'elle ressentait à cet instant, pas à ce qui l'avait provoqué.

Elizabeth avait conscience que la deuxième condition, la deuxième preuve, était la plus difficile. La première le privait de sa liberté. La seconde avait pour but de faire de lui ce qu'il n'était pas, de le condamner à se condamner afin que jamais plus il ne puisse revenir en arrière. Pourtant, il acceptait. Elizabeth n'était pas complètement stupide. Malgré ses promesses, elle restait sur ses gardes et s'imaginait qu'il devait se cacher quelque chose derrière cette condition acceptée trop facilement - mais une part d'elle voulait croire aussi qu'il le faisait pour elle, pour lui prouver qu'il était prêt à tout.

Si Alexander était prêt à exécuter la demande d'Elizabeth, il refusait d'entendre sa réflexion à propos de la prétendue défense qu'il apportait à Mary. « Tu l'as toujours protégée. » Répliqua-t-elle avec colère, en articulant chacun de ses mots avec rage, sans pour autant crier. « Tu aurais pu - non, tu aurais dû - t'occuper d'elle depuis longtemps, mais tu n'as jamais tenu ta promesse. Tu veux la protéger. Tu crois qu'elle vaut mieux que moi, que je suis la seule responsable de tout ce qui m'arrive et qu'elle n'est qu'une pauvre victime. » Il l'avait sous-entendu - en partie, du moins - au début de cette conversation et elle avait déduit, par elle-même, que puisqu'il ne lui avait jamais offert les armes qu'elle avait réclamées pour se battre contre Mary, il avait toujours pris son parti, en réalité. Alors, faire de Mary la preuve de leur amour, la preuve de ce qu'il était capable de réaliser pour elle, c'était certainement ce qu'il pouvait faire de mieux pour la rassurer. « Tu as besoin de l'entendre elle pour savoir ce que tu attends de moi ? » Ajouta-t-elle, ne pouvant retenir le rire amer qui accompagnait ses mots, soufflés avec agacement.

« N'oublie pas qu'elle a été ce que tu détestes, comme moi, qu'elle a commis les mêmes crimes que moi, qu'elle s'est rendue responsable de tout ce que tu combats, comme moi. Tu sais parfaitement qu'elle tentera de te convaincre du monstre que je suis, mais n'oublie pas qu'elle n'est pas plus innocente que moi. » Elle craignait très sincèrement ce que Mary pouvait raconter et à quel point elle était capable de convaincre Alexander, maintenant qu'il y avait de la colère entre eux, maintenant que quelque chose s'était brisé entre eux. Elle craignait bien trop qu'il ne se laisse avoir par les belles paroles de Mary et qu'il ne finisse, finalement, par la trahir. 

Elizabeth n'avait jamais imaginé que les choses se dérouleraient ainsi. Elle s'était imaginé de nombreux scénarios, mais aucun ne tournait autant en sa défaveur. Aucun ne les conduisait à se détruire ainsi. Face à cette situation qui était en train de lui échapper, la jeune femme perdait complètement pied. Elle menaçait, elle se contredisait, elle agissait comme elle ne voulait plus le faire, elle laissait ses pires craintes refaire surface. Elle était la pire version d'elle-même : la plus désespérée, la plus menaçante, la plus dangereuse.

Ils s'étaient déçus tous les deux. Ils s'étaient accordé une confiance si forte, que la chute était plus que douloureuse. Ils devaient faire face à leurs propres limites, à leurs propres erreurs. Elle n'avait plus confiance en lui comme il n'avait plus confiance en elle. Il était difficile de se rendre compte que l'on s'était finalement trompé l'un sur l'autre, sur la personne qui comptait le plus à vos yeux. Cette confiance, pourtant, Elizabeth voulait la voir renaître. Elle en avait besoin parce que sans elle, elle ne se sentirait plus jamais en sécurité auprès d'Alexander et il était inconcevable qu'elle le perde. Alors, pour elle, il devait réaliser l'impossible. Lui prouver qu'il tenait à elle plus que tout. Les mots et les promesses ne suffiraient pas cette fois-ci. Non, cette fois-ci, elle voulait des preuves. Des actes qui ne lui permettraient pas de revenir en arrière.

Comme bien trop souvent, Mary était au coeur de la situation. Ils se disputaient pour elle, à cause d'elle, à cause de ce qu'elle représentait. Mary devait alors être au centre de leur réconciliation. Mary devait devenir la preuve de l'amour indéfectible qu'Alexander lui portait. Elle en deviendrait le symbole. Evidemment, face aux accusations d'Elizabeth, Alexander tentait de se défendre en jurant que jamais il n'avait essayé de la protéger. L'esprit d'Elizabeth refusait d'y croire, persuadée, quelque part, qu'il finirait par prendre le parti de Mary comme d'autres l'avaient fait avant lui. La peur lui faisait croire n'importe quoi. Alors, lorsqu'il affirmait qu'il aurait étouffé n'importe quelle menace venant de Mary, Elizabeth avait relevé les yeux vers lui, terriblement agacée. « La moindre menace qu'elle aurait pu représenter pour moi ? » Répétait-elle, ne pouvant retenir son rire amer. « Tu te moques de moi, n'est-ce pas ? Elle a toujours représenté une menace pour moi. Elle m'a mise en danger tant de fois... » Elizabeth soupirait, baissant les yeux un instant. « Que tu ne veuilles pas prendre en compte notre passé, d'accord... » Acceptait-elle de comprendre. Alexander avait le droit de ne vouloir se concentrer que sur ce monde et oublier le précédent. « Mais depuis que nous sommes ici, elle me fait suivre, elle me menace, elle m'a empêchée de vivre pendant des années, en me privant de tout lien, de toute vie... » Non, il ne pouvait pas lui faire croire qu'elle ne représentait aucune menace quand Elizabeth n'était même pas libre de ses mouvements à cause d'elle. Comment pouvait-il accepter qu'Elizabeth vive ainsi ? Comment pouvait-il ne pas faire de Mary une menace ? « Il fallait donc qu'elle me tue pour que tu considères la menace qu'elle représentait pour moi ? Je méritais d'être libérée de ce qu'elle m'infligeait. » Elle ne criait pas. Il y avait un mélange de haine, de rage, de peine et de peur dans sa voix, mais elle ne criait pas, elle serrait les dents.

Elle ne comprenait pas comment il pouvait encore dire que Mary n'avait pas été une menace pour Elizabeth. Comment avait-il pu ne serait-ce qu'accepter qu'elle soit suivie et menacée en permanence sans réagir ? « Je ne lui voulais aucun mal, je voulais la laisser vivre sa vie tranquillement... Je voulais oublier notre passé. Alors, je méritais que tu me libères de sa menace. J'avais besoin que tu me protèges d'elle. Que tu me libères de mes peurs. » Sa voix était plus désespérée, elle haussait légèrement le ton, à mesure où elle perdait le contrôle, de nouveau, les yeux plein de larmes, la colère la dévorant de l'intérieur. Elle le rendait responsable parce qu'il lui avait promis tellement de choses qu'elle avait toujours attendu de lui qu'il la libère de ce problème - elle en était incapable elle-même, elle avait toujours refusé d'être la main qui prendrait la vie de sa cousine parce que de bien des façons, elle comprenait Mary et elle ne pouvait pas lui faire de mal elle-même.

Elizabeth avait conscience de son obsession pour Mary - il n'était pas le premier à lui dire - mais comment faire autrement quand Mary était omniprésente, là dans chaque détail de sa vie, comme une épée menaçant de s'abattre sur elle à chaque seconde ? Sans Mary, elle aurait pu être la femme qu'Alexander désirait. Sans Mary, elle aurait pu être libre et heureuse. Sans Mary, il n'y aurait plus eu aucune obsession. Il fallait parfois savoir faire un sacrifice pour être heureux et ce sacrifice aurait dû être Mary. « Si tu avais réglé ce problème, je n'aurais plus eu de raisons d'avoir si peur. Tu avais une chose à faire. Rien qu'une seule et tu aurais pu m'offrir plus que tu ne l'imagines, mais tu ne l'as pas fait. » Poursuivait-elle, dans un mélange de reproches et de déceptions. Elle aurait aimé voir les choses tourner autrement. Ce pouvoir qu'elle désirait tant, elle aurait pu l'obtenir autrement, avec le soutien de l'homme qu'elle aimait. Elle aurait pu éviter cette situation catastrophique. Mais elle supposait que Mary avait été une partie importante de sa décision.

Elizabeth était terrifiée. Terrifiée à l'idée que Mary puisse trouver les bons mots, les bons arguments pour éloigner définitivement Alexander d'elle. Il avait beau promettre qu'il la choisirait toujours, elle ne pouvait le croire. Non, ses peurs étaient plus fortes que sa confiance en lui - maintenant plus que jamais. Elle craignait de lui faire confiance et d'être blessée, détruite. « Alors prouve-le-moi, prouve-moi que je me trompe, prouve-moi que tu m'as toujours choisie et que tu me choisiras encore. » Suppliait-elle, désormais. « J'ai peur. Je suis terrifiée à l'idée de te perdre, à l'idée qu'elle puisse, un jour, m'atteindre et me tuer. Il ne se passe pas un jour sans que je ne me demande si elle n'a pas choisi ce jour pour mettre fin à ce jeu définitivement. Je suis terrifiée à l'idée qu'elle puisse trouver des arguments qui te feraient comprendre que tu dois t'éloigner de moi. Je suis terrifiée à l'idée qu'un jour tu puisses cesser de m'aimer. » Cette situation, à elle seule, devait déjà lui prouver qu'il devrait s'éloigner d'elle et cesser de l'aimer.

Ils n'arrivaient pas à garder leur calme très longtemps. Ils étaient tous les deux submergés, dépassés, par les émotions qui les envahissaient. Ils s'aimaient si fort et ils se détestaient presque autant de ce qu'ils s'infligeaient, de ce qu'ils supportaient l'un de l'autre que le flot des émotions contradictoires les empêchait de garder leur calme. La déception et la peine devaient être un frein à ce calme, également. Elizabeth avait vécu dans la peur depuis toujours. Il ne s'était pas passé un jour sans qu'elle ne doive se méfier, se protéger, se défendre. Avec Alexander à ses côtés, ses peurs s'étaient apaisées - au début, du moins - mais elles n'avaient jamais disparu. Elle avait goûté à quelque chose de nouveau, d'agréable, un sentiment de sécurité. Ce sentiment était trompeur, lorsque la menace rodait toujours. Pour être pleinement et véritablement en sécurité, il fallait supprimer les menaces avant qu'elles ne vous suppriment.

Elizabeth entendait les mots d'Alexander et elle sentait qu'il était sincère. Oui, il avait voulu lui offrir une vie dans laquelle elle aurait pu être heureuse et libre, une vie où elle aurait été libre d'être la femme qu'elle désirait être... Mais il n'avait jamais su supprimer ce qui l'empêchait de se réaliser pleinement, de se libérer pleinement : Mary. Prendre ses menaces au sérieux - et même de ça, elle doutait désormais - était-ce suffisant ? Bien sûr que non. Les menaces n'étaient pas toujours prévisibles. Les menaces s'abattaient parfois sur nous sans que rien n'ait pu être prévu au préalable. Alexander était sûr de lui, persuadé de ses capacités et de son pouvoir, mais il ne pouvait pas la protéger en toute circonstance de n'importe quel danger. Le croire, c'était la mettre inutilement en danger, par excès de confiance. Elle ne répondait rien, il insistait, en assurant qu'il ne lui aurait jamais laissé l'occasion de la détruire ou de la tuer. « Tu ne peux pas prévenir toutes ses attaques. Ne pas agir, c'était prendre un risque inconsidéré et inutile. Et au nom de quoi ? De ta morale ? De tes convictions ? Sont-elles plus importantes que ma vie pour que tu te permettes de jouer avec elle ? » Ne pas tuer parce qu'elle n'avait pas attaqué violemment, c'était un risque qu'il avait été capable de prendre. Elle attendait de lui l'impensable, elle attendait de lui qu'il la protège comme personne, qu'il sacrifie ce qu'il fallait sacrifier pour protéger sa vie, comme elle était prête à sacrifier tout et n'importe quoi pour lui, pour le protéger. Mais il ne l'avait pas fait.

« Je me sentais protégée, au début. » Souffla-t-elle finalement, en retrouvant toute la douceur dont elle était capable avec lui, parce qu'elle refusait qu'il s'imagine qu'elle n'avait pas été heureuse ou qu'il n'avait jamais rien réussi à faire pour elle. « Ce n'était pas suffisant. » Alors, peut-être aurait-elle dû régler le problème elle-même ? Attaquer et tuer Mary pour être enfin libre d'être pleinement heureuse avec Alexander ? Peut-être que c'était ça, en réalité le problème. Peut-être qu'elle n'avait pas été capable de faire ce qu'il fallait faire et qu'elle se le reprochait, sans l'assumer ? « Ce n'est pas ce que j'ai dit. Je sais ce que tu m'as apporté et ce que tu m'as offert. » Affirma-t-elle aussitôt ses mots prononcés. Il était hors de question qu'elle le laisse détourner ses mots. Elle ne reniait rien de ce qu'il avait fait pour elle, elle jugeait simplement ce qu'il n'avait pas fait, malgré ses promesses. « Je voulais simplement avoir le droit de vivre sans la menace que Mary représentait pour nous. Je voulais simplement être libre, je voulais que tout s'arrête. » Être suivie, menacée, surveillée en permanence, elle n'en pouvait plus. Elle avait simplement voulu supprimer une menace pour être véritablement libre et pour goûter au bonheur sans crainte qu'on ne le lui reprenne. Et elle jugeait que c'était ce qu'il aurait dû vouloir lui offrir, à n'importe quel prix.

Alexander lui assurait alors qu'il ne pouvait cesser de l'aimer. Même après tout ce qu'il lui avait dit ? Après tout ce qu'elle lui avait fait ? Pouvait-elle encore le croire aveuglément ? Sans se méfier ? Incapable de trouver une réponse ou de calmer ses pires craintes, Elizabeth ne répondait rien. A la place, elle le laissait reprendre et elle l'écoutait lui assurer qu'il lui apporterait les preuves qu'elle exigeait. La jeune femme resta silencieuse un certain temps, avant de déglutir difficilement, elle sentait la nervosité l'envahir. Elle était terrifiée à l'idée de prononcer les mots qu'elle allait prononcer, terrifiée à l'idée qu'il puisse s'agir de la pire erreur de toute sa vie et terrifiée à l'idée que rien ne puisse plus jamais être comme avant entre eux. « Alors, tu es libre. » C'était bien ça, la promesse, après tout. Il lui livrait tous les secrets de Mary et elle acceptait de le libérer. Pour qu'il puisse tenir sa part du contrat, elle devait donc tenir la sienne, malgré toutes ses craintes et ses réticences à le voir quitter cette pièce et à le voir s'éloigner d'elle.

« Prétendre connaître les intentions de Mary mieux que moi, prétendre qu'elle était inoffensive alors que je t'assurais le contraire et décider qu'elle n'avait pas besoin de mourir pour que je sois en sécurité, c'était jouer avec ma vie. » Insistait-elle, sans doute inutilement, même s'il ne voulait pas l'entendre continuer à dire ce qu'elle considérait être une vérité. Il n'avait vu aucune menace en Mary, mais en avait-il vu une en Elizabeth ? S'il s'était trompé pour la seconde, pourquoi ne pouvait-il pas admettre s'être trompé pour la première ?

Éliminer Mary, en réalité, n'aurait peut-être rien changé aux problèmes d'Elizabeth. Sa peur était si ancrée en elle qu'elle aurait toujours trouvé une menace à craindre, même sans sa cousine, mais sans doute se serait-elle sentie soulagée, sans la menace constante qu'elle représentait et sans la pression constante qu'elle lui infligeait en lui rappelant sa présence à chaque instant. Au tout début, elle avait cru être capable de se détacher de tout ça. Elle avait cru qu'aux côtés d'Alexander, elle se sentirait libre et heureuse, en sécurité, loin de tous les dangers de ce monde. Elle y avait cru un certain temps. Puis, peu à peu, ses craintes étaient revenues, plus fortes, jusqu'à effacer presque complètement la protection qu'elle croyait avoir d'Alexander. Alors, pour se protéger et pour le protéger, elle avait agi. Ce n'était pas plaisant pour Elizabeth de lui dévoiler cette vérité. Il suffisait pour elle d'observer ses réactions pour qu'elle se sente coupable. Son but n'avait jamais été de lui faire le moindre mal. Au contraire, même. Dans son esprit, toutes ses actions avaient pour but de le protéger, de l'aider. Pourtant, en le mettant face à ce qu'ils considéraient tous les deux comme un échec, elle lui faisait forcément du mal.

Face aux mots de la jeune femme, Alexander en arrivait à la conclusion que le problème était ailleurs. Le problème n'était pas ce qu'il avait fait ou n'avait pas fait. Non, si elle n'avait pas su se contenter de ce qu'il lui offrait, c'était parce qu'elle était une éternelle insatisfaite. Comme lui. Comment deux êtres pouvaient à la fois tant se ressembler et, en même temps, avoir tant de divergences qui les séparaient ? Parce qu'Alexander avait raison. Comme lui, elle ne satisfaisait jamais de rien. Il lui fallait toujours plus de tout. Plus de sécurité. Plus de garanties. Plus de preuves.

A cette vérité, elle n'avait rien répondu. Qu'aurait-elle pu répondre ? Lui donner raison ? Lui avouer que, quoi qu'il fasse, rien ne serait jamais suffisant ? Non. C'était un risque trop grand de le voir décider de tout arrêter, pour s'éviter un combat inutile et des efforts qui resteraient vains. Elle préférait se concentrer sur la suite. Sur cette promesse, justement, de lui obtenir ce qu'elle voulait. Puisqu'il lui promettait, donc, de respecter sa part du contrat - à savoir soutirer des informations à Mary et, elle l'espérait, l'en débarrasser - elle lui rendait sa précieuse liberté. En partie, du moins. Elle ne le faisait pas avec joie, c'était une évidence, mais elle devait s'assurer qu'il était sincère et qu'il était bien prêt à lui prouver qu'il était de son côté.

Il l'avait remerciée, puis il y avait eu un moment d'hésitation. Elle s'attendait à le voir quitter cette pièce aussi vite que possible, sans attendre, sans même un dernier regard pour elle après ce qu'elle lui avait fait. Elle s'attendait à ce qu'il se précipite à l'extérieur pour mettre ses menaces à exécution, pour la trahir à la première occasion. Elle s'attendait à ce que, peut-être, il s'acquitte de sa mission, pour elle. Elle s'attendait à tout, sauf à recevoir un geste d'affection, sauf à sentir sa main hésitante se glisser dans ses cheveux, dans un geste qui la faisait frissonner, sauf à voir ses yeux l'observer avec une telle intensité. Il avait rompu presque toute la distance qu'il y avait entre eux. Ils étaient si proches que leurs souffles se mêlaient. Si proches, alors qu'Elizabeth pensait ne plus goûter à cette proximité avant longtemps.

Que cherchait-il ? Qu'était-il en train de faire ? Malgré toute cette colère, il ne voulait pas partir ? Pas encore, du moins ? « Qu'est-ce que... » Ses mots se perdirent sur ses lèvres, lorsqu'il les joignit aux siennes. Un instant, elle oubliait tout de cette situation et de ce qu'ils s'étaient dit. Elle ne pensait plus qu'à ce qu'il lui faisait ressentir à chaque fois qu'il l'embrassait, comme maintenant. Elizabeth appréciait chaque sensation, de crainte de ne plus jamais y avoir le droit. Se laissant embarquer par ses réflexes, ignorant un instant sa logique qui lui soufflait de se méfier, sa main s'était retrouvée sur sa nuque, puis dans ses cheveux, tandis que son autre main glissait sur son bras. Du bout des doigts, avec douceur et lenteur, elle espérait le faire frissonner sous ses caresses. Elle espérait imprimer en lui chacune des sensations qu'il pouvait éprouver à son contact pour qu'il ne les oublie jamais et, surtout, pour qu'il ne puisse jamais plus s'en passer. Elle voulait qu'à chaque instant, qu'à chaque fois qu'il envisagerait de la faire passer après ses convictions et ses idées, qu'à chaque fois qu'il penserait à trahir ses promesses, il se souvienne de tout cela, qu'il ait besoin de tout cela. Elle voulait qu'il lui revienne. Toujours.

Lentement, à contrecoeur, elle avait fini par s'éloigner légèrement. Leurs lèvres étaient toujours proches, se frôlant presque, leurs souffles s'entremêlaient toujours, mais elle s'était suffisamment éloignée pour parler. « Promets-moi que ce n'est pas un adieu. » souffla-t-elle contre ses lèvres, avant de venir l'embrasser à nouveau, avec toute la tendresse dont elle était capable, sans même lui laisser le temps de répondre. Elle avait besoin de l'entendre, besoin de s'assurer qu'il n'était pas en train de lui offrir un baiser d'adieu.

Il n'y aurait jamais rien de facile entre eux, parce qu'ils se poussaient tous les deux bien au-delà des limites qu'ils avaient pensé être les leurs. Elizabeth le détestait pour cela autant qu'elle l'aimait. Elizabeth voulait le voir se dévouer entièrement à elle et à ses projets et, en même temps, elle aimait l'homme qu'il était, avec ses idées et ses convictions. Ses contradictions la poussaient à agir sans réfléchir, à regretter, à se questionner, à revenir sur ses promesses. Elle ne savait pas ce qu'elle voulait parce qu'il avait raison : elle ne trouvait une pleine satisfaction en rien. Il lui manquait toujours quelque chose, sans jamais être capable de déterminer ce que ce quelque chose était.

Cet événement était la preuve de toutes les difficultés que leur relation représentait. Ils s'étaient menacés des pires choses, ils avaient douté l'un de l'autre et, pourtant, Alexander était là, sa main dans les cheveux d'Elizabeth, ses lèvres contre les siennes. Il aurait dû partir. Il aurait dû franchir le seuil de cette porte à l'instant où Elizabeth lui avait rendu un semblant de liberté pour faire ce qu'elle lui avait demandé et, pourtant, il était resté. Elizabeth, de son côté, n'était pas capable de le repousser ou de l'éloigner non plus. Elle goûtait à ses baisers avec une attention toute particulière, craignant qu'il ne s'agisse des derniers. Ce qu'elle refusait d'accepter. Elle glissait ses doigts contre sa peau, cherchant à imprimer chaque sensation, chaque réaction de son corps, afin qu'il ne puisse jamais faire autrement que lui revenir. Elle devait lui manquer, comme il lui manquait parce qu'elle était incapable de vivre sans lui et qu'elle ne le laisserait pas s'éloigner d'elle. Son besoin d'être avec elle, de la sentir contre lui, de frissonner à son contact devait être plus fort que tout le reste.

Parce qu'elle avait besoin d'être rassurée et d'en avoir le coeur net, Elizabeth cherchait la réponse à sa plus grande peur, à cet instant : était-il en train de lui faire ses adieux ? La force avec laquelle il lui répondit que non, il ne s'agissait pas d'adieux, l'avait immédiatement convaincue. Elle doutait de bien des choses, mais pas de ces mots-là. Ceux-là s'imprimaient en elle, comme une promesse, tant il semblait sûr de lui en les prononçant. Il ne s'arrêtait pas là, il lui promettait sur tout ce qu'il avait, il lui assurait être incapable de la laisser et ce, même si cela avait été son souhait, ce qui n'était pas le cas. Elizabeth, pour une fois, ne doutait de rien. Elle le croyait. Ils étaient si proches l'un de l'autre, il y avait cette conviction et cette assurance dans sa voix... Elle ne pouvait pas douter de lui à cet instant. « Jamais je ne te laisserai partir. Tu n'imagines pas à quel point je t'aime, Alexander. » Affirma-t-elle dans un souffle. Il était incapable de partir et elle n'avait pas l'intention de le laisser faire, ils s'étaient condamnés l'un avec l'autre depuis bien longtemps, déjà. Tout l'être d'Elizabeth aimait cet homme. C'était impossible à expliquer, et elle ne pouvait se l'expliquer elle-même, mais elle l'aimait au-delà de toute raison.

« Je suis tellement désolée. » Glissa-t-elle entre deux baisers, sincère. Désolée, elle l'était. Désolée de lui avoir caché ses projets, de lui avoir menti, de l'avoir blessé, d'avoir détruit ce qu'il avait construit. « Ça ne doit plus jamais se reproduire. » Ce qu'ils s'étaient dits, la situation sur le point d'exploser, les mensonges. Rien ne devait se reproduire - même si Elizabeth se le jurait aujourd'hui, elle savait qu'elle était capable de revenir sur sa promesse à n'importe quel moment si elle en ressentait le besoin et elle détestait cette partie d'elle qu'elle ne savait contrôler - de peur qu'ils ne puissent rien réparer la prochaine fois. « Alexander... » souffla-t-elle tout contre ses lèvres, tentant de se montrer raisonnable. « Tu devrais partir. » Elle n'en avait pas envie, mais il devait faire ce qu'il avait promis de faire et elle craignait qu'il ne soit capable de la faire changer d'avis s'il restait, ce qui ne ferait, sans doute, que compliquer davantage les choses.

Elizabeth n'avait jamais su aimer comme il le fallait. Elle aimait toujours trop. Elle aimait toujours passionnément. Elle aimait toujours au point de détruire, plus que construire. Lorsqu'elle aimait, elle était prête à tout et surtout au pire. Lorsqu'elle aimait, elle était capable de tout. Et elle aimait Alexander plus qu'aucun autre. Avant lui, elle croyait avoir aimé plus qu'il n'était possible d'aimer, puis elle l'avait rencontré. Elle lui avait fait une place dans sa vie. Il était devenu tout ce qui comptait pour elle. Les mots ne pouvaient pas suffire à exprimer ce qu'elle ressentait pour lui. Les mots ne pouvaient pas suffire à exprimer ce qu'elle ressentait chaque fois qu'il la regardait, l'embrassait ou la touchait. Elizabeth ne connaissait rien de comparable, rien de plus fort que ses sentiments pour lui. Et c'était ces sentiments qui la poussaient à commettre le pire, à le menacer, à vouloir le garder enfermé, à lui demander le pire. La peur de le perdre la faisait réagir de la pire des façons.

Malgré ce qu'il avait pu dire, malgré les menaces qu'il avait pu proférer, elle savait qu'il l'aimait. Peut-être pas autant, peut-être différemment, mais il l'aimait. Suffisamment pour ne pas fuir. Suffisamment pour rester là et l'embrasser. Suffisamment pour lui promettre qu'il l'aimait, malgré lui. Malgré lui... Finalement, peut-être s'aimaient-ils autant l'un que l'autre, mais chacun à leur manière ? Elle, incapable de contrôler ce que sa passion lui dictait de faire. Lui, incapable d'écouter sa raison et de fuir le danger qu'elle représentait. Ils ne contrôlaient rien. Ils n'avaient jamais rien contrôlé, en réalité. Ils s'aimaient et ils se laissaient dépasser par tout ce que cela impliquait. Ils s'étaient aimés sans rien chercher, ils s'étaient laissés porter par cette relation et ils avaient accepté tous les risques pour être ensemble.

Elizabeth ne mentait pas. Elle ne mentait plus. Elle était désolée. Pas de ce qu'elle avait fait, non, mais de la situation et de ses mensonges. Elle était désolée de la tournure des événements, désolée de ce qu'elle avait dû dire ou faire. Désolée d'avoir détruit ses projets et ses ambitions pour servir sa propre cause. Elizabeth ne voulait pas que ce genre de choses se reproduise. Tout aurait pu se terminer aujourd'hui. Ils étaient allés si loin... Elle ne pouvait assurer que leur relation survivrait à un autre événement de ce genre - et en même temps, elle avait cette impression qu'ils étaient capables de tout surmonter dès l'instant où ils étaient tous les deux, même les pires côtés de l'un et de l'autre. Plus rien de tout ça ne devait se reproduire. Il devait faire ce qu'il avait promis de faire, il devait lui prouver ce qu'elle avait besoin de voir et ils devaient se reconstruire. Ensemble. L'un avec l'autre. Lui à ses côtés, lorsqu'elle atteindrait les plus hauts sommets de cette ville. Parce qu'il y avait une chose dont Elizabeth était certaine et dont elle ne douterait jamais : elle ne le laisserait pas partir, qu'importe ce qu'elle devrait faire pour le garder, elle le ferait.

Alors, de crainte de lui céder trop de terrain et de perdre sa détermination à obtenir de lui ce qu'elle voulait - Elizabeth était faible face à ses sentiments et avait conscience de l'être particulièrement en compagnie d'Alexander - elle lui demandait de partir. S'il restait, elle n'était plus certaine de résister et ça ne devait pas arriver. « Obtiens ce que je veux. » Souffla-t-elle, alors qu'il lui promettait qu'il reviendrait parce qu'il ne pouvait faire autrement. « Ne reviens pas avant. » Les mots étaient difficiles à prononcer, mais il fallait que les choses se passent ainsi. Il ne devait pas se jouer d'elle et faire durer les choses afin de trouver une solution pour éviter l'inévitable. « Fais vite. » C'était une prière, plus qu'un ordre. Elle avait besoin de lui, elle ne pouvait vivre loin de lui trop longtemps et s'il laissait traîner les choses, elle n'était pas certaine de pouvoir le supporter. Alors, elle le suppliait de faire vite, de revenir avec ce qu'elle voulait et d'exiger d'elle les preuves qu'il voulait, afin de pouvoir avancer l'un avec l'autre, comme elle en rêvait. « Et je te donnerai toutes les preuves que tu veux, à mon tour. » Promettait-elle pour lui rappeler qu'elle tiendrait ses promesses, s'il tenait les siennes.  

Elizabeth ne perdrait pas Alexander. Elle se battrait tant qu'elle serait en vie pour lui. Néanmoins, elle ne lui permettrait pas de ne pas tenir ses promesses et de lui revenir, malgré tout. Il avait, à ses yeux, quelque chose à lui prouver. Il lui avait promis d'obtenir quelque chose pour elle. Alors, même si son coeur se brisait à l'idée de devoir s'éloigner de cet homme qu'elle aimait tant, elle se devait de lui ordonner de ne pas revenir avant d'avoir fait ce qu'il avait à faire. S'il ne le faisait pas, jamais Elizabeth ne retrouverait entièrement confiance en lui - cela dit, même s'il le faisait, après les mots échangés, elle n'était plus certaine de pouvoir avoir une confiance absolue en lui. S'il revenait avant de l'avoir fait, elle craignait de céder à ses faiblesses et de le laisser revenir sans lui donner aucune nouvelle preuve - et elle finirait par lui reprocher, elle se connaissait. Ce n'était pas juste une envie, c'était un véritable besoin pour elle. Mary ne devait plus pouvoir leur nuire. Plus jamais. Alexander devait, d'une façon ou d'une autre, s'en occuper.

Alors oui, elle exigeait de lui quelque chose, mais, dans le même temps, elle le suppliait de faire vite. Elle ignorait pendant combien de temps elle serait capable de supporter son absence. Ils ne s'étaient jamais réellement éloignés l'un de l'autre, Elizabeth n'avait aucune envie que l'expérience s'éternise. Ses mots ressemblaient à une promesse. Ses mots étaient une promesse. Elle le croyait. Elle savait qu'il était comme elle. Elle savait qu'il avait besoin d'elle autant qu'elle avait besoin de lui. Elle espérait simplement que la distance ne lui fasse pas ouvrir les yeux sur une réalité qu'Elizabeth refusait de voir. Le baiser qu'il venait déposer sur ses lèvres n'était pas celui d'un adieu, mais celui d'une promesse. Celle qu'il lui reviendrait aussi vite que possible. Il ne pouvait en être autrement.

De nouveau, il lui assurait qu'il ne s'agissait pas d'un adieu. Il était convaincant, sûr de lui. Il paraissait l'être, en tout cas. Pour la convaincre elle ou se convaincre lui ? Elle l'ignorait, en revanche. Sur cette nouvelle promesse, d'un simple au revoir, il s'éloignait enfin. Aussitôt, Elizabeth avait l'impression d'être comme séparé d'une partie d'elle. La crainte envahissait chaque partie de son corps. Il ne connaissait pas ses plans en détails, mais il connaissait ses intentions. Il avait promis qu'il était prêt à tout pour l'arrêter avant de finalement lui jurer qu'il était incapable de s'éloigner d'elle. Le moment de vérité était arrivé. L'avenir de leur relation ne reposait désormais plus qu'entre ses mains.